Chapitre 16


D'un pas boitant, aussi rapide qu'il m'en est permis, j'essaie de rattraper la jolie brune. Cette petite course poursuite est vite arrêtée par une douleur lancinante dans ma jambe défaillante. À bout de souffle, je suis contraint d'abandonner, chose dont je n'ai pas l'habitude.

— Andra, répété-je désespérément alors que sa silhouette s'évapore déjà dans la foule.

Il fallait bien que ce jour arrive. Je ne pouvais pas garder mon self-control indéfiniment. Après tout, je suis un fonceur qui n'a pas peur de dire ce qu'il pense. Andra m'attire depuis que j'ai posé mon tout premier regard sur elle. Penchée au-dessus de mes citrouilles, elle était sublime dans son long manteau rouge. Elle dégageait un charisme envoûtant, le même que les mannequins des défilés de mode que ma mère me forçait à aller voir. Sauf qu'elle, elle était d'une beauté renversante. Son côté timide venant mettre la cerise sur ce délicieux gâteau.

Mais aujourd'hui, ma spontanéité a tout gâché. J'ai chassé le naturel et il est revenu au galop. Andra a besoin de douceur, de délicatesse, et moi, j'arrive avec mes gros sabots pour lui présenter sur un plateau d'argent mes sentiments. C'est normal qu'elle s'enfuie. Si les rôles avaient été inversés, je crois que j'aurais réagi de la même façon. Elle a eu peur, la fuite est donc la réaction naturelle de survie du corps humain.

Prétendre que je ne suis pas blessé serait mentir. La détresse dans son regard, juste avant qu'elle ne fasse volte-face et qu'elle prenne ses jambes à son cou, m'a fendu le cœur. En être la cause m'a touché au point que j'ai senti toute mon énergie me quitter. Ma jambe droite à flancher si soudainement que j'ai bien failli tomber. J'ai eu beau crier son prénom, elle ne s'est pas retournée. J'aurais aimé être capable de la poursuivre, de lui attraper le poignet et de lui dire que j'étais désolé. Mais physiquement, je ne pouvais pas. Elle était bien trop rapide, je n'avais aucune chance.

— Et le gagnant est le duo Theodore-Andra !

Entendre nos prénoms, comme s'ils étaient liés, me sort de mes pensées. Je réalise que c'est notre citrouille qui a remporté le premier prix du concours, je devrais donc être heureux. Moi qui suis un adepte de la compétition, gagner est toujours jouissif. Mais pas cette fois. Sans Andra, la médaille a beaucoup moins de valeur. Elle a juste un goût amer qui me brûle la gorge.

— Ne soyez pas timide, venez, me force Danny, l'animateur.

— Non, réponds-je d'une voix à peine audible.

— Voyons, jeune homme, c'est votre instant de gloire. Allez !

Je me laisse entraîner, n'ayant plus de force pour résister à quoi que ce soit. La foule m'applaudit tandis que Danny débite des paroles que je ne prends pas la peine d'écouter. C'est comme si une bulle s'était formée autour de moi, me coupant du monde extérieur. Je vois tout, mais n'entends rien.

Après avoir reçu la médaille, on m'invite à redescendre de la scène. Mon premier réflexe a alors été de regagner mon stand. Pour je ne sais quelle raison, je me suis dit qu'Andra y avait peut-être trouvé refuge. Ce n'est qu'en le voyant vide que j'ai réalisé à quel point c'était une idée stupide. Elle n'a plus envie de me voir, elle a donc dû rentrer chez elle. Est-elle en train de peindre dans son atelier ? C'est à notre première rencontre, ici même, qu'elle m'a confié que son refuge était la peinture. Elle m'avait aussi demandé si elle pouvait immortaliser ma récolte sur une toile, j'ai bien évidemment accepté. Cela me donnait une bonne raison pour la revoir. Seulement, je n'ai jamais vu l'œuvre en question. Elle a toujours refusé de me montrer ses tableaux.

— Félicitations, me lance Cade en m'attrapant par les épaules.

— De quoi tu parles ?

— De ta victoire au concours des citrouilles.

— Ah, ça, soufflé-je en rangeant la médaille dans ma poche. Merci.

— Tu n'es pas content d'avoir gagné ?

— Pas vraiment, dis-je d'un ton mollasson.

— Ne le dis surtout pas au maire.

— Pourquoi ?

— On ne plaisante pas avec la Fête des couleurs, ici. Et si tu continues à tirer la tête alors que tu as gagné ce prix convoité, tu vas te mettre des gens à dos et ce n'est pas bon pour les affaires.

À l'heure actuelle, perdre des clients ne me fait aucun effet. Si les gens ne sont pas contents, qu'ils aillent voir ailleurs. Ma famille a toujours privilégié le business, quoi qu'il en coûte. Mais moi, je ne suis pas comme ça. Mon affaire peut s'écrouler, je me préoccupe de ceux qui me sont chers avant mes intérêts économiques. Et là, il n'y a que la jolie artiste qui occupe toutes mes pensées. Une affaire ça se remonte aisément, une relation, ça ne se répare pas aussi aisément.

— Ce n'est pas une blague, Theodore. On commence déjà à te regarder.

Je lève les yeux et constate qu'il a raison. Un couple s'échange des messes basses tout en me dévisageant. Ce n'est qu'un stupide concours de citrouilles, il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire. Je comprends que cette fête est importante pour la ville et la région, mais on parle d'une simple médaille obtenue parce que notre création était la plus effrayante. S'ils la veulent, je leur donne sur le champ. Moi, elle ne m'a pas apporté la joie escomptée.

— J'ai l'habitude, lâché-je en ne prêtant plus attention à ces gens.

— Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu sois dans cet état ?

— J'ai dit à Andra qu'un rendez-vous amoureux avec elle, ça me plairait, avoué-je de but en blanc.

— Je vois, soupire-t-il en passant sa main sur son visage. Tu as joué franc jeu.

Cade la connaît bien, peut-être même mieux que moi, je n'ai donc pas besoin de lui expliquer la réaction qu'elle a eue. Il sait déjà qu'Andra s'est enfuie en courant sans se retourner. C'est avec une voix pleine de compassion qu'il reprend la parole.

— Andra a du mal avec le changement, sa période d'adaptabilité est plus longue que la normale.

— Ça, j'avais remarqué, ris-je nerveusement.

— C'est une fille qui a besoin de douceur.

— J'essaie d'être le plus subtil possible, lui assuré-je, un brin agacé d'avoir échoué mon approche. Mais ce n'est pas dans mes habitudes de tourner autour du pot.

— Dans un sens, ce n'est pas plus mal. Tu bouleverses son quotidien, et c'est ce qu'il lui faut aussi. Un homme capable de la sortir de sa zone de confort.

— Vu comment elle s'est enfuie, je me demande si je suis vraiment bon pour elle.

— Rattrape là, propose Cade en haussant les épaules.

— Comme tu peux t'en douter, je ne suis pas un très bon coureur.

— Qui a parlé de courir ? Tu es plein de ressources, il faut juste que tu réfléchisses.

Quand il s'agit d'Andra, avoir des pensées logiques est un véritable défi. Retenir de l'embrasser me demande déjà un effort si important, que mon cerveau ne peut se focaliser sur une autre tâche. La seule chose dont je suis capable est l'humour. Pour ça, je n'ai pas besoin de réfléchir, la taquiner est presque inné. Mais si elle ne veut plus m'adresser la parole, mes plaisanteries ne serviront à rien. Je suis démuni face à la situation qui m'échappe complètement.

— Je ne sais même pas par où commencer.

— Par ce qu'elle apprécie, peut-être.

— Je n'y connais rien en peinture.

— Andra aime un tas d'autres choses, tu sais.

— Je ne vois pas non plus comment la cannelle va me sortir de ce pétrin.

— C'est drôle ta façon de ne voir que des obstacles. Ce n'est pas le Theodore que je connais. Où est passé ton optimisme ?

Un vague haussement d'épaules répond à ma place. Sa fuite me reste en travers de la gorge jusqu'à m'en faire perdre mon assurance. Je ne suis plus sûr de rien, notamment mes capacités à la séduire. Tout ce que j'ai réussi à faire pour le moment est de la terrifier avec mes sentiments. Au lieu de nous rendre plus proches, je nous ai éloigné. Quelle ironie du sort.

— Si ça peut t'aider, Andra adore aussi les histoires de vampires, déclare-t-il avant de me saluer pour regagner son restaurant.

Je fronce les sourcils, ne sachant pas quoi faire de cette information. En quoi ces créatures aux dents longues vont-elles m'aider à retrouver une place dans le cœur de cette fille extraordinaire ? À moins qu'il y ait un message caché ? Bon sang, Cade, tu dois revenir ! Pour une fois, je ne me sens pas capable d'affronter ce problème tout seul.

 

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