C'était la première fois que Katsuki se retrouvait dans ce genre de situation.

D'habitude, beaucoup d'humains ne faisaient que le fuir depuis maintenant des siècles et aujourd'hui il se retrouvait non seulement à habiter avec l'un d'eux, mais en plus il travaillait aux côtés de ces derniers dans les rizières. Il y a quelques jours, Eijiro lui avait proposé de venir avec lui dans les plantations le lendemain de sa journée de repos. Katsuki était d'abord sceptique concernant son utilité dans cette exploitation de riz, mais après deux jours à suivre le paysan, le poste de protection des plants de riz ne lui déplaisait pas. Eijiro l'avait présenté à ses camarades, Izuku et Denki, qui travaillaient aussi pour leurs petites familles. Ils étaient effrayés en premier lieu de part son apparence, mais après avoir écouté leur ami aux cheveux rouges, leur peur s'était envolée en un instant.

Cela fit donc une semaine que le serpent était chargé de traquer les nuisibles qui pouvaient attaquer les plants à tout moment. Il prenait son apparence serpentine pour se faufiler entre les plantations de riz pour chasser et dévorer les petites bêtes friandes d'humidité et de feuille en tout genre. Il était tout de même payé à le faire ! Et cela avait d'abord fait réfléchir le cendré avant de comprendre qu'avec la bourse gagnée il pourrait s'accaparer de légumes déjà récoltés les mois précédents son arrivée. Ayant entendu des rumeurs d'une personne hors norme aidant aux rizières, les autres villageois demandèrent service au serpent habile de ses compétences. Et à la fin de cette journée de travail, ils rentrèrent tous les deux après être passés acheter des légumes de saison pour le repas du soir.

Le comportement de Katsuki envers Eijiro ou les humains en règle générale avait beaucoup changé. Et parfois, il arrivait à ce dernier d'avoir une attitude qui, en temps normal, ne correspondait pas à sa personnalité. Eijiro le voyait parfois rêveur, regardant les étoiles le soir, ou bien il pointait le potager du regard, observant les pousses avec admiration. Le paysan le pensait chaque soir : il ressemblait presque à un enfant qui découvrait le monde. Et un soir, l'hybride voulait en apprendre plus sur son hôte.

"Comment tu as rencontré ta femme ?

_Hein ? s'étonna alors le concerné, la bouche remplie de son riz.

_Je te demande comment tu as connu ta femme, ce qui t'as poussé à fonder une famille et tout."

Eijiro avala sa nourriture avant de répondre.

"Et bien... ma femme et moi... nous nous sommes rencontrés au village, j'avais dix-huit ans. Elle venait d'une autre contrée et comme elle ne connaissait pas, je lui avais fait visiter les alentours. Après cela on s'est revu et de fil en aiguille on est tombé amoureux. Elle disait que mes cheveux lui plaisaient.

_Et, qui a fait le premier pas ?

_Moi, évidemment, rit le paysan avec nostalgie. Ce n'était pas facile mais après cela elle voulait qu'on se marie. A nos vingt-cinq ans, nous avons eu notre fille. On était les parents les plus heureux du monde.

_Mais pas les plus riches.

_On s'en moquait de cela. Pour toi l'argent est-il plus important que la famille ? "

Le serpent ne comprenait pas cette question. Mais quitte à choisir, pour lui, l'argent était essentiel à la survie. Quelle valeur pouvait-il donner à une famille ?

Eijiro le vit réfléchir longuement à la question, observant ce dernier se réfugier dans sa couverture.

"Tu as bien une famille quelque part, non ?

_Ouais, mais bon... on va dire qu'on n'est pas fait pareil.

_Et alors ? Du moment que vous vous appréciez.

_C'est là le problème, je ne suis pas le plus apprécié de la famille... c'est pour ça que j'en suis parti... "

Eijiro eut de la peine pour lui. Être rejeté par sa propre famille ne pouvait qu'être malheureux. Il connaissait cette douleur. Il aurait tellement voulu le lui dire mais ressasser davantage de mauvais souvenirs n'était pas vraiment une bonne idée. Alors que Katsuki était encore emmitouflé dans sa couverture, Eijiro eut alors le réflexe de le prendre dans ses bras. Le serpent ouvrit ses yeux, larmoyant de tristesse, sentant une chaleur qu'il ne connaissait pas auparavant.

C'est donc ça la compassion..., se dit alors Katsuki, laissant fuir une larme de ses yeux.

Katsuki se laissa bercer par la chaleur d'Eijiro jusqu'à ce qu'il s'endorme.

"Katsuki dépêche toi... , insista alors Denki accompagné d'Eijiro le panier vide.

_Tch, ça va j'arrive !" râla le serpent en tortillant rageusement de sa queue.

Katsuki se redressa, reprenant sa forme presque humaine avant de rejoindre ses camarades de travail. Il se rhabilla de son manteau lorsqu'une bande arriva devant lui, le bousculant violemment. Eijiro, ayant vu la scène, se précipita vers l'hybride qui était à terre. Il leva son regard noir de colère vers les coupables qui riaient.

"Ça te fait rire, Neito ?! Tu pourrais au moins t'excuser ! "

Neito était tout comme eux, un paysan du coin. Mais sa personnalité ressemblait plus à celle d'un seigneur corrompu à la solde du shogun qui régnait sur le pays. Et on pouvait vraiment y croire si la crasse ne cachait pas ses cheveux blonds faisant ressortir ses yeux azurs qui lui donnaient un air sournois. Ce dernier pouffa en faisant face à Eijiro.

"Et pourquoi ferais-je cela ? Quand c'est toi ou ton petit comité je ne le fais pas alors le jour où je m'excuserais auprès d'une bête immonde n'est pas encore arrivé. "

Eijiro s'apprêtait à porter un coup sur Neito lorsque celui-ci s'écroula, tombant du monticule de terre, près des plantations. Les deux autres hommes partirent l'aider à le relever alors qu'Izuku et Denki furent pliés en deux. Quant à Eijiro, il se calma à mesure que son poing se desserrait. Il regarda le serpent l'air satisfait de sa boutade.

"C...c'est toi qui a fait ça...? , chuchota alors ce dernier à Katsuki.

_ Pourquoi ? J'ai pas le droit de me défendre ? C'est comme ça que vous vous saluez peut-être ? ronchonna le cendré.

_Non, mais... tu aurais pu lui rompre le cou comme ça.

_Tch... il n'en mourra pas mais au moins ça lui passera l'envie de nous emmerder par la suite. "

Eijiro fut exaspéré. Mais un sourire en coin apparut sur son visage. Il commençait à bien connaître le phénomène. Katsuki restait Katsuki.

Neito et ses comparses fuirent, la colère à travers la gorge.

Après leur départ, Denki était inquiet pour l'ami d'Eijiro. Il lui montra le manteau que ce dernier lui avait prêté, sale, couvert de boue. Il était très abîmé, ayant déjà servi maintes fois pour traverser les forêts alentours de sa maison. Eijiro était sur le point de réconforter le serpent quand Katsuki, honteux, se transforma en reptile avant de ramper sur le chemin de terre en laissant le bout de tissu devant eux. Ils hurlèrent son nom mais ce dernier continua sa route jusqu'à la maison du paysan. Izuku et Denki furent tristes de son départ mais Eijiro resta optimiste.

"Ne vous en faites pas, je sais où il va. Je vous revois demain à l'aube mes amis."

Fais chier... de quel droit... de quel droit a t-il osé m'humilier... !

Dans la forêt enneigée de l'hiver, Katsuki essayait de calmer sa rage depuis maintenant plusieurs heures. Il voulait comprendre pourquoi les humains étaient si cruels envers lui alors qu'il faisait des efforts pour être aussi généreux que son hôte.

Je ne mérite pas ça... ! En pleurait-il à chaque obstacle qui lui barrait la route. Je ne mérite pas qu'on me traite de bête, je suis comme les autres...

Il se remémora l'état de son manteau de fortune qu'il avait laissé à terre en fuyant à la hâte .

Il me déteste maintenant, j'en suis sûr ! Il ne voudra plus que je vienne chez lui !

C'est alors qu'il se prit quelque chose, roulant en arrière avant d'atterrir dans un vieux tas de feuilles de la saison passée. Il entendit une petite voix rire de sa roulade.

"Tu ressembles à un escargot enroulé comme cela", fit Eijiro, s'accroupissant devant l'animal.

À la fois mécontent et gêné du commentaire du paysan, il lança le bout de sa queue contre lui. Le rouge l'évita, l'attrapant à la volée, ce qui surprit Katsuki.

"Je ne vais pas me faire avoir une deuxième fois, tu sais ?" déclara Eijiro en lui montrant l'ancienne cicatrice sur sa joue.

Katsuki lui fit la moue avant que le villageois ne le prenne dans ses bras pour rentrer.