6. Troubles dans la Ville
En début d'après-midi, Kaba me téléphona pour m'apprendre que seul mon ordinateur portable avait disparu de mon sac. Il pensait toujours que je possédais la pierre de Babowa, en dépit de mon refus de l'admettre, aussi me demanda-t-il si j'avais autre chose de précieux dans mon sac, afin de vérifier que l'objet n'ait pas été dérobé. Je lui répondis que tout était à l'intérieur de mon ordinateur et que personne ne pouvait l'ouvrir sans mot de passe. Il sembla convaincu par mes explications et me dit de ne pas m'inquiéter, car il allait le retrouver.
Une heure plus tard, il me rappela pour m'informer que mon ordinateur avait été retrouvé dans la maison du chef Kalao de Bena-Tshitolo.
- Comment est-ce possible ? lui demandai-je.
- Hallucinant, n'est-ce pas ? me répondit-il. Il voulait garder un souvenir de notre passage, visiblement. Il est dans mon coffre maintenant, je le ramène à Bakunga.
- L'ordinateur ou le chef ? demandai-je, inquiète.
- Ton ordinateur est dans ton sac, sur la banquette arrière.
- Kaba, ça fera tout de même six heures de voyage sur mauvaise route, m'exclamai-je.
- Ne te moque pas de l'état de ma suspension arrière, Cousine. Rendez-vous dans quelques heures !
Tout ceci s'avérait être à l'opposé du séjour que je m'étais imaginée. Je réalisai que je n'étais pas plus avancée dans ma quête de la vérité sur l'objet et sur les Shamas, que je ne l'étais avant d'aller à Babowa. Je n'avais vu aucun texte, aucun symbole, aucune évidence de l'existence de Shama. Je n'avais eu droit qu'à des contes et des légendes qui me paraissaient fantaisistes. L'objet était, lui, bien réel et toujours aussi mystérieux, et voilà qu'il était interdit d'en parler ici, dans le seul endroit où je pouvais obtenir des réponses. Mutis remarqua ma déception, mais s'évertua à éviter le sujet, pensant que l'incident avec les gardes m'avait quelque peu traumatisée. Bien entendu, il ignorait tout du réel motif de ma visite. Après le dîner, il me proposa de faire le tour de la ville le lendemain, en compagnie de ses filles. Une invitation que je ne pus décliner.
J'étais déjà couchée lorsque j'entendis revenir Kaba. Épuisée, j'estimai que les retrouvailles avec mon sac à dos pouvaient attendre le lendemain matin, et donc, je me rendormis. À mon réveil, Mbombo, une des filles de Mutis, m'informa des tensions qui régnaient dans la ville ce matin-là, à cause du soulèvement des policiers et des militaires, impayés depuis plusieurs mois. Elle m'expliqua combien il serait difficile d'effectuer la visite de la ville convenue la veille, et que même l'accès à l'aéroport le week-end prochain, pour mon retour vers la capitale, devenait hypothétique.
- Les policiers de la ville n'ont pas l'air d'être si misérables. Difficile d'imaginer qu'ils soient impayés depuis si longtemps, fis-je remarquer.
- Ils ont plusieurs sources de revenus, c'est normal, m'expliqua-t-elle.
- Quelles autres sources de revenus ont-ils, par exemple ? demandai-je.
- Ils sont régulièrement rémunérés pour fermer les yeux devant des violations de la loi. Tu sais comment ça marche, me dit-elle.
- Refuseront-ils de fermer les yeux, s'ils reçoivent enfin un salaire décent et régulier ?
- Difficile à dire. L'homme en veut toujours plus, non ? Il y a pourtant des policiers qui sont toujours bien rémunérés. Font-ils correctement leur travail pour autant ? Certainement pas, m'expliqua-t-elle.
- La mauvaise rémunération a-t-elle précédé le mauvais travail, ou est-ce l'inverse ? Cela permettrait de dire si l'un peut être la cause de l'autre, avançai-je.
- Je n'en sais rien. J'espère seulement que cette grogne passera rapidement. La ville est complètement paralysée, dit-elle, abrégeant la discussion.
Il était normal de penser que les policiers qui protestaient partout dans la ville ce jour-là ne faisaient que réclamer ce qui leur revenait de plein droit. Malheureusement, la réalité était tout autre et ces mêmes policiers ne se sentaient aucunement obligés de remplir leur devoir. Mon constat était que ce problème touchait l'essentiel des corps de métiers du pays, et la règle souffrait de moins en moins d'exceptions, avec les années.
Je n'avais pas vu Kaba ce matin-là. Je demandai alors si quelqu'un l'avait aperçu, et l'on me répondit qu'il était sorti très tôt. Il était environ huit heures du matin quand il revint à la maison et me rendit mon sac.
- Salut, cousine ! Vérifie que tout y est ! me dit-il en me tendant mon sac.
- Il n'y avait pas grand-chose de toute façon... Oui, il me semble bien que tout y soit.
- Liza, tu peux me montrer la pierre, si tu l'as. Tu sais que tu peux me faire confiance. Et puis, elle pourrait être fausse, me dit-il.
- Considère qu'elle est fausse, dans ce cas, lui répondis-je.
- Je veux juste la voir, Liza. Pourquoi ne me fais-tu pas confiance ?
- Parce que toi non plus tu ne me fais pas confiance, quand je te dis que je n'ai pas de pierre de Babowa. J'aurais en revanche, aimé que la sage Odia de Bena-Tshitolo me révèle tout ce qu'elle sait au sujet du mystérieux objet que je lui avais décrit, lui expliquai-je.
- En ce moment, son chef croupit dans un cachot à cause de nous. Elle n'acceptera plus jamais de nous parler, me dit-il.
- Et si on l'approchait différemment ? C'est important pour moi d'en savoir davantage au sujet de l'objet.
- Tu es venue ici dans le but de découvrir l'histoire de cette pierre, c'est ça ? me demanda-t-il, sûr de lui.
- As-tu déjà vu une pierre de Babowa ?
- Non, mais quiconque en voit une, sait que c'en est une, me rétorqua-t-il.
- Pourquoi est-elle un sujet tabou ici ?
- C'est pour des raisons politiques... Ne cherche pas à en savoir plus, crois-moi.
Son téléphone se mit alors à sonner. C'était un homme du colonel Frank, qui semblait alerter Kaba qu'un coup se préparait contre lui. L'homme prétendait que le chef Kalao avait contacté le gouverneur, accusant Kaba et la garde du colonel Frank de complicité avec des rebelles.
Aussi invraisemblable que cela paraissait, Kaba, qui « maîtrisait » sa ville, savait que c'était une chose à prendre au sérieux. Le colonel Frank Monama était un officier de l'armée nationale, qui figurait parmi les hommes les plus célèbres de Bakunga. Son fils et Kaba étaient des amis d'enfance, et la veille, c'était des éléments de sa garde rapprochée qui avaient accompagné Kaba à Babowa. Seulement, le gouverneur n'avait jamais vu d'un bon œil la popularité du colonel, et il était connu qu'en dépit des apparences, les deux hommes se détestaient amèrement. En sollicitant l'attention du gouverneur, le chef Kalao avait visiblement décidé que la guerre entre Kaba et lui ne faisait que commencer. De plus, il offrait au gouverneur un moyen d'en finir une bonne fois pour toutes avec le colonel. L'amitié entre son père et le gouverneur, si tant était qu'elle fut vraie, était, pour Kaba, la carte à jouer.
La prétendue connivence entre Kaba et des rebelles opérant dans la région était totalement imaginaire et ne pouvait absolument pas être démontrée, tout le monde le savait. L'existence de liens entre le colonel Frank et ces mêmes rebelles était tout aussi invraisemblable. Cependant, le témoignage du chef d'un village situé près d'une zone de conflits, dénonçant la complicité entre un haut gradé de l'armée nationale et des groupes rebelles, était, lui, une bombe capable de faire de grosses victimes dans cette région du monde, où tous les moyens étaient bons pour arriver à ses fins. Tous ceux qui pouvaient exploiter cette nouvelle à leur avantage le feraient, le gouverneur en premier. Les médias, locaux comme internationaux, s'en délecteraient. Des indignations pleuvraient de toute part. La menace qui pesait sur le colonel était bel et bien réelle. Elle pesait tout autant sur Kaba et, bien évidemment, sur son père. Il fallait très vite agir.
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