Chapitre 26

J'ai la gorge sèche, comme si toutes mes glandes salivaires avaient décidé de faire grève. Mes paupières papillonnent, et découvrent une chambre d'hôpital vide. Merde, pourquoi je me retrouve à nouveau dans cet environnement que je déteste ? Instantanément, je me redresse, mais je suis arrêté par une quinte de toux qui irrite encore un peu plus ma trachée. Je cherche de l'eau en balayant la pièce du regard. Lorsque mes yeux se tournent vers la porte, une personne entre. Il ne manquait plus qu'elle pour que le tableau noir se répète.

— Tu es réveillé ? m'interroge ma mère en refermant la porte juste derrière elle.

Je lève les yeux au ciel et tourne ma tête dans la direction opposée. Ça ne vaut même pas le coup de répondre à sa stupide question. Elle voit bien que je ne suis pas endormi. Elle aurait pu me dire « bonjour », « comment vas-tu », « je suis contente de voir que tu vas bien », mais ça ne collerait pas à son personnage. Être poli ou s'inquiéter pour est au-dessus ses forces. Elle ne peut pas être douce avec le seul de ses fils qu'elle n'arrive pas à tenir en laisse.

— Tu devrais boire un peu.

— Non.

— Ne sois pas ridicule, Theodore, et prends une gorgée, insiste-t-elle en me faisant face, son verre à la main.

— Garde ton poison.

— Ta grande maturité m'a toujours étonné, dit-elle avec sarcasme, avant de déposer la boisson sur ma table de chevet. Me contredire et refuser tout ce que je te propose est ton sport préféré. Tu aurais pu mettre cette énergie dans quelque chose de florissant.

Bon sang, le bruit des bracelets en or, qu'elle porte autour du poignet, est en train de me rendre dingue. Il vient perturber le calme de la chambre, comme si New York arrivait en fanfare dans Meredith. Pourquoi est-elle dans ce « trou à rat », comme elle aime tant la nommer ? Que fait-elle loin de son environnement doré ? Ce n'est pas comme si ma santé la préoccupait. Me voir disparaître lui retirerait une belle épine du pied. Elle pourrait ainsi m'utiliser pour s'attirer l'attention de l'élite new-yorkaise en prétextant le deuil de son fils chéri. Rien que d'y penser, j'en ai la nausée.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Prendre de tes nouvelles.

Un rire incontrôlable me fait de nouveau tousser. J'aurais bien besoin d'un peu d'eau, mais refuser de prendre son verre. Je ne me rabaisserai pas à ça.

— Tu es exaspérant, Theodore, soupire-t-elle en s'asseyant sur le fauteuil à ma droite. Comment ai-je pu engendrer un enfant aussi buté.

— Je tiens ça de toi. Et ça ne m'enchante pas.

— Au moins, on est d'accord sur ce dernier point.

Je serre la mâchoire pour contenir mes pensées. Je ne veux pas qu'elles deviennent des mots, ce serait une perte de temps face à une femme aussi détachée que peut l'être ma mère. À la voir ainsi, les jambes croisées avec nonchalance, le regard hautin et la commissure des lèvres naturellement tirée vers le bas, il est difficile de croire qu'elle est capable d'être aimante avec mes frères.

— Demain, on te transfère au NYU Langone Medical Center.

— Hors de question.

— Ce n'est pas toi qui décides.

— Ça fait bien longtemps que tu as perdu le pouvoir de me dicter ma vie.

— Il s'agit de ta santé, Theodore. Arrête un peu tes enfantillages.

— Je n'y peux rien, je n'ai pas l'habitude que tu joues les mères poules.

Mes plaisanteries l'ont toujours agacée. Ma mère n'a aucun humour, et encore moins de second degré. Elle prend tout au pied de la lettre, ce qui la fait démarrer sur les chapeaux de roue à la moindre de mes remarques. Je suis un peu comme le bouton rouge sur lequel on appuie pour déclencher une bombe.

— Continue tes sarcasmes si ça te chante, demain, tu rentres avec moi.

— Non, je n'irai pas à New York avec toi.

— La discussion est close.

— Il faut deux personnes pour établir une discussion, donc deux consentements, et tu n'as pas le mien. Tu ne l'auras jamais.

— Tu es bien trop irresponsable quand il s'agit de ta santé, tu n'as donc aucun mot à dire.

— Au contraire, il est temps que tu comprennes que la seule personne apte à me donner des ordres, c'est moi-même.

— Et tu penses que cela t'a réussi ? En quoi jouer mon pire ennemi t'a-t-il rendu service ? Car finalement, tout tourne autour de ça. Ton existence s'est forgée autour de la haine que tu me portes.

Cette femme est tellement imbue de sa personne, qu'elle croit sincèrement que tout tourne autour d'elle. Blabla.

— Si j'ai décidé de travailler la terre, c'est parce que j'aimais ça. Si j'ai décidé de monter mon entreprise à New York, c'est parce que j'aime cette ville. Si j'ai décidé de ne pas me limiter à cause de ma boiterie, c'est parce que j'aime les défis. Si j'ai décidé d'être exécrable avec toi, c'est parce que je ne t'aime pas.

Ma dernière phrase la fait sursauter de colère au point qu'elle quitte le fauteuil dans lequel elle était assise. Ses talons claquent pour la énième fois sur le sol et bon sang, ce que je déteste ce bruit ! Elle ne peut pas mettre des baskets ? Ou alors ne pas marcher comme un éléphant ! Elle n'est pas seule ici et elle n'a pas besoin de faire tout ce refus pour qu'on la remarque. Son air exécrable suffit largement.

Furieuse comme toujours contre moi, elle s'approche suffisamment de mon lit pour que je puisse voir les flammes qui assombrissent ses yeux bleus. La méchante reine est de sortie. Elle s'apprête à frapper.

— Tu n'es qu'un ingrat.

Son ton est aussi glacial que son regard. Il en mettrait plus d'un à terre, mais pas moi. Cette horrible sorcière ne me fait plus peur depuis longtemps.

— Va-t-en.

— Je suis ta mère, et crois-moi, ça ne me plaît pas non plus. Mais j'ai des obligations envers-toi, notamment t'emmener dans un centre hospitalier digne de ce nom, et pas cet hôpital de campagne.

— Tout ce chichi pour simplement te faire bien voir auprès de tes amis. C'est pathétique.

— Entretenir les apparences est un sport qui me demande énormément d'énergie, et d'argent. Mais c'est mon travail en tant qu'épouse d'un gouverneur. Contrairement à toi, je connais mes obligations et les accepte. Je ne salis pas le nom si précieux de ton père.

— Être un Roosevelt est une malédiction, pas une chance.

— Sois reconnaissant pour ce que tu possèdes grâce à nous, Theodore.

Ce que je possède est une histoire familiale calamiteuse, et un héritage qui n'est pas en accord avec mes aspirations. Voilà mon « cadeau ». Et ça, je le vois tous les jours dans le miroir quand je me regarde. J'en ai honte, mais je ne peux malheureusement pas m'en débarrasser. La seule que je puisse faire est de m'en éloigner le plus possible, de fuir, de ne pas y penser. C'est pire qu'une tache de naissance.

— Je te l'ai déjà dit, tout ce que je le dois uniquement à mon travail. Donc si c'est pour faire tourner en boucle le même disque, tu connais la sortie.

— Tes frères auraient honte de t'entendre parler ainsi des tiens.

— Ils savent ce que je pense, et contrairement à toi, ça ne leur pose pas de problème.

— Ils sont trop polis pour te l'avouer.

— Ne parle pas en leur nom, je te l'interdis.

— Ne me donne pas d'ordre.

— Tu n'as qu'à sortir si ça ne te convient pas.

— Je vais aller préparer ton transfert.

— Bon courage, parce que je ne bougerai pas d'ici.

— C'est ce qu'on verra, s'énerve-t-elle en claquant la porte.

Ce combat infernal avec ma mère m'a donné mal au crâne. J'ai la tête qui tourne et la bouche pâteuse. À contrecœur, je prends une gorgée dans le verre d'eau qu'elle m'a laissé, et me rallonge plus confortablement. Les yeux clos, j'imagine Andra à mes côtés. Elle est là, sa main dans la mienne. Sa douce voix me décrit le paysage automnal qu'elle admire depuis la fenêtre de la chambre. La pluie se met à tomber, elle tape contre la vitre, et Andra adore ça. Elle s'en réjouie tandis que je fais la grimace. Quand elle voit ma moue boudeuse, elle dépose un doux baiser sur mes lèvres. Son corps se blottit contre moi, et nous restons ainsi durant des heures.

Si seulement mon imagination pouvait rendre cet instant réel. J'ai envie de la voir, de la serrer dans mes bras, de lui dire à quel point sa présence à mes côtés est vitale pour moi. J'ai besoin de respirer le même air qu'elle.

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