Chapitre 20

Laura n'avait jamais passé une si belle semaine depuis son arrivée en ce lieu. Tout s'était passé comme dans un rêve, tellement que la malade en oublia tous les malheurs de sa vie. De toute manière, le seul fait que Tama soit près d'elle en était réconfortant. La maîtresse ne l'avait pas sorti prendre l'air depuis bien longtemps. En réalité, c'était plus le chat noir lui-même qui n'en avait pas la moindre envie d'y mettre les pattes.

Il commençait à faire froid ces temps-ci, l'automne menait à sa fin. En même temps que la saison quittait ce lieu, Laura entrait sur scène dans peu de temps.

La scène, signifiait deux choses pour elle. La première, était la scène de son humeur. Elle commençait à prendre toute chose au bonheur, et non de tristesse ou de dépression. La vie était un cadeau, après tout.

La deuxième scène qui la décrivait en ce moment, était la scène dans le vrai sens du terme, une scène de concert. Cela faisait déjà près d'un mois que Laura prenait des cours chez sa nouvelle professeur de sa passion. Celle-ci avait réussi à trouver en elle un grand atout de la musique. Passe encore pour la technique, cela reviendra sans doute bientôt. Mais pour la musicalité, Laura avait bien plus de différentes expériences en elle, malgré ses quatorze ans. La tristesse d'apprendre que sa maladie se dégradait, la joie d'apprendre qu'elle rentrerait bientôt, ou pour un autre exemple, la colère contre elle-même lorsqu'elle se surprenait à penser des choses sans aucun sens, de tragédie.

Tout cela, Laura les possédait. Reste maintenant à réussir à faire échapper ces sentiments du fond d'elle pour le transmettre aux autres. Il ne manquerait plus que ça d'important. Cependant, cela, Laura n'y avait jamais pensé, et n'arrivait pas à le faire.

— Ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps et l'expérience, la rassurait toujours sa professeure.

À présent qu'elle avait repris les mains sur son instrument, Laura était prête à monter sur une petite scène de la classe. Ce n'était qu'une simple audition entre élèves, mais Laura paniquait. Elle haïssait plus que tout de rater quelque chose. C'était la chose la plus horrible qui existait sur terre. Elle avait beau se dire, qu'un échec menait à la réussite, son état de stress constant ne partait pas.

Elle se leva, jeta un regard au lit vide de Valentine, et se prépara à sortir. Depuis leur première et dernière dispute, elle et Valentine ne s'étaient jamais reparlé face à face depuis, sauf en cours de physique-chimie lors d'un devoir noté. À ce moment-là, les deux filles se parlaient sans grand intérêt pour l'autre, l'esprit tourmenté chacun de son côté. Valentine en voulait toujours à son amie depuis leur arrivée ici, tandis que Laura s'en voulait elle-même pour ce qu'elle avait dit et fait.

Dans leur chambre, chacune des deux anciennes amies profitaient de leur vie dans leur coin totalement différent. Laura passait sa journée dans la chambre à travailler, tandis que Valentine travaillait et s'amusait la plupart du temps dehors, sous le soleil, avec ses camarades de classe. L'inverse de Laura, qui était appelée de temps à autre "chien des buissons", car lorsqu'ils étaient tous allés au parc zoologique de Paris avec la classe un week-end, ils avaient vu un animé nommé Chien des buissons. Et cet animal ne s'était montré ne serait-ce qu'une seule fois, caché par leurs congénères les Coatis. Ils étaient comme Laura, disaient-ils alors. Valentine avait ri à cette remarque, mais n'avait jamais utilisé ce surnom stupide qu'il est, au plus grand bonheur de son amie.

En repensant à cette sortie amicale, Laura se sentit soudainement si triste d'être si loin en pensée avec Valentine. Elles étaient si proches depuis le début ! Certes, lors de leur première rencontre, Laura n'y avait vu qu'une folle débarquant à Paris. Mais elle avait appris à mieux la connaître avec le temps. Et à présent, elle l'avait presque perdu. C'est de sa faute, elle le savait. Valentine avait raison depuis le début. Sans l'amitié, la vie de Laura semblait si monotone et ennuyeuse...

Après s'être préparée, Laura prit son instrument dans sa main, ainsi que son sac à dos contenant une bouteille d'eau et sa partition du jour. En ouvrant la porte, elle se retourna vers sa chambre et regarda son chat Tama se rouler en boule contre le coussin de la jeune future musicienne amateur pour le moment. Cette scène l'attendrit, et elle sourit. Il était si mignon et représentait tout pour elle dans sa vie faite de malheurs.

Elle ouvrit la porte, et la ferma derrière elle. Mais lorsqu'elle fit un pas dans le couloir munit de ses affaires, elle croisa de loin Valentine qui se dirigeait vers la chambre. Son cœur se serra, et elle regarda le sol comme si elle ne l'avait pas vu, désespérément. Valentine, elle, regardait droit devant elle, l'air plus sûre que Laura. Lorsqu'elles se croisèrent, aucune des deux filles n'ouvrirent la bouche. Une fois dépassée, Laura se retint de s'arrêter, le cœur tourmenté.

Ce ne fût pas Laura qui s'arrêta. C'était quelqu'un d'autre. Valentine. Oui, elle-même.

Elle s'était retournée, avait tiré la manche de son amie, et lui avait parlé.

Que quelques mots tout simples, ce qui était largement suffisant pour que Laura saute de joie intérieurement.

Un simple "Bonne chance". Elle n'avait jamais ressenti une telle émotion auparavant. C'était comme si Valentine lui avait fait pousser des ailes dans le dos pour pouvoir sauter jusqu'à Mars en un seul bond.

Elle sourit, et se retourna vers son amie sans pourtant répondre à sa remarque. Celle-ci la regarda un moment avec une expression indéchiffrable, avant de repartir dans sa chambre. Non, leur chambre. Laura se força à ne pas éclater de rire. D'ailleurs pourquoi de rire ? Elle n'en savait rien. Mais elle avait la sensation que Valentine avait simplement un mauvais caractère ou une mauvaise mine ces temps-ci, ce qui l'amusait énormément. Elle aussi, avait avalé une mauvaise boule de poils jusqu'à il y a quelques minutes. Mais c'était comme si Valentine lui avait fait avaler une grande bouchée d'eau de mer salée, mais étonnement agréable.

La malade continua sa route en chantonnant, la mine presque rieuse. Il faisait si beau aujourd'hui ! Elle allait réussir son concert, c'était gagné d'avance. Son état de stress s'en était envolé. Au revoir à la mauvaise mine de Laura ! Bonjour à la vie, bonjour à la musique !

Balançant avec précaution la caisse de son instrument, elle se dirigeait vers l'endroit prévu pour ce petit concert en sautillant intérieurement.

Lorsqu'elle arriva devant la salle, elle s'arrêta soudainement. Elle n'était pas prête ! Laura ferma les yeux et inspira profondément, avant de finir par ouvrir la porte menant au destin.

La salle n'était pas si grande que cela, mais pour Laura, il y avait là tout pour lui mettre la pression. Elle vaut beau se dire que ce n'était qu'une audition, elle n'arrivait pas à se calmer. Elle vit de loin un piano à queue caché derrière un rideau de la scène. Les élèves attendant leur tour pour la répétition bavardaient entre eux, assis sur les sièges du public, tandis que la professeure et quelques parents de ces élèves parlaient en montrant du bout du doigt la scène.

— Je pense qu'il est mieux de mettre les pupitres ici, pour le duo, proposait la prof de violon en posant les deux pupitres au centre de la scène.

Laura frissonna. Elle n'avait pas pensé au par cœur. Elle allait s'arrêter ou se tromper au plein milieu du morceau, c'était sûr.

La professeure termina son rassemblement, et se dirigea vers ses élèves. Laura elle aussi finit par se tenir près des autres élèves. Ils étaient neuf en tout.

— Bonjour tout le monde ! Vous avez bien dormi ? demanda-t-elle en balayant ses élèves du regard.

— Oui ! répondirent-ils tous sauf Laura qui resta muette.

— Madame, Julien n'est pas encore là, constata une fille assise à côté de Laura.

— Oui, il m'a prévenu, il est en retard je crois. Vous avez tous eu le programme de l'audition ? les questionna-t-elle en leur montrant un tas de feuilles pliés posé sur une table.

Laura fit non de la tête, et alla en chercher une pour elle. Lorsqu'elle revint à sa place pour consulter le programme, elle vit la fille de tout à l'heure en train de s'échauffer sur son violon, en muet. Devait-elle faire de même elle aussi avant le concert ? Dans le doute, elle se contenta de lire en silence l'ordre de passage ainsi que les morceaux. Laura jouait en cinquième. Étonnant, étant la nouvelle de la classe. Elle devait donc écouter sans stresser quatre personnes avant elle, et quatre personnes après elle, le souffle court et le cœur battant sans aucun doute. Elle était en plein milieu du concert.

Le doute lui revint lorsqu'elle écouta d'une oreille attentive les autres répéter leur morceau sur la petite scène. Elle allait donc jouer son morceau deux fois devant tous ces gens plus habitués qu'elle. En voyant sa nouvelle élève ne tenant pas sur place, Mme. Friedhoff sourit tristement en s'approchant d'elle.

— Tout vas bien Laura ? lui demanda-t-elle d'une joie faussement enjouée.

Laura secoua la tête d'un entre-deux. Ni oui, ni non. Oui, car sa journée avait reçu une poussée miraculeuse grâce à son amie, et non, car elle ne pouvait pas jouer devant eux tous. Elle ne se sentait pas capable. Elle en était incapable. Incapable pour tout. Quelle existence misérable d'être capable de rien dans la vie ! Pour soi-même, pour ses amis, pour sa famille, rien.

— Ne t'en fais pas, tout va bien se passer, la rassura Mme. Friedhoff en lui tapotant gentiment le dos. Et puis, tout le monde sait que tu es nouvelle. Personne ne te jugera même si cette scène ne sera pas une fabuleuse réussite.

Son élève acquiesça, et s'étira les membres pour s'échauffer en se levant. Sa professeure la regarda d'une mine triste.

— Tu sais, il n'y aura jamais de miracle dans la vie. Il faut faire face aux problèmes, lui lança-t-elle.

Laura s'arrêta et l'écouta en se retournant, par pure politesse.

— Un échec mène à la réussite, aucun bon musicien n'a pu avoir un chemin sans un seul échec dans sa vie, même les meilleurs.

La jeune fille demeura muette comme une carpe, immobile comme une statue. On appela Mme. Friedhoff, qui se hâta de répondre en s'éloignant de son élève figée sur place. Laura le savait. Au fond d'elle, elle voulait à tout prix mener cette scène à une première réussite depuis son arrivée en ce lieu. Et ce sera cette seule et unique scène qui la poussera vers une ascension divine si soudainement venue, de nulle part. Et elle prouvera aux autres, à tous ceux qui l'écouteront ou qui la défieront.

Elle gagnera. Elle dépassera tous les autres musiciens pratiquant son instrument. Peu importe qu'ils soient expérimentés ou pas, cela ne changera en rien son envie de gagner.

Elle reviendra chez elle en étant au sommet des autres. C'était décidé, plus rien n'empêchera sa montée vers son plus grand rêve. Il n'y a aucune limite devant elle ! 

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