Chapitre 65 : La porte (Telak)
Pendant une vingtaine de minutes, l'expédition s'attela à chercher, ligne par ligne, si les inscriptions contenaient quelque chose de plus que l'avertissement en des centaines de langues. Ils ne trouvèrent cependant rien de plus et durent se résigner à continuer leur mission sans autres informations que ce message.
Pendant ce temps, un grand nombre d'élémentaux s'était rassemblé autour d'eux et discutait de cette curiosité. Certains se demandaient ce que cela faisait là, tandis que d'autres s'inquiétaient de la réponse de l'arbre mère lorsqu'ils lui demandaient d'où cette porte venait. L'entité leur répondait toujours la même chose. Cette porte avait toujours été là.
L'étude des signes n'ayant rien donné de plus, Telak posa ses mains sur chaque battant de la porte et ferma les yeux. Si Valana pouvait ressentir les émanations de magie, lui pouvait apprendre beaucoup de choses au contact de la pierre.
— Alors ? pressa la chef du groupe.
— Patience, je viens juste de commencer.
Si Agrat pouvait être d'une patience à toute épreuve lorsque c'était nécessaire, elle perdait cette qualité si elle n'était pas vitale. Le bassiste, conscient de ce défaut chez elle, accéléra son analyse et revint vers elle après seulement quelques minutes.
— La porte fait environ un mètre d'épaisseur et s'ouvre vers l'extérieur, annonça-t-il.
— Et c'est tout ?
— Non. Je n'avais jamais vu quelque chose d'aussi solide. Je ne pense pas que nous ayons les pouvoirs pour la forcer. Mes sorts les plus résistants se briseraient et tes armes s'émousseraient avant d'y avoir fait la moindre entaille, même avec le renforcement de Valana. Je n'ai pas trouvé de système mécanique qui permette de l'ouvrir non plus.
— Bon, eh bien c'est à moi de jouer, rétorqua la guitariste.
Valana se positionna à l'endroit où s'était tenu son acolyte quelques instants avant et posa ses mains sur la pierre comme il l'avait fait. Pendant qu'elle effectuait son analyse, les voix de certains habitants de l'arbre commencèrent à s'élever.
Si la majorité n'était pas contre l'ouverture de la porte, d'autres pensaient que c'était une menace pour leur foyer et qu'il valait mieux la laisser close. Pour eux, le message était on ne peut plus clair. La mort ne s'abattrait pas que sur ceux qui entreraient à l'intérieur, mais aussi sur les personnes aux alentours.
Heureusement pour le groupe, les plus anciens qui dirigeaient le peuple étaient de leur côté et trouvèrent les bonnes paroles pour les calmer. Si l'arbre mère s'obstinait à leur dire que la porte avait toujours été là, il leur répétait aussi qu'ils n'avaient rien à craindre de cette chose.
Cette communion avec l'entité gigantesque fit germer une idée dans la tête de Telak. Une fois les tensions atténuées, il alla voir les sages de ce peuple dans l'espoir de pouvoir gagner quelques renseignements supplémentaires.
— Vous voulez interroger l'arbre mère, devina l'un des élémentaux les plus âgés en le voyant approcher.
— En effet. J'aimerais que vous me serviez d'interprète pour que je puisse lui poser certaines questions.
— Cela m'étonne. La plupart des personnes des autres peuples ne croient pas que les arbres ont une conscience et nous parlent. Ils croient que ce ne sont que des voix inventées dans nos têtes.
— Ces gens-là n'ont jamais vécu avec votre peuple, moi si. Et puis, je ne vois pas comment on pourrait penser ça alors que vous vous accordez tous à dire la même chose sans vous concerter lorsque vous parlez de l'arbre mère.
— Ils pensent que nous avons un lien télépathique qui nous lie tous et qu'il suffit que l'un de nous ait une réponse à la question pour que les autres prennent cela comme un message de l'arbre.
— En cela, leur théorie tombe à l'eau, sourit le démon. Aucun de vous ne sait d'où cette chose vient et pourtant, l'arbre dit qu'il était là bien avant vous.
— Malgré votre jeune âge, vous êtes sages. J'aimerais beaucoup que certaines jeunes pousses de moins de cent ans le soit autant que vous, mais on ne peut demander à des enfants d'avoir des réflexions d'adulte.
À cette remarque, Telak sourit de plus belle. Dans cent ans, il serait déjà redevenu poussière alors que les jeunes élémentaux passeraient à peine à l'âge adulte.
— Je voulais vous demander, reprit-il en revenant au sujet principal. Est-ce que l'arbre mère sait ce qui se trouve derrière cette porte ?
— Un couloir, puis une sorte de conduit qui descend profondément dans la terre, répondit-il après avoir interrogé l'entité.
— D'accord, merci beaucoup.
— Je vous en pris. Vous devriez retourner auprès des vôtres, celle qui se tenait près de la porte s'apprête à faire quelque chose.
Telak se retourna et vit que Valana se tenait à une vingtaine de mètres de la porte et sortait sa guitare. Pour ne pas la déranger, le démon rejoignit le reste du groupe sur le côté et demanda de plus amples explications à Agrat.
— La porte est composée de six verrous magiques, expliqua-t-elle alors que la musique commençait à envahir dans la ville. Valana va essayer de les faire sauter, mais elle a dit que ça ne serait pas facile.
Au moment où la chef de l'expédition termina sa phrase, une énorme détonation retentit au niveau de la porte.
— Et d'un, sourit la chanteuse.
Si le premier avait été forcé assez facilement, le second demanda un peu plus de temps à la guitariste et le troisième encore plus. À chaque détonation, le rythme et la complexité de sa musique montait d'un cran.
Heureusement, Valana était une prodige de la musique et de la magie et se débrouillait très bien. Mais les prodiges avaient aussi leurs limites. Arrivé au sixième verrou, Telak devint perplexe. Il connaissait les capacités de son amie et savait qu'elle avait atteint ses limites pour faire sauter le cinquième.
Malgré tout, elle tint tout de même bon et, après un passage d'une grande difficulté, fit sauter le dernier verrou. Une détonation retentit une nouvelle fois et le sol trembla légèrement alors que la porte s'ouvrait lentement.
Avec un sourire triomphant, Valana se retourna vers ses compagnons. Telak vit la fierté dans les yeux de Grem. Avec un sourire béa, il observait à tour de rôle la porte s'ouvrir et sa femme.
Ce sourire s'effaça cependant lorsqu'il aperçut quelque chose d'étrange dans la pénombre du couloir derrière les battants. Des centaines de petits points brillants.
— Attention ! hurla-t-il.
Sans réfléchir, le guitariste vola en direction de sa femme et la poussa violemment sur le côté. Un instant plus tard, tous découvrirent ce qu'étaient ces points. Un déclic se fit entendre et une nuée de carreaux d'arbalète fonça tel un mur sur le démon et les soldats derrière lui. Aucun d'entre eux n'eut le temps d'esquiver et tous se firent transpercer par projectiles avant de tomber à terre.
— Non ! hurla à son tour Valana en se précipitant vers son mari.
Les mages rejoignirent leur compagnon que Valana tenait déjà dans ses bras et Mor commença à jouer dans l'espoir de pouvoir le soigner. Les soldats étaient morts sur le coup, mais son compagnon vivait toujours, il y avait encore une chance.
— Tiens bon, s'il te plaît, pleura-t-elle.
Grem bougea difficilement son bras et, avec un sourire d'où s'échappait un mince filet de sang, essuya les larmes de sa femme.
— Je t'en pris, soigne-le ! implora-t-elle.
— J'essaie, mais les blessures ne se referment pas ! Je n'y comprends rien !
Mor était stupéfait. Il utilisait pourtant son sort le plus puissant, mais rien n'y faisait. Grem porta sa main à son cou et prit un pendentif dans ses mains qu'il arracha pour le tendre à Valana. Elle savait ce que cela signifiait et sa tristesse n'en était que plus grande.
— Non, pas ça, je t'en pris, reste.
— À ton retour à la maison, donne-le-lui. Je vous aime, et je vous aimerez toujours tout les deux, dit-il dans un dernier souffle.
Le pendentif dans la main, Valana pleura sur le corps de son mari. La porte avait été ouverte, mais le prix à payer n'en valait clairement pas la peine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top