Chapitre 6
— Pourquoi tu n'es pas comme Thomas ? Les grands frères sont des exemples à suivre, mais toi, tu n'en fais qu'à ta tête ! s'écrie ma mère dans l'immense salon à la décoration trop dorée à mon goût.
— Si Thomas est à ce point parfait, pourquoi tu as fait trois autres enfants ? ruminé-je, assis dans un des sofas.
— Eddy et Ellis ne nous causent pas autant de soucis que toi.
— Tu rigoles j'espère ? m'offusqué-je, les bras croisés sur le torse. Ellis fait les couvertures des magazines parce qu'il est incapable de résister aux femmes, mais tu ne le réprimandes jamais ! Alors que moi, rien ne trouve grâce à tes yeux dans ce que je fais.
— Parce qu'il assume ses responsabilités contrairement à toi.
— Tu m'étonnes, il fera un super gouverneur comme papa.
— N'emploie pas ce ton condescendant avec moi, me met-elle en garde.
— Ou sinon quoi ? Tu vas m'inscrire de force en droit à Columbia ? Je te rappelle que tu l'as déjà fait.
— Non, je vais t'interdire l'accès à notre fortune.
— Tout ce que j'ai n'a rien à voir avec ton foutu argent.
— Si ton entreprise marche si bien, c'est uniquement grâce à notre nom !
Furieux, je me lève du canapé et crie un « non » si puissant qu'il me réveille de ce cauchemar. La pénombre de la petite chambre de l'auberge où je séjourne m'empêche de distinguer la pièce. De la main, je tâtonne la table de chevet jusqu'à trouver l'interrupteur de la lampe. Sa vive lumière m'aveugle durant quelques secondes, je me frotte les yeux avant d'observer le calme qui m'entoure.
Je soupire de soulagement, heureux d'être à Meredith, loin de cette famille envahissante. Notre « nom », c'est la seule chose que ma mère a à la bouche, comme s'il était censé nous définir. En plus, il n'est même pas d'elle alors pourquoi s'y est-elle à ce point attachée ? Ce n'est pas son histoire, mais celle de mon père qui lui, s'est toujours montré plus laxiste en ce qui concerne l'avenir de ces quatre fils. Le fait qu'il soit peu présent a sans doute joué un rôle, tandis que ma mère ne quittait jamais la maison. Les rares moments où il était présent, il nous emmenait voir des matchs de baseball des Yankees, faire du ski à Aspen ou passer un week-end à pêcher dans les Hampton. Avec lui, on s'amusait et grâce à cela, il avait tout notre respect. Il suffisait qu'il nous demande quelque chose, et nous nous exécutions avec plaisir. Quand j'y repense aujourd'hui, je me rends compte à quel point il parvenait à nous manipuler et in fine, n'était pas mieux que ma mère.
Je chasse ces vieux souvenirs et décide de me préparer pour la journée qui m'attend. Certes, il est si tôt que le jour n'est même pas encore levé, mais je sais que je ne parviendrai pas à me rendormir. J'ai le sommeil léger, se forcer ne mènerait à rien. De plus, avec une jambe à moitié opérationnelle, le moindre moment du quotidien prend un peu plus de temps. Je vis donc à un rythme moins effréné, contrairement à ce que croit Andra, et cela me convient très bien.
— Bonjour Theodore, me salue Cade tandis que je descends le grand escalier de l'auberge après m'être préparé. Tu vas bien ?
Sa question fait écho à la soirée dernière où tous ses clients, ainsi que lui, ont assisté à ma petite crise de nerfs. Je devais ressembler à un fou furieux s'en prenant à sa charmante voisine de table.
— Je suis désolé pour hier, la fatigue de la route combinée avec des problèmes personnels, ça ne fait pas bon ménage.
— C'est surtout à Andra que tu devrais présenter tes excuses, dit-il en posant ses cartons sur le comptoir de la réception.
— Je l'ai immédiatement fait. Je ne voulais pas qu'elle pense être la raison de ma soudaine mauvaise humeur.
— Oui, ce serait dommage que tu gâches tout.
— Comment ça ? demandé-je, les sourcils froncés.
— Et bien vous vous entendez à merveille tous les deux. Et quand tu n'es pas là, elle n'a que toi à la bouche. Theodore par-ci, Theodore par-là, ça en serait presque jalousant, plaisante-t-il.
— Je ne savais pas que je lui manquais à ce point le reste de l'année.
— Andra ne te l'avouera jamais parce qu'elle n'ose pas dire les choses. Ni même les faire, reprend-il en levant les yeux au ciel.
L'envie de lui demander pourquoi me chatouille les lèvres, mais ce n'est pas à lui que je dois poser la question. Si je veux en savoir davantage sur Andra, c'est à elle, et uniquement à elle, auprès de laquelle il faut que je m'informe. Je souhaite donc une bonne journée à Cade qui poursuit ses livraisons de repas maison pour les différents établissements de la ville. Quand on vit dans un endroit comme celui-ci, charmant, mais au milieu de nulle part, il faut savoir diversifier son activité.
Il m'est déjà venu à l'idée d'acheter une ferme dans le coin où je pourrais y faire pousser mes fruits et légumes. Perché sur l'un des toits qui me sert de potager, souvent je m'imagine troquer les buildings pour les arbres, le chant des klaxons pour celui des oiseaux, l'odeur de hot-dog pour le parfum des fleurs. Quand je suis à New York, moi aussi je pense à Andra et cet environnement incroyable dans lequel elle vit. Même à plusieurs centaines de kilomètres, il y a toujours quelque chose qui me ramène à elle. J'aimerais qu'elle vienne au moins une fois avec moi dans la grosse pomme afin que je puisse lui montrer le MOMA, je suis certain qu'elle l'adorerait.
Une fois mon parapluie ouvert pour affronter le temps maussade du jour, je quitte l'auberge et prends la direction du parc où se tient la fête des couleurs. Heureusement que les allées sont pavées car les hectares de gazon sont gorgés d'eau. Des flaques se sont formées un peu partout, rendant le terrain boueux et peu accueillant. La nature a décidé de se montrer hostile, elle tente de nous rejeter en allant jusqu'à faire gronder le tonner au loin, mais il en faut plus pour gâcher les festivités. Avec les années, chacun a eu le temps de s'adapter à elle. Pour ma part, j'ai pu obtenir l'accès à la grande grange qui trône au centre du parc. C'est avec plaisir que je retrouve son toit en taule rouge sous lequel mes légumes sont bien au sec.
Au milieu de mes légumes divers et variés, un manteau rouge se démarque. Assise sur la plus grosse de mes citrouilles, Andra discute avec Roger, l'organisateur de la Fête des couleurs. Avec sa combinaison de pêche qu'il ne quitte jamais et ses bottes en caoutchouc qui couinent à chacun de ses pas, c'est un illustre personnage de la ville qui ne passe pas inaperçu.
— Ah, Theodore ! me salut Roger en tenant une de mes courges en main. Tes produits sont vraiment fantastiques cette année. Qui aurait cru qu'une ville comme New York pouvait produire quelque chose d'une telle qualité ?
— La nature peut faire des miracles si on l'aide un peu.
— Je t'avoue que j'ai douté de toi au début. T'accepter dans ce festival renommé pour ses produits du terroir était un grand risque. Mais tu as su tenir tes promesses.
— Je suis un homme de parole.
— Comme l'était ton arrière-arrière-grand-père, me notifie-t-il d'une tape sur l'épaule.
Un sourire gêné se dessine sur mes lèvres tandis qu'il nous salue d'un geste de la main. Du coin de l'œil, le regard interrogateur d'Andra s'abat sur moi. Je sais qu'un jour elle découvrira bien de quelle famille je suis issu, mais pour l'heure je préfère qu'elle l'ignore. Je ne veux pas que cela vienne interférer dans notre relation qui m'est si chère. J'ai peur qu'en connaissant tout de moi, elle s'enfuit pour toujours. La simple idée de ne plus pouvoir admirer le vert somptueux de ses iris me serre le cœur. En ces quelques années, elle a su devenir irremplaçable dans la vie de l'homme que je suis. Il n'y a qu'à voir le degré d'excitation dans lequel je suis quand sa lettre vient d'arriver, j'ai l'air d'un enfant devant le jouet qu'il attendait depuis des jours.
— Prête pour une nouvelle journée de vente ? l'interrogé-je en espérant qu'elle ne s'attarde pas sur les mots de Roger.
— C'est plutôt à moi de te demander ça, on dirait que tu as passé une mauvaise nuit.
— C'est une façon très polie de dire que j'ai une sale tête.
— Mais non, se reprend-elle, gênée. Tu as une mine fatiguée dès le matin alors je m'inquiète. Surtout après ton comportement d'hier soir au restaurant.
— Je vais passer la journée en ta compagnie, comment tu veux que je me sente mal ?
Mon compliment fait mouche, Andra ne sait plus quoi me répondre. Ses joues virent légèrement au rouge, la rendant encore plus divine qu'elle ne l'est déjà. Si sa gêne face aux éloges ne m'agaçait pas, je crois que je l'aurais embrassé depuis longtemps.
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Heureusement que Cade est là pour éclairer un peu notre Theodore sur Andra. Mais il ne peut pas tout faire, il va falloir qu'elle parvienne à s'ouvrir et vous verrez que ce n'est pas si simple.
Je ne sais pas vous, mais moi je suis totalement fan du style vestimentaire de Theodore.
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