Le crayon touche le bois de la table en un rythme frénétique, ce qui attire l'attention de mon professeur particulier. Perdu dans mes pensées, je n'écoute pas un traitre mot de la leçon portant sur l'économie du pays. Je suis de nature consciencieux et ce n'est pas dans mes habitudes de ne pas prendre des notes sur les précieux conseils du professeur Harris. Je ne peux m'empêcher de songer au dernier épisode du podcast. Les propos du Voleur de Secrets sont teintées d'une certaine menace que nul ne peut nier. Sa franchise est dangereuse et risque de le conduire droite à sa perte. Ma mère est folle de rage et lance une nouvelle enquête pour retrouver la trace de cet individu. Selon moi, elle craint surtout que le voleur ne vienne gâcher le bal.

Je sursaute lorsque mon professeur dépose lourdement son manuel sur la table. Monsieur Harris est un vieux bonhomme au crâne presque chauve avec une épaisse paire de lunettes recouvrant une partie de son visage. Il n'est pas le plus charmant des hommes, mais ses cours sont passionnants. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux blonds, mal à l'aise. Je ne suis pas dans mon état normal, mais je ne pouvais pas déplacer ce cours au lendemain. Le couturier passe au château pour prendre nos mesures afin de confectionner nos tenues pour le bal. J'ignore combien de temps il faudra à cet idiot pour accomplir cette tâche.

— Pouvez-vous répéter la question, monsieur ?

Le vieux professeur soupire en levant les yeux au ciel.

— Vous n'êtes pas suffisamment concentré pour poursuivre le cours, Orion. Je vous demande néanmoins de me rendre une dissertation sur le royaume de France et les ressources s'y trouvant lors de notre prochaine leçon.

Je prends le temps de noter ce devoir de dernière minute en retenant un soupir. Je n'aime pas les thématiques territoriales, mais c'est un sujet que je me dois de maîtriser et de connaître. Un souverain ne peut avoir de lacune surtout face aux autres pays. Combien de guerres ont-elles éclatées pour acquérir un nouveau territoire ? Personne ne souhaite revivre une telle chose. Le Royaume-Uni souhaite avant tout une relation cordiale avec un maximum de royaumes et préserver la paix. Je rassemble mes affaires pour sortir de la pièce faisant office de salle de classe. Oscar et Olivia ne se donnent même plus la peine de participer aux cours. Je me souviens encore des blagues qu'ils échangeaient pour alléger l'ambiance. J'aurais aimé que tout soit comme avant, mais nous ne sommes plus des enfants.

Je marche en direction de ma chambre pour un moment seul avant le diner. J'ai encore un peu de temps avant de retrouver l'ambiance lourde à table. J'hésite à me faire passer pour malade et éviter un repas supplémentaire impersonnel. Nous sommes loin de la photo clichée sur laquelle on voit toute la famille autour d'une dinde à sourire comme des idiots. Je me laisse tomber dans mon lit en soupirant. La journée était interminable, je sens la migraine pointer le bout de son nez.

Mon portable repose sur la table de chevet, je tends la main pour le récupérer et vérifier mes notifications. Je ne prends la peine de l'emmener avec moi lorsque je suis en étude. Contrairement à ma soeur, je ne suis pas un énorme accro aux réseaux sociaux. Comme toujours, je suis identifié sur un grand nombre de publications et des messages privés auxquels je ne peux pas répondre. Nombreux sont les fous circulant sur le Net alors il est préférable de ne pas répondre.

Ma soeur n'a pas perdu de temps pour faire ses valises et partir. J'étais certain qu'elle resterait à l'approche de la soirée, mais son besoin de liberté est plus fort que tout. Elle partage ses aventures en Italie dans une tenue automnale, un sourire espiègle au coin des lèvres. Je ne peux m'empêcher de laisser un commentaire lorsque l'appareil vibre dans ma main. Un élan de joie m'enveloppe en voyant le pseudonyme sous lequel la personne est enregistrée. Je ne prends jamais de risque par crainte que ma mère fouille mon portable. Elle le faisait auparavant, ce qui me pousse à me montrer prudent. Oscar est beaucoup plus malin, il possède un second portable et l'utilise davantage que le principal. Quant à Olivia, elle ne laisse jamais notre mère toucher son portable. La plus courageuse de notre trio.

Je m'empresse de répondre à Sloane avec un petit sourire. Elle est enregistrée sous une mauvaise orthographe afin de faire croire que c'est un homme. Je n'imagine pas la réaction de ma mère si elle découvrait que son fils, héritier de la couronne, fait régulièrement le mur pour rejoindre une femme. Qui plus est une enfant illégitime d'un lord.

De Sloan
22 Octobre - 18h47
De retour en ville, tu veux venir ?

De Orion
22 Octobre - 18h48
Endroit habituel ?

La réponse de Sloane ne tarde pas.

De Sloan
22 Octobre - 18h50
Comme toujours. Apporte une bouteille de champagne, j'ai un truc à t'annoncer.

Cette réponse pleine de mystère m'intrigue au plus au point. En temps normal, Sloane ne fait pas autant planer le doute. Je lance un regard à ma montre, je ne peux pas m'éclipser pendant l'heure du repas. Je me ferais repérer et ce n'est pas mon but. Mon cerveau tourne à toute vitesse pour trouver une solution et la rejoindre. Le diner débute à 19h30, mais je vais prétendre ne pas me sentir bien.Une excuse bidon que personne ne remettra en doute parce qu'aux yeux de cette famille, je ne mens jamais.

Je me rapproche de mon armoire à la recherche d'une tenue plus simple. Je mets la main sur un jean sombre avec un pull bleu foncé et une paire de Converse. Ce sont des vêtements offerts par Sloane pour passer inaperçu lors des escapades. La plupart de ces vêtements proviennent de créateurs et sont très coûteux alors que ceux-là n'ont pas de marques. Je dépose les vêtements sur mon lit puis s'approche de son bureau afin de prendre ma fausse carte d'identité. Hors de question de sortir dans les rues londoniennes sous l'identité du prince.

Je demande à un serviteur de prévenir ma famille que je suis souffrant et m'enferme dans ma chambre. Rien d'inhabituel, je le fais depuis l'adolescence. Je dois néanmoins attendre que tout le monde regagne ses appartements pour filer en douce. Quitter le château en plein milieu du repas serait du suicide et les gardes me rattraperait vite. Je songe à la menace du Voleur de Secrets, une boule se forme dans ma gorge. Comment faire pour le démasquer et l'empêcher de faire du mal à ma famille ? Nous n'avons pas besoin qu'un banal inconnu vienne révéler des secrets. Mon inquiétude redouble lorsqu'il revoit Oscar défoncé. Le voleur fait-il référence à mon frère ? Une vague de colère me submerge aussitôt. Mon rôle est de protéger les membres de la famille de toute menace extérieure. Qui sait combien de temps il nous reste avant que le voleur ne décide d'appliquer sa menace. Je dois le découvrir avant qu'il ne soit trop tard.

♕

Il est plus de vingt-deux heures lorsque j'arrive à la cabane. Je tiens un sachet contenant une bouteille de champagne provenant du château dont personne ne remarquera l'absence. J'éclaire le sentier avec la lampe de mon portable, d'une démarche assurée. J'ai beau connaître cette route comme ma poche, je ne peux m'empêcher de suivre les indications sur mon portable. Bientôt, une silhouette enveloppée d'une couverture polaire sort d'une vieille cabane abandonnée.

Je m'immobilise, un petit sourire aux lèvres. Les escapades interdites pour retrouver Sloane sont toujours celles que je préfère. Je secoue la bouteille dans sa direction lorsque celle-ci se tourne vers moi. Sloane est différente des autres femmes, elle se moque des apparences. Elle est née d'une union interdite entre un Lord et une simple hôtesse de caisse. À la grande horreur du Lord, Sloane possède une certaine ressemblance avec lui et ne peut nier leur lien de parenté. La jeune femme casse néanmoins les codes avec un style bien à elle. Les cheveux teints en différences nuances de roses font d'elle une horreur pour les personnes de la haute société.

— Je ne suis pas en retard, j'espère ?

Sloane fait mine de fixer une heure sur sa montre imaginaire.

— Mon très cher prince, c'est une honte d'arriver à une telle heure !

— J'adore ton humour.

Je m'approche néanmoins d'elle afin de la serrer dans mes bras. Notre relation est uniquement amicale, j'ai éprouvé une certaine attirance à un moment. On a couché une fois seule fois ensemble avant de conclure que nous n'étions pas du tout compatibles dans un lit. Sloane m'accueille en répondant à mon accolade.

— Tu m'as manqué, chuchote-t-elle.

— Toi aussi.

Nos regards se croisent.

— On s'installe dans la cabane ? J'ai apporté de la nourriture et des couvertures chaudes pour ne pas mourir de froid.

— Allons-y.

On entre dans la cabane pour discuter au calme. Nous nous connaissons depuis bientôt trois ans lorsque je suis sorti pour échapper à la furie de ma mère. Elle travaillait dans un petit café et sans le vouloir le contenu du plateau s'est retrouvé sur ma chemise. Nous avons cependant sympathisé menant à une agréable amitié. Sloane sort un paquet de chips du sac à dos puis l'ouvre et le dépose sur une couverture pour que nous puissions nous servir à tour de l'autre. La jeune femme sort également deux gobelets en plastique pour le champagne.

— Quelle est ta super nouvelle ?

— Patience, mon cher.

J'ouvre la bouteille pour y verser le champagne. La nouvelle doit être importante pour qu'elle daigne ramener de la nourriture. En temps normal, elle se contente d'apporter des couvertures. La jeune femme allonge ses jambes avec un petit sourire.

— Tu sais que j'ai envoyé mon roman à un éditeur.

— Ne me dit pas...

— L'un d'eux proposent de l'éditer !

Sloane pousse un cri de joie en montrant le contrat d'édition sur son portable. J'applaudis, les yeux brillants de fierté. Cette jeune femme possède un talent rare en écriture et la voici maintenant propulsée dans le monde de l'édition.

— Ton père va être fou de rage, non ?

— Lui ? Je m'en moque complètement. On est ici pour fêter la nouvelle !

Nous passons des heures à parler et échanger sur les dernières actualités. Sloane partage ses craintes de s'exposer davantage, mais selon moi, elle mérite de se faire connaître autrement que la fille d'un Lord infidèle. Je ne rentre au château qu'aux premiers rayons du jour, le coeur plus léger.

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04.01.2025