Malgré l'insistance et les supplications de Syara, Fos ne révéla rien de ce qu'il comptait faire pour atteindre l'île céleste qu'ils cherchaient. Le déchu arguait qu'ils avaient tous les deux besoin de sommeil et qu'il allait s'occuper de tout. La seule promesse qu'elle avait réussi à lui arracher était qu'il ne devait pas se lancer dans ce nouveau périple tout seul et qu'il devrait les attendre pour se rendre à la tour de l'histoire.

Rien n'indiquait cependant qu'il allait la tenir, mais Fos avait aussi raison sur un point. Ils se trouvaient au beau milieu de la nuit et elle était exténuée. L'ange et la beast laissèrent donc l'humain à ses manigances et repartirent dans la partie qu'ils habitaient. Arrivés sur le pas de la porte de la violoniste, tous deux se souhaitèrent bonne nuit, mais aucun de deux ne semblait vouloir réellement retourner dans sa chambre.

Une nouvelle fois, Syara sentait un nouveau moment à part poindre entre eux. Une idée lui traversa l'esprit et la figea sur place sans qu'elle ne puisse prononcer le moindre mot. Et si elle l'invitait à dormir avec elle ? D'un côté, le moment n'était pas vraiment bien choisi. Lui était en deuil et elle se sentait coupable de ne pas avoir pu tenir sa promesse. Mais d'un autre côté, tous deux avaient sans aucun doute besoin de réconfort et de chaleur humaine pour passer ce moment difficile.

Si la tête hésitait, le corps, lui, avait déjà fait son choix. Ses mains étaient crispées sur le cardre de la porte et sur la poignée, son cœur battait à tout rompre à tel point qu'elle pensait qu'Élane allait finir par l'entendre, sa respiration, bien que calme en apparence, était courte et ses yeux n'arrivaient pas à quitter ceux de l'ange.

Se trouvait-il dans le même état qu'elle, attendait-il qu'elle l'invite à entrer ? S'il n'avait pas ce genre de pensée, pourquoi alors, dans ce cas, restait-il figé devant elle au lieu de retourner à sa chambre ?

— Je v...

— Oui ? S'empressa-t-elle de le couper, à la fois bien trop rapidement et avec une voix bien trop haut perchée pour qu'elle ne s'insulte pas elle-même intérieurement.

— Je voulais te remercier pour ce que tu as fait aujourd'hui. Tes paroles et ton soutien m'ont beaucoup aidé.

— Oh, heu, ce n'est rien... Enfin, je veux dire... bafouilla-t-elle.

— Bonne nuit Syara, lui souhaita-t-il tout en lui souriant avant de la quitter pour rejoindre sa chambre.

Comme libérée d'un sort qui l'aurait entièrement paralysée jusque-là, la beast retrouva l'usage de ses membres. Elle referma la porte avant de s'y adosser et de glisser jusqu'à se retrouver assise par terre.

— Bravo Syara, tu as été tout bonnement catastrophique, se félicita-t-elle avec ironie.

Alors qu'elle remettait de l'ordre dans ses idées, la pensée habituelle dans ce genre de situation vint lui parasiter l'esprit. Que serait-il arrivé si sa sœur les avait surpris ? Dans le cas où ça se serait passé comme cela venait de se passer, elle se serait sans aucun doute moqué d'elle. Au contraire, si elle avait eu le courage de s'exprimer correctement et qu'elle l'avait invité à partager son lit... Elle se serait foutue d'elle... Pourquoi se torturer ainsi à s'imaginer la réaction de sa sœur alors qu'elle savait pertinemment qu'elle rirait quoi qu'il arrive ?

Quoi que... Elle aussi était affectée par l'échec cuisant qu'elle avait essuyé face au roi des anges. Elle n'avait sans doute pas la tête à rire, même de la maladresse de sa sœur lorsqu'il s'agissait d'exprimer ses sentiments autrement qu'au travers de la musique.

Déçue, mais ne pouvant s'en prendre qu'à elle-même, la beast rejoignit son lit et s'emmitoufla dans ses draps qui n'avaient même pas eu le temps de refroidir complètement depuis qu'elle avait été réveillée.

Si elle réussit à trouver le sommeil assez rapidement malgré ce qui continuait de tourner dans sa tête, cette deuxième partie de sa nuit ne fut pas des plus longues. À l'intérieur de la grotte, il lui était absolument impossible d'estimer l'heure qu'il était, si bien que ce n'est qu'en remontant à l'entrée qu'elle remarqua que le ciel commençait tout juste à s'éclaircir et que le jour complet n'allait pas être pour tout de suite.

Elle déjeuna donc en compagnie de partitions vierges sur lesquelles elle griffonna quelques mélodies sans grande conviction, puis attendit que tout le monde se réveille. Lorsqu'elle fut rejointe par ses amis, la violoniste leur révéla la signification des dernières paroles du baron ainsi que la bonne nouvelle qui en découlait. Même s'ils ne savaient pas pourquoi il voulait les amener là-bas, au moins ils savaient à présent situer ce là-bas en question.

Les théories allaient bon train, mais furent toutes interrompues lorsque le jeune frère d'Élane entra dans la pièce. Ses yeux étaient encore rougis et ses traits tirés vers le bas trahissaient sa profonde tristesse. Mieux valait éviter de parler de quoi que ce soit en rapport avec son père en sa présence, se dirent-ils tous sans même se consulter.

Le jeune ange grignota quelques fruits secs, puis repartit d'où il était venu sans prononcer le moindre mot. La blessure qu'il avait au cœur allait mettre du temps avant de se refermer, pensa Syara.

— Oré, on reprend l'entraînement intensif après le petit déjeuner ? Proposa Elyazra.

— S'il vous plaît, ne vous mettez pas dans le même état qu'hier, se plaignit Phi.

— Il faut bien qu'on donne notre maximum si on veut progresser pour que la revanche se passe différemment. Si on fait constamment attention à ne pas nous blesser, comment pourrons-nous savoir si nos techniques sont efficaces.

— Et si tu trouves une technique particulièrement efficace, tu vas tenter de le tuer pour l'essayer ? Rétorqua la soigneuse.

— Bien sûr que non je... je vais... Tu peux répéter la question ?

Exaspérée, Phi souffla longuement, puis se consola de la bêtise d'Elyazra en se plongeant dans la nourriture. Peu de temps plus tard, Fos entra à son tour en compagnie d'Élane. Il avait au moins tenu parole et ne s'était pas rendu à la tour sans être accompagné.

— Tout est prêt, nous pouvons partir, annonça-t-il.