L'endroit ou nous conduisit Jared était en fait la menuiserie. Elle se situait à la sortie du village, sur la route même qui menait à la maison de Tranisanar. Les champs de céréales en pleine croissance, pardon, les friches stériles jouxtaient l'exploitation. D'une certaine manière c'était logique. Le menuisier fabriquait les cercueils, il avait fini par hériter des morts qu'ils contenaient.
La morgue, ce qui en tenait lieu dans ce village isolé, n'avait rien à voir avec les chambres mortuaires, luxueuse, solennelle, où l'on pouvait se recueillir, que l'on rencontrait à la capitale. Ici, les gens étaient veillés à leur domicile. Dans certains cas rare, celui dans lequel nous étions par exemple, les corps était transporté dans un bâtiment très simple, attenant à la menuiserie. L'endroit ressemblait à un entrepôt avec des murs de bois et un toit qui ménageait un large espace d'aération. A l'intérieur, l'impression était légèrement différente. Un petit hall faisait antichambre avec la pièce principale. Dans cette dernière, le corps recouvert était allongé sur une longue table en pierre polie. Sur une étagère étaient rangés le matériel nécessaire à l'embaumement des corps. Je révisais mon opinion sur les lieux. Mais après tout, même si la veillée se faisait à domicile, il fallait bien les préparer quelque part.
« À quoi sert cet endroit, me demanda Muy.
— C'est la qu'il préparent les corps pour les rendre présentables avant la cérémonie.
— Quelle cérémonie ?
— L'enterrement. »
Au regard surpris que nous lança Jared devant de telles questions, pourtant élémentaires, je me sentit obligée de lui fournir une explication.
« Chez nous, nous n'avons pas de cérémonie. Les corps des morts ne font l'objet d'aucune attention particulière. Nous les rendons à la nature pour qu'il participent au grand cycle de la vie.
— Nous les immergeons dans l'eau, précisa Muy.
— Vous n'honorez pas vos morts.
— Si. Mais pas leur corps. Un corps n'est qu'un corps. L'individu qu'il était n'y est plus. » Du doigt je désignait ma tête. « C'est là qu'il se trouve maintenant. Nous organisons des fêtes en son honneur, nous nous réunissons parfois pour nous remémorer les bons moment passé ensemble. Nous célébrons le mort, pas son cadavre.
— Je comprend. »
La façon dont il hocha la tête montra qu'il n'en était rien, mais il ne voulait pas nous paraître insultant.
Pendant mes explications le maître des lieux nous avait rejoints. Comme dans tous les village de ce genre, le croque mort cumulait plusieurs emploi. Cela allait de la menuiserie à la chirurgie. Je me demandais quelle compétences celui-ci possédait et si elle allait m'être utile. En voyant sa tenue de silt, ses muscles développés et ses grosses mains calleuses, je compris qu'il n'allait rien en être. Quand il n'officiait pas, cet homme maniait la scie et le rabot. Il ne jeta même pas un regard aux deux stoltzint.
« Que viennent-elles faire ici ? demanda-t-il à Jared.
— Elles enquêtent sur la mort de Tranisanar, répondit notre guide.
— C'est elle qui l'ont tuée. Je ne veux pas d'elles chez moi.
— C'est un ordre du conseil du village.
— Et alors. Je suis encore maître chez moi. C'est pas le conseil qui décide qui je laisse entrer. »
Je décidais d'intervenir.
« Il faut que nous examinions le corps, dis-je.
— Si je veux uniquement. Et je ne veux pas. »
J'ignorais s'il s'agissait de misogynie, de xénophobie ou tout simplement un vieil ours. Mais j'avais l'impression qu'il s'occupait des morts parce qu'il était incapable de communiquer correctement avec les vivants. Il allait bien falloir le convaincre pourtant. Comment pratiquer mon autopsie si le maître des lieux nous empêchait d'approcher.
J'allais reprendre mon argumentation quand Muy me retint par le bras.
« Tu vas avoir besoin de matériel pour examiner le corps. Je ne vois rien d'utile ici. »
Muy n'étais pas très douée parce qu'au contraire les instruments me semblaient en bon état. Sauvage, mais très professionnel et bien équipé le type.
« Tu devrais aller chercher tes affaires dans notre chambre.
— Mais il y a tout ce qu'il faut ici, protestai-je.
— Et vous Jared, vous devriez l'accompagner. Je tiens à elle, je regretterais qu'il lui arrive malheur. »
Me donnait-elle une escorte ? D'accord, le village ne semblait pas particulièrement accueillant. Mais jusqu'à présent personne ne s'était montré agressif. Et je savais me défendre seule. J'avais été maître guerrière avant d'intégrer les guerriers. Ce n'était pas une bande de villageois armée de fourches qui allait me faire peur.
« Je n'ai pas besoin d'escorte, dis-je.
— Mais si.
— Franchement, tu es ... » Oh ! J'avais compris. Je me tournai vers Jared. « Vous venez ? demandai-je. »
Je sortit du bâtiment. Notre guide hésita un instant, mais sur un signe de ma pentarque, il m'emboîta le pas.
« Mais vous laissez votre amie seule ? me demanda-t-il.
— Oui, répondis-je d'un ton enjoué.
— Et vous n'avez pas peur pour elle ?
— Non. »
Nous n'allâmes pas loin. Jusqu'à la rue devant la morgue en fait. Jared, qui avait entamé quelques pas en direction de notre logement, ne comprenait plus rien. Il me rejoignit, l'air intrigué. Et nous attendirent. Il ne tarda pas à comprendre.
Un hurlement de terreur pure nous parvint de l'intérieur. Il dura quelques vinsihons avant de se transformer en gémissements entrecoupé de supplications.
« Ce doit être bon, dis-je. »
Je rentrais. Dans la salle principale, je vis notre homme, prostré dans un coin. Son regard était braqué sur Muy qui s'affairait devant l'établi du commerçant. En m'approchant, je vis qu'elle rajustais son chemisier déchiré avec une épingle. Elle avait deux nouvelles estafilades dans le cou.
« Que s'est il passé, demandai-je.
— L'illogisme des gens paniqués, répondit-elle. Quand il a eu peur il s'est accroché à moi. »
Vu la différence de gabarit entre les deux individu, elle avait de la chance qu'il ne l'ai pas écrasée sous son poids.
Je m'approchais du croque mort.
« Je peux examiner le corps, demandai-je.
— Tout ce que vous voulez, mais elle s'approche pas de moi.
— C'est marrant, reprit Muy, en temps normal, les hommes ne se plaignent pas quand je m'approche d'eux.
Il est vrai que ma pentarque était sacrement mignonne avec sa silhouette d'adolescente, sa taille menue et ses longs cheveux roux. Si en tant normal on ne la remarquait pas, parce qu'elle mettait des tenues discrètes, je me souviens de soirée et de fêtes où elle était époustouflante. Et quand elle était en compagnie de sa sœur jumelle, c'est-à-dire presque tout le temps, elle avait un succès fou auprès de la gent masculine.
Je sélectionnai un certains nombre d'outils que je plaçai sur une table roulante, un ustensile bien pratique que je demanderais à nos techniciens de reproduire une fois rentrée à la maison. Une fois équipée, je retournais près du corps. Terdar, comme me le présenta Jared, me suivit. Je retirai le drap qui recouvrait la pauvre Tranisanar. Elle était dans le même état que lors de notre première rencontre, tôt ce matin. Le croque mort n'avait pas encore commencé à s'en occuper. C'était un sacré manque de professionnalisme.
Mon premier examen porta sur l'ensemble du corps. Je remarquai les nombreuses piqûres sur les bras et le buste. Mais je n'y apportais qu'une légère attention. Il y avait de nombreuses ruches dans le coin, rien d'extraordinaire à ce qu'une vieille femme se fasse piquer. Ce n'était pas mortel pour nous autres stoltzt. Plus intéressant était la trace de sang sur le buste. Cette tunique était trop abîmée pour qu'elle soit utilisée pour la cérémonie. Je n'hésitai pas à la découper. Quand la poitrine fut mise à nue, Terdar s'écarta. La vue d'une vieille femme nue le choquait-il ? Comment pouvait il faire ce métier dans ce cas ? La blessure qui avait ôté la vie à la victime devint visible. Avec un chiffon, j'essuyai son pourtour pour bien la dégager. Elle se révéla toute petite, comme la marque d'un stylet. Une telle arme était forcement en métal ou en bois dur. La pierre, trop fragile, se casserait très vite à l'usage. Voilà qui mettait hors de cause le poignard de Muy. Les bords bien réguliers faisaient pencher la balance pour le premier matériaux. L'absence de peau abîmée autour étaient le signe que le stylet n'avait pas été enfoncé jusqu'à la garde ou qu'il n'en possédait pas.
Je pris une petite tige que je rentrais dans la lumière de la blessure. Je pus y introduire presque une main de long, c'était beaucoup. L'orientation de cette dernière me donnait l'angle de pénétration de l'arme : vers l'avant et le haut.
— Voilà qui est clair, dit Muy, le meurtrier était plus grand qu'elle. »
Je hochais la tête tout en réfléchissant à ce fait. Pas très longtemps.
« Il est temps de voir ce qu'il y a à l'intérieur, dis-je.
— Vous allez l'ouvrir ? demanda Terdar. »
On sentait une légère appréhension dans sa voix. Je décidais de ne pas en tenir compte.
— Bien sûr. Sinon comment voir ce qu'il y a dedans, répondis-je.
— Votre amie magicienne ne pourrait pas ...
— Pas au point que je veux voir, non. »
Sur la table des instruments, je pris le scalpel le plus tranchant que je pus trouver et incisais la peau. Aussitôt le sang se mit à couler.
« C'est étrange, remarquai-je, les vaisseaux sont plein de sang.
— C'est pas normal ? demanda Jared.
— Pas du tout. Quand le cœur est transpercé, le sang gicle hors du corps et il en reste très peu dedans.
— Mais dans ce cas, il y aurait du avoir plein de sang autour d'elle dans la cuisine. Il y avait bien une flaque, mais pas énorme.
— Il y a plusieurs explications pour ça. La première c'est qu'elle a été tuée ailleurs et transporté à l'endroit où on l'a trouvée. Ça peut être aussi parce que la blessure a provoqué une hémorragie interne. Elle s'est vidé de son sang, mais à l'intérieur de son corps. On doit pouvoir trouver d'autres solutions. »
Tout en donnant ces explications, j'avais progressé dans mon opération. Une pince m'avais permis de couper les côtes. J'avais ensuite ouvert la cage thoracique à l'aide d'un écarteur. J'entendis la porte qui se refermais brutalement. Notre hôte involontaire s'était barré. Je me retournai. Non, il était toujours là, un sourire moqueur plaqué sur le visage. C'était Muy qui avait disparu.
« La p'tite dame, elle supporte pas la vue du sang, dit il d'un air rigolard.
— Muy ! C'est la plus grand guerrière de mon pays !
— Une guerrière ? Elle ? s'écria notre guide. Mais elle est toute petite.
— Ce n'est pas la taille qui détermine la capacité d'un guerrier, c'est son habileté aux armes. Et elle est très habile. Elle n'a jamais perdu de combat. » Si on excluait l'attaque pirate d'il y a quelques mois bien-sûr. « En tout cas, le cœur a bien été touché. »
Je regardais le muscle cardiaque, presque intact malgré le stylet qui l'avais transpercé.
« Un aussi petit trou a pu tuer. ? demanda Jared.
— Non,. Enfin, ce n'est pas par ce trou qu'elle est morte. Elle l'était déjà quand l'arme l'a transpercée. La blessure n'est pas si terrible. Le trou est fin, bien arrondi. Si la lame avait été si tranchante ça se serait vu. Elle devait être pointue mais sans fil, comme un stylet.
— Comment savez-vous que le cœeur ne battait plus, demanda Terdar.
— S'il battait au moment où le poignard l'a transpercé, ses propres mouvements l'auraient déchiré. Là, il est en bon état. »
Je sentis un mouvement derrière moi. Le croque mort s'était approché et regardait le contenu du corps ouvert devant nous.
« Et vous allez trouver qui l'a tué avec ça ? demanda-t-il.
— Non, répondis-je, ce n'est qu'un indice de plus qui me mène à lui. Grâce à ça, quand je verrais l'arme, je la reconnaîtrai.
— Tout ce sang. Il va falloir tout vider pour embaumer. »
Lui aussi l'avait remarqué, il était du métier après tout. S'il avait accepté d'opérer à ma place, il aurait fait du meilleur travail. Les vaisseaux étaient bien gonflés. Pas autant que quand la pression du cœur s'y exerçait, mais ils n'étaient pas vides. Il y avait là quelque chose qui m'échappait.
Brusquement, tout devint clair.
« Quand arrive le prévôt ? demandai-je à Jared.
— Dans le courant de la nuit, répondit-il. On lui a envoyé un message. Il a accéléré son passage.
— Alors demain matin, je vous désignerai le meurtrier. Rendez vous à mon hôtel vers le 5e monsihon. »
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