Chapitre 163 : Convaincre son alter ego

 Après avoir discuté avec les deux esprits du violon des possibilités qui s'offraient à elle, Syara dût se rendre à l'évidence. Sans l'aide de sa partie d'âme qui avait fusionné avec l'ombre, elle allait devenir un poids mort pour leur mission et ni Fos ni Cristal ne pouvaient y faire quoi que ce soit. Elle devait donc profiter de sa présence dans le monde du violon pour la convaincre de lui accorder ses pouvoirs.

À l'intérieur du chalet, Cristal lui indiqua la chambre où son alter ego plus vraiment maléfique s'était installé. L'elfe la laissa ensuite sur le pas de la porte. Elle trouvait qu'il était préférable qu'elles aient une discussion seule à seule, sans aucune oreille externe, mais lui souhaita tout de même bon courage avant de s'en aller rejoindre Fos à l'extérieur.

Afin de s'annoncer et de ne pas entrer sans prévenir, la beast toqua trois fois et attendit une quelconque réponse depuis l'autre côté.

— Casse-toi, entendit-elle d'un ton sec et cassant.

Si elle s'était annoncée de cette manière par pure politesse, la violoniste ignora totalement le refus d'entrer qu'elle venait d'essuyer et tourna la poignée pour pénétrer dans la chambre. À son grand étonnement, la porte n'était pas verrouillée et s'ouvrit bel et bien.

L'intérieur de cette pièce lui était particulièrement familier. Et pour cause, il s'agissait de la reproduction exacte de sa chambre dans la maison qu'elle occupait avec ceux qu'elle considérait comme étant sa famille. Tout y était, de l'instrument le plus imposant au plus petit bibelot sur l'étagère. Dans le monde réel, cet endroit était son sanctuaire, ça n'était donc pas étonnant que cet être qui était une partie d'elle l'ait recopié pour s'y sentir bien.

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas quand je te dis dégage ? S'agaça le nouvel esprit qui lui tournait le dos et regardait à travers la fenêtre.

— J'ai bien tout compris, mais tu ne m'as pas dit dégage, tu m'as dit casse-toi.

— Dégage, casse-toi, disparais de ma vue, va mourir dans un caniveau, c'est du pareil au même. Je ne veux pas te voir.

Ignorant de nouveau le souhait de l'esprit, Syara alla prendre une boule à neige qui traînait sur une étagère, puis s'assit sur le lit tout en l'agitant pour observer une tempête hivernale toucher une reproduction de Léfarène. Son alter ego lui tournait toujours le dos et observait les montagnes verdoyantes à travers la fenêtre.

— Tu sais, si je vais mourir dans un caniveau comme tu le souhaites, il y a de fortes chances pour que tu y passes tout aussi, remarqua-t-elle tout en continuant à faire mine de rien et à agiter la boule à neige.

— J'étais si près du but... La liberté... Et toi, tu as tout gâché.

— Eh ! C'est toi qui m'as attaquée pendant la cérémonie je te rappelle. Tu ne vas quand même pas m'en vouloir de m'être défendue ! D'ailleurs, ça avait l'air de t'amuser avant que tu ne te rendes compte que j'avais des chances de gagner. Je n'ai pas non plus demandé à ce que tu deviennes la représentation de mon âme dans le violon. Et d'ailleurs, tu aurais fait quoi à ma place ?

Face à cette question, l'esprit resta silencieux et persista à lui tourner le dos, les bras croisés pour bien lui montrer qu'elle ne voulait pas discuter et sa queue se balançant derrière elle pour signifier son agacement. Ce comportement, qu'elle reconnaissait avoir elle-même parfois, l'exaspéra et lui fit pousser un long soupire.

— écoute, aucune de nous deux n'a eu ce qu'elle voulait, continua-t-elle en se levant et en reposant la décoration à sa place. Tu n'as pas eu mon corps et moi, je me retrouve avec toi pour gérer mes pouvoirs.

— Tes pouvoirs ? Rit l'esprit. Que le violon soit un instrument lié ou un instrument de l'âme, ce ne sont pas tes pouvoirs, ce sont ceux que l'on te prête.

— Et pour te venger, tu as décidé de refuser de me les prêter, ça j'ai bien compris, compléta la beast. Mais ça n'est pas pour moi que je me bats, c'est pour notre monde ! Si comme me l'ont affirmé Cristal et Fos, une partie de mon âme constitue qui tu es, c'est quelque chose qui doit compter pour toi, non ?

— Tu te trompes sur une chose. Tu ne m'as pas transmis ton altruisme à toute épreuve. Je me fou de toutes ces personnes que je ne connais même pas ! Ils peuvent bien se faire envahir, massacrer ou asservir, ça ne me fait ni chaud, ni froid.

— Si les anges nous envahissent, ça ne seront pas que des inconnus qui seront touchés. N'as-tu pas envie de protéger ceux qui nous sont chers ? Ne veux-tu pas te battre pour protéger Phi et assurer les arrières de notre imbécile de sœur qui fonce toujours tête baissée ?

Cette fois-ci encore, l'esprit resta silencieux. Syara remarqua tout de même que ses doigts s'étaient crispés sur son bras, mais elle ne savait pas si elle réagissait comme ça parce qu'elle l'agaçait ou si, au contraire, elle commençait à admettre qu'elle avait raison. Ce nouvel esprit semblait tiraillé entre la personnalité qu'elle lui avait léguée et celle de l'ombre qui semblait malgré tout dominante bien qu'assagie. En prenant cela en compte, la beast se dit que son approche n'était peut-être pas la bonne.

— Dis-moi honnêtement. Qu'aurais-tu fait si tu avais réussi à prendre possession de mon corps ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? Ça n'est pas arrivé. Si tu comptes me convaincre de t'aider, tu t'y prends extrêmement mal.

— Nous verrons bien, répondit-elle avec un haussement d'épaule. Alors ?

— J'aurai profité d'être libre après mille ans de captivité dans le violon. Je me serai sans doute amusée à détruire quelques îles volantes avant de partir à la recherche d'un adversaire divertissant.

— Et se faisant, tu aurais utilisé le violon corrompu et torturé encore et encore Cristal. Elle m'a dit comment tu étais avec elle depuis que Fos t'a retrouvée. Quand ça ne concerne ni lui, ni moi, ta personnalité s'approche grandement de la mienne.

— Mais tu veux quoi à la fin ?! Explosa son alter ego en se retournant pour la fusiller de son regard aux pupilles rouges. Tu veux que j'admette qu'avant j'étais un monstre ? Que j'étais prête à commettre les pires atrocités pour m'amuser ? Tu veux savoir pourquoi je me comporte bien avec Cristal ? Parce qu'à chaque fois que je la vois, je ne peux pas m'empêcher de penser à toutes les fois où je l'ai torturée en me déchaînant. Parce que je me dis qu'hier encore je n'en avais rien à faire d'elle et qu'aujourd'hui j'ai envie de vomir en repensant à qui j'étais !

— Si tu pouvais sortir aujourd'hui, tel que tu es maintenant, que ferais-tu ? Continua calmement Syara malgré l'énervement de son interlocutrice.

— Mais lâche moi à la fin avec ça !

— Réponds-moi !

— J'en sais rien, voilà ! J'en sais rien... Je parcourrai le monde, je chercherai des défis intéressants dans les halls des musiciens, je profiterai de la vie...

— En somme, tu abandonnerais les destructions aveugles et tu te tiendrais à carreau tout en continuant à faire ce qui te plaît, résuma la beast.

— Et pour la énième fois, c'est quelque chose qui n'arrivera pas parce que je suis coincée dans ce foutu violon.

Après avoir explosé de colère, l'ancienne ombre du violon s'était finalement calmée. À son tour, elle alla s'asseoir sur le lit et prit sa tête dans ses mains. Elle faisait peine à voir, totalement abattue et désemparée. Malgré tout, Syara avait eu les réponses à ses questions et celles-ci lui convenaient assez pour la faire sourire.

— Et si tout n'était pas perdu pour ton rêve ?

— Pourquoi ? Tu comptes transmettre le violon à quelqu'un d'autre qui va tenter d'accomplir la cérémonie ? Sans ça, je ne vois pas comment sortir... Oh et puis laisse tomber. De toute façon, je n'ai plus ce manque d'empathie qui me permettait de traiter les porteurs comme des objets dont je peux me servir. J'aurai bien trop de remords à prendre possession d'un corps qui ne m'appartient pas.

— Te souviens-tu de ce que j'ai proposé à Cristal ? Je lui ai promis que je chercherai un moyen de lui créer un corps pour qu'elle puisse aller dans le monde réel. Voilà ce que je te propose. Prête-moi tes pouvoirs le temps de défaire le roi et de rentrer à la maison et à cet instant, je ferai de cette promesse ma priorité absolue et je ferai en sorte qu'elle s'étende à toi.

L'étonnement se lisant sur son visage, l'ancienne ombre leva sur la beast de grands yeux stupéfaits. De son côté, Syara lui souriait et lui tendait la main dans l'espoir qu'elle la prenne et qu'elle accepte ce marché. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle refuse, pensa la violoniste. D'après Cristal, tout était possible avec le violon. Elles allaient bien trouver un moyen de créer un corps artificiel ou quelque chose de ce genre et, ainsi, tout le monde aurait ce qu'il voudrait.

— Tu es sérieuse ?

— Tu n'est plus une menace pour le monde, alors je ne vois pas pourquoi tu resterais enfermée ici. Travaillons main dans la main pour atteindre nos objectifs respectifs.

— Je te préviens, si tu essaies de me la faire à l'envers, ça ne sera pas une simple impulsion qui t'enverra te sonner contre un mur que tu subiras.

— Tu es moi, en partie, donc tu sais que je ne fais jamais de promesse à la légère.

Prenant un instant pour réfléchir, l'ancienne ombre du violon finit par se lever et faire face à Syara. L'esprit se mit alors à sourire pour la première fois. Ça n'était pas un sourire sadique comme l'esprit corrompu avait l'habitude de faire, mais plutôt un de ceux que la beast pouvait avoir lorsqu'elle était satisfaite.

Toute colère et amertume dissipée, son alter ego accepta sa main tendue et la serra pour conclure leur pacte. Les pouvoirs du violon contre une possibilité de sortir dans le monde réel.  

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