3. Route vers Babowa
Le lendemain, c'est au milieu de la nuit qu'il nous fallut quitter la résidence de Mutis, afin d'anticiper tout imprévu lié au mauvais état de la route. Kaba et son ami de la veille m'accompagnaient à Babowa. L'essentiel de ce trajet, d'environ six heures, fut assez monotone. Nous avions pour paysage de hautes herbes à perte de vue et croisions, de temps en temps, quelques paysans à vélo, qui devaient s'arrêter pour nous laisser le passage, sur une route étroite où la nature avait souvent repris ses droits. Mais à l'approche de notre destination, je notai que beaucoup plus d'arbres peuplaient le paysage. L'ami de Kaba nous fit alors signe de remonter toutes les vitres du véhicule, car la région était infestée de mambas noirs.
Une demi-heure plus tard, nous arrivâmes au premier des quatre villages que contenait le territoire Babowa.
- Peu de véhicules motorisés fréquentent ce coin. Soyons expéditifs, dit l'ami de Kaba.
Des habitants du village, majoritairement des enfants, nous observaient de loin, surpris, très curieux et méfiants. C'est Kaba, qui, d'un geste fraternel, salua les premières personnes que nous croisâmes.
- Mes seigneurs, je vous salue, commença-t-il en s'inclinant. Nous venons de Bakunga et sommes ici pour nous entretenir avec ceux d'entre vous qui connaissent bien l'histoire de votre village, leur expliqua-t-il.
- Nous vous saluons et vous souhaitons la bienvenue au village Bena-Tshitolo, dit l'un d'eux. Seul le chef du village est autorisé à désigner la personne qui peut s'entretenir avec vous. Je vais donc vous conduire à lui.
- Je vous en remercie, mon frère, répondit mon cousin.
Nous marchâmes alors à la rencontre du chef du village, prenant soin de saluer chaque personne sur notre passage, afin de gagner la sympathie des villageois. Le chef Hercules Kalala, dit « Chef Kalao », était un homme maigre et cupide qui dirigeait ce village depuis moins d'une décennie. Quand nous arrivâmes chez lui, il était assis au milieu de deux de ses sujets, dans la cour, devant sa maison. Il attendit que nous le saluions et que nous nous présentions avant de nous répondre : « soyez les bienvenus dans mon village. Veuillez prendre place à côté de mes sujets et m'expliquer la raison de votre visite. »
Après une demi-heure d'échanges portant sur l'origine des habitants du village et les détails de leur vie au quotidien, il me parut opportun de poser la question qui me brûlait les lèvres. Je demandai donc à savoir ce qu'ils savaient réellement sur l'organisation Shama.
Le chef ordonna alors à l'un de ses sujets de faire venir la personne du village qui pouvait répondre à ma question. Il s'agissait d'une femme qui faisait partie des sages du village et qui se nommait Odia. À son arrivée, elle prit place à mes côtés et nous expliqua que Shama était une sorte d'ancienne secte religieuse secrète et très influente. Les Shamas étaient, selon elle, les puissants prêtres de cette religion, qui gouvernaient les plus grands royaumes du continent.
- Ils n'étaient pas le clan d'assassins que les colonisateurs voulaient faire croire au monde. Tout le continent ne comptait que peu de Shamas, qui étaient à la fois les magiciens et les guides spirituels de la plupart des grands rois d'antan. La politique d'alors obéissait à cette religion et à ses prescrits. Elle permettait de gouverner de multiples entités en tenant compte de leurs diversités et de maintenir une certaine harmonie entre les peuples. Le but était de réduire autant que possible les conflits entre populations, tout en les fédérant, afin d'en tirer le meilleur, nous raconta-t-elle.
J'en vins alors à lui demander ce qui avait mis fin à cette gestion si admirable de ces royaumes et plus particulièrement à cette religion Shama. Du regard, elle consulta le chef et ses sujets, avant de répondre que selon la sagesse Shama, c'était tout simplement le temps, parce que tout était voué à une fin.
- Cependant, des raisons spécifiques existent selon les cas, commenta l'un des sujets du chef. Les réalisations de cette époque lointaine sont hélas sous nos pieds aujourd'hui, dit-il.
La femme précisa tout de même que la disparition de l'organisation Shama du territoire Babowa n'excluait pas que des Shamas existent encore à ce jour, dans d'autres parties du monde.
- Les Shamas reviendront lorsque nous redeviendrons moins cupides, lança-t-elle. L'harmonie entre les peuples n'était pas compatible avec les ambitions égoïstes des dirigeants de l'ère précédant le départ des Shamas. Ces rois formèrent des alliances contre nature avec des trafiquants venus de contrées inconnues, qui inévitablement, causèrent leur perte.
Le lieu connu pour avoir été le sanctuaire des Shamas dans la région était effectivement une ancienne forêt transformée en une énorme carrière abandonnée, comme me l'avait dit Mutis.
- À ce jour, la nature y est particulièrement féroce, à cause du retour des prédateurs naturels hostiles à l'homme, les serpents en particulier, nous avertit-on.
Une visite de ce lieu nous fut donc formellement déconseillée pour cette raison. Je pris alors Kaba à l'écart, afin de l'informer que j'avais entendu parler d'un objet particulier qui pouvait être lié aux Shamas, et pour savoir si je pouvais en parler à nos interlocuteurs. Il parut très surpris d'apprendre que je connaissais un tel objet et me proposa de le leur décrire, afin de voir s'ils en savaient quelque chose. La femme prit un moment de réflexion avant de se mettre à m'expliquer combien les Shamas excellaient dans l'art de manipuler les cristaux précieux, mais elle fut rapidement interrompue par le chef, qui tint à changer de sujet en coupant court :
- Cela, nous n'en savons rien. Il vaut mieux ne dire que ce dont nous sommes certains. Où avez-vous vu un tel objet ? me demanda-t-il.
- Nous en avons entendu parler par des étrangers, Chef, lui répondit Kaba.
- Que vous ont-ils dit exactement ?
- Que l'objet provenait des Shamas et que les habitants de Babowa devaient le connaître, lui répondis-je.
- Personne ne connaît cela ici, et par conséquent nul ne saura vous répondre. Ce sont des histoires qui sortent de l'imaginaire de pauvres ignorants. Je vous conseille d'ailleurs de ne plus en parler.
Kabame pinça discrètement le bras, me faisant signe d'interrompre la discussion, un embarras perceptible étant soudain apparut dans le regard du chef du village.Je me demandai bien pourquoi. Kaba se leva, invitant tout le monde à en faire de même, afin de mettre un terme à la visite. Le chef Kalao décida de nous raccompagner,seul. Sur le trajet vers notre tout-terrain, Kaba lui remit quelques billets de banque, loin du regard curieux de ses sujets, puis lui parla à l'oreille avant de lui dire au revoir et de sauter dans notre véhicule.
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