C h a r l i e
***
Harry se tord le ventre, il rit tellement fort que ça doit être douloureux. Je vois Louis lever les yeux au ciel, je lui adresse un sourire compatissant. Je sais ce que c'est, Lucie a la tête posée sur mes genoux et elle rit aux éclats, ça fait un peu mal aux oreilles même si c'est très joli. Les flammes du feu de camp dansent sur son visage.
"Moi aussi j'ai une blague, elle murmure avant de se redresser.
-Pitié non", je souffle.
Louis bois une gorgée de sa bière, sans doute pour s'aider à supporter l'humour plus que douteux de nos amis. Mais Harry se redresse, ses yeux verts brillants d'attention, et je me dis que je devrais peut-être commencer à boire aussi, si ces deux-là continuent comme ça.
"Pitié pas une blague sur les pingouins, Louis murmure.
-C'est un pingouin...
-Non!
-C'est un pingouin qui lève une jambe, qui trouve ça marrant, qui lève l'autre et qui meurt."
Évidemment, Harry rit aux éclats. Lucie, fière de sa plaisanterie, me réclame un baiser mais je détourne la tête en faisant une grimace peu impressionnée. Je regarde Louis sombrer dans l'alcool devant les vestiges de l'humour, et je m'allonge sur la couverture jaune pâle étendue sur la pierre.
"J'ai envie de musique, se plaint Louis qui en est à sa troisième bière.
-D'accord, mais ralentis s'il-te-plait mon ange."
Harry fronce les sourcils en éloignant la bouteille de son petit-ami, qui fait la moue et ébouriffe ses boucles. Il ouvre la portière de la petite twingo enveloppée d'ombres, et sort le vieux poste de radio qui capte encore, miraculeusement, au beau milieu de nulle part. Mais ce ne sont pas les chaînes ordinaires non, c'est une chaîne locale, peut-être qu'il y a un ermite par ici qui tient une station de radio mais ça me semble quand même étrange. En plus, elle diffuse de la musique classique : Harry appuie sur la touche Play, et j'entends les premières notes du Voyage d'Hiver se répandre dans les airs. Ça me rend nostalgique. Mon piano, qu'est-il arrivé à mon piano...
Je m'asseois sur les genoux de Lucie, qui passe sa main dans mes cheveux, et j'enroule mes bras autour de ses épaules. Je suis bien comme ça, le visage niché dans son cou, je sens la douceur violette des flammes qui m'enveloppent...
"Harry, se plaint Louis, qui a trouvé quelque part une quatrième bouteille, tu n'as rien de plus joyeux comme musique? Une petite chanson sur laquelle on pourrait danser, comme un boogie woogie! Non? Du Scott Joplin, s'il-te-plaît... Je veux un ragtime, Harry...
-Oh Lou, il soupire, tu es complètement bourré. Non amour, je ne peux pas mettre d'autre musique, en plus il est tard et tu es fatigué. On va se coucher, d'accord?
-Mais Harry, je veux danser!"
J'étouffe un rire en regardant du coin de l'oeil notre grand bouclé soulever son petit-ami comme s'il ne pesait rien et le porter, la tête à l'envers, jusqu'à leur tente. Je sens Lucie frissonner contre moi, et ça me fait encore plus rire.
"Arrête, ça chatouille", elle proteste. Je m'écarte et lui souris. Les ombres du brasier ondulent sur son visage et y font naître des formes insoupçonnées. Je n'arrive pas à détâcher mes yeux des siens, ils ont la couleur ensorcelante de la foudre. Elle pose une main sur ma joue, et une vague d'électricité me parcours l'échine.
"On devrait aller se coucher.
-Oui, on devrait."
Les flammes rouges sur nos deux peaux. Cela fait une éternité que nous nous fixons sans dire un mot. Et puis, lentement, doucement, la main de Lucie glisse le long de ma joue, effleure ma tempe et la courbe de front, et se glisse dans mes cheveux. Mon bandeau tombe au sol. Je soupire en sentant mes cheveux châtains retomber en mèches désordonnées sur mes épaules, et dans les courbes blanches de mon décolleté. Les flammes du feu de camp, dans mon dos, semblent plus chaleureuses tout d'un coup. Lucie m'embrasse et pose son souffle dans le mien, alors j'abandonne toute résistance, et je me laisse tomber sur la mince couverture au dessus de la pierre froide. Je souris en entrevoyant, à travers mes cils, une mince silhouette auréolée de flammes qui se penche au dessus de moi.
Tout à coup ma robe est devenue inconfortable, j'ai trop chaud. C'est certainement la température du brasier à côté de nous, qui ne cesse de grandir. Je tente d'atteindre la fermerture éclair dans mon dos, mais une main douce et fraîche se pose sur la mienne, et la retire doucement. Puis, je la sens attraper la fermeture, et descendre lentement ma colonne vertébrale. Je frissonne en sentant sa peau effleurer la mienne, et je laisse échapper un petit gémissement. Sa paume s'attarde un peu plus longtemps que nécessaire sur la chute de mes rheins, et bientôt ma robe s'envole à côté de nous.
Les vêtements de Lucie et nos sandales ont rejoint ma robe couleur de soleil dans la poussière rouge. Le feu de camp, derrière nous, ne brûle presque plus, pourtant j'ai toujours aussi chaud. Elle se balance au dessus de moi, je suis hypnotisée par les ombres bleues et rouges sur sa peau pâle. Je pose une main timide sur sa hanche; elle a un grain de beauté, ici, qui ressemble à un croissant de lune. Je trouve que ça lui va bien, cet astre changeant et fascinant. Je laisse glisser mes doigts un peu plus bas, et je soupire de plaisir en sentant sa peau s'hérisser. Elle se penche contre moi, et me serre de toutes ses forces contre sa poitrine. Et moi je m'abandonne, je m'abandonne, je m' abandonne à son parfum tout nu.
C'est le front de Lucie posé contre le mien, ce sont ses lèvres qui embrassent les miennes comme pour les dévorer doucement -ça a le goût du sucre et de la cannelle- c'est sa poitrine, doux et vaste territoire aux courbes ondulées, qui se presse contre les miennes. Ce sont ses hanches, c'est son bassin qui ondule au-dessus de moi, et je sais que les garçons dans la tente près de nous pourraient nous entendre, alors je plaque mes mains contre ma bouche, et j'étouffe les gémissements que je voudrais pousser. C'est beau, c'est bon, c'est la meilleure chose que j'aie jamais vécu. Mais je ne lui dirai pas que je l'aime, pas cette nuit, pas comme ça. Je ne dirai pas "Lucie, je suis amoureuse de toi." On fait l'amour en silence. On fait l'amour sans se le dire. On fait l'amour seules sur Mars sur la couverture jaune. Ça fait longtemps que le feu de camp est éteint, pourtant je n'ai vraiment pas froid du tout.
Après l'amour. Ses mains errent et divaguent sur la peau de mon dos. Je sais qu'elle réfléchis, qu'elle pense et qu'elle va parler, je le sais au rythme de sa respiration et à la caresse de ses doigts contre mes os.
"Dis, Charlie, elle murmure. Il vient d'où, ce tatouage?"
Ses mains parcourent et redessinent le trajet de l'aile brisée.
"C'est Harry qui l'a fait, je lui ai demandé. Il te plaît?
-Il est... triste.
-Ce n'est pas supposé être triste, tu sais. C'est supposé me rappeler de vivre. De rester réelle, de rester là. Si mon aile est cassée, je ne peux pas m'envoler, tu comprends? Je suis abîmée, mais je suis là. Je suis réelle. Je suis vivante.
-Je le trouve vraiment beau.
-Merci. J'en ai un autre, d'ailleurs, un tout petit. C'est une ancre de bâteau sur ma cheville, je vais te montrer."
Je me redresse, et cherche du regard le symbole familier qui orne la peau de mon pied. C'est Louis qui l'a dessiné, celui-là. Mais Lucie fronce les sourcils, et bientôt, moi aussi.
"Il n'y a pas de...
-Mais, j'étais sûre que...
-C'est pas grave, t'inquiète pas! Il fait noir c'est probablement pour ça que tu ne le voies... Eh, Charlie, qu'est-ce que tu fais, attends! Charlie, non, qu'est-ce que..."
Je me force à ne pas écouter sa voix, et j'enfile ma robe et mon bandeau jaune pâle. Je glisse mes pieds dans mes sandales, attachant mal l'une de mes boucles, et je m'enfuis en courant. Un instant, j'espère que ce sera comme Cendrillon, que je vais perdre ma chaussure, et que Lucie me rattrape en courant pour me la remettre et m'embrasser. Mais ce n'est pas un conte de fée, la sandale reste là, et Lucie ne me poursuit pas. Sa voix s'affaiblit puis s'éteint à mesure que je m'éloigne dans le désert. Le tatouage a disparu. Le tatouage a disparu.
Le
Tatouage
A
Disparu.
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