Chapitre 4 : Adversaire - Partie 1


Sérieusement ?

Mon visage était l'indifférence personnifiée, alors qu'une tempête émotionnelle faisait rage à l'intérieur, menaçant d'effondrer mes barrières et de tout détruire sur son passage.

Qui a bien pu les a influencer ? Quelqu'un de suffisamment influent apparemment.

Mais ce n'était pas important, car désormais j'avais une excuse pour arracher la moelle épinière de ce connard. Et j'étais très impatiente.

— As-tu des recommandations particulières ?

— Non. Je pense que nous avons toutes les informations nécessaires. En revanche, j'aimerais revoir une dernière fois ce que nous avons récolté sur lui.

Père hocha la tête et manipula avec le plus grand soin les pages jaunies par le temps. Cet objet familial transmit de génération en génération, retraçait les faiblesses de toutes Créatures des Ténèbres puissantes et potentiellement dangereuses, et ce depuis la création du tournoi.

Je regardai avec attention et admiration le vieux livre poussiéreux. Ce n'était rien de plus qu'un simple ouvrage, poussiéreux et vieux lié à notre sang ; pourtant, ce qu'il y renfermait ne pouvait que me rendre fière de ma lignée, et un jour proche, il serait entre mes mains.

— Creighton Strige, cent cinquante ans. S'entraîne avec son père Victor Strige depuis l'âge de dix ans. Il s'est spécialisé dans la boxe thaïlandaise et dans le maniement des couteaux balistiques éjectables. Il faut que tu te méfies des couteaux qu'il place entre les vertèbres T5 et T6, T7 et T8, et la 12e vertèbre dorsale, mais également de sa vitesse, ainsi que de ses coups puissants au niveau du sternum. Il utilise des endroits hors d'attente car ses bras sont très faibles, en revanche prend garde à ses pouvoirs vampiriques ; c'est un secret très bien gardé et il existe des milliers de possibilités.

Je hochai la tête, mémorisant une fois de plus chacune de ces précieuses informations.

Père recula dans son siège et arbora pour la première fois depuis mon entrée dans la pièce, un sourire confiant, bien que cela était une façade.

— Je ne suis en aucun cas inquiet de la suite, cet enfant Vampire n'arriverait même pas à battre l'un de nos poupons.

Je lui fis un sourire poli, bien que j'eus envie d'hurler de rage. Même après tout mes efforts, il ne reconnaîtrait jamais ma force.

Il baissa la tête sur son bureau et tria des papiers. Je compris alors que notre entrevue était terminée.

— J'attendrai sur mon bureau le compte-rendu de ton enquête sur ce Chef de clans.

Je me levais, prête à partir, mais de son index il m'indiqua de me rassoir, et cela ne me rassura aucunement.

— Aux dernières nouvelles, je ne t'ai pas congédié, fit-il d'un ton qui me glaça le sang. À partir d'aujourd'hui tu effectueras tes entraînements seule, et ce, jusqu'à nouvel ordre. Ou au moins jusqu'à ce que nous sachions quand aura lieu le combat.

Le choc me paralysa de stupeur, mais la colère la remplaça bien vite. Comment osait-il ? Un adversaire était l'essence même d'un combat. Et les combats étaient la vie d'un Chasseur, son carburant. C'était dans notre sang, notre ADN, c'était ce pour quoi nous avions été créés. C'était un châtiment digne d'une torture psychologique d'Eaton Cynidd Hunter.

— Mais Père, vous ne pouvez pas ! Surtout pas avant le tournoi ! J'ai besoin de maître Gabriel afin d'effectuer les techniques que j'utiliserai lors...

— C'est un ordre ! aboya le Roi, dont le ton et le regard dur ne laissaient place à aucune rébellion. C'est déjà très aimable de ma part de te laisser t'entraîner, même seule, au lieu de t'enfermer dans la grotte. (Je frissonnai, comme si, rien qu'avec un simple nom, mon corps savait, se souvenait.) Penses-tu que je ne serais pas mis au courant de ta rechute de ce matin ? Que mes espions ne viendraient pas m'informer de chacun de tes gestes ?

Je me rassis, serrant férocement les accoudoirs de mon fauteuil. La culpabilité me serra la gorge comme un étau. J'avais été stupide de croire qu'il ne l'apprendrait pas sur-le-champ, surtout avec Mère ayant assisté à toute la scène.

— Veux-tu peut-être, au vu de cette rechute, reprendre le Veritas, très chère ?

Je serrai les dents, la tête bassée.

— C'est bien ce que je pensais. Estime-toi heureuse que je ne te prive pas de tout. Mais comme je suis magnanime, je t'accorde une chance de rédemption. Ce soir tu accompliras la mission que tu as tant quémandé, et je veux des résultats. Et caches mieux que ça ta déficience ! Que je ne te surprenne plus à hausser le ton de la sorte avec tes... tes émotions, bafouilla-t-il, ou la menace du Veritas n'en seras plus une. Maintenant, tu peux disposer.

Encore une fois, il m'excluait de notre société, j'avais été stupide de croire que cela avait changé, que cela pouvait changer.

Je lui fis une révérence crispée et sortis dans un calme feint. Les portes se fermèrent derrière moi dans un grincement. Zaïan sortit de l'ombre, suivant mon pas dynamique. Au bout de plusieurs minutes, s'étant assuré qu'il n'y avait personne dans le long couloir, il chuchota doucement :

— Ouh là, là, dit-il une voix plate, soit il t'a privé de mission, soit il t'a sanctionné.

Je lui lançai un regard qui signifiait « approche et je t'égorge avec mes ongles » et continuai mon chemin dans les innombrables couloirs. Il ricana et accéléra également son pas afin de me suivre.

Les couloirs étaient anormalement vides. Et aucun bruit, pas même le bruit de nos pas ne venait perturber la tranquillité des vieilles statues bordant nos chemins. Seule ma colère semblait brouiller cette atmosphère sereine et calme.

— Ok, j'ai l'impression de comprendre, s'il t'a... sanctionné d'une quelconque façon c'est qu'il avait une bonne raison, non ? Nous ne connaissons peut-être pas les desseins de notre Roi, mais il ne se trompe jamais.

Je le foudroyai du regard. Comment osait-il me juger alors qu'il ne comprenait ni mes tourments, ni même ce que j'avais enduré durant mon enfance ? Ah oui, j'oubliais, c'était un Chasseur, il n'avait pas d'émotions.

Je ne pris pas la peine de lui répondre et ouvris brutalement la porte de mes appartements, qu'il referma derrière lui.

— Allez Queenie...

Respire, Queen. Respire et prend sur toi. Il ne comprend rien, ce n'est pas sa faute. Il n'a pas choisi d'être ce qu'il est...

Mais toi oui peut-être, me chuchota une voix familière. Je la repoussais.

— Tu ne devrais pas être ici, fis-je d'une voix glaciale, si quelqu'un le découvre...

Il posa son doigt calleux sur mes lèvres et un lent sourire de prédateur éclaira son visage.

— C'est connu, les Chasseurs aiment le danger. De toute façon, je n'ai pas peur, (Il rit de sa propre blague.), et puis je ne partirai qu'une fois que tu m'auras dit ce qui se passe.

Que Sharès me vienne en aide ! Les Chasseurs sont vraiment stupides.

— Rhh ! Tu es vraiment exaspérant lorsque tu y mets du tien, râlai-je. Je ne comprends pas pourquoi les autres Chasseurs disent que tu es muet.

Je pris une inspiration, mes poings s'ouvrirent et se fermèrent de frustration.

— J'ai été sanctionnée, soupirai-je lasse et encore en colère, je suis privée d'entraînement collectif jusqu'à nouvel ordre.

Il me lança un regard disant « allez quoi ne fait pas durer le suspense », ce qui me fit éclater d'un rire sans joie.

— La raison principale, est une sanction pour l'accident de ce matin lors de mon entraînement. J'ai... j'ai... (Je déglutis avec peine, la culpabilité comme une boule solide dans ma gorge.), j'ai pratiquement tué un Chasseur sous le coup de ma colère.

Le dire à voix haute ne faisait que rendre mon crime plus affreux, et plus encore devant un Chasseur pour qui les émotions étaient une tare.

— Et je suppose que c'est également une « vengeance » de mon paternel, en raison de mon impertinence. Il n'a pas apprécié que je le contredise et que je ne lui lèche pas les pieds en admiration à chacune de ses paroles...

Et qu'il ne peut pas me soumettre au Veritas en raison de l'approche du tournoi, ne dis-je pas à voix haute.

— Ne parle pas comme ça du Roi ! gronda-t-il, me prenant au dépourvu.

Je le regardai, ébahie, même si cela ne devrait pas m'étonner. Le conditionnement des Chasseurs était profondément ancré dans son subconscient. Je frissonnai à cette pensée. Je sus alors avec une certitude douloureuse, que, s'il devait choisir entre Père et moi, ce ne serait jamais le choix que mon cœur voudrait.

— C'est dangereux ce que tu fais Queen, reprit-il, c'est notre Chef de clans, notre Roi. Tes propos sonnent comme l'annonce d'une mutinerie, ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?

Je me mordis la joue jusqu'au sang. Pourquoi je cautionnais les paroles qu'il avait envers sa Princesse/ Représentante/ Héritière ? Ah oui, à cause des sentiments stupides de mon cœur.

— Avec tes actes et tes paroles, il serait en droit de t'évincer du Trône ou de te décapiter, et personne ne l'empêcherait...

pas même moi.

Ces mots non prononcés flottèrent entre nous et l'atmosphère devint glaciale. C'était clair comme de l'eau de roche ; il ne ferait rien pour le protéger. Père, oserait-il faire cela contre la chair de sa chair ?

Oui, me souffla une petite voix.

Ça ne faisait aucun doute, il aurait une excuse valable pour enfin éliminer la défectueuse qui pourrissait son sang ; et quoi de mieux qu'une mutinerie pour justifier ses actes ? Peut-être qu'il profiterait de cette mission pour me tuer ou m'éloigner définitivement du Trône ?

— Quelle mission ? reprit soudain Zaïan.

Et merde, j'ai parlé à haute voix ?

— Alors ? Quelle est cette mission dont on ne m'a pas informé en tant que Garde Royal ?

Sa voix sans timbre et détachée me fit l'effet d'une douche froide. Je devrais être habituée à ce manque d'émotions, pourtant, j'avais espéré...

Quoi ? Qu'il te soutienne envers et contre tous ? Qu'il soit comme toi, un monstre ? Une défectueuse ?

Je frissonnai.

Je m'installai nonchalamment sur l'un des sièges de mon salon privé, les jambes croisées au niveau des chevilles, posées sur la table. Puis je m'enveloppai de ma carapace afin de protéger mon cœur si souvent meurtri ; chose que je ne pensais pas un jour faire en sa présence. Chose ridicule. Une coquille vide ne pourrait jamais aimer.

— Cette mission requiert une habilitation que tu ne possèdes pas Garde Leveneur, lâchai-je d'une voix froide.

Son regard n'eut aucune émotion.

Tu t'attendais à quoi ma fille ! fit la voix insupportable.

— Sérieusement, tu me sors du Garde Leveneur ?

— C'est toi qui as commencé, non ?

— Ne fais pas l'enfant, Queen. Comment je peux te protéger, comme le suggère ma fonction, si je ne suis pas au courant de ta mission ?

S'inquièterait-il pour moi ?

Ne sois pas stupide, Queen, me rabrouai-je.

— Très bien, soufflai-je, mais seulement parce que c'est toi !

Faible...

— J'ai suggéré de récolter des informations sur Sélian Black, le plus près possible et qu'importe la manière employée. Ma requête a été approuvé, la mission commence ce soir.

— J'espère que tu plaisantes, Queen ?

Une grimace déforma ma bouche avant que je ne le transforme en un faux sourire taquin.

— Ce n'est pas mon genre.

Il s'approcha comme une sortant des flammes du Shusha et mon corps se raidit, prêt à lui arracher la tête au moindre faux pas.

— Tu n'as pas suggéré quelque chose d'aussi stupide !

— Tu oses me parler sur ce ton ? grondai-je. Black est dangereux, il est donc nécessaire de récolter des informations sur lui. Et je n'ai pas besoin de me justifier auprès de toi, qu'importe le statut que je donne à notre relation !

Je crus voir une minuscule étincelle dans son regard, et mon traître de cœur s'emballa à cette perspective.

— Veuillez m'excuser, Votre Altesse, (Son ton était froid et ses mots moqueurs, presque insultants dit de cette manière. Ils firent vite retomber mes stupides espoirs comme un soufflet.) mais n'importe qui aurait pu effectuer cette mission. Tu es l'Héritière et tu as suffisamment d'obligation pour ne pas perdre ton temps avec ce genre de mission.

Sa voix plate, sans timbre, me blessa bien plus que je ne l'aurai pensé, pouvait-il réellement n'avoir aucune émotion ?

Je me massai les tempes, prise d'une envie de meurtre beaucoup plus prononcée.

— Je croirai entendre mon père ! dis-je en levant les yeux au ciel. Je suis la Représentante d'Orbis, ainsi que l'Héritière du clan des Chasseurs. Par conséquent, il est de mon devoir d'anéantir mes ennemis, ainsi que ceux qui mettent en péril cette paix que nous connaissons. Je surpasse chaque Chasseur, je suis donc la plus à même de mener cette mission. Pour gagner ce tournoi et pour la sécurité de mon peuple, je suis prête à faire n'importe quoi ; et en l'occurrence à récolter des informations au plus près de ce Démon.

— À tout, vraiment ? Au plus près ? Qu'est-ce-que tu serais réellement prête à faire pour ton peuple, Queen ?

Je n'appréciais pas la direction que prenait cette conversation. Était-ce de la jalousie ?

Ne rêve pas, idiote.

— Qu'est-ce que je serais prête à faire pour mon peuple ? Pour sauver des milliards de vies ? Absolument tout. Même si pour cela, je dois jouer avec ses sentiments et faire semblant de le courtiser.

— Oh ! Alors rien ne t'arrêtera ? Pas même notre couple !

Sommes-nous réellement un couple ? Tu ne m'aimes pas. Tu ne sais pas ce qu'est l'amour.

— Zaïan... ne joue pas avec mes sentiments.

— Est-ce cela le pouvoir de la grande Héritière ? lança-t-il sans prendre la peine de m'écouter. Si tu choisis cette voie-là, tu feras honte à ton espèce et à ce peuple que tu veux tant protéger. Tu ne vaudras pas mieux que les putes qui le servent dans son lit. Arawn, lui, ne se serait jamais abaissé à de telles actions.

Ses mots furent plus tranchants qu'une lame et me lacérèrent le cœur plus fort encore que lorsqu'ils sortaient de la bouche carmin de Mère. Les larmes me piquèrent les yeux, et je papillonnai des cils afin de les faire partir. La colère et l'amertume m'envahirent comme une tornade. Pourtant, pour la première fois devant lui, je restai stoïque et sans émotion.

— Cela suffit ! Je pense que tu en as assez dit. Je ferais tout, je dis bien TOUT, même entrer dans son lit pour pouvoir protéger mon peuple. (Le mensonge me brûla la gorge.) Et au risque de me répéter, Garde Leveneur, ton avis et jugement ne comptent pas dans mes décisions royales.

Je ne suis qu'une possession pour toi, tu ne m'aimeras jamais comme moi je t'aime.

— Je vois. Même au risque de perdre tous ceux que tu aimes, ce qu'il y a entre nous, ainsi que ta crédibilité en tant que Créature ?

Non ! Je t'aime. J'abandonnerais le Trône pour toi. Je brûlerais la terre entière pour toi...

— Vaux-tu plus que le Trône ? dis-je une voix empreinte d'ennui.

Il me regarda simplement et ne paraissait nullement blessé par mes propos. Alors que moi, j'étais dégoûtée de les avoir prononcés. Il ne comprendrait jamais le poids d'être un souverain, ainsi que les choix que l'on doit faire afin de protéger tout un peuple d'une menace aussi grande que celle que je pressentais. Je ne comprenais pas moi-même cette idée viscérale que, si je ne gagnais pas, le monde touchait à sa fin, ainsi que mon peuple. Serais-je tout de même prête à tout pour cela ?

— Avec tes beaux discours sur les émotions, je pensais que tu serais différente comme tu l'affirmais. Toi, la Princesse Chasseresse pourvue de sentiments. Finalement, dès qu'une Créature qui te ressemble s'intéresse à toi, tu es prête à manquer de dignité sous une fausse excuse noble afin d'oublier que tu es défectueuse et que tu ne mérites pas le titre que tu as volé à ton frère. Tu ne vaux pas mieux que toutes les Créatures que l'on chasse.

Une nouvelle lame invisible s'enfonça entre mes côtes jusqu'au cœur.

— As-tu fini ? J'ai des projets plus importants à régler.

— J'espère pour toi qu'il vaudra le coup.

Il avait beau n'être pourvu d'aucun sentiment, ses mots étaient d'une cruauté sans égal et il le savait pertinemment.

Il quitta mon salon sans un regard. Je ne bougeai pas, pétrifiée. Un seul mouvement de ma part et toutes mes émotions allaient voler en éclats.

Octavia posa son service à thé sur la table devant mes pieds. Aucune chaleur ne s'échappait de la théière, elle devait être là depuis un moment. Elle n'avait dû rater aucune parole. Même sans cela, elle pouvait lire dans mon cœur comme dans un livre ouvert, comme seule une mère pouvait le faire.

— Je ne vais pas vous juger pour vos paroles, Votre Altesse, je pense que vous vous faites suffisamment mal toute seule... mais vous avez bien fait de le rejeter. Cette relation ne pouvait que mal se terminer. Si quelqu'un en avait eu vent ou apprenait que vous étiez seule avec un homme... que Sharès vous vienne en aide, souffla-t-elle, dépitée. Si quelqu'un d'autre était entré à ma place, les conséquences auraient pu être désastreuses...

Elle n'eut pas besoin de terminer pour que je comprenne le sous-entendu, « ma tête et celle de Zaïan sur une pique ».

Les lèvres tremblantes, j'empêchai un sanglot de m'étouffer.

— Ne t'inquiète pas Octavia, dis-je d'une voix chevrotante, cela ne se reproduira plus.

— Bien. De toute manière, entre vous et moi, chuchota-t-elle sur le ton de la confidence, c'était un rustre, un imbécile et un... (Elle se racla la gorge.), il n'était pas fait pour vous. Seul quelqu'un avec un cœur peut vous aimer convenablement.

Un élan d'amour m'enveloppa et je la serrai tendrement dans mes bras. Elle sécha une larme sur ma joue et je sortis du salon en direction de ma chambre d'un pas las, accompagnée d'un poids au cœur.

— Prenez une douche, puis ça, fit-elle en posant sur la commande un flacon au liquide bleuté. Au vu des circonstances, cela ne vous sera que bénéfique.

Les yeux fermés, j'attendis qu'elle eut fermé les portes derrière elle avant d'ingurgiter la semi-drogue cul-sec et de m'effondrer sur le lit dans un sommeil sans rêve. 

*

Les flashs des appareils photo m'éblouirent, et le regard de Mère me brûla. Je pouvais presque l'entendre me dire « ne fais pas de faux pas et ne nous humilie pas ». Un mantra qu'elle ne cessait de me répéter.

Mes parents discutaient face à moi, mais je ne les entendais pas. J'oubliai mon environnement afin de me préparer à ma mission, seul le flash régulier des paparazzis derrière la vitre teintée de notre voiture me maintenait dans cet état profond.

Père claqua de la langue, brisant ma concentration. Il plongea son regard brun dans le mien et je ne pus réprimer un frisson devant cette minime démonstration de pouvoir qui vibrait autour de lui comme des ombres.

— Si tu te laisses envahir par tes... émotions devant qui que ce soit, en particulier devant notre ennemi... (Il laissa la menace flotter dans l'habitacle.). Je n'ai pas besoin de te rappeler ce qui t'attend ; tu en connais déjà les conséquences.

Je déglutis et la honte m'envahit. Même après tout ce temps, personne n'avait confiance en moi. Je serrai les poings et étouffai les prémices de mes vagues émotionnelles. Si je pensais à la douleur que me causait l'indifférence de mes parents, je ne pourrais plus garder par la suite mon masque de Chasseur.

— Cet homme est déjà une menace suffisante, nous n'avons pas besoin qu'il obtienne des informations sur nous et qu'il ait un moyen de pression. Il a apparemment suffisamment de gros bonnets sous sa coupe, mais je suis sûre que je n'ai pas besoin de le répéter. Suis-je assez clair ?

— Oui, Père.

Je refoulai une grimace.

— Bien. Tiens-toi prête, Héritière, car le jeu commence maintenant.

La portière de la berline s'ouvrit, et les journalistes se ruèrent à bonne distance de lui, l'incendiant de flashs ainsi que de questions. Mère le suivit à son tour, n'oubliant pas au passage de me lancer un regard qui en disait long.

Je pris une grande inspiration et calmai le tremblement de mes mains. Une fois que je fus suffisamment remise, mes parents étaient déjà à l'intérieur et les vautours étaient impatients. Dès lors que je fus sorti de la berline, l'odeur de sueur et d'excitation me frappa de plein fouet et je me retins de froncer le nez. Je plaquai sur mon visage une expression froide et indifférente.

Les femmes et les hommes de toutes races essayèrent de se créer un passage à coups de coude et d'épaule afin de m'apercevoir. Certains hurlèrent leurs questions et d'autres huèrent « À bas la race régnante », mais je ne m'en préoccupai pas. Je restai concentrée sur le tapis noir d'encre sous mes pieds et sur la porte dorée face à moi. Les Chasseurs assignés à ma protection avaient délimiter un passage et maintenaient à bras le corps les journalistes un peu trop fougueux. Je n'avais pas l'habitude d'être à ce point épiée, une chose qu'Arawn, lui, aurait apprécié, et encore une chose qui nous différenciait.

Je déglutis difficilement. Son ombre planait constamment. Je me sentais obligée à chaque instant de me comparer à lui.

Stop Queen, c'est toi l'Héritière, pas lui, concentres-toi.

Avoir des visages familiers autour de moi me réconforta plus que je ne voulais bien l'admettre. Je sentis le poids du regard de Zaïan dans mon dos, mais ce n'était pas le moment de m'en préoccuper. Une odeur se distingua des autres, stoppant ma foulée. Elle me remplit de chaleur et d'un sentiment étrange. De la... nostalgie ?

Un silence de mort s'abattit devant le bâtiment en pierre blanche.

Qu'est-ce qui se passe ?

Le monde sembla retenir son souffle, comme le calme avant que la tempête ne s'abatte.

— Cela ne vous dérange pas d'avoir un Roi comme imposteur ? lança un homme d'une voix suave.

Qui a parlé ? Pourquoi j'ai l'impression de connaître cette voix.

Je me tournai et me retournai avec un sentiment de malaise, une impression étrange me tenant les entrailles. La tête me tourna et je sentis mon sang bouillir comme de la lave en fusion. La sueur perla le long de ma colonne vertébrale exposée par le dos nu de ma robe et l'impression de brûler de l'intérieur m'ôta toutes pensées cohérentes. Une main invisible me serra le cou, empêchant l'air d'y rentrer et je suffoquai.

Personne ne bougeait, comme si le temps était figé.

De mes mains, j'essayai d'enlever cette prise invisible, mais mes efforts furent vains. Le souffle me manqua et mon cœur battait si rapidement que je crus qu'il s'échappait hors de ma poitrine. Pétrifiée par cette force, et mon cerveau en manque d'oxygène, je n'arrivai pas à me concentrer sur mes pouvoirs, comme s'ils étaient bloqués.

Tout à coup, l'étau autour de ma gorge se desserra, et l'écho de voix hurlant et les flashs revinrent aussi brutalement qu'un rocher s'écrasant sur le sol, comme s'ils n'étaient jamais partis.

Les jambes flageolantes, je me dirigeai le plus dignement et rapidement possible à l'intérieur du bâtiment sécurisé. Tout le monde était encore accaparé par l'arrivé du roi et de la Princesse consort et je n'eus aucun mal, une fois passé les portes, à me faufiler derrière les battants.

Je posai ma main sur le mur et longeai le couloir et rapidement je trouvai ce que je cherchais. Ma main passa à travers la pierre, et je m'engouffrai dans l'espace, faussant compagnie à mes gardes. La petite alcôve inconnue de tous était protégée par une illusion et personne, à moins de passer sa main, ne savait qu'elle existait.

Appuyée contre la pierre, je glissai jusqu'à sentir le sol glacé sous mon corps, les mains tenant mon cou. Mon être entier tremblait et mes poumons me brûlaient.

Qui a bien pu vouloir me tuer ?

Ce ne pouvait être l'un des Héritiers, ils n'auraient pas pu se cacher dans cette foule sans être reconnu.

Un assassin ?

Impossible.

Toute cette haine... cette rancœur. Ce n'était pas anodin. C'était un avertissement. Cette personne, qui que cela pouvait être, était puissante. Très puissante même. Personne, depuis très longtemps, n'avait montré une telle puissance... à part moi. Et cette personne voulait informer, moi et moi seule : qu'elle existait et se tapissait dans l'ombre, attendant son heure. Quoi qu'elle puisse aspirer, cela risquait de nous mettre tous en péril.

Et que voulait-il dire au juste, un roi imposteur ? Père a gagné son tournoi, alors pourquoi avait-il dit ça ? Cela n'avait aucun sens.

Je déglutis et chassai ces pensées. J'y réfléchirais plus tard.

Vérifiant la stabilité de mes jambes, je passai délicatement la tête à travers le sortilège. N'apercevant personne, je sortis de ma cachette, en restant dans l'ombre d'une colonne de marbre. Tout le monde était accaparé par la personne près du Trône et je pus marcher dans le couloir de colonnes dans leur dos jusqu'aux portes désormais closes derrière moi. Je me composai un visage sans expression, puis, à l'aide de mes pouvoirs, j'entrouvris légèrement les lourdes portes avant de les refermer bruyamment, provoquant une entrée triomphale.

Le silence se fit dans la salle du Trône, et toute la haute société des Ténèbres conviées ce soir, se retourna d'un même mouvement. En un siècle d'existence, je n'avais jamais été autant au centre de l'attention, et cette salle qui m'était officiellement inconnue jusqu'à présent, m'étouffait. Je n'étais pas à l'aise et contrairement à mes adversaires, je ne la connaissais pas. Je n'avais jamais été autorisée à participer aux évènements officiels, ni à voir Le Trône.

J'avançai lentement tout en m'empreignant de ce faste et de cette magnificence, de ces colonnes aux gravures dorés, et de ces fresques relatant nos histoires. Si seulement au lieu de faire le mur pour passer les autres paliers, j'étais -au risque que mes escapades soient rapportés par Zaïan- venue ici. C'était l'objet de mes désirs secrets, et pourtant je n'avais jamais osé.

Mon souffle se coupa et les larmes me montèrent aux yeux. Le Trône m'accaparait, plus rien n'existait ; il n'y avait plus ni nobles, ni Héritier, ni roi, juste ce Trône d'obsidienne taillé dans une pierre unique jamais retrouvée. Il m'appelait d'une voix enchanteresse : « Viens mon enfant, tu le sens au fond de toi... ». C'était étrange, comme si je devais être ici, devant lui.

D'après la légende, il aurait été sculpté avec le sang de Sharès, une offrande au premier Roi. Quatre hauts piques s'élevaient du dossier vers le ciel et brillaient d'une lumière invisible. En leur milieu, trônait une épée de la même pierre, pointe vers le bas. Elle faisait penser à une épée de Damoclès qui flotterait au-dessus de la tête de celui qui s'y installerait, et pour rappeler à tous que le Trône n'appartenait à personne. Les pieds de celui-ci, en forme de serpents, ne le rendaient que plus spectaculaire. Il dégageait une telle force de pouvoir que l'on devait s'agenouiller devant lui ; même sans la présence d'un roi, il forçait le respect.

Les invités me regardaient curieusement et je pris conscience que je m'étais arrêtée en plein milieu de la salle. Je repris mes esprits et rejoignis lentement l'autre invité d'honneur de la soirée en analysant l'assistance. Un certain Chef de clans attira mon regard bien malgré moi ; Black leva son verre dans ma direction, un sourire charmeur cloué sur ses lèvres indécentes. Je détournai le regard, la chaleur aux joues, et poursuivis mon chemin.

Creighton Strige, était installé sur l'un des deux fauteuils royaux qui avait été exceptionnellement installé à côté du vrai Trône pour la soirée. Il affichait sur son visage parfait une expression de pur ravissement. Surplomber la salle comme Père tant de fois auparavant, lui donnait un aperçu de ce qu'était « être roi », et tout dans sa posture laissait penser qu'il s'imaginait déjà à cette place.

Le Vampire se leva avec une moue dédaigneuse et descendit les escaliers de sa démarche gracieuse d'être surnaturel. Tout le monde s'écarta de son passage, confortant son impression royale. Ma mâchoire se crispa légèrement, seul signe de mon énervement. Et son sourire arrogant me prouvait qu'il appréciait toute cette attention. Son apparence de gentleman et d'homme avenant ne pouvait couvrir l'éclat de son regard glacial et calculateur.

J'entendis soupirs et gloussements à son passage et Savoir que cet homme plaisait à beaucoup de Créatures me remplit d'un immense dégoût ; ne voyaient-elles pas le monstre sous cette apparence humaine ? Pourtant, je pouvais le sentir faire des saltos arrière sur ma langue.

— Votre Altesse, s'inclina-t-il dans une révérence.

Il me tendit son bras et je le pris à contrecœur, en serrant les dents. Malgré sa chemise de soie noire impeccable où trônait une broderie de l'emblème des Vampires -une couronne d'épines avec une goutte de sang-, je sentais le froid mordant de sa peau. J'eus la désagréable sensation de me frotter à un bloc de glace.

Il remonta les marches en ma compagnie et nous nous installâmes sur nos fauteuils qui furent tout aussi glacé que son corps, pourtant, je le trouvai bien plus agréable.

Je n'étais qu'à un effleurement du Trône, je sentais comme un palpitement émaner de lui, j'étais si proche et pourtant si loin ; Il m'appelait de façon rythmique, comme un battement de cœur.

, assis à ma gauche, se pencha près de mon oreille et comme la veille, une montée de bile menaça d'envoyer mon déjeuner sur les Gucci des dames à quelques mètres en contrebas. Il brisa l'atmosphère étrange qui s'était emparée de moi et je n'entendis plus ce déroutant battement.

— Nous sommes les premiers à nous affronter, si cela n'est pas le désir de Sharès, je ne sais pas ce que c'est, rit-il.

C'est vrai que graisser la patte de ces vieux croulants est plus rapide, me retins-je de marmonner.

Il s'approcha plus près encore, mon instinct de Chasseur se réveilla alors et mes muscles se tendirent. L'appel de son sang était fort et pendant une seconde, je me demandai pourquoi je résistais à son chant mélodieux. Mes doigts se posèrent instinctivement sur mon poignard. Je savourai la lourdeur du métal froid contre ma cuisse et sur le bout de mes doigts. Étrangement, cela me permit de garder la tête froide afin de ne pas enfoncer la lame dans son cœur que j'entendais palpiter comme un appel.

— Je me ferai un plaisir de sentir votre sang glisser le long de mes doigts lorsque je vous arracherai le cœur. Ce sera ma plus belle victoire. Nous ne sommes pas obligés de nous entre-tuer, mais personne ne remarquera que cela était volontaire, chuchota-t-il si bas que personne à l'oreille surhumaine ne pouvait l'entendre, à moins d'être à notre place.

Creighton s'écarta, un sourire ravi collé sur sa tronche de sale con parfait. Je me léchai les lèvres, enthousiasmée ; il venait de réveiller mes instincts les plus cruels.

Je briserai chacun de tes os afin de me repaître de tes cris. Puis je me ferai un plaisir de te couper un membre après l'autre avant de dévisser ta sale tête de co...

Mes pensées pleines d'allégresse furent interrompues par le tintement d'une cuillère sur du verre, puis de la voix forte et rauque de notre Roi.

— Bonsoir à tous. Je vois que beaucoup de nobles du monde entier se sont déplacés pour les festivités. Comme vous le savez, le Magnum Consilium a parlé. Le clan des Chasseurs affrontera celui des Vampires lors de l'ouverture de ce tournoi. Veuillez encourager nos deux Héritiers, Queen Hunter et Creighton Strige !

Une salve d'applaudissements retentit et je ne pus empêcher mon regard de dériver vers ce Chef de clans mystérieux. Il me fixa de son regard intense d'une couleur jaune étrange. D'ici, je pus voir l'amusement et l'arrogance dans ses yeux. Il m'examina de pied en cap et je me sentis minuscule sous son regard scrutateur. J'avais une impression étrangement dérangeante, comme s'il savait. Qu'il savait que j'étais différente des autres Chasseurs, que je ressentais des émotions, et que cela l'amusait de me regarder me débattre. D'un coup, il sourit. Il souriait comme s'il pouvait entendre mes pensées.

Les voix se turent autour de moi ou bien, je ne les entendais plus, car j'étais comme hypnotisée, captivée par cet homme. Cet homme si étrange dont personne ne semblait digne de son intérêt. Un intérêt qu'il semblait à présent me consacrer, et je savais que ce n'était pas flatteur. Sa sollicitude avait forcément un but et cela avait tout à voir avec des objectifs macabres. Jusqu'ici, je ne l'avais vu s'adresser à personne. Ni même montrer le moindre signe d'intérêt ou de regard pour quelqu'un. Soit il préférait s'écarter de toute personne au risque qu'un individu ne découvre ce qu'il pouvait bien cacher, soit il essayait de se fondre dans la masse afin d'observer tout le monde et peut-être d'en tirer des secrets. Quoi qu'il cherchait à faire, cela se finirait mal pour lui, puisqu'un Chef de clans haï, méprisé, ou seul, ne tiendra pas longtemps. Et que pouvait-il bien faire pour que les Démons restent dans le rang ? Par loyauté ? Par peur ? Était-il si puissant que ça ?

Le Vampire à mes côtés brisa le cours de mes pensées avec un coup suffisamment fort de ses chaussures hors de prix pour me briser la jambe. Je quittai du regard le Démon afin de lui lancer un regard assassin. Du menton, il me désigna les journalistes, ce qui ne fit qu'accentuer mon envie de meurtre. Je ne pus empêcher le sourire machiavélique de s'épanouir sur mon visage et je n'avais pas besoin d'un miroir pour savoir qu'il était effrayant. Mais au vu de ce que j'allais faire, je ne voulais même pas le cacher.

Ne quittant pas Strige du regard, je posai lentement ma main sur la sienne, un signe banal pour le monde extérieur. D'une impulsion magique, je délogeai l'aiguille cachée dans ma bague et l'enfonçait lentement dans le dos de sa main. Je vis la surprise dans son regard. Je m'en délectai autant que la sensation du métal fin qui s'enfonçait couche après couche dans sa chair. Une minuscule goutte de sang perla de sa main lorsque je retirai l'aiguille discrètement.

— Si un jour vous retentez de me frapper sans mon consentement, ce ne sera pas une simple aiguille empoisonnée qui traversera votre corps, chuchotai-je, ravie.

Je vis son visage livide se décomposer à la suite de mes paroles. Le sourire qui étirait mes lèvres ne me quittait plus, même lorsque je descendis les marches sous les applaudissements des nobles. Ces charognes nous encourageaient faussement, attendant juste un os à ronger afin de se repaître du prochain malheur de leur homologue. Je les remerciai d'un signe de tête. Peu m'importait que tous les soirs, ils priaient que Sharès soit avec moi, ou de leurs demandes de rester forte face à la force de tous ces hommes puissants. Je savais ce que j'avais à faire, et ce n'étaient pas leurs encouragements voilés de mépris, ou un dieu, qui me viendraient en aide afin d'obtenir le Trône. Non, ce sera seulement par ma propre force que je réussirai.

Je suivis l'une des rares petites fées encore de ce monde dans le dédale de couloirs à la gauche des fauteuils. Ses petites ailes violettes brillaient sous les rayons de lumière et une odeur de lilas imprégnait son sillage. Je vis du coin de l'œil le Vampire partir dans une autre direction, le pas chancelant, en suivant une gargouille qui le dégoûtait manifestement.

Au moins, personne ne visionnera les interviews avant d'être retransmis au bulletin de demain.

Mère, fière et droite, m'attendait devant la salle insonorisée. Son regard habituel me détailla, et je pus lire sur ses lèvres lorsque je passai devant elle « Pas de bavure, Queen ». Je serrai les lèvres retenant une repartie cinglante. La porte se ferma dans un claquement, et les poings serrés, je regardai le journaliste chauve et bidonnant s'essuyer le front avec son mouchoir de soie orange.

— Si vous voulez bien vous installer, Votre Altesse.

Il me montra la chaise face à lui sur laquelle plusieurs caméras étaient braquées.

Il paraissait nerveux, mais ce n'était qu'une façade. Je pouvais sentir dans son odeur que tout était finement préparé, trop parfait, à l'instar du Démon. Il cachait ses véritables intentions derrière son odeur dans le but d'endormir ma méfiance et d'obtenir de moi les informations qu'il cherchait. Ce qui était dommage pour lui, j'étais conditionnée pour ne révéler aucune information sous le coup de n'importe quelle torture, sauf, si je le souhaitais réellement, et seulement, afin de l'utiliser à mon avantage.

Je pris place sur le siège qui m'était attribué, tout en écoutant d'une oreille les absurdités qu'il débittait : « Cette salle est insonorisée... », « Il n'y a que vous et moi ici... », « Soyez la plus honnête possible... », ou encore « Nous commencerons lorsque vous serez prête... ».

Je me retins de lever les yeux au ciel.

— Nous allons pouvoir commencer, Votre Altesse. La caméra n'est pas encore allumée, souhaitez-vous vous confier ? Je sais que cela peut être très dur de vivre dans notre monde, surtout une jeune Princesse recluse et précieuse telle que vous, qui se cachait jusqu'alors dans l'ombre de son jumeau talentueux.

Je me crispai. Il s'approcha légèrement, posant ses coudes sur ses genoux, mais son ventre bidonnant l'en empêchait réellement. Je me retins de rire de justesse, tant cette scène était absurde.

— Nous pourrions peut-être discuter d'une tactique spéciale, ou encore...

Le nerveux journaliste transpirant et bidonnant, changea totalement et se transforma en homme au regard acéré et au sourire cruel.

Bien... il montre enfin son vrai visage.

— ... d'une liaison secrète avec l'un de vos gardes par exemple, cela ne sortira pas d'ici bien évidemment.

Toute envie de rire s'évapora et le faux sourire que j'avais placardé manqua de s'évanouir, au point que ma lèvre tremblota imperceptiblement. Le regard acéré et sans émotion que je lui lançai n'empêcha nullement les pensées qui se bousculaient dans ma tête.

Est-il au courant pour Zaïan ? Impossible. C'est une coïncidence pour me faire réagir.

Me croyait-il si stupide ? Croyait-il vraiment que je n'allais pas remarquer que les caméras étaient allumées dès lors que j'avais franchi cette porte ?

Le rire faux et calculé qui sortit de ma gorge le déconcerta, et je fus moi-même surprise d'être une aussi bonne actrice. Lorsque je m'arrêtai d'un coup, le regard vissé dans le sien, je vis une goutte de sueur perler le long de sa tempe et j'entendis sa salive descendre dans sa gorge devenue soudainement sèche. Cette fois-ci, il ne feintait plus sa nervosité.

— Ne me prenez pas pour une imbécile, je n'aime pas ça. Vous êtes si vicieux, vous, les renards, soulignai-je stoïque et imperturbable.

Entendre ma voix sans timbre et sans émotion m'effrayait tout autant que lui, et ce, à chaque fois ; c'était comme si une autre personne parlait à ma place.

— ... En revanche, je suis surprise que les Métamorphes qui ne peuvent se transformer le soit. Je pensais que vous aviez au moins un peu d'instinct de survie. (Je rapprochai mon buste en découvrant les dents.) Mais apparemment, je me trompais.

Il devint blanc comme linge, et je crus qu'il allait défaillir. Par Sharès ! Où était passé l'homme du début avec le sourire cruel et manipulateur ? Je pensais qu'il était un peu plus costaud que ça, ou qu'au moins, il tiendrait un peu plus longtemps.

— Maintenant, si vous le voulez bien, commençons le vrai sujet de cette interview avant que vous ne me fassiez perdre mon temps pour de bon.

Il essuya sa sueur avec la manche de sa veste, oubliant apparemment le petit mouchoir orange dans sa pochette de costume. J'entendis son cœur battre frénétiquement comme un animal apeuré.

Quel doux son, me chuchota une petite voix.

Je le regardai avec un sourire avenant, il allait réitérer la question, je le savais. L'occasion étant trop bonne pour laisser passer sa chance, et ce, malgré la peur que je pouvais lui inspirer. Décidément, il était bien plus bête que je ne le pensai, même un nouveau-né avait plus d'instinct de survie que lui.

Les journalistes et leur curiosité maladive.

Je levai les yeux au ciel mentalement.

— Ni... niez-vous, Votre Altesse ? Je... je veux dire... il y a des rumeurs qui circulent sur votre liaison avec...

— Assez ! le coupai-je en claquant de la langue. Si vous dites un mot de plus, l'interview risque de ne pas se passer comme vous le souhaitez. Porter de fausses accusations est un gros prix à payer, de plus, ce n'est pas le moment de parler de mes relations existantes ou non. C'est une interview en l'honneur du tournoi, insistai-je. Et je suis sûre que votre collègue de l'autre côté de ce couloir ne demande pas à Creighton Strige s'il a ou non des aventures ou si son frère ferait un meilleur Héritier. Si vous avez d'autres questions sexistes ou inadaptées de ce genre, dites-le-moi tout de suite, car si j'en entends encore une de ce genre, vous risqueriez de ne pas sortir indemne de cette pièce.

La colère et l'indignation me submergeaient par vagues, et il me fallut toute ma force pour repousser mes émotions. Un combat intérieur se jouait en moi, je devais garder une expression et un timbre vide, mais ses mots me donnaient envie de combattre. Et cela me coûtait plus que je ne le voulais. Autant physiquement que psychologiquement.

D'un bond, le journaliste s'agenouilla, son front plein de sueur se posa à mes pieds, et ses doigts poisseux tachèrent le tissu de ma robe anthracite lorsqu'il l'attrapa.

Ce type n'a vraiment aucune fierté.

Je pensais que les renards Métamorphes en avaient, et que malgré leurs fourberies, ils pouvaient être honnêtes. Apparemment non.

J'espérai secrètement qu'aucune émotion ne transparaissait réellement sur mon visage, sinon j'étais dans de sales draps.

— Votre Altesse, je... je vous en supplie... ne ... ne me faites pas de mal... je... je ne mérite pas la... la mort, bégaya-t-il.

Je retins un grognement d'impatience, et mon regard aussi froid que la glace suffit à le faire taire. Un frisson de dégoût me parcourut, car je sus à ce moment que mon regard était le même que celui avec lequel Mère me regardait depuis aussi longtemps que je me souvienne.

— Relevez-vous, je ne vous ferai rien. Je ne maltraite ou ne tue pas les gens pour une simple faute dont ils peuvent se faire pardonner. Sauf si c'est vraiment ce que vous souhaitez, lui fis-je avec un sourire carnassier que seul lui put voir. Nous les Chasseurs avons le don de la justice et de la protection. Et non de la tyrannie et de l'extermination. En revanche, je n'ai aucune patience, alors si vous le voulez bien, cette fois, j'aimerais terminer cette interview au plus vite.

*

Après avoir passé dix minutes à répondre à ses questions, toutes plus inutiles et barbantes que les autres, je pris enfin congé. Un bruit lourd retint mon attention au moment d'attraper la poignée. Le journaliste gisait au sol, évanoui, sa chemise trempée de sueur collant à son corps. Je retins un gloussement et passai les portes, puis le couloir afin de retourner dans la salle.

Les marmonnements et les chuchotements s'éteignirent et tous les regards se braquèrent dans ma direction. Mon apparition ne retint pas longtemps leur attention et de nouveaux murmures retentirent. Près de moi, j'entendis quelqu'un murmurer discrètement :

— J'ai entendu dire d'un serviteur que Creighton Strige avait été installé dans une salle, il serait tombé pendant l'interview la tête la première sur le sol, le corps tout raide.

Elles rirent sous cape derrière leur verre de cristal.

— Il a sûrement bien trop bu d'Aïféa ou... de sang, gloussa de nouveau l'une d'elles.

— Il n'est pas très différent de son père tout compte fait, railla la blonde.

— Je me rappelle bien le dernier tournoi en date, son père était si soûl de sang ou d'autre chose d'ailleurs, que son adversaire n'a même pas eu besoin de se servir de ses poings. Quelle honte !

Elles se mirent à glousser plus fort et en passant devant elles, je mordis l'intérieur de la joue pour ne pas sourire de satisfaction. Le quelconque remord que j'avais pu ressentir disparu en un instant, car cela valait la peine d'entendre ces ragots.

Bien fait pour lui ! Le poison devrait le garder tétanisé un moment encore.

Je sentis le regard inquisiteur de Père au fond de la salle. D'un hochement de tête, je l'avertis que tout s'était déroulé parfaitement, avant de me diriger vers le bar.

Dans l'ombre d'une colonne, un Chasseur me fit signe. Tout en le rejoignant, je déployai mon pouvoir afin de n'être entendue de personne d'autre.

— Qu'y a-t-il Léone ? As-tu découvert quelque chose ?

— Je suis resté dans l'ombre afin de surveiller le Démon comme demandé, Votre Altesse.

Mon regard se posa instinctivement vers l'intéressé, qui à l'évidence m'avait suivi avec attention depuis un moment. Me surveille-t-il ?

— Qu'as-tu appris ? l'interrogeai-je en me détournant du Démon.

— Il sera ce soir dans son club.

— T'a-t-il remarqué ?

— Non, je ne pense pas. Je me cachais dans l'ombre des murs en masquant ma présence, mais étant donné que nous ne savons rien de ses compétences, il vaut mieux ne pas négliger la possibilité qu'il le sache.

— Je vois. Assure-toi de préparer tout ce qu'il me faut pour m'y emmener dès qu'il partira de cette soirée. Je veux une discrétion hors pair. Pas d'autres gardes, seulement toi.

— Que dois-je faire pour notre Roi ? Et pour les gardes assignés à votre sécurité ?

— Informe-les que je suis en mission et dis-leur de rentrer au domaine. Et pour notre Roi, repris-je après une minute de réflexion, informe-le simplement que je commence ma mission. Mais ne le préviens qu'à la dernière minute, juste avant que nous sortions. Je ne veux pas que l'on remarque mon absence plus tôt que nécessaire. Une dernière chose Léone, je ne veux aucun Chasseur sur place. Pas même ceux qui souhaitent s'amuser dans ce club. Personne ne doit être informé de ma venue.

— Compris, Votre Altesse, cela sera fait dans les plus brefs délais.

Il me fit une révérence avant de me tendre un verre puis, il s'éclipsa dans l'ombre.

Sélian Black, dont le regard était toujours braqué sur moi, se dirigea dans ma direction d'un pas fluide. Sur son passage, les nobles s'écartèrent et le regardèrent avec un mélange de peur et de curiosité.

Si je ne fais pas attention, sa sollicitude pourrait nous mettre dans une position délicate.

Voir deux jours de suite le nouveau Chef des Démons en compagnie de l'Héritière des Chasseurs risque de créer des rumeurs qui ne me seraient pas favorables, et les mots « machination » ou « complot » nous colleraient à la peau, qu'ils soient vrai ou non. Si je dois m'approcher de lui, je devrai le faire discrètement et à l'abri des regards et oreilles indiscrètes.

Plein de grâce et de nonchalance, le Démon n'avait pas l'air de s'en préoccuper. Il braqua son regard doré dans le mien et l'éclat de ses yeux me perturba. Sous son attention étrange, mon cœur battit violemment avant que je ne puisse le calmer et tandis qu'il déposait ses douces lèvres chaudes sur le dos de ma main, un frisson me parcourut l'échine et une douce chaleur s'insinua dans mon corps. Et comme devant le Trône, l'impression que tout était à sa place m'empoigna le cœur.

Une odeur enivrante semblait tourner autour de lui, ce n'était ni son essence de Démon, ni son odeur corporelle. Je n'arrivais pas à trouver ce que c'était, et mon cerveau embrumé se liquéfiait à mesure que j'inspirai cette odeur exquise. Chacun de ses doigts sur ma paume laissa dans son sillage une chaleur réconfortante, et je ne voulais à aucun prix qu'il ne les enlève, eux ou sa bouche soyeuse.

Es-tu folle ?

Je détournai le regard en prenant une gorgée de mon xilai, feignant l'indifférence, alors que mes émotions accomplissaient une samba endiablée. Le liquide brunâtre crépita sur ma langue comme les vins effervescents humains. D'abord lentement, la caressant, puis plus sauvage, et hargneux, avant de brûler l'arrière de ma gorge. Une douce fraîcheur se propagea dans mon corps, puis une fumée vert pomme sortit d'entre mes lèvres.

— Chance... C'est une prédiction intéressante, Votre Altesse, susurra-t-il.

Son regard était aussi pétillant que le sortilège sur ma langue.

Par les culottes de Sharès, étouffez-moi !

— M. Black, que me vaut l'honneur de votre présence ? lâchai-je d'une voix, qui à mon grand soulagement, était froide.

— Vous êtes aussi acérée qu'un poignard, mais cela ne me dérange pas outre mesure. Je préfère les Chasseurs au sang... chaud.

Il s'interrompit devant l'étrangeté même de ses propos et m'observa, sa tête légèrement penchée sur le côté. Je fronçai les sourcils avant de me raviser. Il savait. Mais il n'en était pas totalement sûr. L'impression de danger ordonna à mon cerveau de bouger, or je ne fis aucun pas, j'en étais incapable. La pointe de clarté disparut et mon cerveau redevint embrumé. Un sourire malicieux tendit ses lèvres et je déglutis bruyamment devant tant de beauté.

Que se passe-t-il...

— Cela est plutôt surprenant... chuchota-t-il comme s'il se parlait à lui-même.

Ses yeux se mirent à pétiller au point que j'eus l'impression de voir le soleil s'y refléter.

Magnifique.

— ... et comme je vous l'ai dit hier, appelez-moi Sélian.

Mon cœur rata un battement, puis se mit à accélérer comme un pilote de rallye. Son sourire aguicheur fit monter un frisson exquis le long de mon dos. Ses lèvres pleines et sensuelles m'appelaient comme une douce mélodie. À cet instant, je voulus me perdre dans une étreinte sauva...

Par Sharès tout puissant, mais, qu'est-ce qui se passe bon sang ! Reprends-toi, cerveau déglingué !

— Michel, Antonio, ou Paulette, je n'en ai cure, dis-je durement, je préfère vous appeler Black. Où ne pas vous appeler du tout d'ailleurs.

— Vous êtes une femme têtue, plaisanta-t-il avec un sourire qui plissa sa cicatrice.

— Et vous vous êtes agaçant... mystérieux, dis-je langoureusement. Et vous me faites perdre mon temps ! me repris-je, stupéfaite, surprise par mes contradictions.

Son sourire s'agrandit et ses yeux brillèrent de malice. Il se retenait visiblement de rire.

— Ai-je froissé Son Altesse ? Non, bien sûr que non. De telles émotions ne sont pas envisageables pour les Chasseurs. Aucune d'ailleurs.

Il marqua une pause, la tête penchée sur le côté, mais cette fois-ci, il me faisait penser à un prédateur, avec un sourire bien trop futé. Mon instinct de Chasseur se réveilla, lentement.

— N'est-il pas bon d'être mystérieux ? Les gens se posent des questions et inventent des rumeurs, laissant planer la vérité. Je n'ai rien à faire à part me réjouir de leur stupidité et de leur peur qu'ils se sont eux-mêmes créées.

— Pourquoi me faites-vous la conversation ? N'y a-t-il pas l'un de vos sbires pour vous tenir compagnie ? Ou bien l'un de ces nobles de votre race qui n'attend qu'une seule chose, que vous daigniez leur adresser une miette de votre intérêt ? Non, repris-je agacée, au lieu de ça vous êtes ici à m'enquiquiner sur la façon dont je devrais vous appeler ou comment il est bon d'être mystérieux.

Il rit et leva un sourcil. J'eus du mal à ne pas fondre et cette dualité me surprit. Que m'avait-il fait ? Je ne comprenais pas mes réactions excessives, ni même pourquoi mon cerveau voulait à tout prix lui plaire. J'avais l'impression de me battre mentalement contre moi-même.

— Je préfère largement votre compagnie Princesse, vous êtes, je dirais... passionnante, voire même... différente.

Je refoulai un hoquet de stupeur.

— Et peu m'importe que ces nobles souhaitent ou non mon attention, reprit-il d'une voix devenue dur.

Sa mâchoire se serra, son regard se perdit dans ses souvenirs. Sa longue cicatrice et ses yeux aussi froids que ceux d'un serpent dévoilèrent le monstre tapi dessous, celui d'un Démon puissant.

— Tous ces gens faux ne m'intéressent pas. Je n'ai pas eu besoin d'eux avant, et je n'ai pas besoin d'eux maintenant. (Son visage reprit une allure amusée.) De plus, vous êtes la seule personne ici qui soit digne de mon intérêt.

— Dois-je m'en inquiéter, monsieur Black ?

— Ne soyez pas si rigide enfin ! Détendez-vous, Princesse.

Sélian Black s'approcha, laissant à peine un pas entre nos deux corps. Je pouvais sentir la chaleur de son corps passer à travers ma robe et son odeur corporelle. Un mélange de pluie et d'orage qui se mêlait parfaitement avec son odeur de feu et de fer de Démon. Mais, comme la première fois, quelque chose clochait dans son odeur et je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.

Ses lèvres s'approchèrent dangereusement des miennes, me faisant retenir mon souffle, puis, elles les glissèrent vers mon oreille. Son souffle chaud me fit presque lâcher un soupir.

— Un Chasseur en chasse est dangereux, mais une proie peut l'être tout autant.

Ses lèvres frôlèrent un instant mon lobe, et un courant électrique me parcourut. Sharès tout puissant !

Il déposa son verre sur la table près de moi, un sourire vainqueur aux lèvres. J'étais prête à parier qu'il savait exactement l'effet qu'il me faisait. Émotions ou non.

— Est-ce une menace ? grognai-je, moins en colère que je ne l'aurai dû, mais oubliant furtivement mon masque.

Il rit et son rire emplit mes oreilles de la plus douce des mélodies.

— Non, bien sûr que non, je n'oserai jamais. J'ai été ravi de discuter de nouveau avec vous, Votre Altesse. J'aurai adoré continuer notre charmante... (Il se lécha les lèvres.) conversation, mais malheureusement, les affaires m'appellent. Si vous voulez bien excuser, mon apparition ici est terminée. Bonne soirée, Queen Hunter.

Il s'éloigna et son ombre se perdit dans la foule qui se referma sur son passage. Les mains serrées autour de mon verre, je restai immobile, incapable de comprendre ce qui venait de se passer. Mon cerveau embrumé sembla reprendre conscience petit-à-petit, comme si un voile s'enlevait à mesure qu'il s'éloignait.

Je suis sûre qu'il savait déjà pour mes émotions, mais comment ? Il joue avec moi, mais pourquoi ? Est-ce qu'il me traque pour le pouvoir ou bien... pour le plaisir ? Pourquoi fait-il semblant de me courtiser ? Pense-t-il que de quelconques sentiments m'empêcheront de l'affronter ?

Ça n'avait aucun sens ; ses paroles, son odeur, tout était calculé. Mais pourquoi ? Que voulait-il cacher ? Mais quelque chose me perturbait plus encore que cela, pourquoi j'avais semblé si éprise de lui ? Mon cerveau embrumé, mes pensées perdues, l'odeur alléchante...

Merde ! C'était donc ça ! Quel Démon perfide ! Il a utilisé ses pouvoirs sur moi. Par Sharès, je vais aller lui arracher les... Rah !!

Beaucoup de Démons avaient déjà eu recours à ce stratagème pour attirer leur proie. Ils les enivraient d'un parfum envoûtant, composé de plusieurs hormones et phéromones pour ensuite mieux les attirer dans leur filet. J'en avais été informée bien des années plus tôt, ils l'avaient même testé sur moi lors de ma formation, mais, le vivre avec un homme si... séduisant et visiblement très puissant n'était pas la même chose. Et Sélian Black était de toute évidence bien supérieur à un Démon mineur.

À quoi tout cela rimait-il ?

— Queen Émérialle Hunter.

Le ton aussi dur que la pierre me sortit de ma transe et mon corps tout entier se crispa. Dieu tout puissant. Son visage impénétrable si familier me cloua sur place.

— Utilise tes pouvoirs pour que personne ne nous entende. Tout. De. Suite.

La voix calme et posée de Mère promettait bien plus de danger que si elle ne hurlait. Une bulle transparente impénétrable nous enveloppa, étouffant les sons autour de nous.

— Te rends-tu compte de ce que tu viens de faire ? Tout le monde a vu que tu flirtais avec ce Chef de clans, ce... Démon, cracha-t-elle. Je suis sûre qu'il s'est aperçu de ta défectuosité ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi enfin ! Je t'avais dit de ne pas faire de bavure, et toi, tu joues les mijaurées avec cette Créature. NOTRE ennemi. Tu es irresponsable !

Si nous n'avions pas été en présence de la haute société, elle n'aurait eu aucune hésitation à me piétiner à l'aide de ses escarpins. J'en étais presque soulagée, même si ses mots me blessaient encore après toutes ces années. Elle gardait une stature neutre afin de préserver les apparences, et j'étais la seule à voir sa soif de sang ou les muscles de ses mains crispés, prêts à frapper.

— Avez-vous fini, Mère ? Puis-je en placer une ?

Mon dédain ne lui avait visiblement pas échappé, car son visage devint aussi rouge que ses lèvres. Ses poings tremblaient, mais à mon grand étonnement, elle n'opposa aucune résistance.

— Tout d'abord, je n'ai pas à me justifier auprès de vous, mais seulement auprès de notre Roi. Par ailleurs, ce dont vous m'accusez est ridicule, car il n'y a eu aucun flirt, juste une conversation entre deux adversaires. Mais qu'importe, pensez ce que vous voulez, vous ou les nobles ici présents. J'ai une mission à accomplir, et si l'image qui est sortie de notre entrevue était du flirt alors, ainsi soit-il ! De toute manière dans la noblesse, la vérité n'importe pas. Maintenant si voulez bien m'excuser, Mère, j'ai ladite mission à débuter.

Le corps tendu à se rompre, son pouvoir s'échappa de ses pores, menaçant son contrôle. Peut-être que ce n'était pas très futé de ma part de provoquer son égo, mais bon sang, ça m'avait fait un bien fou. Les regards voyagèrent dans notre direction. Même si mon pouvoir étouffait nos paroles, toute personne un tant soit peu perspicace aurait pu constater l'animosité entre l'Héritière et la Princesse consort.

— Je n'ai pas dit mon dernier mot, Queen. Attends-toi à recevoir la conséquence de tes actes, cracha-t-elle.

Elle partit dans un coup de vent, le visage aussi impénétrable qu'à son habitude.

D'un coup, l'atmosphère devint lourde, menaçante et une rage intense flotta dans l'air ; si puissante que je la sentis brûler le fond de ma gorge. La salle se tut, ébahi par le Vampire qui se dirigeait d'un pas rageur dans ma direction. Il venait sans doute de se réveiller, le corps tout endolorie, et visiblement, ça ne lui avait pas plus. La rage exsudait par chacun de ses pores comme si elle était tangible. Je poussai un soupir las.

Ne peuvent-ils pas tous me laisser deux secondes de répit ?

— Vous avez apprécié le spectacle ? Vous devez être ravie, non ?! hurla-t-il le visage rose. Vous m'avez humilié devant toute la haute société ! Tous ces ragots, fit-il dans un grand signe de bras, à cause de vous ! Ma crédibilité...

— Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même, Creighton, le coupai-je.

Tous les curieux nous observaient aussi discrètement qu'il était de mise dans la haute société ; c'est-à-dire très ouvertement et sans se cacher.

Ils sont pires que les Skylarks !

— Je vous avais prévenu de ne pas boire autant, dis-je sans émotion, tandis que je jubilai intérieurement.

Ses yeux bleus devinrent aussi rouges que le sang et son pouvoir palpita autour de lui.

— Sale petite garc..., grogna-t-il, furieux.

— Un problème, Votre Grâce ? s'exclama Léone à mes côtés, la main mise en évidence sur son poignard.

Le regard du Vampire se tourna sur la lame. Ne voulant pas faire d'esclandre, son pouvoir s'estompa, mais ses yeux, eux, gardaient une couleur rouge brillant tant de pouvoir que de haine.

— Je vous ferai tomber du piédestal sur lequel notre très cher Roi vous a placé.

Il s'éloigna comme un enfant mécontent et cette fois-ci, je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel. Bien que Père n'avait pas eu le choix après la mort d'Arawn, il ne m'avait jamais placé sur un piédestal. Rien que l'idée me faisait rire. Mais c'était l'excuse des hommes pour nous piétiner. Dévaloriser les femmes était pour eux un moyen de se sentir plus fort, et c'était pitoyable. Chaque fois qu'une femme avait un brin de pouvoir, elle l'avait forcément eu grâce à un homme et non grâce à ses capacités. Si j'en étais là aujourd'hui, c'était uniquement grâce à moi, et à personne d'autre. J'avais mérité ma place et mon statut. J'avais donné de mon sang. De ma sueur. Et de mon âme. Chose que lui ne connaîtrait jamais. Son cher papa lui offrait tout ce qu'il désirait sur un plateau d'argent. Il n'avait jamais connu la souffrance telle que je l'avais subie pour en être là maintenant.

D'un signe de tête, je suivis discrètement Léone dans les couloirs que j'avais emprunté avant tout ce remue-ménage. J'ouvris la première porte que je trouvai et nous entrâmes dans la pièce sombre. Léone ouvrit la seule fenêtre de la pièce vide et sauta. Je m'en rapprochai également et soulevai délicatement ma robe.

— J'aurai dû cacher un pantalon, ça m'aurait évité de sauter la culotte à l'air.

J'enjambai la fenêtre en râlant, puis je sautai à mon tour. J'atterris sans un bruit en lâchant un juron.

— Mes escarpins !

Je n'avais pas pensé qu'en atterrissant, mes talons s'enfonceraient dans la terre, quelle plaie !

Une berline noire aux vitres teintées nous attendait dans la pénombre. Mon acolyte m'ouvrit la portière et je lâchai un soupir, ravie de cette tranquillité soudaine. Léone, en parfait soldat, avait été précautionneux et disposé tout un attirail sur la banquette arrière. Couteaux, tenue de rechange et casse-croûte.

Par Sharès tout puissant, qu'il soit béni.

Un magnifique panier de muffins tous chauds fit gronder mon estomac et m'ordonna de les manger sur-le-champ. Je croquai dans un de ceux à la myrtille et me retins de fondre. Mes préférés.

Le gâteau entre meslèvres, je troquai ma longue robe anthracite contre une tenue bien plusappropriée pour un club. Léone, aussi silencieux qu'un mort, prit la direction del'Ascenseur à la frontière de l'Entre-Deux.

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