7. Chez le Gouverneur
Après avoir informé Mutis de la situation, Kaba me demanda de m'apprêter à sortir. Nous n'avions que cinq minutes pour nous rendre au gouvernorat régional. À cet instant, j'eus la sensation que, quel que soit le dénouement de cette situation, ma visite à Bakunga avait causée plus de mal que de bien à la famille de mon oncle. Faire profil bas s'imposait désormais.
Nous étions en route pour le gouvernorat. Mutis, assis à l'avant du véhicule, était au téléphone. Kaba et moi étions à l'arrière. Par messagerie électronique, je décrivis à mon père la situation délicate dans laquelle je me trouvais.
- Essaie surtout de garder ton calme. Utilise les notes que tu as prises à Babowa pour convaincre le gouverneur du but de ta visite là-bas. Qu'en pense ton oncle ? me demanda-t-il.
- Nous n'en avons pas encore discuté, mais il est évidemment très préoccupé.
- Tout ira bien, ma fille. Tant que vous êtes irréprochables, vous ne risquez rien. Faut-il arranger ton retour pour demain ?
- La ville est paralysée par des mouvements de révolte de policiers et de militaires. L'aéroport est probablement interdit d'accès. Tout ceci tombe tellement mal.
- Nous trouverons un moyen. Laisse-moi d'abord en parler avec Mutis.
- Il est encore au téléphone et nous venons d'arriver au gouvernorat. Je te relaterai la suite dès que possible.
- D'accord. Reste très prudente. Je suis certain que tout ira bien.
Un dispositif sécuritaire impressionnant était déployé à l'intérieur et autour de l'immeuble du gouvernorat de la région. Nous devions passer par une fouille obligatoire et laisser à l'extérieur tout appareil électronique que nous portions sur nous. Une fois à l'intérieur, des agents du protocole invitèrent Mutis à rejoindre le bureau du gouverneur, et nous convièrent, Kaba et moi, à prendre place dans une salle de réunion.
Mon oncle patientait dans le salon d'attente du gouverneur, où se trouvait également un autre homme qu'il ne tarda pas à identifier. Il s'agissait du chef Kalao de Babowa. L'homme le salua avec déférence, mais Mutis l'interrompit furieusement.
- C'est à cause de tes mensonges que je suis convoqué ici ! cria-t-il.
- Pardonne-moi, mon seigneur, pour tout tort que je t'aurais causé, lui rétorqua-t-il, employant ce titre donné aux notables de la région, afin d'apaiser mon oncle. Ton serviteur est lui-même désemparé et profondément affligé. Je tiens à peine debout.
- Pourquoi as-tu demandé à la police d'arrêter mes enfants ? Tu savais pourtant qu'ils n'étaient que de simples étudiants, continua mon oncle sur le même ton.
- Mon seigneur, je jure sur la tête de mes enfants que ce n'est pas moi qui ai alerté la police. Je ne sais pas pourquoi tout cela s'est produit, dit-il, visiblement affligé.
- Arrête d'insulter mon intelligence ! s'énerva mon oncle.
- Crois-moi, mon seigneur, je t'en prie. Tes enfants avaient été aimables envers ma personne, je n'avais donc aucune raison de leur causer le moindre tort. C'est uniquement pour leur sécurité que je leur avais demandé d'éviter à tout prix de parler de la pierre de Babowa.
Mutis avait l'impression que le chef lui disait la vérité. Cependant, il ne comprenait toujours pas pourquoi des policiers en simple patrouille ne s'étaient pas contentés de vérifier l'identité de ses enfants. Confisquer en plus leurs effets personnels était totalement excessif.
- Que faisait l'ordinateur de ma nièce dans ta maison ? lui demanda mon oncle, une fois calmé.
- Les policiers m'avaient demandé de le garder pour eux. Ils comptaient passer le récupérer après quelques jours, lui répondit-il, penaud.
- Ce qui te rend complice d'un vol ! l'accusa-t-il. Tu en étais parfaitement conscient.
- Ces policiers... Tu sais comment ils sont... Mais c'est vrai, je n'ai aucune excuse.
- Et comme si ça ne suffisait pas, tu as déclaré au gouverneur que les militaires qui accompagnaient mon fils étaient des rebelles. Des rebelles pourraient-ils t'arrêter, puis te ramener au poste de police, ici à Bakunga, sachant que tu pourrais les identifier et les dénoncer ? s'emporta Mutis.
- Je faisais de mon mieux pour être relâché, mon seigneur. Aide-moi, je t'en prie. Il y a des choses qui sont au-dessus de mes forces.
- Pourquoi as-tu menti à ce sujet ? demanda-t-il de nouveau.
- J'ai expliqué à ceux qui m'interrogeaient au commissariat que tout mon village avait pris peur à l'arrivée de ces militaires, parce que leurs tenues étaient différentes de celles que nous connaissons à Babowa. Nous pensions tous que c'étaient des rebelles.
- Ne portaient-ils pas la même tenue que tous les militaires de l'armée régulière que tu vois ici à Bakunga ?
- Oui, mon seigneur, mais je ne viens presque jamais ici. Je ne pouvais pas me souvenir de l'apparence des soldats de Bakunga. Dans mon village, nous n'avons en tête que les tenues vert-gris que portent les militaires de Babowa.
- Ça suffit, dit-il, pour mettre fin à la conversation. Ne dis plus rien. Nous en reparlerons plus tard.
En effet, c'était bien assez d'informations pour Mutis, qui commençait à réaliser que toute cette histoire n'était, en fin de compte, qu'un énorme malentendu. La tenue militaire vert-gris était celle des Services secrets de l'armée nationale. C'était l'une des unités militaires les mieux entraînées et les plus discrètes du pays. Il savait bien pourquoi des éléments de cette unité étaient postés à Babowa, pourtant considérée comme une zone sans intérêt.
C'est alors qu'une jeune femme sortit du bureau du gouverneur et l'invita à y entrer. À l'intérieur se trouvaient Jean-Jacques Mangbau, un général de l'armée nationale venu de la capitale, Sam Buchoul, un sujet suisse, ainsi que le gouverneur de la région. Le gouverneur Martin Kamangudi était, à l'image de la majorité de la classe dirigeante du pays, un homme essentiellement porté vers l'enrichissement personnel et la conquête du pouvoir. Ses valeurs intellectuelles étaient encore plus discutables que ses valeurs morales. Il n'était pas grand de taille, sans être vraiment petit. Il poussait du ventre, sans être gros, et ne portait des lunettes qu'afin d'effacer son air de roublard. La corruption était la seule responsable de son ascension à la tête de la région. Ses partisans le surnommaient « Igwe Marty », qui signifie « Seigneur Marty ».
Le gouverneur invita Mutis à les rejoindre, en s'asseyant sur l'un des fauteuils du salon de son spacieux bureau. Il lui présenta le général Mangbau, comme étant un visiteur de passage, et présenta le conseiller Buchoul, comme étant un consultant auprès du gouvernorat. Mon oncle se doutait bien que les invités du gouverneur joueraient un rôle décisif dans cette affaire. Le gouverneur Kamangudi relata ensuite brièvement les faits qui lui avaient été rapportés par la police, au sujet de la visite de ses enfants à Babowa.
- Monsieur Mutombo, je comprends que Babowa soit le village natal de votre belle-sœur, la mère de votre nièce, commença-t-il. Mais nous savons tous que la nature y a repris ses droits depuis plus d'une dizaine d'années maintenant. Les lieux sont hostiles et infréquentables, parce qu'infestés d'animaux féroces, sans compter la proximité du village avec une zone de conflit. Ce territoire se dépeuple d'ailleurs rapidement, pour toutes ces raisons. Pourquoi avez-vous autorisé vos enfants à y aller ?
- Vos enfants avaient-ils un garde du corps ou un guide avec eux ? lui demanda le général.
- C'est l'ami de mon fils qui faisait office de guide, car il connaît bien la route et le territoire de Babowa, expliqua mon oncle. J'ai autorisé mon fils et sa cousine à se rendre là-bas, sur insistance de cette dernière et de son père qui est mon frère. La jeune fille est une citadine en quête de reconnexion avec ses racines villageoises, qui a volontairement quitté le confort de son quartier universitaire en Tanzanie pour découvrir et étudier ce qu'il reste aujourd'hui du village de sa mère, continua-t-il. De plus, le guide nous avait assuré que les combats entre l'armée et les rebelles étaient à plus de cent kilomètres de là, alors je n'ai trouvé aucune objection à émettre. Il m'avait expliqué que le seul danger était les redoutables serpents de la zone, mais que ce risque serait éliminé en raison du type de véhicule qu'ils utiliseraient.
- Connaissiez-vous suffisamment ce guide pour lui faire confiance ? lui demanda le gouverneur.
- Mon fils le connaît bien et lui fait confiance. Je fais confiance à mon fils, dit-il, sur la défensive. Tout comme mon fils faisait confiance aux hommes du colonel Frank, lorsqu'il l'a sollicité afin qu'ils l'accompagnent récupérer ses effets le jour suivant.
- Je crois que l'hypothèse d'une collusion entre les hommes du colonel Frank et les rebelles est à présent totalement écartée. Il vaudrait mieux arrêter d'exciter la presse avec ces déclarations absolument fallacieuses. Sinon, cela ne fera que détourner l'attention des problèmes réels et offrir aux rebelles de la publicité gratuite, expliqua le conseiller Buchoul.
Cette dernière proposition déplut fortement au gouverneur qui dut cependant l'accepter malgré lui, étant donné que son prétendu consultant était en réalité celui qui dictait la ligne à suivre.
- D'ailleurs, les positions de l'armée nationale les plus proches de ce village sont à environ quatre-vingts kilomètres. Les rebelles sont loin de là, mais cela ne rend pas pour autant la zone propice au tourisme, commenta le général.
- Des villageois ont constaté que vos enfants portaient un intérêt particulier aux mythes du village. Cela faisait-il aussi partie de l'enquête sociologique qu'ils menaient ? questionna le gouverneur, visiblement intéressé par la réponse.
- Non. C'est moi qui avais encouragé ma nièce à demander aux habitants de Babowa de lui raconter tous les vieux mythes de la contrée. J'estimais que cela enrichirait son expérience de la région.
- Je peine à comprendre comment cela enrichirait l'expérience de votre nièce sur la région, renchérit le conseiller, ironiquement.
- Vous devez savoir que je suis né et que j'ai grandi ici, à Bakunga. Sa mère et moi avons fait nos études primaires dans la même école. Nos familles se connaissaient. À l'époque, tout le monde associait les ressortissants de Babowa, comme ses parents, à des descendants d'hommes-léopards. Enfants, nous étions friands des contes et récits mystérieux sur les ancêtres de chaque tribu. Cela faisait partie des spécificités de notre culture, tint à préciser Mutis. Voilà pourquoi je tenais à ce que ma nièce entende ces légendes de la bouche des habitants actuels de Babowa.
- Monsieur le Gouverneur, dit le conseiller, afin de clore le débat, pour notre part, cette affaire est un non-lieu manifeste. La justice évaluera d'abord les peines que doivent encourir les policiers ayant commis des déboires, et ensuite, la légalité d'avoir impliqué des militaires de la garde du colonel Frank à la récupération des bagages détenus par ces policiers.
- Mon Général, avez-vous quelque chose à ajouter ? demanda le gouverneur.
- Non. Je ne suis qu'un visiteur ici, comme vous le savez. J'étais simplement curieux d'entendre la version des faits de Monsieur Mutombo, dit-il.
- Monsieur Mutombo, je crois que ce sera tout pour l'instant. Mon assistante vous guidera vers la sortie, termina le gouverneur.
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