A l o u e t t e

Nasthiia merci pour le titre :)

***

La douce chanson du café coulant dans une large tasse. Lucie prenait toujours son café avec du lait, beaucoup de lait pour en adoucir le goût amer, et du sirop à la vanille. Jamais de sucre, elle préférait sentir la vanilline artificielle se répandre sur sa langue et se mêler à la caféine. Avec son batteur, la jeune femme souleva un nuage de mousse blanche au dessus du liquide brûlant, et y dessina un coeur. C'était peut-être niais, mais Lucie était une rêveuses, et elle espérait tenter la chance en imitant les gestes des comédies qui la passionnaient. Pour sa défense, elle passait de longues nuits désoeuvrée, sur le canapé du salon, à vagabonder au hasard sur les chaînes espagnoles.

Il était trois heures vingt-sept minutes. C'était sa onzième nuit blanche depuis son arrivée à Almeria, dans sa maison de vacances. Les soirs d' été étaient doux en Andalousie, surtout sur cette ville qui bordait le désert, mais l'épuisement et une petite brise du Nord faisaient frissonner Lucie. Alors elle était assise dans la cuisine, jambes croisées sur le mini-bar, à côté de la planche à découper. Elle serrait très fort sa tasse contre elle, inspirant le parfum de café ét de vanille, s'imprégnant de chaleur.

Lorsqu'elle reposa finalement la tasse dans l'évier, sa main tremblait, et l'objet émit un bruit suspect en heurtant le robinet. Riant un peu de sa propre maladresse, la jeune fille quitta la pièce et défit la queue de cheval qui emprisonnait ses cheveux bruns. Les mèches éparses, aux pointes abîmées, tombèrent devant ses yeux comme les poils d'un chien des montagnes ébouriffé. Regagnant sa chambre, Lucie choisit un livre au hasard sur son étagère, et s'endormit finalement aux poèmes amoureux. La taie d'oreiller, plissée, laisserait une marque sur sa joue, le lendemain, et le café la faisait trembler comme une feuille. Mais il était cinq heures du matin, elle était épuisée, et son service commençait à huit heures le jour suivant. Elle ne tenait plus debout. Il fallait se reposer.

Lucie se réveilla en sursaut. Cela lui réveillait souvent, ces derniers temps. Elle ouvrait grand les yeux sur le vide d'avant l'aurore, frissonnante et troublée, incapable de se souvenir du rêve qui venait de la posséder. Et ça, quand elle parvenait à fermer l'oeil. Secouant la tête, la jeune fille lia ses cheveux dans une queue de cheval mal faite et descendit dans la cuisine. Elle alluma le poste de télévision, où passait de la mauvaise musique commerciale qu'elle connaissait par coeur, à force de se lever tôt. Chantonnant, elle se servit un bol de pétales de maïs au chocolat, et s'assit en tailleurs sur le mini-bar.

"Bonjour!" lança une voix joyeuse et ensommeillée, tandis que la porte s'ouvrait. "Lucie!" poursuivit sa mère, faussement indignée, en la voyant ainsi installée. "Je t'ai déjà dit de ne pas t'asseoir là, enfin!
-Fais pas semblant! rétorqua la jeune fille en riant. Je t'ai vue t'asseoir ici l'autre jour!"
La femme sourit, prise sur le fait, et ébouriffa les cheveux de sa fille, achevant de décoiffer sa tignasse brune. Elle sortit deux verres dans le placard, qui avaient autrefois servi de pots à moutarde commerciale, et les emplit de jus de carotte acheté à la supérette du coin. Puis, elle se tourna vers sa fille, lui tendant l'un des verres, et fronça les sourcils.

"Ça va, ma chérie? Tu es toute pâle.
-Je suis toujours pâle, maman! protesta-t-elle avec un demi-sourire. Ce sont tes gènes catalans.
-Oui, mais là... Tu as bien dormi?
-À merveille!" menti-t-elle, tout sourire. Elle fixa son regard dans celui, d'un indigo similaire au sien, de sa mère. Elle pouvait clairement distinguer son reflet dans ces grandes pupilles noires, et pourtant, elles étaient bien différentes. Lucie pris une gorgée de jus de carotte, puis vida son verre avec un soupir d'aise. Elle essuya ses lèvres du revers de sa main, déposa le verre dans l'évier, et un bisou sur la joue de sa mère.

"Bon, je vais me changer avant d'être en retard! s'écria-t-elle en montant les escaliers  quatre à quatre.
-Ma chérie! l'appela sa mère.
-Oui?
-Tu as vu Sarah? Elle voulait aller à la mer ce matin. Tu pourrais la réveiller avant de partir, si elle n'est pas déjà levée? Sinon, on n'aura jamais le temps.
-D'accord, attends j'y vais!"

L'adolescente frappa trois petits coups sur la porte de bois azur, sur laquelle avait été peintes en lettres blanches et bleues : "Sarah". Puis, n'entendant pas de réponse, elle se glissa dans la pièce turquoise inondée de lumière. Enveloppée dans ses immenses draps pervenche, la petite silhouette de sa soeur reposait paisiblement. Sa poitrine se soulevait régulièrement, et un léger sourire planait sur les lèvres de sa petite fille.

Attendrie, Lucie s'agenouilla à hauteur du visage de sa cousine, et secoua doucement son épaule. "Hé, murmura-t-elle doucement, c'est l'heure ma princesse. Il faut se réveiller, d'accord? C'est l'heure de se lever."
Deux yeux clairs s'ouvrirent largement, et Lucie se dépêcha de quitter la pièce, ne voulant pas être en retard. Brosse à dent entre les dents, elle dompta ses mèches brunes en une queue haute, et s'habilla à la hâte, avant de sortir dans les rues d'Almeria.

Le soleil enveloppa sa nuque, se glissant tout autour d'elle, de sa peau, de ses yeux et de ses lèvres. C'était agréable. Sur le sol rouge de La Rambla, à l'ombre des palmiers hauts et des fontaines claires, la jeune femme hâtait le pas. Elle tourna à droite à la laverie, puis à gauche derrière l'ancien lycée, et s'arrêta un instant devant une grande maison blanche. Devant la bâtisse, une véranda donnait sur un petit jardin de terre ocre. Le soleil du matin teignait les murs de plâtre d'une douce lumière dorée, et une douce mélodie coulait de la fenêtre. Lucie ferma les yeux sous les trilles mélodieuses, mélancolique, retenant sa respiration. Auparavant, un piano chantait aussi, accompagnant le violon de ses notes claires et douces comme le bruit des vagues s'échouant sur le sable. Mais plus maintenant.

Lucie laissa échapper un petit soupir nostalgique, et sortit de sa poche son petit carnet indigo. Les yeux fixés sur la maison, enveloppée dans la lumière et le chant du violon, elle attendit que les mots viennent. En vain. Son esprit restait muet, inexplicablement triste, fatigué des nuits blanches. La jeune femme soupira, laissa échapper un murmure désolé, et reprit son chemin vers la petite supérette où elle travaillait.

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