L'évasion

Un râle s'échappa des lèvres du prisonnier. L'eau bénite coula lentement sur ses bras cherchant un chemin vers la table. Quelques gouttes égarées se glissèrent sous ses étroits liens et brûlèrent ses plaies alors que d'autres, tout juste tombées de leur seau, dégoulinèrent le long de ses doigts crispés pour finir leur trajet sur ses paumes déjà crevassées.

«Où se trouve Soledad? Où?

- Monsieur Messi?

- Oui?

- Je ne pense pas qu'il est en état de répondre. Regardez-le, ses lésions commencent à prendre du temps à se refermer et il devient de plus en plus pâle.

- Mais c'est la troisième fois que vous lui faites subir la torture sans qu'il ne parle! Vous devez bien finir par le faire avouer où est ma soeur!

- Nous essayons, Monsieur Messi, nous essayons. Ce n'est pas de notre faute s'il est aussi endurant. Tous les vampires finissent par céder au bout de deux fois.

- Que me conseillez-vous alors de faire? Vous comprenez que je ne peux pas abandonner! C'est ma soeur qu'il tient»!

Le bourreau hocha et baissa son regard sur le corps déchiré de sa victime. Sa respiration était courte et bruyante, sa poitrine lacérée se soulevait spasmodiquement. Il était au bord de l'évanouissement, c'était évident, ses lèvres entrouvertes ne lâchaient plus des cris ou des gémissements mais des râles sourds. Cette Soledad devait sacrément lui valoir beaucoup s'il était prêt à se sacrifier ainsi pour elle! Il ne venait pas de cette région et ne connaissait donc pas les complexités des relations entre ces diverses familles: les Messi et la da Silva Santos, mais considérait ce jeune immortel bien brave et hardi pour défier ainsi toutes les valeurs.

«Vous pouvez l'affamer, finit-il par proposer, il va être assoiffé pour la prochaine pleine lune et aura besoin de sang pour soigner ses blessures. Même les plus tenaces ne résistent pas à la faim. Gardez le enchaîné pour encore trois semaines et je vous assure qu'il racontera tout».

Lionel poussa un soupir d'exaspération.

«D'accord, grinça-t-il, trois semaines mais s'il continue encore de garder le silence?

- Cela voudrait dire que rien ne le ferait parler. Nous pouvons essayer de le faire raconter via la douleur mais s'il réussit à la supporter...

- Vous avez malheureusement raison. Ramenez le dans sa cellule. Je vous remercie, Monsieur, pour votre service, vous ne pouvez pas vous imaginer comment je vous suis reconnaissant pour votre aide et vos conseils, si vous pourriez rester un peu au cas où...

- Cela sera un honneur».

Les gardes détachèrent le captif de la table et le relevèrent sur ses jambes mais il s'effondra ne pouvant rester debout.

Le bourreau avait dit vrai : Neymar était au bord de perdre connaissance. Ses yeux ne voyaient plus, le restant de ses forces l'avaient quitté et même l'eau bénite ne le faisait pas réagir. Tout son corps n'était plus qu'une plaie ouverte et même gémir le torturait.

Des mains agrippèrent ses épaules et ses bras, des doigts appuyèrent sur sa flétrissure. Le vampire ouvrit la bouche et poussa un son sourd. Les gardes le traînèrent dans sa cellule et l'enchaînèrent. Il avait si mal. Il n'entendit pas la lourde porte se refermer le laissant de nouveau seul, les pas de ses tortionnaires s'éloigner. Ses muscles se relâchèrent et il pendit sur ses chaînes, vaincu par la douleur.

................................................................

Le soleil entama sa descente routinière vers l'horizon colorant le ciel et les nuages d'une teinte orangée. L'air se refroidit et quelques flocons, les premiers de cette année, voltigèrent gracieusement.

Un glacial courant d'air fouetta les brûlures du jeune vampire et il cria, son visage se crispant de douleur. Ses chaînes étaient enfoncées dans ses poignets mais il ne pouvait pas  se mettre debout, son corps ne lui obéissant plus.

Les derniers rayons de soleil disparurent dans l'horizon.

Neymar rouvrit faiblement les yeux. Son regard flou s'éclaircit et il releva la tête. Son dos frôla le mur et il hurla. Des gouttelettes de sueur perlèrent de son front et il se mordit les lèvres.

«Je peux voir, souffla-t-il, je peux entendre».

Il baissa ses yeux et vit que sa croix avait disparu.

«Je suis sauvé»!

Il tira sur ses chaînes et les arracha du mur. Aussitôt il se dissout dans le noir de son cachot et se glissa par la brèche de sa cellule. Il était dehors.

«Je suis libre! Enfin»!

Il marcha vers les écuries. Malgré ses pouvoirs retrouvés, son pas était chancelant et son corps continuait à le supplicier. Sa croix avait sûrement dû être brisée pendant que les gardes l'avaient traîné au sol. Il frissonna de haine en se rappelant de ce moment et de tous les moments où il eut été abaissé. Il entra dans l'étable et monta sur le premier cheval sans le seller, il n'avait pas le temps, il sentait ses forces vaciller et il avait encore six heures de routes à faire au moins.

La nuit était glaciale et un vent mêlé à de la neige se leva.

Pendant quatre heures Neymar galopa sans s'arrêter. Il usa tous ses pouvoirs pour se garder assis et diriger son cheval de ses mains meurtries avant de sentir avec horreur ses pouvoirs commencer à le quitter peu à peu.

«Diable pas maintenant! s'écria-t-il. Il ne me reste plus que deux heures de route à faire»!

Il serra ses dents et accéléra son cheval luttant à présent contre l'évanouissement en plus de la douleur qui lacérait son corps.

................................................................

Soledad regarda tristement par la fenêtre. Non, il n'arrivait pas. Elle prit un livre au hasard sur l'étagère et s'allongea sur son lit. Le livre ne lui disait rien pas plus que l'auteur. Tant mieux, cela lui changerait les idées.

Marcelo était parti chez Thiago depuis plus d'une heure. Elle savait que c'était à propos de Neymar. Ils avaient essayé de rester calmes et de ne montrer aucun signe d'inquiétude pour ne pas la préoccuper mais son absence durait à présent plus d'une semaine et personne ne savait s'il était encore en vie ou non.

Soledad soupira. Elle ouvrit le livre et laissa son regard glisser d'un paragraphe à l'autre sans lire. Elle n'arrivait pas à détacher l'image de Neymar entouré d'une dizaine d'hommes armés de sa tête et plus elle essayait de penser à autre chose, plus cette image la harcelait et refusait de la quitter. Pourquoi cela avait-il dû s'arriver? Tout allait si bien.

Elle posa le livre à côté d'elle n'arrivant pas à se concentrer sur le texte et ferma les yeux espérant de sombrer dans le sommeil où la peur la lâcherait.

«Reviens, Neymar. Reviens, je ne peux pas vivre sans toi».

Marcelo faisait tout pour la consoler mais comme lors de la semaine qui suivit la mort de son bien-aimé, Soledad resta refermée sur elle-même et défaite. Seule la promesse qu'il lui avait proférée la gardait encore en vie mais plus les journées passaient et plus le désespoir commençait à ronger son coeur.

Elle entendit la porte s'ouvrir avec fracas et rouvrit les yeux. Marcelo était revenu. Elle se leva et sortit de sa chambre pour aller à sa rencontre mais entrée dans le salon elle poussa un cri.

Neymar gisait dans les bras de Marcelo et Thiago, torse nu, la poitrine et le visage lacérés par des marques écarlates, les yeux clos.

«Oh mon Dieu! s'écria Soledad en accourant vers son bien-aimé. Neymar!

- Il est vivant».

La voix de Marcelo sonna sourdement.

«Libère la table et mets des serviettes mouillées par-dessus. Fais vite».

Soledad hocha la tête et entra dans la cuisine. Ses pensées s'étaient figées et elle bougeait presque machinalement. Elle enleva tout ce qui se trouvait sur la table et la recouvrit de plusieurs linges. Elle regarda Marcelo et Thiago allonger Neymar sur le dos, tout meurtri lui aussi.

Marcelo se pencha au-dessus du corps de son ami et observa ses plaies.

«Sa peau a été rongé par l'eau bénite, murmura-t-il, ils l'ont bel et bien torturé. Ses brûlures sont toutes vives, ils l'ont fait plusieurs fois».

Il regarda sa peau devenu marbre.

«S'il me reçoit pas de sang immédiatement, il risque de mourir.

- Prends le mien, s'exclama Soledad en tendant ses deux bras.

- Non, Soledad, pas le tien, jamais.

- Alors prends le mien, Marcelo, parla Thiago, tu sais mieux récolter le sang que moi».

Le jeune homme hocha la tête et prit un bol, un couteau et une bouteille d'alcool. Il sortit de la cuisine pour revenir tout de suite après avec un garrot.

Il aurait lui même donné son sang mais son ami avait raison, il était le seul à savoir comment le faire.

«Assis-toi, commanda-t-il en désinfectant le couteau puis la main de Thiago. Je vais donné à Neymar la quasi majorité du sang que j'aurai prélevé. Après il va falloir nettoyer ses plaies avec le restant mélangé à de l'eau».

Soledad n'arrivait pas à détacher son regard du corps de son bien-aimé. Ses poignets étaient déchirés et ses mains si belles étaient toutes gercées, mêmes ses paumes. Son coeur se serra en voyant les lésions sur son visage blême et exténué, les brûlures descendre son cou et couvrir l'entièreté de sa poitrine, ses côtes, son ventre, ses bras. Elle s'approcha de lui et caressa doucement ses cheveux emmêlés ayant trop peur de lui faire mal. C'est alors qu'elle remarqua la flétrissure sur son épaule.

«Marcelo, regardes».

Sa voix trembla. Le jeune homme pencha sa tête de côté et serra ses dents en découvrant la marque.

«Non... Ils n'ont pas osé... La marque du diable», chuchota-t-il.

Soledad releva ses yeux. Son regard était inquiet mais calme, elle refusait de céder à la peur mais une nouvelle étincelle brilla dans ses yeux, elle connaissait l'avilissante histoire de la croix de Saint-Pierre.

«Est-ce que je peux aider? demanda-t-elle. Je peux nettoyer ses plaies.

- Attends pour l'instant, mieux le faire quand il se réveillera, répondit Marcelo.

Il entailla le poignet de Thiago et le plaça au-dessus du bol. Le sang goûta rapidement et remplit vite le récipient. Marcelo serra le garrot autour de son bras et lui tendit une serviette.

«Cela suffira? demanda Thiago.

- Cela devrait».

Il versa une petite quantité dans la casserole avant de se placer à côté de Neymar. Il entrouvrit ses pâles lèvres et releva légèrement sa tête. Le sang coula dans sa bouche. Le puissant élixir irrigua ses veines desséchées colorant sa peau devenue presque transparente. Le bol se vida peu à peu mais le visage du vampire resta figé, sa poitrine immobile.

«Diable! s'écria Marcelo en posant brutalement le bol sur le comptoir de la cuisine et empoignant le couteau. Il ne se réveille pas»!

Il s'ouvrit le poignet et plaqua sa plaie aux lèvres de son ami. C'était dangereux, il le savait, mais il n'allait pas le laisser mourir comme la dernière fois.

«Allez»! murmura-t-il en plissant ses yeux.

Comme ayant entendu sa prière, Neymar s'agrippa à son bras et planta ses crocs dans sa chair le faisant gémir. Il aspira une longue gorgée de sang et sa poitrine se souleva avec un spasme.

«Oui»!

Il continua de boire avidement vidant de sang le bras de Marcelo avant que celui-ci lui l'arrache et recule d'un pas laissant Soledad s'approcher.

Neymar échappa un soupir et ouvrit faiblement ses yeux émeraude. Son regard était épuisé et imprégné de souffrances qu'il avait endurées.

«Soledad, souffla-t-il d'une voix rauque en esquissant un sourire.

- Tu es revenu, murmura-t-elle, les larmes aux yeux.

- Jamais je ne t'aurai laissé, ma belle Soledad».

Neymar prit sa délicate petite main blanche dans ses doigts restés intacts et ferma les yeux.

La jeune fille murmura son nom en caressant sa tête et releva un regard reconnaissant sur Marcelo puis sur Thiago. Sans lâcher sa main, elle prit une serviette préalablement mouillée et l'appliqua délicatement sur son visage. Un tressaillement parcourut le jeune vampire mais il se détendit aussitôt.

«Comment te sens-tu? demanda la douce Argentine en arrêtant de frotter une brûlure qui lui traversait la joue. Je ne t'ai pas fait mal?

- Tu ne m'as jamais fait mal, Soledad, le seul contact de ta main dans la mienne me redonne des forces».

Il rouvrit les yeux et la contempla avec amour. Il tourna légèrement sa tête et vit ses deux amis debout pas loin de lui, souriants, heureux de le revoir de nouveau parmi eux.

«Merci pour tout, dit-il en leur répondant d'un sourire, sans vous je serai encore inconscient si ce n'est pas mort et merci d'avoir veillé sur Soledad.

- Nous sommes tes amis, Neymar, tes frères. Ta vie est notre vie, ta compagne notre soeur, prononça Marcelo.

- Nous ne voulions pas te reperdre encore une fois, être de nouveau incomplet et séparés», termina Thiago.

Marcelo examina une dernière les plaies de son ami s'assurant qu'il était hors de danger et sortit amenant Thiago avec lui afin de laisser le jeune couple enfin réuni ensemble.

Soledad commença à nettoyer les blessures de son bien-aimé veillant à ne pas lui infliger de douleur soulageant son corps meurtri. Neymar garda son regard rivé sur elle, un sourire peint sur les lèvres. Elle lui avait tellement manqué et la voir enfin tout prêt de lui, saine et sauve, sous l'emprise de personne, le remplissait de bonheur à en oublier ses souffrances physiques.

«Soledad».

La jeune fille se pencha au-dessus de son visage et l'embrassa tendrement sur les lèvres. Elle essuya doucement le sang resté collé à sa poitrine lacérée avant de presser la serviette contre son épaule marqué. Le regard de Neymar s'assombrit et il serra ses dents, se rappelant de son infâme flétrissure.

«Est-ce que c'est mon frère qui t'a fais cela? demanda Soledad d'une voix déchirée.

- Oui, répondit Neymar ne pouvant lui mentir.

- Réponds-moi honnêtement, combien de fois-t'a-il torturé sauf dis moi la vérité.

- Il a essayé trois fois de me faire révéler l'endroit où tu te cachais sans résultat. Aucun mot, aucune parole ne sont sortis de mes lèvres. J'aurai préféré mourir que de te voir de nouveau malheureuse, obligée d'aller contre ton gré. Ta vie vaut beaucoup plus que ma mienne et le supplice m'était adouci en sachant que tu étais en sécurité. Même lorsque j'ai été traîné derrière un cheval et laissé à croupir dans un cachot, la seule pensée de toi me redonnait de l'espoir».

Soledad frotta sa marque et soupira, la gorge serrée. Malgré ses paroles dévouées, elle remarqua ses yeux étinceler de haine, son regard se détourner de honte. Voulant le réconforter, elle prit sa main dans la sienne mais sans le vouloir, ses doigts effleurèrent sa paume à vif. Neymar gémit en tressaillant.

«Oh, pardonne-moi! s'écria-t-elle. Je ne voulais pas»!

Sa poitrine se souleva dans un sanglot et elle fondit en larmes.

«Soledad, ce n'est rien, ne pleures pas! Tu ne m'as pas fait mal, c'est moi qui ai pris ta main trop rapidement.

- Comment a-t-il pu t'infliger cela? Je le hais! Je le hais»! bredouilla-t-elle.

Neymar vit ses yeux rougir et ses lèvres trembler dans un pleur et son coeur se déchira. Il aurait tellement voulu la serrer contre lui, la rassurer que tout était fini. Il leva faiblement son bras et caressa sa joue.

«Ne pleure pas, je suis avec toi à présent, je...

- Je ne peux plus voir Lionel te causer du mal, te voir souffrir pour moi!

- Je ne pouvais pas lui dire où tu trouves, Soledad, mais tout va bien maintenant...

- Il t'a humilié, t'a marqué au fer rouge! Il a envoyé ses hommes contre toi alors que tu m'avais sauvé la vie et l'honneur! Si ce n'était pas pour toi, mon nom aurait été souillé et j'aurais été marié à un homme qui m'avait voulu du mal! Au lieu de te remercier, de te laisser au moins vivre une vie tranquillement, Lionel te capture, bafoue ton honneur et te brûle avec de l'eau bénite! Lionel n'est plus rien pour moi à présent, je ne suis plus sa soeur! Je le hais! Tue-le, Neymar! Je ne veux plus qu'il te cause, qu'il nous cause des souffrances»!

Le regard du jeune vampire brilla.

«Tu veux que je me venge? demanda-t-il lentement.

- Oui».

Il n'eut pas à répondre, son assouvissement illumina son visage. Épuisé par la conversation, il ferma les yeux et soupira. Trempant une serviette dans l'eau mélangée au sang, Soledad la passa sur son front et essuya ses larmes.

«Je ne peux pas vivre sans toi, murmura-t-elle.

- Moi non plus, ma Soledad, mon coeur ne bat que pour toi».

Quand Marcelo revint, il trouva le jeune couple endormi, Soledad assise à la table sa tête s'appuyant sur le bois et Neymar le visage tourné vers elle. Leurs doigts étaient enlacés.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top