11. Shiwa la Guerrière

Le royaume d'Égypte dominait les autres peuples depuis près de dix siècles. À sa tête régnait le pharaon Thalmes, ce roi considéré comme le dieu soleil, que son peuple était tenu d'adorer. Ce n'était pas le génie du pharaon qui faisait, à lui seul, la force du royaume. C'était que la science y était beaucoup plus développée qu'ailleurs, fruit de plusieurs siècles d'investissement royaux dans la recherche et l'épanouissement de la classe sociale, que constituaient les savants. Les savants Égyptiens étaient, sans l'ombre d'un doute, les principaux artisans de la prospérité du royaume et de sa pérennité au sommet du monde. Mais cette année-là, un tumulte de nature inattendue allait s'inviter dans la demeure du dieu soleil.

Le roi Thalmes avait deux fils et la tradition voulait que le trône soit destiné à l'aîné d'entre eux. Ce dernier s'appelait Khemes et souffrait d'un mal inconnu. La famille royale gardait secret son état de santé, afin que la population ne considère pas son futur pharaon comme étant faible. Le prince cadet se nommait, quant à lui, Kheros, et n'était pas encore marié, contrairement à son grand frère. Fier et vaillant, il était également le commandant de l'armée royale. Et à ce titre, il avait participé à de nombreuses batailles, et parcouru à peu près tous les autres royaumes et empires que comptait la planète.

Un jour, lors d'une parade militaire près des sources du Nil, il arriva à son oreille, que la plus belle femme de tous les royaumes était la princesse Kisita, fille de l'empereur Nsemi, souverain du Kongo, l'empire du Centre, ce royaume disparu des Bakongo qui peuplent aujourd'hui l'Angola, le Gabon et le Congo.

Les relations entre les deux pays n'étaient pas particulièrement tendues, bien que le pharaon estimât que Nsemi lui payait bien moins d'impôts que ce qu'il aurait dû.

La réputation de Kisita dépassait peu à peu les frontières du continent. Kheros tenait à la voir et à l'épouser, à condition de faire lui-même le constat de la beauté inégalable de la princesse du Centre. Il se rendit ainsi au palais de Nsemi, voir Kisita de ses propres yeux.

Non seulement il constata que l'on ne mentait pas au sujet de l'apparence de la jeune princesse, mais en plus de cela, il s'aperçut que son charme envoûtant résidait en réalité dans sa personnalité extraordinaire. Il se dégageait d'elle, l'âme d'une reine, à laquelle aucun homme n'avait les armes pour résister.

Pour le commandant de l'armée du dieu soleil, tout était décidé : il fallait au plus vite en faire une princesse d'Égypte. Il réussit à obtenir l'accord du pharaon dans cette entreprise. N'étant pas le successeur attitré de son père, il lui était permis de se marier à une femme non égyptienne.

Kisita était tout autant connue pour son admirable nature. C'était une princesse qui participait activement à la vie politico-économique du Kongo. Plusieurs réformes progressistes avaient été soutenues ou initiées par la brave fille de l'empereur. Pour tout dire, son union avec le prince égyptien ne rencontrait vraiment qu'un seul obstacle : Kisita elle-même.

En effet, cela faisait plusieurs années que la princesse était en âge de se marier, mais elle s'y refusait pour des raisons personnelles. Femme stricte et déterminée, elle était le portrait amélioré de sa mère. Son charisme inné et sa grande intelligence faisaient d'elle la fierté de son père, qui l'employait en tant que conseillère particulière et par conséquent, respectait les choix liés à sa vie privée. Mais Nsemi savait aussi ce que dire non au fils du roi d'Égypte signifiait pour son Kongo.

Un autre souci, loin d'être des moindres, tourmentait l'empereur du Centre : les multiples rébellions aux frontières de son empire, en particulier celles de l'est, menées par la redoutable Shiwa. Prétendue descendante des tueurs de lions du Kindu, petit royaume disparu de la vallée des Grands Lacs, Shiwa était une guerrière que rien n'arrêtait. Sa lance avait souvent réussi à percer les cœurs de ses plus farouches ennemis, et tout l'empire du Centre le savait et en était terrifié. Outre la conquête du Kongo, elle avait juré la perte de Nsemi et de toute sa famille. Personne ne connaissait vraiment son visage. Son masque de combat ne la quittait jamais et ce n'était qu'à sa singulière tenue qu'on la reconnaissait.

Il se disait cependant que sa beauté était paralysante. À côté de son visage caché, elle possédait un physique sans défaut, forgé par plusieurs années de discipline surhumaine, qui avait su garder toute sa féminité en plus d'un charme, qui inspirait la peur plus que tout autre chose. Ses talents prodigieux de tacticienne et son armée de plusieurs centaines d'habiles combattants représentaient une menace de taille pour la couronne de Nsemi, qui avait déjà perdu certains de ses meilleurs lieutenants lors de confrontations avec celle que d'aucuns surnommaient la Lionne.

Shiwa et ses hommes enduisaient leurs armes d'un poison appelé Nswadi, dont eux seuls connaissaient l'antidote, qui, pour agir, devait être administré avant la contamination. Ce poison inodore et sans saveur tuait lentement tous ceux qui avaient reçu la moindre blessure par ces armes. La mort, par arrêt cardiaque, intervenait inévitablement au bout de quarante-huit heures. Les forêts qui recouvraient les hautes montagnes de l'est du Congo constituaient l'impénétrable royaume de Shiwa la Lionne.

Marier Kisita à Kheros permettrait à l'empereur Nsemi d'acquérir le soutien de la très redoutée armée du pharaon, afin de mater les rébellions. La princesse du Kongo n'avait plus guère le choix, les intérêts de l'empire primaient. Le mariage serait célébré dans la capitale égyptienne. Le périple exigeant cinq jours entiers, il se ferait par bateau, depuis la côte ouest de l'empire, en longeant les côtes du continent sur l'Atlantique, jusqu'au nord dans la méditerranée, à destination du port d'Alexandrie, en Égypte. Voyager à l'intérieur du continent s'avérait extrêmement risqué, compte tenu de la proximité de la route avec des territoires hostiles, comme notamment les montagnes de la Lionne.

Shiwa apprit la nouvelle du voyage de Kisita en Égypte et sa raison d'être. Elle y vit l'énorme opportunité que nul autre n'aurait pu voir. Sachant que la côte ouest du continent était aussi lointaine que périlleuse pour y mener une bataille, elle fit le choix de la furtivité. Avec dix de ses meilleurs combattants camouflés, elle pourrait contourner le bassin du Kongo par le nord et voyager incognito jusqu'au grand port du Sénégal, où passerait inévitablement le cortège de la princesse. Et c'est précisément ce qu'elle fit, sans en informer le reste de son armée, ni quiconque aurait tenté de l'en empêcher.

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