Chapitre 22
Il aura fallu pas loin de quatre années et pratiquement une bonne centaine de lettres pour qu'elle ose enfin accepter mes sentiments, et me confesser les siens. Ça a été long et périlleux, un chemin semé d'embûches, mais si c'était à refaire, je prendrais exactement la même route. Quand quelque chose, ou quelqu'un, en vaut la peine, se battre pour l'obtenir est légitime. Et c'est parce que ce n'est pas facile, que la victoire est belle.
Ma main se perd dans sa jolie chevelure brune, tandis que mon cœur se noie avec le sien dans un flot incontrôlable de sentiments. Ce baiser, comme les précédents, revigore tout mon être. Pendu à ses lèvres, au sens propre du terme, je ne me sens plus diminué. L'espace d'un instant, ma jambe n'est plus faible, et elle ne me fait pas souffrir. Je ne suis que Theodore, un new-yorkais qui fait pousser des fruits et des légumes sur les toits de sa ville. Un jeune homme, épris d'une belle jeune femme. Un simple humain avec ses défauts et ses qualités.
Andra a toujours su faire ressortir le meilleur de moi. Elle croit à tort que je suis celui qui l'aide, alors qu'en réalité, c'est elle qui m'épaule. Elle ne se rend pas compte à quel point elle est précieuse, et je compte bien changer ça. Ma main quitte ses cheveux, et glisse le long de sa colonne vertébrale. Je prends le temps d'apprécier chaque parcelle de son corps. D'abord, la douceur de la peau de son cou, puis le relief de son soutien-gorge sous son t-shirt. N'ayant aucun refus, je m'y attarde avant de gagner sa taille, et de m'aventurer sous le bas de son vêtement. Ma paume froide rencontre la chaleur de son ventre. Cette différence de température la fait sursauter.
— Désolé, chuchoté-je contre ses lèvres.
Elle grimace, mais ne me demande pas d'enlever ma main. Je la laisse donc se réchauffer, avant de poursuivre mon exploration de ses courbes parfaites. À force de remonter, elle finit par rencontrer le fameux tissu de son sous-vêtement. Je peux sentir qu'il est en dentelle, ce qui me donne davantage envie de le voir de mes propres yeux.
— Attends, m'arrête-t-elle soudain en attrapant mon poignet sous son t-shirt. C'est...
— Un peu trop, complété-je pour elle.
— Je, enfin non, tu me plais, mais je...
— J'ai compris, finis-je à nouveau pour elle tout en lui souriant.
— Aucun garçon ne m'a jamais touché. Je ne sais pas quoi faire ou comment me comporter. D'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je te dis ça. Bon sang, c'est gênant.
Elle enfouit son visage dans le creux de mon cou, les pommettes d'un rouge pivoine qui me fait craquer. Elle n'est pas mignonne comme un petit chaton sans défense, elle est belle comme une femme qui ne sait juste pas comment s'y prendre. Elle est maladroite, mais c'est ce qui fait partie de son charme.
— Les seules femmes qui m'ont touché sont des femmes que j'ai payées.
— Quoi ?
Mon aveu la fait sortir de son trou de souris. Elle me regarde d'un air désabusé, et attend certainement que je lui dise que ce n'est qu'une blague. Seulement, je suis parfaitement sérieux.
— Tu as bien entendu.
— Mais, marmonne-t-elle en cherchant ses mots. Comment c'est possible ? Enfin, je veux dire, pourquoi ?
— Je n'étais qu'un ado quand j'ai eu mon AVC. Avant, je ne me préoccupais pas des filles, et après, c'était trop tard.
— Je ne comprends pas.
— Qu'elles soient lycéennes ou étudiantes, elles m'ont bien fait comprendre qu'un mec handicapé, ça ne les intéressait pas.
— Cette excuse est vraiment ridicule.
Sa soudaine franchise me fait rire. Il y a quelques jours encore, peut-être même quelques heures, elle ne se serait pas permis une telle remarque. J'aime la voir évoluer, d'autant plus en sachant que j'ai contribué à faire éclore le papillon qui sommeille en elle.
— Ayant fait chou blanc avec les relations classiques, et curieux de savoir ce que ça faisait d'être touché par une femme, je me suis tourné vers des moyens moins conventionnels.
— Et tu as trouvé ce que tu voulais ?
— Sachant que je l'ai fait plus d'une fois, je suis obligé de te répondre oui. Mais ça n'avait rien de sentimental, c'était simplement pour me sentir moins différent. Enfin, j'imagine.
Une pointe de déception ternit son visage, ce qui me fait automatiquement regretté cet aveu. Ce n'était peut-être pas le bon moment, ou bien un point de ma vie à laisser dans mon jardin secret. Il y a tellement de choses qu'elle ignore sur moi et dont j'ai envie de lui faire part. Je risque de ne plus être ce Theodore parfait qu'elle imagine, mais ce sont les faiblesses qui rapprochent le plus deux êtres, et je veux lui montrer les miennes. Je dois cesser de la couver si je veux qu'elle devienne ce somptueux papillon qui vole de ses propres ailes. J'ai compris que lui cacher les malheurs de ma vie n'était pas la bonne solution. Andra n'a pas besoin d'être protégé pour briller. Je m'éclaircis la gorge avant de reprendre.
— Je ne sais pas ce que ça fait de découvrir la nudité d'une femme pour laquelle on a des sentiments. Dans un sens, nous sommes donc tous les deux au même point.
— Alors qu'est-ce qui se passe maintenant ?
— Faisons ça ensemble.
Je la sens hésiter, son regard se détourne pour balayer la pièce. Se dévoiler n'est pas simple, et je sais de quoi je parle. La première fois que j'ai été confronté à cette situation, mon corps était d'une minceur à faire pâlir de jalousie les mannequins. Il m'a fallu plusieurs années d'entraînements intensifs pour regagner une certaine musculature, et avoir une silhouette qui me convienne. Mais malgré ces efforts, ma boiterie persistante me contraint à garder une jambe plus fine que l'autre. Habillé, ça ne se voit pas vraiment. La différence est visible uniquement lorsque ma peau est dévoilée.
Dire que cette particularité ne me gêne pas serait un mensonge. Avec le temps, j'ai juste appris à l'accepter. Et Andra devrait faire pareille. Son corps n'est peut-être pas à son goût, ça ne veut pas dire que c'est également le cas pour les autres. Moi, je suis sûr que je l'aime. L'inverse m'est impensable.
— On va avoir besoin de peinture.
— Pourquoi ? s'étonne-t-elle en plantant ses prunelles vertes dans les miennes.
— Tu vas m'apprendre à peindre, et moi je vais t'apprendre à te dévoiler.
Elle fronce les sourcils, d'un air perdu. Je tente un sourire un peu maladroit, mais qui finit par la convaincre de me faire confiance. Elle se part chercher un pot de pinceaux et quelques tubes de peinture. Évidemment, elle revient avec du rouge, de l'orange et du jaune, ses couleurs favorites. Ce sera parfait pour mon idée un peu folle.
Pour lui montrer la route à suivre, je suis le premier à dévoiler ma peau. Je me débarrasse de cette fichue chemise blanche du costume de vampire, lui donnant un accès direct à mon torse. Ses yeux s'agrandissent, elle se pince les lèvres tout en reculant un peu plus loin sur le canapé. Par chance, il n'est pas très grand. Je peux aisément voir l'effet que je lui fais, et saisir sa main pour qu'elle revienne se coller contre moi.
— Tu as le champ libre pour dessiner ce que tu veux.
— Sur toi ?
— Oui, tu me fais un tuto et ensuite on inverse les rôles. Ça rendra ce moment moins gênant pour toi.
— Peindre sur tes abdos, c'est gênant, Theodore, rit-elle timidement. Mais je veux bien essayer ta méthode.
— Génial, surprends-moi alors.
Elle se saisit d'un pinceau, et place un peu de couleur rouge sur le dos de sa main. Les poils usés de son ustensile chatouillent ma peau. Ce n'est pas la plus agréable des sensations. J'ai l'impression d'être pris dans un guet-apens de chatouilles. Je me retiens de ne pas rire, et me focalise sur le visage concentré d'Andra. Elle s'applique à dessiner une feuille d'érable juste au-dessus de mon ombilic.
— Je n'avais encore jamais peint sur quelqu'un.
— Et maintenant, pour la première fois on va aussi peindre sur toi, dis-je en m'emparant de son pinceau une fois son œuvre achevée. Je vais m'appliquer, c'est promis.
Ses lèvres s'étirent dans une petite moue adorable. Elle n'est pas du tout convaincue par mon discours, et je la comprends. Je n'ai aucune âme artistique. Je vois déjà le gros pâté que je vais lui faire sur son ventre, c'est ridicule.
Jouant le jeu, elle enlève enfin son t-shirt, et je découvre que la dentelle de son soutien-gorge est d'un jaune pastel. Il se marie à la perfection avec le vert de ses yeux. Elle est à couper le souffle, comme je m'y attendais. L'envie de l'embrasser me tiraille les entrailles, il me faut une retenue folle pour ne pas perdre de vue l'objectif de ce moment. Theodore, tu ne dois pas lui sauter dessus.
J'expire profondément, et entame mon chef-d'œuvre. J'ignore ce que je suis en train de faire, mais ça ne ressemble en rien à une feuille d'érable. On dirait plutôt le centre d'une cible. Une idée me vient alors en tête. Je termine mon rond, en trace un cercle tout autour. En quelques minutes, Andra se retrouve avec le logo de la chaîne de magasins Target. C'est tout l'art que je peux lui offrir.
— Tu comptes me tirer dessus ?
— Tu es ma cible, et je compte bien l'atteindre, plaisanté-je d'un ton charmeur.
Son rire me satisfait. Il est la preuve qu'elle ne se soucie même plus d'être en soutien-gorge sous mes yeux alors que je la dévore du regard. Mon idée a fonctionné, pour mon plus grand plaisir.
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