|CHAPITRE 4| Il était fatigué et rien ne lui facilitait la tâche

Sorbet citron !

Hello ! Comment ça va ? Ici, plutôt bien ! C'est les vacances, quand même ! Je souhaitais vous remercier pour tous vos commentaires de la semaine dernière, ça m'a fait très plaisir ! Je n'ai pas eu le temps de vous répondre personnellement mais je le ferai sans aucun doute pour ce chapitre, j'ai tout le temps du monde cette semaine ;)

Pour le prochain chapitre, je ne sais pas encore s'il sortira dans deux semaines ou si je préfère prendre une pause et attendre 4. Je vous préviendrai sur mon profil d'ici le 5 novembre ! 

Bonne lecture ^^

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Note des bêtas-lectrices :

BONJOUR! je sais plus si je suis en italique ou en gras ou quoi (toi, c'est l'italique), mais j'ai ADORE ce chapitre... Surtout l'étude des runes... C'est une vision intéressante du personnage, surtout que perso, je suis plutôt une écolière du style opposé à celui d'Erwin, donc... Bref, vous allez comprendre ! Encore une fois Lina a fait du bon boulot ! Zeph est vraiment ADORABLE !!! Bonne lecture !

Heyyyyy ! Très bon chapitre, on en découvre toujours un peu plus sur les personnages et c'est très bien ! Et j'aime l'âme de musicienne de Lina qui nous donne de superbe scène et description de sentiment. La musique c'est genial. Bref, sinon,comme l'a dit Marie, Zeph est adorable et quiconque dit du mal de lui devra me passer sur le corps !

***


|CHAPITRE 4| Il était fatigué et rien ne lui facilitait la tâche


Erwin grimaça en sentant les courbatures dans son cou et ses épaules. Il s'était encore endormi alors qu'il lisait une histoire à Zephyr, assis sur le lit de ce dernier et adossé contre le mur. Il essaya de s'étirer sans trop forcer sur ses articulations engourdies. Un bâillement plus bruyant que prévu le mit sur ses gardes : il allait réveiller Zeph' à s'agiter comme ça.

Erwin se tourna discrètement pour vérifier qu'il n'avait pas réveillé son frère. Son cœur rata un battement et la panique l'envahit.

Le lit était vide.

Erwin se leva brusquement, insultant dans ses pensées l'obscurité ambiante. Son cœur tambourinait dans sa tête et ses membres tremblaient sans qu'il ne puisse rien y faire. Il aurait voulu appeler ses parents à l'aide mais son souffle se coupait, l'empêchant de produire le moindre son.

Il ne pouvait réfléchir, ni chercher. L'inquiétude lui nouait les entrailles. Si seulement il avait une baguette, il aurait au moins pu avoir une source de lumière et y voir plus clair.

La gorge serrée, il tâtonna dans le noir et pleura presque de soulagement en trouvant la porte. Il baissa la poignée et s'aperçut qu'il y avait quelque chose d'anormal dans la situation. Quelque chose d'autre que l'absence de Zephyr dans son lit en plein milieu de la nuit.

La porte était fermée. Or, le battant qui menait à cette pièce n'était jamais fermé par quelqu'un d'autre qu'Erwin. Et Erwin était certain de ne pas l'avoir fermé la veille au soir, ce n'était pas dans ses habitudes.

Pris d'un très mauvais pressentiment, Erwin ouvrit brusquement la porte et plissa les yeux, ébloui par une soudaine lumière pointée devant lui.

- Je t'avais dit qu'on aurait dû l'enfermer ! chuchota quelqu'un. On fait quoi, maintenant ?

- La ferme ! Attrape-le avant qu'il ne fasse du bruit ! s'énerva un autre.

Erwin ne comprenait pas grand-chose à l'agitation dans le couloir. Il entendait deux personnes parler et, avant d'avoir eu le temps de s'habituer à la luminosité, il sentit une force lui attraper les bras et lui mettre une main devant la bouche.

Son premier réflexe fut de se débattre mais, très vite, il arrêta. Maintenant qu'il s'était acclimaté à l'ambiance, il savait qu'il y avait deux hommes. L'un le tenait assez fermement et l'autre l'éblouissait avec la lumière de sa baguette, de sorte qu'Erwin ne pouvait voir devant lui.

Il arrêta de s'agiter et mima une fatigue soudaine. L'homme desserra sa pression et, enfin, Erwin perçut mieux les ravisseurs.

- Hé, le grand s'endort.

- On ne peut pas le remettre dans la chambre, c'est peut-être une comédie ! grogna l'autre.

- Ne sois pas bête ! Il est quatre heures du matin et il doit avoir... Allez, sept ans ? Il est fatigué, c'est normal. S'il-te-plaît, baisse au moins ta lumière.

Erwin se félicita et se ravit intérieurement du fait que l'homme qui le tenait ne soit pas très intelligent. Il ne manquait plus que celui qui semblait diriger l'opération flanche et ce serait parfait. Le problème était de savoir si le débile trouverait de bons arguments.

- Bon, on ne le remet pas dans sa chambre et on l'emporte avec le petit, tant pis pour les ordres. Mais c'est d'accord, je baisse ma lumière.

Ah. Finalement, l'autre aussi était bête.

Quand la lumière de la baguette disparut enfin de son champ de vision, même si Erwin était tout ébloui, il comprit enfin la situation. Et ce n'était pas pour lui plaire.

L'homme-pas-si-intelligent tenait lui aussi quelqu'un. Un enfant ligoté qui se débattait à s'en briser la nuque. Même au paroxysme de l'angoisse, Zephyr était reconnaissable. Erwin sentit la rage l'envahir. Personne n'avait le droit de toucher son petit frère, personne n'avait le droit de lui faire de mal. Il préférait mourir que de le voir mal en point.

Pour éviter de se trahir, Erwin essaya de garder son calme. Mais désormais, tous les bruits étouffés que faisaient Zeph' lui parvenaient et il lui était impossible de réfléchir posément. Il se serait bien livré à la peur, lui aussi. Mais l'heure n'était pas aux émotions.

Il sentit quelque chose de fin, froid, et légèrement piquant se poser au bord de ses lèvres. La pression de l'homme qui le tenait se raffermit brusquement et son souffle chaud lui tempêta sur les oreilles.

- Bien joué, petit, on y aurait presque cru. Dommage pour toi, ton monstre de frangin t'a dénoncé alors qu'il ne sait même pas parler. Tant mieux pour nous, on sait que c'est le bon, maintenant.

Erwin écarquilla les yeux. Alors c'était ça, le courant d'air sur ses jambes qui le faisait frissonner. Il essaya de chercher tout autour de lui un élément, quelque chose qui puisse lui répondre et il sut enfin en voyant un livre ouvert en deux, par terre. Les pages se déchiraient et s'envolaient comme en proie à d'énormes bourrasques. Son regard revint sur Zephyr. Ses pouvoirs s'étaient déclenchés sous le coup de la panique. Ça ne faisait pas peur à Erwin. Mieux, ça l'attendrissait presque. Inconsciemment, Zeph' lui épargnait la tempête qu'il avait déclenchée.

Les deux hommes étaient déstabilisés par les rafales violentes. Erwin se sentait un peu plus libre de ses mouvements. Si cette lame n'était pas appuyée sur sa lèvre, il aurait pu s'enfuir et aider son frère.

Soudain, il croisa le regard de Zephyr. Ses grands yeux bleus étaient recouverts d'un filme d'eau et reflétaient une profonde panique. Erwin sentit son cœur s'alourdir et tomber lourdement dans son estomac. Etait-ce humain d'éprouver une telle angoisse ?

L'instant était comme hors du temps. Erwin n'entendait plus rien, ne voyait que son frère. Tout se passait au ralenti. Il vit la bouche de Zephyr s'entrouvrir et ses lèvres bouger, lentement.

- Erwin...

***

Erwin se réveilla brusquement, aux aguets. Il était essoufflé et il transpirait tant que sa chemise de nuit lui collait désagréablement à la peau. Le cœur battant encore à mille à l'heure et le souffle coupé, il se leva de son lit, attrapa sa bougie de chevet et chancela jusque la salle de bain.

Il ferma la porte et se laissa tomber contre la porcelaine du lavabo. Il inspira profondément et expira longtemps. Ce n'était qu'un cauchemar sorti d'un vieux souvenir, comme d'habitude. Il devrait s'y être fait. Pourtant, chaque fois que cette scène reparaissait dans les songes d'Erwin, il s'affolait complètement et il ne pouvait se rendormir.

À chaque fois, il se réveillait au moment où Zephyr prononçait son nom. Jamais avant, jamais après. Ça ne l'empêchait pourtant pas de se rappeler dans les moindres détails ce qui s'était passé ensuite, lui qui aurait préféré oublier tout ça.

Quand ses tremblements se furent calmés et que la pression fut un peu retombée, il leva les yeux et croisa son regard dans le miroir. Il faisait peur à voir.

Son teint ordinairement plus pâle que pâle était devenu si blanc qu'Erwin s'imagina rivaliser avec les draps de l'infirmerie. Ses cernes sombres mettaient l'accent sur ses joues creuses et son nez long et fin. Ses yeux étaient rouges ; s'il s'était croisé dans la rue, Erwin se serait fait peur. Même ses cheveux toujours coiffés à la mèche près étaient en désordre. Son visage était une bonne représentation du chaos total qu'était cette nuit.

Sa fine bouche incolore, elle, n'avait pas changé. Et la cicatrice qui descendait verticalement de la commissure droite de ses lèvres à un point à côté de son menton n'en paraissait que plus rouge sur son visage maladif. Elle n'était pas très grande - elle devait mesurer dans les deux centimètres - ni très large mais elle était bien visible et à un emplacement où on ne s'attendrait pas à voir une cicatrice.

Erwin la haïssait. Bien qu'on lui ait répété le contraire maintes et maintes fois, c'était la preuve concrète qu'il avait failli à la mission qu'il s'était donné. Parce que s'il avait su protéger Zephyr comme il l'a toujours voulu, il n'aurait jamais été dans la situation où son frère avait des ennuis.

De plus, c'était la preuve qu'il avait été faible cette fois-là et qu'il avait agi de façon tout à fait irrationnelle. Il avait perdu le contrôle de ses émotions et c'était un miracle que tout se soit bien terminé.

Le cauchemar en était la deuxième preuve. Après que Zephyr eut prononcé son prénom, Erwin savait très bien ce qui était arrivé. Il avait senti son cœur lâcher et toute la colère, la détresse accumulée avait été libérée. Il s'était défait de la poigne de la personne qui le tenait. Surpris, l'homme n'avait rien pu faire et l'avait lâché. Le couteau qu'il avait posé sur la joue d'Erwin avait ripé et entaillé profondément son visage.

Erwin n'y avait pas fait attention, il n'était même pas certain d'avoir ressenti de la douleur. Il n'avait eu en tête qu'une idée : attraper Zephyr et ne plus le lâcher. Il l'avait serré très fort dans ses bras, même s'il savait que Zeph' détestait les contacts physiques. Il avait jugé que dans une situation si bouleversante pour lui, ce qui lui permettrait de retrouver des repères, ce serait de retrouver l'odeur, la voix de son grand frère.

Erwin avait eu raison. Lorsqu'il avait pris Zephyr contre lui, il ne s'était pas laissé aller au soulagement et n'avait pas laissé une seule larme couler. Il lui avait chuchoté des mots banals, comme si tout allait bien. Il l'avait rassuré et avait chantonné la mélodie qu'il jouait souvent au violon à cette époque.

Il ne s'était inquiété que lorsque sa mère avait hurlé en les trouvant assis dans le couloir, endormis. Elle avait paniqué en voyant le sang couler de la lèvre d'Erwin et, seulement là, il avait prit conscience de l'étendue des dégâts.

Erwin passa de l'eau froide sur son visage et eut l'impression de retrouver un petit peu de couleur. Il soupira et observa une dernière fois son reflet dans le miroir. Ça ne l'avait jamais inquiété de faire de telles insomnies mais il devait bien avouer que, sur le coup, ce n'était jamais agréable d'avoir des cauchemars aussi réalistes.

Il sortit de la salle de bain sans bruit, attrapa rapidement sa robe de chambre pliée sur sa valise et sa montre sur sa table de chevet. Il enfila à l'aveuglette une paire de chaussettes bien chaude et essaya de sortir du dortoir le plus silencieusement possible.

L'épreuve la plus difficile était la porte. Elle grinçait, avait toujours grincé et il n'avait jamais réussi à comprendre à partir de quel angle elle devenait un loup-garou enragé. Il clancha la poignée et tira lentement, très lentement, le battant. Au premier son, il arrêta d'ouvrir. Il évalua la taille de l'interstice et essaya de s'y faufiler. Par chance, sa silhouette mince passait tout juste. Il referma la porte, satisfait, et monta dans la Salle Commune.

Erwin raviva le feu dans la cheminée et s'installa dans son fauteuil préféré. Il s'emmitoufla dans sa robe de chambre et bailla. Il regarda sa montre à gousset qu'il avait reçue pour ses dix-sept ans et grogna. Quatre heures du matin. Il lui restait encore deux heures quarante-cinq avant l'ouverture de la Grande Salle.

Il leva son bras et s'imagina le poids de son violon dans sa main. Il tira un archet imaginaire et commença à frotter les cordes de sa pensée. La mélodie s'envola toute seule, les notes chantonnant dans ses cordes vocales et résonnant dans un filet de voix dans la pièce. Ses doigts bougeaient tous seuls, s'accordant au rythme du son.

Erwin resta longtemps ainsi. Jusqu'à entendre du mouvement non loin de lui. Il arrêta immédiatement sa musique imaginaire et s'apprêta à fusiller du regard l'inconnu qui avait l'audace de rentrer dans son intimité sans prévenir de sa présence.

- Oh non, râla une voix féminine. C'était agréable à écouter, pourtant. Tu ne veux pas continuer un peu ? Ça m'aurait fait une berceuse.

- Je déteste être surpris, Julia. Et je réserve les berceuses à Zeph'. Insomnie ?

Julia acquiesça d'un hochement de tête en se laissant tomber dans le fauteuil en face. Ses cheveux étaient coiffés en une tresse adroite et son pyjama uni n'en ressortait que plus en-dessous de la grosse couverture en laine aux motifs écossais dans laquelle elle se roulait en boule.

- Et toi ? s'enquit-elle. Cauchemar ?

Erwin haussa une épaule pour lui signifier que ce n'était pas important et Julia McIntosh leva les yeux au ciel. Elle ferma les yeux et Erwin secoua la tête, désabusé. Quand elle était comme ça, Erwin se rappelait pourquoi ils étaient amis. En plus de leurs caractères respectifs qui s'accordaient plutôt bien ensemble, Julia répétait toujours qu'elle était amie avec lui uniquement parce qu'il était le seul garçon de cette école à ne pas la regarder avec des yeux de merlan frit. Mais lui savait que c'était surtout dû au hasard. Ils s'appréciaient l'un l'autre - la plupart du temps tout du moins - et se comprenaient facilement. C'était simple et Erwin avouait apprécier cette facilité.

Alors que Julia paraissait s'être endormie depuis de longues minutes, Erwin se sentit à nouveau comme seul. Il ferma les yeux et reprit en main son violon abstrait. Il ressentait la forme du prétendu instrument jusqu'au bout de ses doigts, la précision des détails était telle qu'il sentait ses nerfs s'électrifier au rappel qu'il n'avait pas le violon avec lui. L'air revint de lui-même et ses doigts se frottèrent aux cordes de son esprit, l'archet bougeant lentement selon le rythme doux de la berceuse.

La bouche fermée, la mélodie était fredonnée par ses cordes vocales, dans un son grave et bourdonnant dans son corps. C'était apaisant de ressentir les vibrations résonner dans tout son organisme, ça rendait réelle cette enveloppe faite de chair et de sang qui lui semblait si souvent simplement là pour donner de la matérialité à son âme.

Mais lorsqu'il chantonnait les notes à bouche fermée, que le son n'avait d'autre moyen pour s'évader que de retentir dans chacune de ses cellules, il se sentait vivant. Il aurait apprécié que ces moments durent toute sa vie, pour toujours à entendre sa musique envahir son corps. Mais la réalité était tout autre et il savait que l'heure du petit-déjeuner arriverait bien trop vite.

Un quart d'heure avant l'heure d'ouverture de la Grande Salle, il jugea que c'était décent de se préparer maintenant. Il se leva, remonta la couverture de Julia qui était tombée lorsqu'elle s'était retournée et rejoignit son dortoir. Il ne s'embêta pas de la porte qui grinçait et alluma les bougies de toute la pièce.

- Erwin ! fit Elijah dans un grognement étouffé depuis son lit. Dodo... non...

- Oui, oui, c'est ça. Debout, Eli', il est six heures et demie. Si tu ne te lèves pas tout de suite, je pars manger sans toi.

- Je hais ton sommeil instable.

Erwin souffla discrètement du nez. De toute manière, ils mangeaient toujours dans les premiers. Rares étaient les élèves assez courageux pour prendre leur petit-déjeuner si tôt mais Zephyr n'appréciait pas les horaires de pointe. Alors comme Zeph' et Hélios prenaient leurs repas aux heures les moins remplies, Erwin le faisait aussi et en règle générale, Eli' et - parfois - Julia l'accompagnaient.

Mais Elijah avait raison sur un point : quand Erwin se réveillait tôt, il devait se lever plus vite et Erwin concevait que ça ne devait pas être très agréable.

Enfin, si ça le gênait vraiment, il prendrait son repas tout seul dans ces jours-là.

- Elijah Octavius Croupton ! Je vais monter sans toi !

- Vas-y, je te rejoindrai à table ! Je ne retrouve pas ma chaussette. Pourtant, j'étais sûr de l'avoir rangée là !

Erwin haussa un sourcil sceptique. Elijah n'avait aucun sens de l'organisation, ce serait étonnant qu'il l'ait vraiment posé là où il pensait. C'en était désespérant de voir que même le lendemain du retour de vacances, Eli' avait déjà commencé à perdre ses vêtements.

- Hé, moins de bruit, s'il-vous-plaît, se plaignit Romeo Holland. Combien de fois faudra-t-il vous répéter que, contrairement à vous, y en a qui dorment ?

Erwin leva les yeux au ciel et se prépara à partir. Il dit à Elijah de le rejoindre et, en fermant la porte, son regard tomba sur la chaussette disparue d'Eli', abandonnée par terre, près du piano. Erwin sourit : à cet endroit-là, il n'allait pas la retrouver tout de suite. Ça allait mettre Romeo en rogne, c'était parfait.

Julia dormait toujours dans la Salle Commune. À regrets, il décida de la réveiller. Il allait s'en prendre plein la figure mais il était presque certain qu'elle n'aimerait pas se faire réveiller et trouvée en pyjama par une bande gamins brutes et affamés.

- Debout, McIntosh, appela-t-il en tirant un peu la couverture. Tu dormiras plus tard.

- Erwin, espèce de sale Veracrasse ! Mes cours commencent plus tard aujourd'hui !

- Et alors ? Tu es dans la Salle Commune, tu n'aurais pas pu dormir beaucoup plus longtemps avec le troupeau de ventres sur pattes qui va bientôt s'agiter. Si tu veux continuer ta nuit, va le faire dans ton dortoir.

La Grande Salle était tout aussi vide qu'à son habitude à cette heure-ci. Quelques élèves lève-tôt étaient déjà attablés et trois professeurs baillaient de fatigue devant leur porridge. Erwin repéra assez facilement Hélios et Zephyr à la table des Serdaigle. Il retint de justesse une grimace désappointée. Il savait déjà que ce serait une mauvaise journée.

C'était un de ces jours où Zeph' ne mettait pas son uniforme et portait son éternel pull en laine bleue claire sans manches. Ça faisait partie des autorisations exceptionnelles qui concernaient son petit frère : il avait le droit de ne pas porter son uniforme si vraiment il ne le pouvait pas. Au même titre qu'il n'allait parfois pas en cours ou ne faisait pas les mêmes devoirs que les autres, il n'était pas puni pour cela. Erwin était toujours surpris de la souplesse du directeur pour ce cas si spécial.

Et ce matin-là, Zephyr avait revêtu son pull, sa chemise blanche et il ne mangeait pas. Il était prostré sur le banc et Erwin devinait son regard perdu dans le vide. Ah qu'est-ce qu'il pouvait haïr ces journées ! Il n'avait qu'une envie en voyant cela : retourner dans son lit et passer vite au lendemain.

Seulement, voilà. Il était sorcier, pas un surhomme. Il ne pouvait pas faire avancer le temps plus vite. Alors, il se força à s'installer, non loin de son frère pour pouvoir garder un œil sur lui et se servit d'œufs brouillés et de café. Il servit une tasse de chocolat chaud pour Elijah qui ne tarderait pas à arriver, ainsi la boisson aurait le temps de refroidir et Eli' ne lui casserait pas les oreilles dès le matin en se plaignant qu'il se brûle le palais.

- Tu ne devineras jamais où était ma chaussette ! s'esclaffa Elijah en arrivant quelques minutes plus tard. Elle n'était pas loin du piano ! Tu te rends compte ?

Erwin grogna un assentiment sans lever les yeux de ses œufs brouillés auxquels il avait à peine touché. Il jouait avec sa fourchette à leur donner une forme abstraite, perdu dans ses pensées confuses.

- Wini', mange. Tu vas encore dire que tu as tout le temps froid, après. Et merci pour le chocolat.

- Je n'ai pas tout le temps froid.

- Oui, oui, on en reparlera ce soir avant de se coucher. En attendant, ne me force pas à te donner la becquée.

Erwin regarda son ami, légèrement effrayé. Il prit la menace au sérieux et se décala. Il était hors de question qu'Elijah le ridiculise ainsi, ah ça non. Il mâchouilla ses œufs sans en reconnaître vraiment le goût et finit son assiette sous le regard inquisiteur d'Eli'.

Ils sortirent de la Grande Salle en même temps qu'Hélios et Zeph'. Comme à leur habitude, ils se rejoignirent dans le recoin du hall et Erwin sentit son cœur peser lourd en approchant son petit frère.

- Il a refusé de mettre l'uniforme, il ne m'a pas regardé une seule fois, l'informa Hélios avec un froncement inquiet des sourcils. Je me demande même s'il n'aurait pas préféré rester dans son lit. Il n'a rien avalé, pas même les quartiers d'orange que je lui ai épluchés ou les carrés de chocolat que j'ai posé près de lui. Il est tout raplapla.

L'expression mit du baume au cœur d'Erwin. C'était aussi pour cela qu'il appréciait Hélios : dans des moments difficiles, parfois même sans en avoir l'intention, il avait le mot pour remonter un peu le moral.

Erwin se pencha et s'accroupit pour apercevoir le visage baissé de Zephyr.

- Salut, p'tit frère. Tu as bien dormi ? C'était une journée fatigante pour toi, hier, je sais. Tu te rappelles de ce que je t'ai dit ? Je suis fier de toi. Tu as été incroyable.

Erwin n'aperçut aucune réaction dans ses yeux. Il ne voyait que son regard vide, qui regardait le néant et paraissait étranger à toute lueur. Il leva sa main mais Zephyr recula si vite et si loin qu'Erwin en fut immédiatement blessé. Certes, son frère n'avait jamais aimé être touché et Erwin avait l'habitude d'être rejeté de cette manière. Mais jamais le geste ne lui avait paru aussi violent. Zephyr s'était écarté si vite qu'Erwin en avait l'impression qu'il se fichait de lui.

- Bon, murmura-t-il plus pour lui-même. Ce n'est pas grave. À ce soir, Zeph'.

Il se releva, adressa un rapide salut à Hélios et se retourna, Eli' sur les talons. Cette journée commençait définitivement sous un mauvais jour.

- Wini', je... je suis désolé pour toi, ça ne doit pas être facile de voir ton-

- Elijah, s'il te plaît, le coupa Erwin. Ça va, j'ai l'habitude, tu devrais le savoir. Et arrête de m'appeler comme ça.

C'était vrai, il avait l'habitude. Ça ne devrait rien lui faire. Mais il avait passé une mauvaise nuit, il était fatigué. Et comme chaque fois qu'il faisait ce cauchemar, il appréciait voir Zephyr en sécurité et de bonne humeur. Et Erwin se sentait blessé de ce rejet, bien qu'il en ait fait face à des centaines. Mais parfois, ça faisait plus mal que d'autres.

Ses cours de la journée commençaient par trois heures d'études des runes. Eli' suivait aussi la matière et Erwin regretta de l'avoir poussé à la choisir en troisième année : il ne serait pas seul avant d'entrer dans la salle de classe. Par chance, Elijah le comprenait et le laissa tranquille.

Le professeur d'études des runes s'appelait Lawrence Allen. Il n'était jamais très enjoué, avait une barbe de trois jours et ses cheveux ternes lui tombaient tristement sur les épaules. Malgré cet air ennuyé qui rebutait toujours autant Erwin, il reconnaissait qu'il avait une bonne manière de les faire étudier.

En début d'année, il plaçait ses élèves en binôme, de manière à s'entraider et travailler ensemble. Ainsi, dès sa troisième année, Erwin s'était retrouvé appairé avec Albus Dumbledore pour qu'ils puissent « se faire évoluer l'un l'autre et avoir du travail à leur niveau ». Et même si ça ne l'enchantait pas vraiment, Erwin avouait s'intéresser un petit peu à la matière quand Dumbledore rivalisait avec lui. C'était une habitude entre eux deux : Dumbledore était le premier de leur promotion et lui, le deuxième. Ce n'était pas le genre d'Erwin de chercher à rattraper son camarade mais en études des runes, c'était différent.

Dans ce cours, il se sentait obligé de travailler et il ne supportait pas de se sentir surpassé par Albus Dumbledore. Ce garçon avait un don pour réveiller en lui un caractère joueur quand il s'agissait de travail.

- Bonjour, O'Sullivan, le salua le Gryffondor en s'installant.

- Hmm.

Erwin avait conscience de son impolitesse flagrante mais, même si ça ne se voyait pas, il avait fait un effort. Dumbledore appelait tous ses camarades par leur prénom. Il avait tenté l'expérience avec Erwin, une fois, et n'a plus jamais osé recommencer après. Depuis, le Gryffondor l'appelait par son nom de famille et en guise de remerciement, Erwin essayait d'être poli pour lui.

Enfin, il essayait de ne pas paraître trop froid, quoi.

Le professeur Allen ramassa les devoirs de vacances et commença son cours. Erwin l'écouta d'une oreille distraite, plus préoccupé par l'état de son petit frère que par une leçon qu'il avait déjà comprise. Il se demandait combien de temps durerait cet état régressif chez Zephyr. Quelques jours ? Semaines ? Mois ? Il n'avait aucune idée de combien de temps il lui faudrait pour récupérer autant d'énergie qu'il en avait eue la veille. Erwin se mordit la lèvre. Le pire, c'était bien de ne pas comprendre.

Son regard dériva sur son voisin de table. Dumbledore griffonnait sur son parchemin mais il était clair que ce n'était pas des notes de cours. Erwin fronça les sourcils et observa plus précisément. Il n'aurait su dire s'il s'agissait d'un schéma ou d'une esquisse mais ça avait l'air très élaboré.

- Si ni toi ni moi n'écoutons le cours, Allen ne nous mettra plus l'un à côté de l'autre, chuchota Albus Dumbledore.

Vexé d'avoir été surpris dans ses songes, Erwin tourna la tête et fit comme s'il n'avait rien entendu.

- Je suis en train de réfléchir à mes projets pour le futur, continua le Gryffondor. Je les écris, ça m'aide à penser.

- Tu fais une liste de celles qui pourraient être ta potentielle fiancée, c'est ça ? railla Erwin sans pouvoir s'en empêcher.

- Pour être honnête, non. Je ne me soucie pas de ça, répondit Dumbledore sans relever la moquerie. Mais je ne pensais pas que tu t'intéressais à ce genre de choses.

- Je me moque du mariage et toutes ces histoires de fiançailles, souffla Erwin. « Des projets pour le futur », ça ne rime à rien. Je n'en vois pas l'intérêt.

- Et c'est tout à ton honneur. J'aime bien ta façon de penser, O'Sullivan. C'est très pragmatique.

Très réaliste, surtout, pensa Erwin. Il n'avait que faire des reproches des autres à ce sujet et les compliments de Dumbledore ne le confortaient pas non plus dans son idéal d'instant présent. Ç'avait toujours été sa vision des choses, rien ne le ferait changer de point de vue.

- Tu iras à Pré-au-Lard, la semaine prochaine ? interrogea Dumbledore. Je t'ai souvent vu entrer au Clair de Lune, je ne savais pas que tu t'intéressais à l'astronomie, ça nous fait un autre point-

- Merci, Dumbledore mais, non, je ne veux pas que tu m'accompagnes. Je serai avec mon frère et voudrai rester seul avec lui. Et même quand je rendrai une petite visite à Galilée Sombrero, je n'ai pas besoin de toi.

Erwin se fustigea pour son ton presque méchant. Mais il était fatigué et rien - et encore moins la bavardise d'Albus Dumbledore - ne lui facilitait la tâche.

Heureusement, le soir arriva plutôt vite. Et Erwin vit arriver avec bonheur le moment unique de détente avec son frère : le bain. Zephyr devait avoir du mal à comprendre le concept de se laver ou peut-être qu'il n'en avait pas l'envie ou encore qu'il appréciait d'être aidé. Toujours était-il qu'il avait toujours voulu passer ce moment avec Erwin. Pour ne pas couper à cette habitude, après insistance, le Directeur leur avait donnée une autorisation spéciale pour utiliser la Salle de Bains des préfets. Alors le soir, ils se rendaient ensemble devant le tableau représentant une forêt de pin. Ils faisaient couler l'eau chaude dans la baignoire, rajoutaient parfois différents savons et mousses. C'était un moment où - quelque soit leurs humeurs - ils arrivaient tous les deux à se poser et à profiter.

Et quand ils sortaient, Erwin avait le privilège de coiffer les cheveux de son petit frère.

Ce soir-là ne coupa pas à la règle. Hélios accompagna Zephyr devant le tableau et lui et Erwin purent se plonger dans la chaleur de l'eau. En regardant son frère, Erwin vit ses traits se défroisser et son visage s'apaiser. Après le bain, il prit la brosse avec hésitation. Dans les pires journées de Zephyr, il arrivait parfois qu'il refuse ce contact. Il allait reposer l'objet quand son frère se retourna vers lui et le regarda dans les yeux pour la première fois depuis la veille. La tête penchée sur le côté, Zephyr attendait. Erwin souleva un sourcil surpris.

- C'est une plaisanterie, Zeph' ?

Une moue se peignit sur son visage d'ange et Erwin soupira. Il était incapable de lui en vouloir. Après tout, ce n'était pas de sa faute s'il était différent des autres.

- Ça va, remballe ton regard larmoyant. Je vais le faire.

Zephyr se retourna prestement avec un mouvement satisfait. Erwin leva les yeux au ciel. Voilà ce qu'il aurait aimé que les gens voient quand on lui disait que Zephyr était un garçon inexpressif.

Il prit la brosse et attrapa les cheveux mouillés de son frère. Il démêla grossièrement la chevelure avec des gestes doux puis attrapa les mèches une par une par pur plaisir. Il aimait coiffer les boucles blondes de Zephyr.

Après tout, peut-être que cette journée n'avait pas été si mauvaise. Erwin avait hâte de la sortie à Pré-au-Lard. La première avait eue lieue en octobre et la seconde en décembre mais Erwin n'avait pas pu y accompagner Zephyr parce qu'il travaillait. Cette fois-ci, il espérait bien profiter de l'occasion.

- On fera un bonhomme de neige géant devant la boutique de Galilée. Ça te va, p'tit frère ?

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