5. Le frère qui écoute

Je pousse un gémissement de douleur en portant une main tremblante à ma tête. Je n'avais pas prévu de boire autant. Un seule verre qui s'est transformé en un nombre pas très raisonnable, Emma a un véritable talent lorsqu'il s'agit de me convaincre de me lâcher un peu plus. Des souvenirs de la soirée me reviennent en tête. J'ai dansé sur le canapé en renversant le contenu de mon verre sur le sol, bousculé quelques personnes sans le vouloir et crier au point d'avoir mal à la gorge aujourd'hui. Ce n'est pas dans mes habitudes de perdre le contrôle, cela ne fait que renforcer ma propre culpabilité. J'enfonce ma tête sous mon oreiller, bien décidée à passer la journée au fond du lit.

Un bruit provenant de la cuisine attire mon attention, je me redresse en sursaut. Lowell est à l'appartement ? Nous avons beau vivre sous le même toit, sa présence me manque lorsqu'il devient distant. Je repousse la couette sur le côté puis hisse mon corps douloureux jusque la porte de ma chambre. J'enfile un gilet confortable à la couleur éteinte depuis longtemps puis me traîne jusque la pièce principale. Une douce odeur de bacon flotte dans la cuisine, ce qui me donne l'eau à la bouche. Mon jumeau est debout face à une poêle en train de danser avec une cuillère en bois en guise de micro.

— On a quelque chose à fêter ?

Lowell se retourne, un grand sourire aux lèvres.

— Non. Un simple petit-déjeuner anti-gueule de bois.

― Comment tu sais que j'ai la gueule de bois ?

Il pose son index sur sa bouche avec une expression malicieuse. Un des nombreux pouvoirs de Lowell. Je m'installe sur ma chaise autour de la table ronde pour prendre le remède magique de mon jumeau. Il dépose une assiette pleine devant moi accompagnée d'un verre de jus d'orange et des comprimés.

— Je suis content que tu te sois amusée.

— Emma est plutôt convaincante.

Je découpe un morceau de bacon en prenant conscience à quel point je suis affamée. Ai-je seulement mangé quelque chose en revenant ? Mes souvenirs sont troubles, j'ai du mal à me remémorer le retour. Lowell s'installe face à moi, le regard brillant de curiosité.

― Alors ?

― Alors quoi ?

― Comptes-tu me parler de ta rencontre avec les membres de la famille royale ?

Je suis sur le point de cracher le contenu de mon verre sur le t-shirt de Lowell. Comment oublier mon humiliante rencontre avec la princesse Olivia et le prince Orion ? Rien d'extraordinaire ne s'est produit, mais je me sentais idiote face à deux membres de la famille royale britannique. Je me contente de hausser les épaules en fronçant les sourcils.

— Comment es-tu au courant ?

― Olivia est très active sur les réseaux sociaux.

Lowell secoue son portable devant moi. Je lui arrache des mains pour aller voir la publication en question. J'écarquille les yeux en voyant une photographie de moi-même avec pour légende "Mon dieu, quelqu'un peut me dire où je peux acheter la même jupe ?".

― Ce n'est pas moi.

― Menteuse, j'ai reconnu l'anneau de papa autour de ton doigt.

Je ne peux m'empêcher de réprimer un grognement de frustration. Il est bien trop doué pour analyser les gens et c'est ce qui fera de lui un très bon psychologue. Mon frère étudie dans ce domaine dans l'espoir de se spécialiser chez les enfants et adolescents. Je suis admirative de sa détermination pour empêcher les enfants de souffrir en silence de problèmes familiaux. Nous avons gardé le secret sur notre situation parce que nous pensions être responsables, ce qui n'était évidemment pas le cas. Lowell penche la tête sur le côté dans l'attente d'une réponse de ma part.

— Je l'ai accidentellement bousculé dans le club et elle a complimenté ma jupe.

― C'est tout ? Je m'attendais à une histoire plus croustillante.

Je hausse les épaules en reportant mon attention sur le contenu de mon assiette. Nous ne sommes pas devenues les meilleures amies du monde autour d'une simple conversation. Même si je le voudrais, je doute que la princesse Olivia fréquente des personnes comme moi. Elle est entourée de luxe tout au long de l'année tandis que je bataille chaque jour pour garder la tête haute. J'avale une gorgée de mon jus d'orange en silence. C'est dommage que je ne portais pas un haut avec le nom de la boutique, la publication aurait attiré du monde à la boutique.

Lowell défile les commentaires sous la publication de la princesse sans cesser de sourire. La situation l'amuse, il ne cache pas son petit air supérieur. De nombreux internautes complimentent ma tenue en demandant la référence du produit. Je ne pensais pas qu'une simple jupe attirerait l'attention.

— Ils peuvent toujours chercher, c'est un modèle unique.

— Je continue de dire que tu manques ta véritable vocation.

Je ne peux m'empêcher de grimacer face à la remarque de mon frère. La couture est une chose à laquelle je n'ai plus touché depuis l'ouverture de la boutique. Confectionner des pièces, choisir le tissu, dessiner le modèle et l'assembler était une chose que j'adorais faire. Avant de devenir fleuriste, j'avais pour vocation de me tourner vers la mode. Une école de stylisme vaut une véritable fortune. Bien plus que l'ouverture d'une boutique, j'ai choisi un autre plan d'avenir. Les fleurs c'est aussi un moyen de me rapprocher de ma grand-mère et de nos moments ensemble dans le jardin ensoleillé.

— Ne t'avise surtout pas de répondre, ajoute Lowell.

— Ce n'était pas dans mes intentions.

Je tire la langue en souriant. Mon frère m'encourage toujours dans mes projets et tout ce qui peut me rendre heureuse. Il aimerait que je cesse de vivre dans l'ombre pour briller un peu plus, mais il ne comprend pas que j'apprécie ma vie actuelle. Elle est compliquée et imparfaite, mais c'est la mienne.

— Qu'est-ce que tu as prévu aujourd'hui ?

— Glander dans mon lit.

Lowell lève les yeux au ciel.

— Pourquoi pas une balade ? Une séance shopping ? Une sortie avec une amie ?

— Quelle amie ? Et je te rappelle que j'évite les sorties pour éviter les dépenses inutiles surtout en cette période de facture. Je ne peux pas me permettre de faire du lèche vitrine et baver devant des tenues que je ne pourrais jamais m'offrir.

— Lèche-vitrine ne veut pas nécessairement dire achat.

Il mange son propre petit-déjeuner.

— L'intérêt est inutile, si tu veux mon avis.

— Le plaisir de profiter d'une bonne balade ? Quand as-tu cessé de vivre, Daphné ?

Je croise son regard identique au mien, la mine sombre. Je ne peux pas me permettre de tout lâcher, les conséquences seraient désastreuses. Qui s'occuperait des factures ? De la boutique ? Qui paierait les nombreuses charges ? Lowell aussi incroyable soit-il n'a pas conscience de l'immense tâche pesant sur mes épaules.

— La boutique est fermée aujourd'hui alors j'ai envie de profiter d'un moment de calme. Tu as tout le loisir de t'amuser alors je ne te retiens pas ! C'est presque miraculeux de te croiser un jour de week-end !

La bonne humeur de Lowell vole en éclats.

— J'essaie de vivre ma vie, ce qui n'est pas ton cas.

— Je t'emmerde.

Je repousse son assiette en se levant, plus en colère que jamais.

— Mêle-toi de tes affaires.

— Daphné ce n'est pas...

Je ne l'écoute pas, mes pas me menant vers ma propre chambre. La porte claque violemment dans mon dos. La fuite est plus facile que reconnaître les véracités des propos de mon frère. Je m'effondre dans mon lit aux effluves d'alcool. Un changement de drap sera nécessaire, l'odeur me donne la nausée. Au moins, je n'empeste pas le vomi comme la folle soirée du Nouvel An.

Je me redresse puis retire les draps d'un geste furieux, mes coussins volent dans tous les sens avant de tomber sur le parquet en un petit bruit. Les paroles de Lowell me font beaucoup de mal, j'aimerais lui balancer des horreurs, mais c'est au-dessus de mes forces. Je ne veux pas devenir une copie de notre épouvantable génitrice. La vie était plus paisible lorsque nous nous rendions chez notre père pour la semaine ou le week-end, mais la mort a frappé du jour au lendemain. Notre unique source de bonheur s'est effondrée à l'instant où cet homme merveilleux au coeur d'or s'est éteint.

Les souvenirs heureux de mon enfance tourbillonnent dans mon esprit, ce qui ne fait qu'accentuer mon mal-être. Je s'effondre au milieu de la couette et coussins éparpillés sur le sol en pleurant. La porte de la chambre s'ouvre doucement sur un Lowell coupable, il s'approche puis s'agenouille devant moi.

— Daphné...

— Je sais que ma vie est misérable !

Mon cri déchire le coeur de mon jumeau.

— Elle est difficile, mais pas misérable. Je suis vraiment désolé de t'avoir blessé, j'aimerai juste que tu puisses davantage profiter de la vie pour ne jamais avoir de regrets. Tu es une battante, un peu trop parfois.

Il caresse ma joue avec délicatesse et inquiétude. Ma détresse le touche et il ne supporte pas de me voir pleurer. Je suis la plus forte des deux, ça a toujours été le cas. Quand nous étions enfants, j'étais toujours la première à le défendre si un autre venait l'embêtait. Je n'ai jamais eu peur de lever mon poing pour frapper si une personne faisait du mal à Lowell. Mon frère caresse ma joue de son pouce en soupirant.

— Tu sais quoi ? On va faire une journée télé, ça te tente ?

— On a plus vraiment l'âge.

Lowell proteste d'une voix presque autoritaire. La journée télé est un rituel que papa avait mit en place à chaque visite pour nous faire passer un bon moment. Nous avions droit à des bonbons, biscuits et un grand nombre de cochonneries horribles pour la sauté, mais terriblement délicieuses. Une habitude délaissée au fil des années lorsque papa est parti. Je suis peut-être devenue adulte trop rapidement.

— Ça va être drôle, promis !

— Lowell...

— Tu n'as pas le droit de dire non, je m'occupe de tout.

Il saute sur ses pieds, un grand sourire aux lèvres.

— Ne bouge pas de l'appartement, je m'occupe du ravitaillement. Installe les couvertures les plus confortables et les coussins et surtout ne décide pas du film avant que je ne sois de retour. Hors de question de regarder un film d'horreur, je vais encore faire des cauchemars.

— Espèce de faible, personne ne fait de cauchemars avec le film Carrie.

Lowell grimace.

— Elle était terrifiante dans sa robe pleine de sang.

— Il fallait un élément déclencheur.

Il pose ses mains sur ses oreilles pour ne plus m'entendre parler et sort de la pièce. Je ne peux m'empêcher de glousser en ramassant mon drap pour le mettre dans le panier de linge sale. Lowell est un frère extraordinaire et j'aimerais tant qu'il soit toujours présent.

Hello ! Merci pour ta lecture, n'hésite pas à laisser une petite étoile et un commentaire ça m'aide beaucoup. À bientôt 🫶🏻

28.11.2024

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