1. Larmes d'automne
Une odeur de pluie tourbillonne dans tout le Royaume-Uni depuis bientôt deux semaines consécutives. Il ne se passe pas un seul jour sans le ciel ne déverse ses larmes. Cette météo est typique dans ce pays, il est de coutume de voir un anglais équiper de son fidèle parapluie. Pressée face à un mur, je tente en vain d'allumer ma dernière cigarette. La flamme de mon briquet danse au creux de ma main avant de disparaître aussitôt.
— Merde !
Le temps humide et venteux empêche toute tentative de fumer. Je lâche un nouveau juron puis décide de remettre la cigarette dans la poche de mon manteau. Je repousse une mèche de mes cheveux bruns collant à ma joue en reprenant ma route. En temps normal, j'arrive toujours à l'heure avec une allure impeccable. Malheureusement, je sais avec certitude que cette rencontre ne sera pas chaleureuse alors à quoi bon faire des efforts ? Je m'arrête à quelques pas du salon de thé. L'endroit choisi ne me surprends pas, un coin branché dont les prix sont trop élevés pour la qualité des produits. Un rire moqueur s'échappe de mes lèvres, ce qui attire l'attention des passants.
Je m'immobilise une seconde fois devant la porte de l'établissement, les yeux croisant mon propre reflet. Mes cheveux sont trempés me donnant l'allure d'un caniche mouillé. Ma place n'est pas dans cet endroit, il suffit de voir la clientèle pour le savoir. Je prends une grande inspiration en passant la porte d'entrée, tendue. Toutes les tables sont prises par des femmes de la haute société qui ont le luxe de pouvoir se payer une tasse à vingt livres. L'endroit est chaleureux avec un beau bleu clair et une touche de violet. Est-ce que les clients de ce salon paient la décoration ? Une odeur de fleurs embaument la salle, ce qui a le mérite de m'apaiser quelques secondes. Tendue, je lance un regard aux tables autour de moi à la recherche de la source de mes tourments.
Au bout d'une éternité, je repère une femme assise seule à une table. Je frotte mes mains sur mon jean puis marche jusque la table. Un éclat de fureur traverse les pupilles de la femme face à moi.
― Dix minutes. Quand on te donne une heure, il est de coutume de ne pas faire attendre l'autre personne. Tu ne ressembles à rien, ne prends-tu pas soin de toi ?
― Bonjour à toi aussi, maman.
Je m'installe sur la chaise face à elle. Les rencontres avec ma génitrice sont toujours pleine de gentillesse et de bienveillance. Je ne me donne pas la peine de retirer mon manteau, mon état est encore plus lamentable que mes cheveux.
― Tu n'as pas de parapluie chez toi ?
― Lowell me l'a emprunté.
Elle pince les lèvres.
― C'est un homme, je doute qu'il ait besoin d'un parapluie alors que les femmes se doivent de soigner leur apparence.
Je n'écoute que d'une oreille les propos de cette bonne femme, ennuyée. J'ai entendu ce discours un grand nombre de fois et je le trouve toujours aussi ridicule. Cela vient d'une autre époque, mais il semblerait que ma génitrice soit coincée à une autre époque. Ce n'est pas moi qui est mariée avec un homme uniquement pour son argent.
― J'aurais aimé que ton frère soit présent, mais il ne se donne plus la peine de répondre à sa pauvre mère.
― Lowell est plus intelligent que moi lorsqu'il est question d'ignorance. Allons droit au but, qu'est-ce que tu veux ?
J'observe ma mère un moment dans l'attente d'une réponse sincère. Je n'attends rien, elle n'éprouve aucune once maternelle pour Lowell et moi. Cette rencontre repose sur un autre fait que l'amour familial. Surprise par mon ton froid, ma mère fronce les sourcils.
— N'ai-je pas le droit de vouloir passer du temps avec ma fille ?
— Laisse-moi deviner... Tes nouvelles amies sont en voyage alors tu es seule ?
Je jubile intérieurement. C'est plus fort que moi, j'aime voir le visage de ma mère se décomposer et remuer le couteau dans la plaie. Je garde une expression neutre malgré le sourire triomphant qui tente de faire irruption. Kelly Adler est une femme capable de laisser ses propres enfants âgés de douze ans, seuls dans un appartement pour partir en voyage avec un homme riche. Combien de fois a-t-elle laissé Lowell et moi des responsabilités que nous ne comprenions même pas ? Le peu d'argent que nous avions nous permettait de tenir quelques jours tout au plus.
― Ma vie de merde comme tu le dis si bien m'apporte tout le confort nécessaire. Tu devrais songer à faire de même au lieu de mendier de l'argent à tout le monde.
Je fronce les sourcils, plus en colère que jamais.
— En me basant sur les derniers années, tu me dois presque dix mille livres. J'ai payé ton loyer appartement et boutique, remboursé une partie de ton prêt et payé tes courses pour que tu puisses te nourrir correctement.
— Mon erreur était d'accepter ton argent.
Kelly lève les yeux au ciel.
— Cet argent tu dois me le rembourser, Daphné. John a remarqué les sommes manquantes sur le compte commun alors je suis venue te demander de prendre tes responsabilités.
— Prendre mes responsabilités ? Tu te fous de ma gueule ? Où est-ce que tu étais quand Lowell s'est cassé le bras à 11 ans ? Où étais-tu quand mes harceleuses m'ont frappé si fort que je me suis retrouvée hospitalisée ? Ne me dit jamais de prendre mes responsabilités alors que tu as fuis les tiennes !
Le souffle court, je lance un nouveau regard haineux à ma mère. Je me lève, le coeur au bord des lèvres. Des regards curieux sont tournés dans leur direction, mais je suis trop en colère pour m'en soucier.
— Tu te donnes encore en spectacle, Daphné.
— Va te faire foutre maman !
Je quitte précipitamment le salon de thé, les larmes aux yeux. J'ai horreur de montrer ma propre faiblesse surtout face à une personne aussi égoïste. Les personnes que nous aimons sont ceux qui sont en mesure de nous détruire. Je m'éloigne d'un pas rapide dans les rues londoniennes, la vue brouillée par la pluie et mes propres larmes. Je ne suis pas une idiote, j'ai conscience de n'être qu'un poids aux yeux de cette femme. Aujourd'hui, elle est mariée à un riche homme d'affaires et songe rarement à ses enfants. Le chèque en question était une aide pour l'ouverture de ma boutique, ce qui remonte à deux ans. Comme une idiote, j'ai accepté malgré les avertissements de mon frère.
Je monte dans le bus menant au quartier dans lequel se trouve ma boutique et mon appartement. Un coin bien moins huppé que la capitale, mais dont le loyer est abordable. Je trouve une place au milieu des passagers présents puis fouille dans mon sac à la recherche de mes écouteurs. La musique me coupe du monde extérieur, je peux être dans ma bulle sans craindre une tentative de conversation. Le centre de Londres rassemble un grand nombre de touristes dont certains ont de drôles de manières. J'augmente le son de mes écouteurs lorsqu'une femme parle d'une voix forte à son compagnon dans une langue inconnue.
Le trajet dure une vingtaine de minutes avant que je ne repère mon arrêt. Je descends, heureuse de retrouver un quartier familier. Il est plus de dix-sept heures lorsque je pousse la porte de mon appartement. En apparence, il mériterait une bonne couche de peinture et quelques mètres supplémentaires, mais c'est notre cocon. Lorsque nous sommes arrivés à Londres, le plus difficile était de mettre la main sur un local et trouver un logement dans notre budget. Par un heureux hasard, un ami de Lowell connaissait quelqu'un. Une retraitée tenant auparavant une librairie proposait un local avec un appartement pour un loyer tout à fait raisonnable. Nous n'avons pas hésité une seconde et avons signé.
J'accroche mon manteau et retire ma paire de Dr Martens avant de m'aventurer dans le salon. L'endroit semble vide sans la présence de mon frère. Lowell étant encore au travail, j'ai trois bonnes heures devant moi. Je me laisse tomber sur le canapé jaune du salon en fermant les yeux. Cela fait des semaines que mon esprit ne cesse de me tourmenter. Les affaires sont difficiles surtout dans un quartier tel que East End. Il était auparavant considéré comme dangereux et certains le croient toujours. Les publicités ne fonctionnent pas, mais les factures s'enchaînent et la rentrée d'argent n'est pas suffisante pour combler les dépenses quotidiennes.
Je n'arrête pas de me demande s'il ne serait pas préférable de fermer la boutique afin de chercher un emploi ennuyeux, mais plus confortable financièrement. Utiliser mon héritage pour ouvrir une boutique est le plus grand regret de ma vie. La culpabilité décuple à chaque fois que mon compte en banque se retrouve dans le rouge. J'ai beau être une combattante, le combat demeure toujours plus difficile et épuisant. Une larme roule sur ma joue tandis que je me recroqueville sur moi-même. Est-ce que les choses iront mieux un jour ?
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25.11.2024
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