La dernière fois

Neymar sortit de sa maison et se dirigea vers l'étable. Il sella rapidement son cheval et monta sur lui.

C'était un magnifique pur-sang brésilien de couleur noire, aux yeux clairs et intelligents, aux jarrets forts et musclés et à la crinière luisante. Son père lui l'avait offert pour l'anniversaire de ses seize ans et depuis lors ils étaient devenus inséparables. Dès que le jeune homme avait du temps pour lui-même, il sautait sur son fidèle compagnon et partait pour une belle promenade sur la plage, à travers la forêt ou, ce qu'il préférait le plus, une folle chevauchée à travers la plaine. Lors des courses qu'il organisait entre ami, il était le plus rapide et arrivait toujours premier mais ce soir il n'était pas venu pour la douce sensation du vent dans ses cheveux ou le vif frisson d'adrénaline après avoir survolé une large crevasse et ne s'être arrêté qu'à quelques centimètres du bord. Non, avec un bouquet de fleurs dans les mains, il était venu afin d'aller voir Soledad.

Comme elle vivait assez loin, Neymar décida de prendre un raccourci à travers le bois. La nuit était calme. Pas un seul nuage ne couvrait le ciel étoilé et la Lune, ronde et blanche, éclairait le chemin du jeune homme mieux que toutes lampes placées ensembles. Un léger arôme d'écorce et de feuilles et le chant harmonieux des grillons accompagnaient les pas du cheval et d'énormes arbres majestueux entouraient le sentier.

Cependant le jeune Brésilien avait la tête ailleurs. Il pensait à sa douce bien-aimée.

Il y a un an, ils s'étaient rencontrés pour la première fois lors d'une fête organisée entre leur deux familles. Il avait vingt ans et elle seize. Assise entre deux amies, attentionnée et souriante, petite mais bien proportionnée, avec une fine taille et des mains délicates, une vague de cheveux noirs faisant ressortir sa belle peau pâle, un petit nez droit et de magnifiques yeux soyeux couleur ambre au regard doux et aimant, firent d'elle un ange venu droit du ciel à ses yeux. Les gloussements des filles provoqués par son arrivée, celle d'un jeune homme séduisant avec une bonne réputation auprès des femmes, firent qu'elle tourna la tête de son côté. Leur regard se croisèrent.

Pour la première fois, Neymar tomba amoureux. Et cette fois-ci pour de vrai. Étant beau garçon : grand, brun, élancé, avec des yeux hardis, il avait déjà eu quelques aventures par-ci par-là qui ne duraient habituellement qu'un mois, jamais plus. La fille lui plaisait mais il ne l'aimait guère. Pour lui, Soledad fut un bouleversement dans sa vie.

Un hennissement le sortit de ses rêves. Neymar secoua la tête et constata qu'il était arrivé. Il avança encore un peu et, avec la légèreté et la souplesse qui lui étaient propre, se mit debout sur son cheval. Soledad vivait au troisième étage et sa chambre était accompagnée d'un balcon qu'il avait pris habitude de grimper. Le bouquet de fleurs entre les dents, il se hissa en s'agrippant aux barreaux. Rendu en haut, il tendit l'oreille pour s'assurer qu'elle était seule et entra.

Vêtue d'une longue robe de nuit blanche, la belle Argentine se leva et vint se blottir dans ses bras.

«Tu m'as manqué, dit-elle.

- À moi aussi. Tiens, murmura-t-il en lui tendant le bouquet composé de roses rouges dont une, au centre, était d'une blancheur pure. La rose blanche, Soledad, c'est toi. La plus charmante et la plus gracieuse parmi toutes les femmes».

La charmante jeune fille sourit et plaça les fleurs dans un joli vase sur sa table.

«Je t'aime», chuchota-t-elle en l'embrassant tendrement.

Les deux amants s'assirent sur le divan bleu pâle, offert par un ami turc de Lionel, frère de cette dernière.

Soledad, habituellement si joviale et volubile, se pelotonna contre la poitrine de son bien-aimé et ferma les yeux.

«Quelque chose ne va pas? demanda soucieusement Neymar.

- Non, non. Rien de grave», répondit la belle Argentine mais sa voix était attristée.

Délicatement, comme par peur de la briser, Neymar releva sa tête et lui regarda droit dans les yeux avec un doux regard attentionné.

«Qu'est-ce qui ne va pas, Soledad? Je vois bien que tu es préoccupée.

- C'est juste...».

Elle se redressa et le dévisagea longuement. Son visage était si aimant, si prévenant. Il la contemplait avec un léger petit sourire bien que ses yeux restaient sérieux et concernés.

«Mon frère, finit-elle par lâcher, il me cherche un époux et... Je comprends qu'il veuille me marier, il pense bien faire et tous les hommes qu'il me présente sont bons et de noble famille mais, Neymar, c'est à toi que mon cœur appartient! s'écria-t-elle en serrant ses mains. Chacun de ces hommes, plus ou moins jeunes, me font la cour, m'offrent des présents et des fleurs, me complimentent, m'invitent à des promenades et des soupers, me racontent les prouesses qu'ils ont fait, mais chaque fois je ne pense qu'à toi. Je ne pense qu'à ces soirs, comme celui-ci, où nous nous voyons secrètement, à la première fois où je t'ai vu, à la vie que nous pourrions mener ensemble mais ces derniers temps, Lionel fait venir un certain Juan Diego Fernandez, un Argentin de quarante-deux ans, très riche. Je suspecte mon frère de..., elle cacha son visage et sa voix devint à peine audible, de vouloir faire de lui mon mari.

- Un homme de quarante-deux ans»!?

Le comportement de Neymar changea radicalement. Son regard devint dur et ses traits se durcirent. Il se leva et commença à tourner en rond dans la chambre.

«Tout est de ma faute! Pourquoi n'ai-je pas demandé ta main avant? Pourquoi avoir attendu?

- Neymar, murmura Soledad, tu n'y es pour rien. Tu sais bien que nos deux familles ont toujours été rivales. Mon père n'était pas pour la guerre, il était un pacificateur mais quand le contrôle est passé dans les mains de mon frère il y a deux mois... tout s'est resserré. Néanmoins, grâce à lui, ma famille n'a jamais été aussi puissante mais les tensions ont augmenté. Et ce thème à propos de me marier... Au début tout était tranquille, Lionel ne s'y intéressait pas trop mais quand il vit Fernandez, ces intentions changèrent. Neymar il n'y a que toi que j'aime! Je ne veux pas épouser Fernandez! Je ne veux pas»!

Neymar qui continuait à marcher d'un côté à l'autre s'immobilisa brusquement. Il fixa le ciel, comme cherchant la réponse parmi les étoiles, et se tint ainsi pendant un moment. C'était facile de voir qu'un grand combat se déroulait en lui. Ses yeux brillaient de colère et de passion, ses poings étaient serrés et de temps à autre il se mordait furieusement les lèvres.

Finalement il se tourna lentement vers Soledad, restée assise sur le divan. Il s'agenouilla devant elle et prit ses mains.

«Tu ne souhaites pas marier Fernandez.

- Jamais!

- Soledad, serais-tu prête à laisser ta famille, ta maison et t'enfuir avec moi»?

La jeune fille le regardait, la bouche ouverte, interdite par ce qu'il venait de dire.

«Soledad, j'ai l'argent. Nous pourrons changer de pays, partir loin d'ici où il n'y aura pas de guerre entre nos deux familles. Soledad, nous pourrons vivre ensemble, être heureux»!

Des larmes coulaient sur les joues de la jeune fille. Elle passa une dernière fois son regard sur sa chambre. Sa chambre où elle avait grandi. Tant de souvenirs, tant de moments joyeux avec ses parents, morts à présent, s'étaient déroulés ici, chez elle. Lionel, son frère, qu'elle adorait tellement malgré son tempérament bouillant. Ses cousins, ses oncles, ses tantes. Serait-elle prête à les quitter?

«D'accord, murmura-t-elle, partons dès demain soir.

- Oh, Soledad! Oui, partons demain. Prends quelques habits, quelques bijoux, le reste j'achèterai en route».

Neymar serra sa bien-aimée dans ses bras et l'embrassa éperdument sur ses lèvres. Elle pleurait, non plus de chagrin mais de joie, de bonheur d'être enfin réunie avec la personne qu'elle aimait tant. Riant, le jeune homme lui essuya les larmes et lorsqu'il eut fini, il l'entoura fermement dans ses bars en lui caressant délicatement le visage qu'elle avait posé sur son épaule. Ils restèrent ainsi, collés l'un à l'autre, à imaginer leur futur.

Bientôt, trop rapidement peut être, minuit sonna.

«Déjà! se plaignit Soledad.

- Ne te désoles pas mon ange demain nous serons réunis».

Neymar se leva et s'avança vers le balcon, Soledad derrière lui. Les deux amants s'étreignirent une dernière fois laissant passer quelques baisers quand un énorme éclat les fit sursauter.

«Qu'est-ce que c'est»? articula Soledad en se serrant encore plus contre le corps de son vaillant amant.

Des débris de porcelaine jonchaient au pied de l'armoire. Une ombre noire se faufila rapidement à travers la chambre avant de disparaître dans le corridor. Apparemment elle se retourna car les deux jeune gens virent deux grands yeux, bleu et vert, briller dans le noir.

«Ce n'est qu'un chat, observa Neymar, il a sûrement dû faire tomber un vase puis s'est enfuit par la suite.

- Tu as raison, murmura la belle Argentine en levant ses yeux vers ceux du valeureux Brésilien. Reviens vite demain soir, je t'attendrai».

Le jeune homme l'embrassa tendrement sur le front.

«Demain à dix heures comme d'habitude», chuchota-il dans son oreille.

Il siffla son cheval puis, avec une surprenante agilité, sauta sur lui du balcon.

Rendu en bas, il sourit une dernière fois en faisant découvrir ses magnifiques dents blanches et, avec un adieu de la main, s'éclipsa dans la nuit. Soledad resta là, continuant d'agiter sa main jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus le voir.

«Bonne nuit, Soledad, je vois que tu n'es pas encore couchée».

La jeune fille poussa un cri et, en se retournant, découvrit son frère.

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