Chapitre 20 : Suspicions
Alors qu'Ayden talonnait Yu pour qu'elle garde le rythme aux côtés de la jument pie de Britta, cette dernière lui tendit son panier rempli de racines, de champignons et des rares fleurs d'hiver qui étaient trouvables en cette fin d'année étonnamment douce. Il accepta le panier et la remercia d'un sourire maigre, attachant le fruit de ses recherches sur le côté de sa selle. La fraîcheur engourdissait le chant des oiseaux, mais Ayden appréciait le silence qui berçait la promenade. Alors que Britta semblait plutôt intéressée par les fourrés enneigés dans lesquels ils s'engouffraient, Ayden, lui, ne pouvait s'empêcher de baisser les yeux vers les grandes mains de la tavernière, dont la peau pâle laissait facilement voir le trait encore rouge vif d'un tatouage sur sa main droite.
Il esquissa un sourire en remarquant le motif circulaire du dessin, qui semblait être composé d'un script en une langue qu'il ne connaissait pas.
— J'espère que tu seras heureuse avec lui, souffla-t-il. Le tatouage cérémoniel te va bien.
— Oh, merci... je n'y suis pas encore habituée... (Elle leva la main tatouée devant ses yeux :) Ïona est vraiment gentil et il travaille dur. Un peu nigaud et entêté, parfois! Mais c'est ce que j'aime chez lui. Même si je ne peux pas le voir tous les jours, je ne regrette pas de l'avoir épousé. J'espère que tu pourras le rencontrer cet été quand il reviendra de ses trajets en Pyrreïm!
Les yeux d'Ayden se plissèrent sous l'attendrissement de la confession. Il était ravi que Britta ait trouvé quelqu'un pour l'accompagner dans le long et déroutant chemin qu'était la vie et dans la gestion complexe et aliénante de sa taverne. Après tout, il était bien plus facile d'arpenter cette route avec quelqu'un qu'on aimait plutôt que d'y aller seul avec le poids de nos problèmes sur nos épaules.
— Ïona... il vient d'Härwest?
— Oui, c'est un cavalier de Cëbhel, avec tous les tatouages! Je le connaissais depuis bien avant que tu ne viennes ici. Je l'ai rencontré à Mylhin alors que je faisais des provisions pour la taverne, autant de dire qu'après un verre ou deux, ça a été le coup de foudre. Maintenant, c'est lui qui s'occupe de l'envoie de mes provisions et de mes alcools depuis presque cinq ans! Je me disais qu'il était temps d'officialiser notre relation... et le tatouage est plutôt cool.
Elle ricana et son regard espiègle se tourna vers le bras de Ayden.
— Tu devrais t'en faire un aussi, continua-t-elle. Ça t'irait sûrement mieux que ce machin.
L'interpelé baissa les yeux vers l'attelle qui gardait son poignet en place et poussa un rire nerveux. C'était sûr qu'il n'avait pas l'air gracieux du tout : l'impossibilité de diriger sa jument comme il le voulait l'avait rendu nerveux, mais Yu, placide comme jamais, se contentait de suivre docilement le chemin qu'empruntait Britta.
— En tout cas, souffla-t-il. Merci de m'aider à trouver toutes ces plantes pour Sardas, j'aurai eu du mal à les récupérer tout seul. Monter et descendre de selle me fait horriblement mal au dos.
— Le plaisir est pour moi! Mais quelle idée d'aller te promener en forêt durant une saison aussi humide : t'aurais dû savoir que tu aller te prendre plein de racines et te vautrer dans un trou!
— J'allais pas rester enfermé pendant des heures à attendre que l'hiver passe, répliqua-t-il avec un sourire amusé : l'excuse qu'il avait trouvé pour ses blessures avait été étonnamment efficace et même les griffures sur son visage, une fois nettoyées, paraissaient correspondre à celles d'un inconscient s'étant malencontreusement éraflé de partout en tombant.
— Tu changeras jamais, toi...
Après un soupir amusé, Britta retourna son regard vers le chemin boueux et jamais abouti qui menait vers Mérégris, mais un rictus mal dissimulé de sa joue attira l'oeil d'Ayden, qui leva un sourcil questionneur.
— A quoi tu penses?
— Oh, rien de spécial... c'est juste que... (Son regard brillant et son sourire narquois s'effaça l'espace d'un instant pour laisser place à des sourcils froncés d'inquiétude, mais son attitude espiègle revint rapidement quand elle se pencha vers lui :) Pardonne-moi si je suis trop intrusive, mais c'est dans ma nature — je suis tavernière, après tout —... je me demandais juste ce que tu traficotes dans la forêt.
Ayden sentit le sang déguerpir de son visage et son estomac faire un tour sur lui-même. Décidément, il était soit vraiment très peu discret — ses nouvelles blessures en étaient la preuve formelle —, soit toute la ville l'épiait dans son deux. Et connaissant les gens de Mérégris, les deux hypothèses étaient plus que probables. Il déglutit sa bile aussi discrètement que possible et tenta d'effacer son bégaiement pour rester naturel, en vain :
— Euh... rien de spécial... oui, rien.
Britta se mit alors à pouffer doucement et chaudement, avant d'être brusquement prise d'un accès de fou rire qui le fit instinctivement rougir jusqu'aux oreilles. Alors que son hilarité se calmait peu à peu, elle tira sur sa bride pour s'approcher de lui et lui donna un coup de coude taquin dans le flanc.
— Ah, attends, tu me fais trop rire- tu sais vraiment pas mentir, tu t'en rends compte, au moins?
La remarque l'empourpra davantage, mais il ne nia pas la question : il se contenta juste de jeter un regard timoré vers le sol, à la recherche d'un quelconque soutien dans la verdure écrasée sous les sabots de sa jument. Cela devait bien amuser Britta, car son sourire refusait de s'effacer, bien au contraire : il était si large sur ses joues rouges qu'Ayden s'inquiétait qu'elle ne reste coincée dans cette position.
— Tu peux tout me dire, hein. J'en ai peut-être pas l'air, mais je sais garder des secrets. Je sais que tu aimes voir l'extérieur, mais il y a forcément une raison pour que tu sortes tous les jours sans faute... (Elle cligna de l'oeil, puis elle se pencha vers lui après avoir jeté un regard furtif autour d'elle, utilisant sa main comme un porte-voix contre son oreille :) C'est ton amante, c'est ça?
— Quoi- n-non! (Ayden, plus rouge que jamais, avait l'impression de mourir intérieurement à cause de l'embarras, mais le soulagement de l'ignorance de Britta manqua tout de même de le faire soupirer un peu trop fort :) Je n'ai pas d'amante.
— Ton amant, alors?
— Non!
Britta était prise d'une nouvelle crise de rire face à sa consternation mêlée d'amusement. Elle essuya une larme qui perlait du coin de son œil pour lui offrir une expression étonnamment douce.
— C'est dommage, je pensais que t'étais plutôt du genre romantique. Je suis sûr que tu plairais à beaucoup de gens.
— Ah, pas vraiment, non : les gens du Nord sont plus intrigués par mon apparence qu'attirés. Ils se demandent toujours d'où je viens et pourquoi je suis là, alors que je suis né ici... mais je n'ai pas le temps pour tout ça pour le moment, de toute façon.
— Mais il y a bien quelqu'un qui t'intéresse, non?
— Pas vraiment... je n'ai peut-être pas encore rencontré la bonne personne. Mais pour l'instant, je me concentre sur mes études, c'est plus important pour moi.
— Je comprends : j'étais comme toi il y a quelques années. T'inquiète pas, tu trouveras quelqu'un quand tu te sentiras prêt.
— Pourquoi tu me parles comme si t'avais vingt ans de plus que moi...
Ils échangèrent quelques autres plaisanteries avant d'être accueilli par un ciel dégagé et un soleil étonnamment radieux : devant eux, les arbres se clairsemaient pour laisser voir la muraille de la cité de Mérégris. Voyant cela, Britta ses cuisses pantalonnées de tissu contre sa jument, qui partit à un trot allongé. Elle fit faire un tour sur elle-même à sa monture et son sourire espiègle revint rapidement sur son visage fin.
— C'était une super promenade, préviens-moi quand tu veux recommencer! Mais ne crois pas que cette conservation est terminée, je te ferais cracher le morceau un jour! Foi de Britta!
Elle donna un vif coup de talon et son cheval, bien plus vif et nerveux que Yu, se déroba sous lui au quart de tour pour partir au galop. Ayden la regarda partir, le sourire aux lèvres, et leva le bras pour la saluer, signe auquel elle répondit d'un signe de main presque indiscernable à cause de sa folle cavalcade. Finalement, elle finit par se fondre à l'horizon dans le gris des murailles de la ville.
Quand Ayden fut sûr d'être hors de portée des regards, son sourire s'effaça et il soupira. Talonnant Yu, qui partit au pas sans broncher, il la dirigea vers les écuries de Sardas. La promenade l'avait épuisé bien plus que d'habitude : ses muscles le tiraillaient encore suite à sa chute et les suspicions de Britta l'avaient fait paniquer plus d'une fois. Heureusement, la jeune femme voyait encore ses escapades comme une bonne plaisanterie... mais pour combien de temps? Peut-être devrait-il tout lui avouer un jour, au lieu de patauger comme il le faisait avec une personne aussi perspicace qu'elle...
Lui qui avait espéré se changer les idées et se relaxer avec une bonne promenade... ses études l'attendaient, maintenant. Il devait se vider la tête.
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