5. Retournement de Situation

Nous rentrâmes finalement à la résidence de Mutis vers vingt-deux heures, escortés par un véhicule de la police.

- Tu diras à ton père que ça fera deux caisses de vin, blagua Mutis.

- Merci, Papa Mutis. J'ai eu très peur, lui dis-je.

- Il nous faut, dès ce soir, entreprendre de retrouver nos affaires confisquées par ces gardes, dit Kaba.

- Faudra-t-il se rendre à la police demain ? demandai-je.

- Oui, et je devrais aussi retourner à Babowa, dire deux mots à ce chef qui a mis des policiers à nos trousses. Je lui avais pourtant assuré que tu ne savais pas de quoi tu parlais quand tu évoquais cette pierre.

- Quand elle évoquait quelle pierre ? lui demanda son père, suspicieux.

- Elle aurait entendu parler d'une certaine pierre de Babowa, mais j'ignore comment, lui répondit-il.

- Qui t'a parlé d'une pierre de Babowa ? me demanda-t-il, d'un ton inquisiteur.

- Tout d'abord, je ne connais pas son nom. Et ensuite, j'en ai vaguement entendu parler. Je ne peux même pas me souvenir des détails, lui répondis-je.

- Ce sont des inepties. N'y fais plus allusion, me dit-il.

- Kaba me l'a aussi recommandé.

- Effectivement, et en connaissance de cause. Les gens te prendraient pour une folle, sinon, m'avertit mon cousin.

- Bien. J'ai des coups de fil à passer à présent. Allez vous reposer, il est déjà tard, conclut mon oncle.

Je ne comprenais rien à l'attitude de Kaba, mais je préférai faire comme si de rien n'était. Il vint dans ma chambre, plus tard cette nuit-là, me demander si j'avais l'objet avec moi, ou s'il était dans le sac à dos que les gardes m'avaient confisqué. Je trouvai étrange qu'il les appelât « gardes » alors que dans la voiture, il avait prétendu ne rien savoir sur eux.

- Je n'ai jamais prétendu posséder l'objet. Qu'y a-t-il Kaba ? lui demandai-je, méfiante.

- Fais-moi confiance, j'essaie simplement de te protéger. Montre-le-moi.

- Encore une fois, quelqu'un m'en a vaguement parlé, c'est tout. Je ne me rappelle plus qui, ni où, ni quand.

- Ok. Si tu le dis... Je dois personnellement récupérer ton sac demain, me répondit-il avant de mettre un terme à la conversation.

Je ne réussis évidemment pas à dormir cette nuit-là. L'objet était sur moi. Il ne me quittait plus depuis qu'on avait tenté de me le voler en Tanzanie. Mais je réalisais aussi que quelque chose de « top secret » se tramait probablement à Babowa, et que Kaba, son père et quelques autorités de la région en savaient quelque chose. Mon pauvre père ne connaissait décidément rien de cet objet, qui semblait être connu ici sous le nom de « pierre de Babowa. »

Le lendemain matin, Kaba et moi partîmes pour le commissariat, rencontrer le commissaire régional. À notre arrivée, les lieux étaient encore déserts, car il n'était que six heures du matin. Mais le commissaire, lui, était dans son bureau et nous y attendait. Il s'appelait Idriss Mangaya, et était un général de la Police nationale. Faisant un mètre quatre-vingt de haut et au moins cent vingt kilos, agile n'aurait certainement pas été le meilleur moyen de le décrire. Nous le saluâmes avec beaucoup de déférence, car il était notre héros de la veille. Il nous invita à nous asseoir.

- Qu'étiez-vous allé chercher à Babowa ? nous demanda-t-il, d'entrée de jeu.

- Ma cousine voulait découvrir le village natal de sa défunte mère. Renouer avec ses racines..., commença mon cousin.

- D'accord, mais Kaba, tu sais bien que des groupes armés incontrôlés opèrent dans le secteur. Vous avez eu de la chance de tomber sur des policiers, qui, par ailleurs, m'ont assuré qu'ils avaient été très professionnels et vous avez traité avec courtoisie. Cela aurait pu être des brigands. Bien, pour ma part, j'ai déjà ordonné que vos effets soient transférés ici. Ils devraient arriver ce soir, nous assura-t-il.

- Merci beaucoup, mon Général, lui répondit Kaba. J'aimerais seulement m'assurer qu'ils n'ouvrent rien en notre absence, car je soupçonne le chef Kalao de Babowa d'être de mauvaise foi. Il pourrait piéger nos bagages.

- Il ne manquera rien, et on n'y ajoutera rien non plus, vous avez ma parole, nous dit-il.

- C'est très gentil à vous, mon Général.

- Vous voyez que nous faisons du bon travail en sécurisant notre population, malgré un manque cruel de moyens. Votre papa, Mutis, sait combien il nous est parfois impossible d'intervenir rapidement avec nos véhicules par manque de carburant. Nos troupes se contentent de vieilles tenues. C'est uniquement notre détermination à servir la nation qui nous permet de tenir. Jeune homme, en sortant, vous penserez à mon chauffeur qui a fait toutes les démarches qui vous ont permis de rentrer entiers, hier.

- C'est bien compris, mon Général.

En langage simple, le commissaire Mangaya demandait à Kaba de remettre à son chauffeur le montant que Mutis lui avait réservé, pour le remercier de son intervention d'hier en notre faveur. Seulement, le commissaire avait oublié que ses policiers à Babowa portaient de belles tenues noires non policières et roulaient dans un véhicule très coûteux et presque neuf.

Au sortir du commissariat, Kaba me pria de l'attendre à l'extérieur du bâtiment, le temps d'en finir avec le chauffeur du commissaire. Je me tenais debout, toute seule près du parking, lorsqu'un SUV de luxe pénétra dans l'enceinte du commissariat. À peine immobilisé, un policier en descendit pour ouvrir la portière arrière du véhicule. Je vis en sortir un jeune homme. Il paraissait très élégant et devait avoir, à peine, quelques années de plus que moi. Je m'écartai alors pour laisser libre l'entrée du bâtiment, en évitant de croiser les regards du jeune homme et de son garde du corps. Kaba sortit finalement du bâtiment moins d'une minute plus tard et nous quittâmes les lieux.

De retour à la résidence de son père, il me dit :

- Ce foutu Kalao me le paiera très cher !

- Qu'as-tu exactement à lui reprocher ? lui demandai-je.

- Je lui avais pourtant dit que j'étais un des intouchables de Bakunga. Il a gardé mon argent, mais a tout de même osé nous faire arrêter par ces policiers, explosa-t-il.

- Il voulait peut-être juste s'assurer que nous rentrions paisiblement. Après tout, c'étaient des policiers très « courtois », ironisai-je, reprenant l'expression du commissaire.

- Toi et moi serions peut-être morts à l'heure qu'il est, si je n'avais pas prétendu être le fils du gouverneur. Il leur suffisait tout simplement de déclarer avoir découvert trois corps de personnes abattues par des rebelles.

- Je comprends, Kaba. Mais que comptes-tu lui faire ? demandai-je, inquiète.

- J'irai lui rendre visite avec des hommes en uniformes, et des vrais, cette fois !

- J'espère seulement retrouver mes affaires non endommagées, dis-je doucement.

Mutis vint alors vers nous.

- Il semble y avoir un souci avec vos affaires, commença-t-il, visiblement inquiet. Le commissaire m'apprend à l'instant que le contenu de certains bagages aurait disparu.

- Il vient pourtant de nous promettre que nos effets rentreraient intacts, dit Kaba.

- Que peut-on faire ? demandai-je.

- Je vais prendre quelques hommes du colonel Frank et me rendre de nouveau à Babowa. Nous retrouverons et ramènerons nos affaires avec tout ce qu'ils prétendent avoir perdu, me dit-il.

- C'est sans doute le mieux à faire. Alors, fais-le le plus vite possible, lui dit Mutis.

- Je serais de retour avant minuit, si j'y vais tout de suite.

Et il sauta dans le tout-terrain, furieux et déterminé à revoir le chef Kalao à Babowa. L'instant d'après, je sentis enfin la fatigue envahir mes paupières. Je pouvais dormir, finalement.

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