Les notifications défilent à toute allure sur mon portable depuis le début de la journée. Je mords ma lèvre en voyant mon nombre d'abonnés augmenter de plus en plus, ce qui ne cesse de me surprendre. Les abonnés de la princesse Olivia ont retrouvé ma trace et ont trouvé le nom de ma boutique. En soit, c'est une excellente occasion d'obtenir une jolie publicité gratuite. Cela permet de mettre en avant ma boutique. Les affaires sont en baisse, un petit coup de pouce du destin n'est pas de refus. Qui aurait cru qu'une simple publication de la princesse sur les réseaux susciterait autant d'engouement ? Je ne compte plus le nombre de curieux défilant devant ma vitrine en chuchotant. Ils veulent voir la fille de la photo, pas la fleuriste.

J'avale une gorgée de mon café bien chaud, perdue dans mes pensées. Cette parenthèse de bien-être avec Lowell était nécessaire et m'a donné une énergie nouvelle. Je ne m'attendais cependant pas à voir mon prénom cité un peu partout sur la toile. Mes créations intéressent les autres. J'entends déjà mon frère clamer haut et fort que je me suis trompée de voie et que je ne peux plus me voiler la face. J'ai toujours eu beaucoup de mal à faire des choix. Devenir fleuriste est un moyen de me raccrocher à ma grand-mère et de continuer à la faire vivre.

La petite mélodie à la porte de la boutique interrompt mon flot de pensées négatives déferlant dans mon esprit. Je me redresse afin de me donner une meilleure allure et ne pas paraître trop décontractée. Un homme et une femme s'avancent vers mon comptoir d'une démarche assurée. Les talons de l'inconnue résonnent sur le carrelage du magasin. Ai-je le droit à une inspection ? Je n'ai rien à cacher, mais on me préviens en avance lorsque c'est le cas. L'homme à la peau foncée semble bien plus chaleureux que sa collègue.

— Bonjour, vous êtes bien Daphné Adler ?

— En effet.

L'homme dépose une pochette de documents sur le comptoir avec un sourire aimable. Je passe une main nerveuse sur ma main afin de cacher mon anxiété. Qui sont ces personnes ? Elle repousse le tabouret sous le comptoir en toute discrétion, ce n'est pas bien vu d'être assis durant une journée de travail. Dois-je craindre la fermeture de mon entreprise ? Je ne suis pourtant pas hors la loi.

— Nous sommes envoyés par la couronne britannique pour faire appel à vos services. La souveraine elle-même demande une collaboration avec l'équipe décorative. Vous trouverez dans ce contrat le montant de votre rémunération ainsi que les exigences de Sa Majesté.

Ébranlée par cette surprenante nouvelle, j'écarquille les yeux, incapable de répondre. Pourquoi la reine voudrait-elle m'engager ? Je ne suis qu'une petite boutique invisible dans la capitale anglaise. Pourquoi demanderait-elle un partenariat ? Je reporte mon attention sur mon portable caché derrière une décoration. La publication de la princesse est devenue virale au point d'attirer l'attention de la reine. Je n'étais qu'une inconnue avant cette soirée et maintenant je suis propulsée sur le devant de la scène. L'anniversaire du souverain est un événement mondain auquel il est impossible d'accéder sans une invitation au préalable. C'est une soirée grandiose aux thématiques changeantes chaque année. Il est possible de le suivre sur le site de la famille royale en échange d'un abonnement mensuel. Nombreux sont ceux qui le font.

Le thème de cette année est le classique bal masqué, ce qui me donne de l'inspiration pour la réalisation de bouquets. Je me penche pour lire le contrat et découvrir ce qu'on attend de moi. Des bouquets pour chaque table, une pince à cheveux pour la princesse Olivia ainsi qu'un masque pour la souveraine. Un tel engagement demande un certain travail, mais la rémunération permettrait de couvrir les dépenses pour les six prochains mois. Je me mords la lèvre par crainte que cela ne soit qu'une vague plaisanterie.

— Nous ne vous apprenons rien en vous révélant que votre boutique est sur toutes les bouches, ce qui attire l'attention de la reine elle-même. Impressionnée par votre talent unique, elle demande vos services et est prête à doubler la somme si le prix ne vous convient pas.

Les paroles de l'homme résonnent dans mes oreilles. Ce n'est pas tous les jours que la famille royale se tourne vers une petite boutique pour une occasion de cette envergure ! Je croise les regards des deux émissaires royaux, les mots me manquent toujours.

— Votre implication à l'événement restera secrète jusqu'au bal masqué. Nous soulignons l'importance de votre présence au sein de la réception afin de s'assurer que rien ne manque. Une invitation est en votre nom.

Il dépose une enveloppe crème avec le logo de la famille royale britannique. J'avale ma salive avec difficulté, toujours ébahie par cette offre. Je pourrais enfin me démarquer de la concurrence et me faire une véritable place dans ce milieu. Mes mains tremblent toujours, ce qui n'échappe pas au regard de la femme. Elle n'a ouvert la bouche qu'une seule fois depuis son arrivée. J'ai la sensation de ne pas me comporter comme il faut et de passer pour une imbécile de première.

— Nous ne pouvons pas vous accorder plus de deux jours pour nous faire parvenir votre décision. L'anniversaire du souverain est un événement pour lequel Sa Majesté s'implique personnellement et en cas de refus nous devrons trouver quelqu'un d'autre.

La femme silencieuse dépose une carte de visite sur le comptoir sans quitter son air sérieux. Je hoche la tête. J'ai besoin de temps pour lire le contrat et demander l'avis de mon frère sur la question. La charge de travail est conséquente et je n'ai pas d'employé pour m'aider. Lowell ne pourra pas m'aider, il a ses propres préoccupations et se montre parfois bourru avec les plantes.

— Je comprends.

— Merci de nous avoir reçu, bonne journée mademoiselle Adler.

Les deux émissaires royaux quittent la boutique sans m'accorder un mot supplémentaire. Je m'accroche au comptoir pour ne pas tomber. Que dois-je faire ? Les tâches commandées par la couronne sont ardues, mais je doute qu'une chance pareille se représente une seconde fois. Je m'avance jusque la porte d'entrée pour retourner la pancarte afin de prendre une pause. J'ai besoin de remettre de l'ordre dans mes pensées.

Et si je n'étais pas à la hauteur ? Et si la reine était déçue de mon travail ? Les commentaires acerbes de ma mère tourbillonnent dans mon esprit et me font un mal de chien. Mes mains se mettent à trembler, la sueur perle sur mon front tandis qu'une intense douleur bloque ma respiration. Je me précipite vers le comptoir pour récupérer mon portable et appuie sur la fiche de contact pour appeler mon frère.

― Répond, répond...

Je tapote du pied en mordant mon pouce dans l'attente d'une réponse. J'ai besoin plus que jamais d'un avis extérieur sur la bonne décision à prendre. Le répondeur se déclenche à mon grand désespoir. La vie de Lowell semble bien plus passionnante que la mienne. Je raccroche sans laisser de message. Je m'installe sur le tabouret puis me plonge dans la lecture du contrat.

♕

Le reste de la journée se déroule dans une certaine confusion. Je renverse un pot décoratif, me trompe de commandes à deux reprises et écrase le pied du pauvre livreur. Je ne suis pas maladroite en temps normal, mais cette visite surprise ne cesse de me tourmenter. J'ai deux jours prendre une décision susceptible de soulager nos vies. Lowell pourrait lever le pied, les loyers assurés pour les prochains mois et rembourser ma connasse de génitrice. Je n'aurais plus jamais besoin de l'aide d'une tierce personne. Travailler pour la couronne est un énorme privilège. Il est même possible que la famille royale m'engage pour d'autres événements si mon travail les satisfait.

Il est plus de dix-neuf heures lorsque je passe la porte de l'appartement. Une odeur de pommes chatouille mon nez. J'accroche mon manteau, retire mes chaussures et marche jusque la pièce concernée. Lowell écoute de la musique, une dizaine de pommes épluchées reposant dans un saladier. Je l'observe durant un moment, un sourire aux lèvres. Mon frère est le plus doué de nous deux lorsqu'il s'agit de cuisine.

— J'espère que la préparation de cette tarte aux pommes est annonciatrice de bonne nouvelle ?

Lowell tourne la tête dans ma direction.

— Une excellente nouvelle, je dirais.

— Moi aussi j'ai quelque chose à annoncer, mais à toi l'honneur.

Je prends place sur le tabouret, mes jambes se balançant automatiquement dans le vide. J'observe mon frère faire la cuisine, un spectacle dont je ne lasserai jamais. Il prend quelques minutes supplémentaires pour répondre.

— J'ai rencontré quelqu'un.

La nouvelle me prend au dépourvu. Lowell parle peu de ses rencontres amoureuses, ce qui veut dire que cet homme est important. Suffisamment pour que mon jumeau révèle son existence.

— Oh Lowell je suis si heureuse pour toi !

— Je te le présenterai, il est exceptionnel. C'est la première fois que je ressens tout ça, c'est très particulier comme sensation.

Le petit sourire sur les lèvres du jeune homme ne m'échappe pas. Cette relation est suffisamment importante pour Lowell. Cela ne s'est produit qu'une seule et unique fois, c'est bon de le voir sourire.

— Tu vas l'adorer, j'en suis certain.

— Il a surtout intérêt à ne pas te briser le cœur.

Lowell rit.

— Personne ne peut me briser, Daphné.

Je ne réponds rien en sachant bien que c'est faux. Il ne suffit que d'une étincelle pour briser une personne. Chose que je m'abstiens de lui dire.

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22.12.2024