6. Attention à la reine

Il existe de nombreux inconvénients dans le fait d'être un membre de la famille royale. Le plus grand est le manque d'intimité, c'est presque impossible avec les domestiques qui ont la fâcheuse tendance à parler entre eux. La rumeur de notre escapade nocturne s'est répandue à travers le château comme une traînée de poudre en seulement quelques heures. Je ne suis pas surpris, il est impossible de préserver ses secrets dans un tel environnement. Ma mère est rapidement tombée sur les publications des médias en se réveillant ce matin. Elle n'a pas hésité à nous sortir de force du lit pour avoir une conversation.

Adossé contre la porte du bureau personnel de ma mère, je tape du pied en ne cachant pas mon agacement. La tournure des événements est d'un ennui profond. Elle est assise sur sa grande chaise semblable à un trône en plus simple, les sourcils froncés. Olivia se contente de contempler ses ongles en écoutant d'une oreille distraite notre mère. Je ne suis pas un saint, il m'arrive également de sortir sans escorte néanmoins c'est toujours pour me rendre dans des endroits plus privés qu'un club. Information que personne n'a besoin de savoir.

— Comment de fois dois-je répéter que tout déplacement hors du château demeure une garde rapprochée ? Avez-vous oublié votre titre de noblesse ? Ce n'est pas une première pour toi, Olivia, mais je suis très déçue par ton comportement, Orion. Je te croyais suffisamment mature pour ne pas suivre ta soeur dans ces absurdités.

Je croise le regard dur et froid de ma mère. Ce n'est pas celui d'une mère, mais plutôt celui de la souveraine de ce putain de royaume. Dans les faits, son inquiétude est tout à fait légitime. Des personnes dangereuses se camouflent dans les foules et sont susceptibles d'attaquer à n'importe quel moment. Un détail pour lequel Olivia ne semble pas avoir d'importance malgré les supplications de nos parents. Je passe une main sur mon visage en espérant que ce cauchemar s'arrête bientôt. J'aimerais retourner dormir un peu, il est encore bien trop tôt et mon corps réclame de l'énergie supplémentaire. Je lance un regard à Olivia qui ne se donne même pas la peine de cacher son ennui.

— Dois-je vous rappeler le nombre de tentatives d'assassinats à l'encontre de votre grand-père lors de son règne ? Je ne souhaite pas me retrouver à la morgue pour identifier mes enfants à cause de votre stupidité sans nom !

— C'était une simple soirée, rien de plus.

Elle lance un regard noir à Olivia.

— Je ne me souviens pas d'avoir donné naissance à une idiote. Tu n'es plus une enfant, mais une jeune femme avec des responsabilités de princesse et le pays s'attend à voir une jeune femme bien élevée. Quand vas-tu enfin grandir et cesser ton comportement frivole ?

— Tes règles sont tellement anciennes ! La vie royale est plus simple à la cour de France dans laquelle nous sommes libres de nos mouvements et on ne me traite pas une gamine. Je me sens prisonnière dans ce maudit château à me soustraire à ton règlement débile !

Olivia se lève de sa chaise, plus en colère que jamais. Elle méprise son titre de princesse et aimerait l'abandonner pour devenir indépendante et ne plus jamais remettre les pieds dans ce château. Je ne prononce pas un mot, bien trop tendu. La magie de cette bonne soirée s'estompe en l'espace d'une conversation. Ma mère accorde énormément d'importance à notre famille et ne laissera pas Olivia détruire la réputation de notre famille. Le pays doit voir une famille unie et aimante. Ils ne connaissent pas un quart de la vérité.

Notre mère s'immobilise pour faire face une nouvelle fois à Olivia. Les deux femmes se toisent mutuellement dans un froid glacial. Olivia ne flanche pas, elle croise les bras sur sa poitrine, la tête bien haute.

— Je vais demander aux domestiques de préparer mes affaires pour mon vol. Nous nous reverrons au bal d'anniversaire de papa, mais pas avant. Je ne veux pas te faire honte alors il est préférable que nous nous éloignons le plus tôt possible.

Olivia quitte le bureau d'une démarche assurée, la voix tranchante et ferme. Je ne quitte pas la porte des yeux dans l'espoir que ma soeur change d'avis, mais c'est peine perdu. Quand ma soeur est décidée, elle ne revient jamais sur sa décision. Je reporte mon attention sur la femme face à moi. J'avais presque oublié cette histoire de bal d'anniversaire. Chaque année, ma mère organise une grande réception durant notre richesse et notre famille brille de mille feux. Inutile de dire que je déteste chacun des événements mondains de ce genre.

— Peux-tu m'expliquer la raison de ton comportement ?

Je croise le regard de ma mère. Nous nous ressemblons physiquement, j'ai hérité de sa chevelure blonde et de la forme de son regard. Elle est encore très belle et le fait bien savoir à quiconque ose affirmer le contraire. Son alimentation est surveillée et elle ajoute même des séances de sport chaque semaine pour gagner une silhouette de rêve.

— Je voulais juste...

Surveiller Olivia ? Ce n'est qu'une simple excuse derrière laquelle je ne peux pas me cacher. Une partie de moi souhaitait quitter les murs du château pour profiter d'une soirée normale avec ma petite soeur. Je croise les bras sur mon torse en dévisageant ma mère, peu enclin à discuter de la soirée.

― Ton image est plus importante que jamais, Orion. Notre peuple attend de voir un dirigeant mature prenant ses responsabilités au sérieux. Tu es destiné à monter sur le trône et il est inconcevable que tu détruises tout ce que j'ai construit.

― Ce n'était qu'une simple soirée.

Ma mère éclate d'un rire moqueur.

― Parce que tu crois que les souverains peuvent s'accorder une soirée frivole ? Tu perds l'esprit, mon pauvre ! Notre peuple ne veut pas d'un gamin à la tête du pays, mais un homme avec les pieds sur terre.

Je serre les dents, peu heureux d'entendre de telles remarques. Je m'efforce toujours de donner le meilleur de moi-même lors des réunions, événements mondains et mes réseaux sociaux sont harmonieux afin de me donner une image parfaite. J'alimente le tout avec soin afin de ne pas laisser une équipe le faire à ma place, ce qui rendrait le tout impersonnel.

― Gouverner ce pays n'est pas une mission facile contrairement à ce que tu penses. Lors du couronnement, tu auras l'avenir de tout un pays entre les mains et la moindre décision sera jugée par le monde entier. Comment crois-tu que tes sujets réagiront en te voyant dans un club au lieu d'assurer tes fonctions ?

Elle passe une main tremblante sur son visage. Je connais la plus grande peur de ma mère au sujet de l'avenir du pays. Combien de fois ai-je entendu cette conversation au détour d'un couloir ou dans la salle à manger avant un repas ? Ma mère craint que notre royaume sombre dans le chaos en me laissant devenir le prochain roi. A ses yeux, nous ne sommes pas dignes de monter sur le trône.

― Tâche de te reprendre.

― Est-ce une menace ?

― Non, mais cela pourrait le devenir.

Un éclair de colère brille dans mes yeux, ce qui me pousse à quitter la pièce avant de perdre le contrôle de mes émotions. Je ne suis pas un imbécile, ma naissance n'était qu'une simple obligation pour assurer un héritier à la couronne. Nous n'étions pas vraiment désiré et cela se ressent dans chacun des gestes de notre mère. Je descends les escaliers à toute vitesse, le coeur battant la chamade. Les chaînes invisibles autour de mon cou ne cessent de m'étouffer un peu plus chaque jour. Des domestiques chuchotent à mon passage, mais je ne m'en préoccupe pas. Cette vie à la cour est une punition, une contrainte à laquelle je ne pourrais jamais échapper.

Je prends la direction du jardin lorsque je suis violemment repoussé par Oscar. Surpris, je passe une main sur mon épaule endolorie puis croise le regard vitreux de mon frère. Il vacille et ne semble pas tout à fait lucide. Mon sang se glace en voyant mon petit frère dans un état pitoyable. Je lui saisis le bras, la mine sombre afin de l'emmener un peu plus loin. Il ne faudrait pas que notre mère s'énerve davantage en le voyant.

― Qu'est-ce que tu as pris ?

― Je ne vois pas de quoi tu parles.

Je remarque les domestiques guettant nos moindres faits et gestes, ce qui me pousse à emmener mon frère dans une pièce privée pour éviter les oreilles indiscrètes. Il est préférable d'éviter les commérages pour le moment. Oscar s'affale dans le canapé en poussant un énorme soupir avant de se mettre à rire de plus en plus fort.

― Je peux tout à fait me débrouiller seul.

― Vraiment ? Tu ne tiens même plus debout.

Oscar penche la tête sur le côté.

― Pourquoi ça t'intéresse ? Tu ne devrais pas être en train de préparer l'anniversaire de papa parce que je doute que la salle de réunion se trouve dans le jardin. Attention, tu te trompes de chemin.

― Je ne suis vraiment pas d'humeur pour tes conneries, Oscar.

― Ce n'est pas très agréable de s'engueuler avec maman, n'est-ce pas ? Bienvenue dans le vrai monde et pas celui du prince de l'année. Arrête de poser des questions qui ne t'intéressent pas au fond.

Oscar se redresse avec une certaine difficulté en titubant. Il quitte le salon sans me laisser le temps de le rattraper et lui tirer les vers du nez. Ce n'est pas la première fois que je le vois dans cet état, mais il le cache mieux que ça d'habitude. J'ignore où il parvient à trouver de la drogue cependant son état ne cesse d'empirer. Je prends une grande inspiration afin de retrouver mon calme.

La journée vient à peine de commencer et ne fait que s'obscurcir au fil des heures. Je marche en direction des écuries pour prendre un peu de temps en solitaire. Un des rares endroits où j'apprécie me rendre lorsque je ne vais pas bien. Le temps n'est pas idéal pour une balade à cheval, mais le contact avec ces créatures majestueuses m'apportera du réconfort. Je lève les yeux au ciel, une bonne pluie ne devrait pas tarder à tomber. L'odeur du foin envahit mes narines. Le palefrenier s'occupe du plus jeune poulain et ne remarque pas ma présence.

― Besoin d'aide ?

Kyle se redresse aussitôt en reconnaissant ma voix. Il m'adresse un grand sourire en sortant du box. Âgé d'une soixantaine d'années, Kyle travaille comme palefrenier pour la couronne depuis des années.

― Je m'inquiétais de ne plus vous voir dans les parages, votre Altesse.

― Les devoirs royaux ne m'ont pas épargné ces dernières semaines, je regrette de ne pas avoir pu assister à la naissance du petit nouveau. Puis-je me rendre utile ?

Je passe les deux heures suivantes à m'occuper de certains chevaux notamment ma monture personnelle, Écume. Une jument à la robe couleur corbeau et d'une profonde gentillesse. J'ai la chance de l'avoir vu grandir au fil des années. Un cadeau de mon père pour mon septième anniversaire. Je pose un casque sur les oreilles en brossant la jument perdu dans mes propres pensées. Et si ma mère avait raison ? Et si je n'étais pas capable de monter sur le trône ? C'est la peur au ventre que je rebrousse chemin pour rentrer au château.

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07.12.2024

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