Chapitre 2

Medford, Oregon.

Une musique rythmée me tire des limbes du sommeil. Je décide de l'ignorer et me retourne sur le côté en basculant de nouveau vers l'inconscient. Mais le rythme persistant de ce son qui reprend m'arrache définitivement à ma torpeur. Je cligne des paupières lorsque les rayons du soleil tentent d'aveugler ma vision encore ensommeillée. J'enfouis ma tête sous l'oreiller tout en bougonnant. C'est alors que je remarque la drôle d'odeur qui m'entoure et qui ne m'est pas familière. Dans un sursaut de lucidité, j'écarquille les yeux, me remémorant mon départ précipité.

La sonnerie que j'ai attribuée Peyton retentit de plus belle. Je rechigne à lui répondre. Il est trop tôt et je n'ai pas encore bu mon café pour l'affronter. Mais face à son insistance, je finis par décrocher tout en gardant les yeux fermés.

― Salut Peyton. Quoi de neuf ?

― Quoi de neuf ? ! Tu te fous de ma gueule ! s'écrie-t-elle, indignée. T'es partie où ?

Je soupire. Elle est déjà au courant de ma fuite. Je me retourne sur le dos et frotte mes paupières gonflées par mes pleurs de la veille.

― Comment l'as-tu su ?

Un silence lourd de ressentis s'étire entre nous.

― Pas par ma meilleure amie apparemment ! cingle-t-elle. Ta mère m'a appelée, son discours était assez décousu.

Merde !

― Rien d'anormal tu me diras. Sauf quand elle m'a annoncé que tu l'avais abandonnée en vidant tous les comptes.

J'écarquille les yeux en grand de stupeur.

J'hal.lu.cine !

― Mais bien sûr, ricané-je, mauvaise.

― Bordel, June ! Explique-moi ! T'es vraiment partie ?

Je me redresse en entendant un sanglot étouffé dans sa voix.

― Il le fallait, ma boulette. C'est elle qui m'a piqué toutes mes économies. Trois ans d'efforts volatilisés en un claquement de doigts !

― Merde ! C'est grave là. Ta mère est devenue carrément flippante.

― Elle l'est depuis longtemps.

― Même en mon absence, tu aurais pu trouver refuge chez mes parents, m'explique-t-elle comme si je l'avais trahie. Tu sais qu'ils t'adorent.

― Je les adore aussi. Mais je serais restée trop proche d'elle. Je me connais suffisamment pour savoir que j'aurais fini par craquer.

― Comme à chaque fois, admet-elle en poussant un soupir à fendre l'âme. C'est tellement... soudain. T'es où d'ailleurs ?

― À Medford pour retrouver mon oncle Archer. C'est ma mère qui m'a balancé l'info.

― T'es arrivée ?

― Oui, vers une heure du mat.

― Je n'en reviens toujours pas ! s'exclame-t-elle d'un ton qui transpire l'incrédulité. Mais attends un peu. On parle bien de ton oncle super sexy ?

― Je n'en ai qu'un Peyton ! pouffé-je.

― Oh là là, je m'en souviens comme si c'était hier. J'étais carrément obsédée par lui. Il était mon premier fantasme !

― Ouais celui-là même à qui tu as déclaré ton amour éternel... Quand j'y pense, j'ai encore honte pour toi.

― Je n'avais peut-être que quinze ans, mais je lui aurais laissé un accès illimité à mon corps.

Son gémissement énamouré m'arrache un grognement de dégoût.

― C'est le genre d'infos que tu peux te garder.

Elle éclate de rire.

― Il doit toujours être canon. Il a quel âge maintenant ?

― ... Quarante-six je crois.

― Son expérience vaudra certainement que je lui déclare une deuxième fois mon amour éternel. Et cette fois-ci, j'ai les armes pour le faire céder.

Sa bonne humeur est contagieuse. Je me surprends à sourire jusqu'aux oreilles.

― C'est Rowdy qui va être content d'entendre ça.

― Non, mais lui, une petite pipe et c'est un homme heureux.

Sa spontanéité n'a pas de prix ! Je ris de bon cœur et frotte mes yeux en bâillant. On a beau être séparées par des centaines de kilomètres, elle continuera à être ma bulle de bonne humeur. Je lui raconte ce que j'ai découvert au sujet de mon oncle.

― C'est complètement dingue ! s'exclame-t-elle. L'US air force était bien toute sa vie ?

― Oui. Être proprio d'un bar, ça ne lui ressemble pas du tout. Je ne comprends pas. Sans parler de toutes ces années d'absence... Il sera sans doute contrarié de me revoir alors qu'il nous a tourné le dos.

Voilà c'est dit !

― Il t'adorait, June, me réprimande-t-elle avec douceur. Je suis certaine que ça n'a pas changé. Il a dû se passer quelque chose de grave pour qu'il disparaisse du jour au lendemain.

Je m'étire et m'assois jusqu'à ce que mes pieds touchent la moquette élimée.

― Pourquoi m'a-t-elle parlé de lui après toutes ces années ?

― Ta mère est saoule et confuse la plupart du temps. Tu ne devrais pas prêter attention à ce qu'elle raconte.

― C'était son meilleur ami, elle a peut-être besoin de lui. C'est important que je le retrouve.

― Ce n'est pas ton problème, June. Sois égoïste pour une fois.

― J'en ai bien l'intention.

Et pour la première fois, l'esprit plus apaisé, je le pense vraiment.

― Il t'en a fallu du temps.

― Quatre ans, je sais. J'ai aussi besoin de le revoir pour comprendre son absence et son silence.

Je me lève en frictionnant mon visage.

― Super ! s'écrie-t-elle, soulagée. T'as prévu quoi ?

― Pour le moment pas, grand-chose. Je vais d'abord essayer de le trouver et ensuite me dégoter un boulot en parallèle.

― Si tu as besoin d'argent, je peux t'en...

― Merci, mais...

― Connaissant maman, m'interrompt-elle avec insistance, quand elle va apprendre toute l'histoire, tu ne pourras pas l'empêcher de s'inquiéter pour toi. Elle te considère comme un membre de la famille.

― Je sais.

― Et sache qu'elle voudra faire en sorte que tu ne manques de rien.

Je souris en l'entendant si investie pour moi.

― Je t'adore, mais Molly m'a déjà aidée. J'ai de quoi tenir le coup au moins deux semaines.

― Ta voisine est un ange !

― Tout comme toi, ma boulette.

Son homme l'appelle.

― Attends June... Désolée, je dois partir. Rowdy m'a offert une place pour aller voir le match des Patriots cet après-midi.

Je m'empresse de vérifier l'heure sur mon téléphone.

― C'est pas vrai ! Il est déjà dix heures du mat !

― Ah bah ça, quand on n'est plus habitués aux grasses mat', glousse-t-elle, ça fait toujours un choc.

Je m'abstiens de lui révéler que la peur de l'inconnu m'a tenue éveillée jusqu'à quatre heures du matin.

― T'as tout compris, confirmé-je tout sourire en me grattant la tête.

― Bon, dès que je peux, je me ramène dans ton bled.

― Quand tu veux.

― Attends une seconde.

Le silence s'invite à la partie. Un peu trop longtemps à mon goût pour vérifier que la ligne n'est pas coupée.

― Peyton ?

― Oui... Oh, mais c'est encore mieux que ce que j'imaginais ! se réjouit-elle. Mon campus n'est qu'à trois heures de route de Medford !

Contre le double quand j'étais à Capetown, songé-je. Son petit cri hystérique m'arrache un gloussement.

― On va pouvoir faire la fête ensemble ! déclare-t-elle.

― Un tas de fêtes ! renchéris-je, encore incrédule.

― Je suis tellement fière de toi, June. Tu penses enfin à toi !

― Mouais.

― Si, c'est tout ce que tu mérites enfin, alors profite !

Un brouhaha dans le combiné résonne.

― Ça va ! J'arrive !

― Row est toujours aussi impatient, rigolé-je.

― Et ça ne risque pas de changer ! Bon, je file. Tu me tiens au courant dès que tu as vu Sexy tonton. Grrrr !

― Amuse-toi bien, ma boulette.

Je raccroche et file vers la salle de bains. J'ose un rapide coup d'œil dans la glace avant de me dévêtir et mon cœur se serre en découvrant mon apparence peu glorieuse. Je lâche un long soupir désabusé puis ouvre le robinet qui crachote son eau et patiente qu'elle soit chaude avant de m'engouffrer sous la douche.

Une fois prête et habillée, je ne traîne pas et sors de l'hôtel. Je mets une main en visière devant mes yeux pour admirer le ciel bleu sans nuages. Un temps magnifique pour enfin revoir mon oncle. Je monte dans ma jeep et tapote sur le tableau de bord, un large sourire aux lèvres.

C'est parti ma belle !

En chemin, je m'arrête dans une station-service pour contenter mon estomac qui crie famine. Ma jeep garée dans le parking, je dévore mes deux sandwichs au beurre de cacahuète, puis bois presque d'une traite mon café noir. Un bip retentit dans l'habitacle et ma bonne humeur s'envole lorsque je remarque que la batterie de mon téléphone est à plat. Dans ma fuite, j'ai oublié mon chargeur chez ma mère et ma jeep est bien trop vieille pour avoir un GPS intégré.

Génial ! Je fais comment pour me rendre au Heart Catcher moi maintenant ?

Je tente de me remémorer l'itinéraire que j'avais recherché hier, mais c'est le trou noir. Je suis paumée. Après un gros soupir pour chasser une montée de stress, je claque la portière et me dirige d'un pas pressé vers l'entrée de la station. J'espère que le caissier de tout à l'heure sera assez sympa pour m'aider à trouver mon chemin.

Arrivée devant le comptoir, j'attends qu'il termine sa conversation téléphonique qui semble le contrarier plus qu'autre chose. Dès qu'il raccroche, je lui adresse ma requête :

― Excusez-moi. J'ai un souci avec mon téléphone et je cherche le Heart Catcher. Vous...

― Connais pas.

― C'est un bar.

Agacé, il relève la tablette du comptoir et passe à mes côtés sans même me jeter un regard.

― Ça ne m'dit toujours rien.

― Vous...

― Pas l'temps.

Je le dévisage, interdite, alors qu'il disparaît derrière un rayon. Okaaaay... Il était plus sympa tout à l'heure. Je suis dans une impasse. Allez June, réfléchis !

Plongée dans mes pensées, je sors de la station et percute brutalement une masse imposante qui me propulse en arrière. Mon cri de stupeur meurt entre mes lèvres lorsqu'une grande main s'enroule autour de mon poignet pour m'empêcher de chuter, puis me tire dans un geste protecteur. Tout va si vite que je n'ai pas le temps de réagir quand mon nez heurte un torse solide, me pressant contre ce corps puissant. Une voix profonde m'extirpe de ma torpeur :

― Ouh là ! Tout va bien ?

Au lieu de lui répondre, je prends le temps de respirer son parfum épicé et viril. Là s'arrête mon analyse quand il m'interpelle d'un ton badin :

― Apparemment plus de peur que de mal.

Pas un seul instant il ne rompt notre contact. J'ose relever la tête et tombe sur des yeux d'un bleu profond – presque ténébreux – ourlés de longs cils alors qu'il me dévisage avec curiosité. Je reste stupéfaite quelques secondes face à cet homme à la beauté saisissante. Bon OK, je ne suis plus habituée à la proximité du corps masculin depuis une éternité, mais ce n'est pas une raison. Je recule d'un pas et me racle la gorge pour reprendre contenance.

― Mon téléphone est... Bref, je cherche le Heart Catcher. C'est un bar. Vous ne connaîtriez pas, par hasard ?

Il avance d'un pas et, même si sa posture paraît décontractée, sans une once de menace, son rapprochement me met mal à l'aise. Je n'aime pas qu'on envahisse mon espace vital. Le fait que je recule lui donne le sourire.

― Ça se pourrait bien.

Les secondes s'étirent dans un silence étrange, lourd d'intensité. Je ne comprends pas ce qu'il attend de moi. Il me teste ? Il flirte ?

Dans tes rêves !

Bon, j'ai peut-être très peu d'expérience, mais je me rebiffe face à son attitude trop sûre de lui. Je passe à ses côtés, prenant soin de le bousculer d'un petit coup d'épaule pour continuer mon chemin.

― Laissez tomber, m'agacé-je.

― C'est ton jour de chance !

Il a toute mon attention. Je bloque sur ses lèvres qui s'étirent en un sourire satisfait, voire railleur. Je réalise que je suis en train de le dévorer des yeux, alors que deux minutes auparavant, j'étais irritée par son arrogance. Le charme est rompu. Aussi beau et énigmatique soit-il, il peut aller se faire voir !

Une vague d'énervement se déverse dans mes veines et mon orgueil parle pour moi.

― Je saurai me débrouiller. Mais merci quand même !

Un chaud et profond éclat de rire accueille ma rebuffade. Les vibrations de ce son unique se logent sous ma peau et déclenchent une onde de chaleur dans tout mon corps. C'est insensé, mais pour ma défense, je dois l'avouer, cela fait une éternité que je n'ai pas vu un homme aussi séduisant et mes hormones jouent la rébellion en appréciant la vision. Il en a parfaitement conscience et incarne l'enfoiré de service. Hors de question de le laisser faire. Je croise les bras sur ma poitrine en signe de défi, puis le toise tout en gardant le silence. Son sourire s'élargit et la petite fossette qui apparaît, tente de m'amadouer. Je parviens, non sans mal, à rester campée sur mes positions.

― Tu me plais, me dévoile-t-il sans se démonter.

― Je cherche une adresse, pas un plan drague.

Je n'aurais jamais cru être capable de faire preuve de tant de témérité, mais je suis dans une ville inconnue, sans téléphone et complètement paumée.

― Allez suis-moi ! me déclare-t-il en me tournant le dos.

Il me jette un regard par-dessus son épaule et remarque que je reste immobile.

― Le bar d'Archer est réputé dans le coin, insiste-t-il.

Mon oncle est bien le proprio ! Une poussée de fébrilité, de joie et d'impatience m'envahit.

― Quand tu dis dans le coin ? l'interrogé-je en zieutant tout autour de moi. Où ça exactement ? !

― Une minute en voiture à tout casser. On y sera vite.

Il se dirige vers une moto. Il ne se retourne pas pour s'assurer pas que je vais le suivre. Il le sait, telle une évidence. OK, je marche derrière lui et admire la vue. Sa veste en cuir met en valeur une belle carrure. Il y a chez lui une certaine force tranquille que je lui envie.

Une fois installé sur sa selle, il enfile son casque. Je lui emboîte le pas en me glissant à l'intérieur de ma jeep. Par sécurité, j'actionne la fermeture des portes et reste sur le qui-vive. Je souffle un bon coup puis insère la clé jusqu'à ce que le moteur vrombisse – un bruit réconfortant à mes oreilles. J'appuie sur l'embrayage et attends derrière lui qu'il démarre.

Très vite, il s'engage dans une rue plus étroite, nous éloignant du centre. Sur mes gardes, je laisse une plus grande distance entre nos deux véhicules. On roule jusqu'à ce que mon bon samaritain se gare dans un parking devant un établissement. Le nom Heart Catcher orne la devanture. Il est gravé en noir délavé sur le mur d'un immense bâtiment récemment rénové. Il n'avait pas menti. Soulagée, je souris d'être arrivée à bon port si vite. Je m'arrête, puis observe la pancarte qui annonce que le bar est ouvert.

Je sors de ma voiture et me dirige vers mon sauveur qui balaye du regard avec peu de discrétion chaque parcelle de mon corps. D'ordinaire, j'aurais pu apprécier son flirt, mais j'ai le cœur au bord des lèvres de revoir mon oncle dans quelques minutes. Alors j'opte pour un ton plus pressant.

― Merci de m'avoir montré le chemin. C'était très sympa de ta part.

― Il n'y a pas de quoi. Moi, c'est Nolan.

― Enchantée. June.

Après une poignée de main qui éveille dans mon corps une drôle de sensation, je romps le contact.

― Qu'est-ce qui t'amène ici ?

Je perçois une sincère curiosité, mais le moment est mal choisi.

― Beaucoup de choses. Bon, je dois y aller maintenant.

Je le salue d'un bref hochement de tête tandis que son sourire se fait plus franc. Je lui tourne le dos quand je l'entends me dire :

― Pour info, il n'engage pas de personnel.

― Ce n'est pas ce que je recherche !

― Je te souhaite de trouver ce que tu es venue chercher alors !

L'intonation emplie de sincérité dans sa voix m'interpelle. Je m'arrête et me retourne vers lui.

― On se reverra, m'informe-t-il comme une évidence.

― Je ne crois pas.

― Et moi je te parie le contraire.

Le dernier regard qu'il me lance avant de chevaucher sa moto est chargé de mille promesses. C'est la première fois qu'un premier échange m'interpelle autant. Je ne sais pas quoi en penser, mais je suis certaine d'une chose. J'ai envie de le revoir, malgré cette assurance agaçante dont il fait preuve. Je l'observe quitter le parking en laissant un nuage de poussière me fouetter le visage.

Génial !

Je toussote avant de pousser la porte qui grince sur mon passage, accentuant mon anxiété. J'inspire une profonde bouffée d'air pour me donner du courage et entre dans l'antre de mon oncle.


Les Patriots sont une équipe de football américain basée à Foxborough, Massachusetts. Ils font partie de la National Football League (NFL).

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