Chapitre 3 : Sempiternel


lI fait sombre. Non. Aussi noir que les ténèbres. Ma vue ne m'est d'aucun secours. Je déglutis avec peine.

Où suis-je ?

Les mains de chaque côté de mon corps à l'horizontale, je touche du bout des doigts un mur. La pierre lisse de chaque côté est froide, glaciale.

J'avance à tâtons, un pas après l'autre.

Quelqu'un me fait-il une plaisanterie ?

Je ne saurais le dire.

Mais je ne ressens aucune peur. J'ai même l'impression d'être en sécurité alors que je ne sais absolument pas où je suis, ni comment j'ai atterri dans cet endroit.

— Approche mon enfant, chuchote une voix dans la brise qui secoue mes cheveux détachés et ma fine chemise de nuit.

— Qui est là ?! hurlé-je.

Mon cœur s'accélère.

Je me retourne, mais je ne distingue rien d'autre que les ténèbres environnantes.

Je me sens beaucoup moins rassurée mais je continue à marcher.

— N'aie pas peur... je ne te veux aucun mal.

Ok, ça commence à devenir inquiétant.

— Qui êtes-vous ? Dites-le-moi sur-le-champ avant que je ne vous égorge !

— Tu es trop mignonne, gloussa la voix étrange. Viens, suis-moi.

Un petit éclat de lumière apparaît au bout du couloir de roche dans lequel je me trouve.

Cela me semble vraiment inquiétant, mais ma curiosité est plus forte que mon envie de fuir.

Suivant cette lueur, je débouche finalement sur une petite cavité. La source de cet éclat m'éblouit soudain, et je me retrouve aveuglée pendant quelques instants qui me paraissent durer une éternité.

Je me frotte les yeux... et laisse échapper un hoquet de stupeur. Une forme haute comme un immeuble se tient devant moi, son corps composé de flammes mouvantes.

Je distingue seulement une silhouette, mais je ne saurais dire laquelle. La lumière est trop vive. Toutefois, c'est sublime.

Elle est sublime.

Les couleurs se succèdent, tantôt rouge tantôt orange. Puis jaune et un mélange des trois, et ainsi de suite à l'infini.

Bouche bée, je reste la langue pendante d'admiration. Sans que je puisse me retenir, je m'approche de la Créature oubliant toute peur et toute logique, et tends la main.

Je m'attends à ce que ses flammes me brûlent, mais non, elles sont chaudes et douces comme la soie. Comme si elles étaient palpables.

Mon toucher était timide au début, mais désormais j'écarte les doigts, les enroulant fermement dans sa fourrure enflammée.

— Tout doux mon enfant, ça chatouille !

— Ahhhhh, hurlé-je en faisant un bond en arrière.

La Créature glousse, puis rapproche ce qui ressemble à son visage du mien.

Je déglutis, plongeant mes yeux dans les siens.

Ils me sont étrangement familiers et aimants.

— Qui êtes-vous ?

Ma voix n'est qu'un murmure et tremble.

La bête sourit, mais au lieu de fuir la queue entre les jambes et de hurler de nouveau de terreur, son sourire me détend complètement.

Je ne me sens pas en danger en sa présence, ce qui est étrange. Je me sens plus en sécurité avec elle qu'avec ma propre famille...

— Tu le sauras tôt ou tard. Pour le moment je dois te dire quelque chose d'important.

Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot tant je suis stupéfaite.

— Bientôt tu devras affronter des ennemis puissants. Tu ne pourras te fier à tes yeux, ta tête ou ton ego. N'écoute que ton cœur... lui, ne te trompera jamais. Ta haine te poussera dans une direction, mais ton cœur, lui, connaît le chemin et t'y emmènera lorsque tu seras prête. Le lien du s...

Mon réveil tinta et je sursautai d'un bond.

La douce chaleur de mon sommeil se dissipa et le froid me glaça le sang.

Les bribes de mon rêve se floutèrent, puis s'évaporèrent.

Était-ce important ?

C'était l'impression que j'avais.

La sonnerie hurla dans mes tympans, me tirant une grimace. Je grognai de désapprobation tout en me bouchant les oreilles.

— Rhh. Tais-toi ! grognai-je.

Mon pouvoir de renforcement ondula autour de moi et fit exploser le réveil.

Un sourire aux lèvres, je déposai ma tête sur l'oreiller et fermai mes paupières alourdies, cherchant de nouveau dans le sommeil.

La porte s'ouvrit dans un fracas et des pas mécontents résonnèrent dans la pièce.

Une violente lumière m'éblouit, ce qui me fit grogner davantage.

Non ! Je veux dormir. Laissez-moi me rendormir !

L'impression que je devais poursuivre ce rêve me collait au corps alors que je n'en avais maintenant plus aucun souvenir.

— Votre Altesse, avez-vous encore cassé votre réveil ?

Je marmonnai quelque chose d'inintelligible.

Octavia souffla de désapprobation qui s'intensifia à mesure qu'elle me découvrit de mes draps. J'entrouvris les yeux en grognant de plus belle, cette fois-ci bien réveillée.

— Je peux comprendre pour la robe, mais vous auriez pu au moins vous débarbouiller, souffla-t-elle, exaspérée.

J'émis un grognement qui, à moitié endormie, se rapprochait plus d'un gargouillis. Je n'eus pas le temps de me réveiller complètement qu'Octavia se mit déjà à défaire la robe et à me préparer.

Les deux heures de sommeil que j'avais pu grappiller ne me permettaient pas d'être au maximum de mes capacités. Outre mon rêve qui me laissait une sensation rassurante et protectrice, mon sommeil avait été perturbé par deux yeux jaunes, des décapitations et beaucoup, beaucoup de sang.

Après cette nuit, suivi des événements de la veille, je n'avais ce matin, aucunement envie de vaquer à mes obligations. Je les comparais à un repas en compagnie de Vampires. Ennuyeux, brutal et en aucun cas agréable.

Octavia me poussa vigoureusement dans la salle d'eau et déclencha un sortilège réparateur. Je fermai les yeux, laissant échapper un gémissement.

Ma douce, si douce Octavia, que ferais-je sans toi ? Grâce à toi je ressemblerai, à peu de choses près, à une personne ce matin.

Les prochains jours risquaient d'être difficiles. Et encore, c'était un euphémisme.

Un frisson me parcourra.

Je frémissais tant d'anxiété que d'excitation. Un cocktail dangereusement grisant.

Lorsque j'ouvris les yeux, ma dame de compagnie me fusilla de son regard de jade les bras croisés, visiblement mécontente.

Ma minute bien-être est visiblement terminée.

Elle me tendit une serviette en marmonnant des propos incompréhensibles comprenant les mots « princesse » et « fainéante ». Son attitude m'arracha un sourire et je soupirai pour la forme.

J'éteignis l'eau à contre-cœur et sortis de la cabine.

— Vous avez une lourde journée aujourd'hui et vous êtes en retard sur votre planning. Gabriel vous attend et il paraît aussi maussade que le peut un Chasseur.

— Je n'ai eu que deux heures de sommeil... ne peuvent-ils pas laisser un peu de mou sur la corde qu'ils m'ont mise autour du cou ?

Elle ne me répondit pas. Et il n'y avait rien à y répondre. J'étais peut-être l'Héritière actuelle et la possible future reine à prendre possession du Trône, je ne restais pas moins leur prisonnière. Ainsi que celui du destin cruel dans lequel j'avais atterri.

Je me mis en marche, récupérant de bonne grâce le gobelet qu'elle me tendit puis la remerciai d'un regard, ne pouvant faire autre chose à cette heure si matinale.

Le liquide brûlant et amer me fit gémir.

Le seul instant positif de ma journée...

Je me dirigeai d'un pas las vers la salle d'entraînement, où mes adversaires de la journée m'attendaient déjà patiemment.

Je ne vis aucune émotion dans leurs yeux. Ni colère, ni agacement. Rien que le vide.

Je ne pus malgré moi retenir un frisson.

Les Chasseurs naissaient aussi froids et insensibles que la glace, hormis moi. Et Octavia. Nous étions les deux seules possédant des émotions, du moins, les seules encore de ce monde... Père exterminait ceux qu'il considérait comme « défectueux ». Octavia avait bénéficié de sa « bonté » exceptionnelle. Une bonté intéressée. L'instant d'après, les têtes décapitées de ses parents dégoulinaient à nos pieds. C'était une leçon. Quiconque protégerait un « défectueux » rencontrerai la mort. Et un avertissement, qui m'était seulement destiné.

Après avoir fait d'Octavia une orpheline, elle avait été affectée à mon service, comme beaucoup de Lauzer avant elle, non sans regret de ma part.

Je tenais sa vie aux creux de mes paumes. Littéralement. Faisant porter un autre poids sur mes épaules.

Son affectation, mais également le fait qu'elle n'avait pas été exécutée, était mon avertissement. Un rappel constant que, si je ne respectais pas les règles, Octavia serait exécutée de façon atroce menant par la suite à ma propre exécution.

C'était quelque chose que je détestais le plus chez eux. Ils me haïssaient. Ils abhorraient ma venue au monde, ma défectuosité et faisaient tout ce qui était en leur pouvoir afin que je ne puisse révéler leur faute. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne m'avaient pas tué enfant. Peut-être n'avais-je été qu'une distraction pour leur vrai Héritier ? Allez savoir. Quoi qu'il en soit, chaque action, chaque parole tournait autour du prince ; même plus encore après sa disparition.

Je soupçonnais -même si j'en étais pratiquement sûre- qu'ils ne m'avaient pas tué après la mort d'Arawn afin de se venger, même s'ils ne connaissaient pas cette émotion. Ils m'attribuaient sa disparition. Pour eux, tout était de ma faute, et c'était le cas. Je ne pouvais le nier. C'était en partie pour cela que je ne m'étais jamais défendue.

Après sa mort, mon entraînement et conditionnement avaient été accentués dans le but d'anéantir ma défectuosité. Cet « entraînement » n'avait bien évidemment pas fonctionné, que ce soit enfant ou ensuite.

Enfant, mon jumeau et moi avions effectué l'entraînement des Chasseurs dits « normaux ». L'apprentissage -comme il était nommé au sein de notre race- était un entraînement en trois parties s'effectuant dès notre plus jeune âge. Généralement autour des trois premières années de l'enfant ; c'est-à-dire à partir du moment où l'on pouvait tenir une arme. Également l'âge au cours duquel mes parents avaient compris ma déficience.

La première partie de l'apprentissage concernait un point de vue plus « primitif » : combats à l'épée, corps à corps, tir à l'arc, lancé de couteaux, machette, apnée, etc...

La deuxième partie concernait un point de vue plus théorique, se concentrant sur la tactique, l'élaboration d'un plan de base, l'infiltration et bien plus encore.

Venait ensuite le Veritas, la suite de mon entraînement personnel, qui avait débuté à l'âge de quatre ans. Mes parents commençaient à avoir de plus en plus de mal à cacher ma différence, et par conséquent, ils m'avaient petit à petit exclu de notre race, comme une paria.

Écartée de mon jumeau -qui était littéralement considéré comme un dieu vivant- je me cachais dans l'ombre afin de camoufler ma défectuosité. Seul Arawn ne me considérait pas différemment, il n'y avait que lui qui voyait au-delà, alors même que lui était normal.

Le Veritas devait me changer, selon eux, en « vrai » Chasseur. Et ce, de manière spectaculaire. Je devais passer de défectueuse ayant un libre arbitre, à un être vide, insensible et dépourvu d'émotion. Un Chasseur.

Mes souvenirs de cette période étaient plutôt flous. Et dès que je cherchais des réponses, ou dès que je m'y aventurais, une panique sans nom m'envahissait. Je ne me souvenais que d'une simple lumière blanche.

Voyant que le Véritas n'avait eu aucun effet, Père avait ajouté un conditionnement hebdomadaire, ayant toujours pour but de gommer mes tares. Il me battait souvent jusqu'à atteindre les ténèbres.

Puis, à l'âge de six ans, se déroulait la dernière étape de l'apprentissage, la Libération. Un joli nom afin d'évoquer l'anéantissement de la douleur magique et physique. Chaque enfant était battu jusqu'à atteindre le point de rupture d'immunisation à la douleur. C'est-à-dire l'atrophie des nerfs nociceptifs permettant de transmettre le message au cortex. Cette partie-là était une préparation, enfin je l'appelais « une mise en bouche ». Et à dire vrai, cela ne m'avait pas changé de mes entraînements habituels.

En plus de cela, afin de compléter les chances de l'atrophie des nerfs, ils nous injectaient une longue aiguille remplie d'un liquide argenté appelée l'Abolition, dans le cortex somatosensoriel gérant l'information de la douleur. Le tout, en étant totalement conscient. Parfois, dans le silence, l'écho de mes hurlements me parvienne encore.

À la fin de mon apprentissage personnel, mes parents qui avaient tant espéré que je devienne comme les autres enfants Chasseurs -ou comme mon jumeau- dépourvue d'émotions, furent tombés des nues. Néanmoins, voyant que mes pouvoirs et capacités surpassaient les plus puissants des anciens, ainsi que leur fils considéré comme un « Dieu », ils n'avaient pas eu le choix de me garder en vie. C'était une opportunité trop importante pour notre race et je soupçonnais Arawn d'y avoir joué également un rôle. Son opinion avait dû peser dans la balance. Mais même en ayant cela pour moi, ma défectuosité était toujours présente et personne ne devait soupçonner qu'une défectueuse était la Créature la plus puissante des Chasseurs.

Afin de me garder sous leur coupe, ils avaient fait en sorte -d'une manière propre à eux- que je comprenne l'importance de garder ma déficience secrète derrière un masque. Je devais imiter les vrais Chasseurs à la perfection, au risque de subir leurs courroux. J'avais beau avoir conscience du danger en étant ce que je suis, je ne pouvais lâcher prise et les imiter complètement. Me défaire de ces émotions étaient selon moi la seule barrière entre les Créatures que nous chassions et nous.

En apparence et aux yeux de tous, j'étais la création de Sharès, après mon frère bien sûr. Ils ne vantaient pas mes capacités exceptionnelles supérieures aux siennes. J'étais capable de venir à bout de n'importe quelle Créature, de n'importe quelle race. Pourtant, j'étais constamment mise au placard, caché de tous afin de préserver le secret. Je savais que je n'accèderais jamais au statut d'Héritière, et cela me convenait parfaitement.

« Un objet cassé ne peut donner de bon résultat. »

C'était ce qu'il me répétait. C'était une excuse.

Ma défectuosité pouvait au contraire être une force, ma force. J'étais différente, mais c'était justement cette différence qui pouvait apporter un renouveau pour les Chasseurs, voire pour le monde. Je savais que mes idées et mes pensées amorceraient notre évolution de manière grandiose. Qu'est-ce que cela voulait dire de leurs idéaux archaïques ? N'était-ce pas, au vu de ma force, un signe de changement de ce foutu destin, aussi cruel soit-il ?

Mais ma différence n'était pas le seul problème. Mes idées, ainsi que mes points de vue bien étaient bien différent de ceux des Chasseurs et c'était pour cela quelles amorceraient notre évolution. Nos « valeurs » et « missions de vie » de ce qu'était censé représenter la nature même des Chasseurs étaient des plus ironique. Notre création servait à protéger les Créatures des Ténèbres alors que nous étions totalement et irrévocablement des êtres dépourvus de sensibilité. Envers les nôtres ou qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Si un Chasseur était pris par sa proie, ses semblables le regarderaient mourir sans le lever le petit doigt. C'était une société basée sur l'individualisme, où les émotions n'existaient pas et étaient une tare ; des idéaux enracinés depuis des millénaires. Ironique non ? Qu'est-ce que cela disait de nous ? Qu'est-ce qui nous différenciait d'eux si nous n'avions aucune once de pitié ou de remords pour nos proches morts sous nos yeux ?

Rien.

Des monstres.

Voilà ce que nous étions, et nous avions beau maintenir la paix et protéger les plus faibles nous n'étions, en aucun cas, supérieurs aux autres races, juste égaux. Peut-être n'étais-je pas le monstre tout compte fait.

Mais malgré ce que je pensais des Chasseurs, Arawn aurait été un bon roi. C'était le plus doux des Chasseurs, et peut-être qu'au fond de lui il y avait de minuscules émotions qui le rendait meilleur que les autres, moins insensible. Mais sa mort avait tout changé. J'étais passé du placard aux projecteurs. D'oubliée, j'étais devenue l'Héritière. Le roi aurait pu ou dû, soit me tuer soit désigner un autre successeur. Or, au lieu de me faire passer pour morte, il m'avait choisi comme son Héritière. Pour garder la face de leur tromperie je devais incarner un être parfait. Mais les mensonges étaient toujours découverts. Et lorsque quelqu'un apprendra que la future reine faisait partie des parias, des « défectueux », alors que Sharès me vienne en aide, car le chaos sera sans nom. Que ce soit au sein des Chasseurs ou des autres Créatures. Tout sera bouleversé. Et la condition même des Chasseurs sera remis en cause.

Le fait d'être une femme était déjà un cataclysme, alors ma condition de défectueuse ferait passer le pilori pour une caresse. Jamais mes parents ne laisseraient une telle chose arriver. Ils avaient déjà commis l'erreur d'annoncer ma naissance, ils n'en feraient pas d'autres. Car si cela devait se savoir, je ne serais pas la seule en danger, mais eux également.

C'était aussi un bon moyen pour eux de me torturer. Mère n'attendait qu'une chose, une erreur de ma part. Au moindre faux pas, elle n'hésiterait pas à révéler la vérité et à compromettre le statut de Père. Elle n'était pas en accord avec sa décision, que ce soit pour mon statut ou pour ma survie.

Qu'attendait-elle pour se venger de la mort de son fils préféré ? Là encore, aucune réponse. Pour une Chasseresse sans émotion, la vengeance était un concept qui lui tenait visiblement à cœur, enfin si elle en avait un.

J'avais toutefois une idée sur la question. Elle comptait se venger lentement, petit à petit, en prenant tout d'abord la régence jusqu'à la majorité de l'un de ses enfants. Et ensuite, que ferait-elle ? Me tuer ? M'exiler ? Me torturer ? Tant de possibilités. Son imagination n'était plus à démontrer, j'étais bien placée pour le savoir, et j'étais terrifiée de ce qui m'attendait à chaque instant. Chaque jour, l'épée de Damoclès semblait peser un peu plus.

Je soupirai intérieurement.

Mes yeux papillonnèrent, et je reportai mon attention sur les Chasseurs face à moi.

Les évènements de la veille bousculaient tous nos projets, plus que nous l'avions prévu. Les Chasseurs auraient dû être agités, en colère ou pire encore, pris de peur devant la fin du monde qui nous guettait si je perdais.

Pourtant, j'avais l'impression que cela ne semblait pour eux être aussi important qu'une écharde coincée dans leurs pieds.

Je finis d'une traite mon gobelet, laissant de côté mes réflexions et me concentrant sur mes adversaires. Ils me firent tous une révérence et s'écartèrent de mon passage, me laissant la voie vers mon instructeur.

— En retard.

Je retins un grognement.

Certes, Gabriel était impressionnant avec sa carrure digne d'un ours, mais je n'hésiterais pas une seule seconde à la lui arracher le cœur si cela pouvait me permettre de retourner dans mon lit moelleux.

— Nous allons commencer tout d'abord par un entraînement dans la salle Erasure. Ensuite, nous rejoindrons les autres dans la salle initiale.

Malgré sa forte corpulence, Gabriel s'avança d'une démarche souple et gracieuse, dont certains Métamorphes auraient été jaloux.

Je le suivis à contrecœur, savourant sous mes pieds nus la mousse des tapis de combat. Mon maître s'arrêta devant la porte en verre au fond de la salle et je ne pus réprimer ni mon sourire ni mon excitation. La porte automatique s'ouvrit, et Gabriel passa la barrière magique qui ondula à son passage.

Je le suivis et mon corps se crispa d'anticipation, mes muscles ne pouvant oublier cette la sensation.

Je serrai les dents.


Retrouver cette bonne vieille salle ronde et blanche remonta de lointains souvenirs.

Du coin de l'œil, je surveillai mon maître nu jusqu'à la taille, tout en m'échauffant. Je remerciai mentalement Octavia d'avoir choisi cette tenue légère.

Le craquement de ma nuque brisa le silence.

N'étant plus dans mon champ de vision, Gabriel décida de m'attaquer dans un angle mort. Son coup de pied rapide et placé à la hanche me déséquilibra lorsque je tentai de l'esquiver.

La moindre erreur de ma part pouvait m'être fatale. Les Chasseurs étaient entraînés pour tuer, même lors d'un entraînement, et sans mes pouvoirs de guérison surnaturels, un coup bien placé d'un homme à la force brute pouvait m'envoyer auprès de Sharès.

Toutefois, j'étais entraînée pour tuer, avec ou sans ma force surnaturelle je pouvais anéantir n'importe quel homme. Mais mes émotions changeaient la donne. La colère ou l'impatience me serait fatale, chose qu'un Chasseur sans déficience ne connaissait pas. Je devais user de stratégie pour m'en sortir, non seulement aujourd'hui, mais également lors du tournoi.

Gabriel revint à la charge avec une série de coups, de pieds, de poings et de coudes. J'esquivai les uns après les autres, mais plus le temps passait, plus je commençais à fatiguer. Ces coups avaient beau être létaux, ils n'étaient pas là pour m'achever, mais pour mettre à mal mon endurance.

Mon amusement suffisamment comblé, je décidai donc de mettre un terme rapidement au combat. Mes muscles mis à mal se tendirent, à la fois d'excitation et d'épuisement. Je campai mes deux pieds dans le sol, puis parai à l'aide de mon avant-bras, le coup de poing qui aurait dû atteindre mon visage.

Je sentis l'impact dans tout mon corps, et le craquement de mon cubitus brisa le silence qui aurait fait défaillir certains. Mais je ne sentis rien.

Profitant du manque d'équilibre de mon adversaire, je me plaçai de manière à le frapper dans le larynx. Gabriel, étourdi par le coup, laissa une infime ouverture dans sa défense que je pris de bonne grâce et le frappai en plein plexus solaire.

Mais je ne m'arrêtai pas là. Tenant fermement son bras, je frappai de toutes mes forces dans ses jambes. Déséquilibré, je l'entraînai dans une violente chute. Il heurta le sol dans un bruit retentissant, sa tête frappant le marbre immaculé.

Étourdi, je le plaquai sur le ventre, puis à l'aide d'une clé de bras, je lui déboîtai l'épaule gauche. À califourchon sur son dos, les mains sur sa nuque j'attendis son signe d'abandon.

Il poussa un grondement terrifiant et gesticula. Mais prise était parfaite. Les minutes s'égrenèrent et voyant qu'il n'arriverait pas à s'échapper, il tapa deux fois sur le sol en signe de défaite.

Je tentai, tant bien que mal, de cacher mon sourire satisfait en me levant.

Un liquide chaud coulait à plus d'un endroit le long de mon visage, mais je ne m'en préoccupai pas. J'étais, comme à chaque fois, fascinée et écœurée à la vue de la salle qui, seulement dix minutes plus tôt, était immaculée. Et à présent, nombre de nos substances jonchaient le sol.

Gabriel remit son épaule en place et me lança un sourire féroce.

— Je vois que Son Altesse est bien vicieuse ce matin.

— Quoi ? Ne me dites pas que vous en voulez encore !

— Ce n'est pas une petite épaule déboîtée qui m'empêchera de botter votre cul de Princesse arrogante. De plus, votre entraînement ne fait que commencer. (Il marqua une pause le temps d'essuyer le sang qui coulait dans son œil.) L'annonce du premier combat va être annoncée dans peu de temps, les Grands Conseillers du Magnum Consilium souhaitent faire avancer les choses au plus vite.

— La moitié de ces vieux croulants veulent retourner se terrer dans leurs grottes et l'autre moitié partir de leur fonction dans le but de laisser place aux Chefs des clans actuels.

Il ne me contredit pas et il n'en avait pas besoin, ce n'était un secret pour personne.

Le Magnum Consilium -ou Le Grand Conseil- était constitué d'anciens Chefs de clans qui, pour la plupart, occupaient ce « poste » depuis des millénaires. Ces vieux rabougris mal léchés étaient aussi asociaux et casaniers que les ours.

En passant de nouveau la barrière magique, je fus ravie de retrouver ma force.

D'un seul regard de Gabriel, les autres Chasseurs se placèrent en cercle autour de moi. Un sourire cruel étira mes lèvres.

Nous allons nous s'amuser comme des fous.

Gabriel abaissa sa main et les douze Chasseurs m'attaquèrent comme un seul homme.



Mes muscles crièrent à l'aide. La tête me tournait autant d'excitation que de fatigue.

Un Chasseur s'approcha rapidement. Une odeur nauséabonde de lavande reconnaissable entre toute, me fit plisser le nez. Cette seconde d'inattention suffit à mon adversaire pour me coller son poing au visage.

La joue engourdie par le coup, je vis du coin de l'œil chaque personne présente dans la salle poser un genou à terre.

Prise d'une colère noire, un voile rouge masqua ma vue. Mes sens s'affutèrent, comme à l'affut devant un autre prédateur.

Plus rapide que je ne l'avais jamais été, mon poing s'abattit sur mon adversaire dans un craquement. Le son de ses os se fracturant les uns après les autres, fut une magnifique symphonie à mes oreilles. La violence inouïe de mon coup l'envoya s'écraser contre un mur au fond de la salle.

Le bruit de ma respiration hachée était désormais la seule chose qui vint rompre le silence morbide qui s'était installé. Sur leur visage, aucune émotion ne se lisait, ils étaient totalement désintéressés de mon accès de colère, si toutefois ils l'avaient remarqué.

Je tremblai. Violemment.

Qu'ai-je fait ?

Jamais auparavant je n'avais été envahie par mes émotions de façon aussi fulgurante.

Suis-je un monstre ?

La peur s'échappa furtivement de mon corps, me sortant de ma transe.

Non ! Contrôle-toi Queen, les Chasseurs n'éprouvent pas de peur.

C'était une chose que l'on m'avait enseigné à maintes reprises.

Je crus déceler du dégoût dans le regard de mère, mais cela était si vif que je n'en étais pas certaine, car c'était impossible.

Mon regard s'attarda sur l'homme immobile au le fond de la salle, où un trou décorait désormais la façade autrefois immaculée.

Qu'est-ce que j'ai fait ?

Les remords m'envahirent par vagues, menaçant de m'étouffer.

Mes yeux me piquèrent.

Cet homme n'avait pas mérité ma colère. Et savoir qu'il n'aurait aucune séquelle à son réveil ne me consola pas.

S'il se réveille.

Je déglutis, consciente d'être dévisagée.

Je m'approchai lentement de Mère. Les Chasseurs baissèrent un peu plus la tête afin de nous laisser un semblant d'intimité.

— Mère. Que faites-vous ici ?

Elle me regarda comme à son habitude, comme si je n'étais rien de moins qu'un chewing-gum collé à l'arrière de ses escarpins de luxe humains.

— J'interviens en tant que Princesse consort, annonça-t-elle d'une voix aussi froide que les écailles d'un serpent, les résultats du Magnum Consilium sont tombés il y a quelques minutes. Le Roi te somme.

Je détournai les yeux de son indifférence et de son insensibilité constante.

Mon maître, toujours un genou à terre, garda la tête basse. Étant donné que la Princesse consort était en leur présence, ils ne pouvaient se lever au risque de paraître irrespectueux ou de laisser penser à une mutinerie. Par conséquent, emmener le blessé à l'infirmerie était impossible, bien que cela ne devait les déranger outre mesure.

Je fus tiraillée entre demander grâce à Sharès afin de m'abattre pour ma déficience, de pleurer dans les jupons de Mère -bien qu'elle ne m'eût jamais montré la moindre affection que ce soit-, ou de fuir à toutes jambes comme une lâche.

La dernière option s'avéra la meilleure, puisque m'excuser sur ma déficience -qu'ils n'étaient pas censés apprendre et par conséquent sur mes regrets quant aux blessures infligées au Chasseur- me ferait passer pour une faible.

Je m'éloignai de la salle, le cœur lourd.

Mère m'attrapa férocement le bras et fit signe aux gardes de se tenir éloigné.

— Tu es inconsciente ! sifla-t-elle très bas. Ce qui s'est passé dans cette salle... si quelqu'un comprenait...

— Ils ne comprendront rien, ce n'est que la force digne d'une future reine, lui répondis-je irritée en me dégageant de sa poigne.

Son sourire me fit froid dans le dos.

— Évidemment, ce serait fâcheux qu'ils comprennent, après tout, ce serait une grande erreur de ta part qui pourrait te coûter tout ce que tu chéris.

L'image de la douce Octavia souriante vint à moi. Je serrai les dents, consciente des oreilles indiscrètes autour de nous. Cela m'étonnait qu'elle ne parte pas sur le champ auprès d'un des conseillers afin de placer nos têtes sur un plateau et de devenir régente.

Les poings serrés, je lui tournai le dos et partis en direction du bureau du Roi. Je n'eus pas besoin de me retourner afin de constater que Zaïan me suivait comme mon ombre.

Du revers de ma tunique blanche, j'essuyai la sueur et le sang qui perlait sur mon visage et dans ma nuque.

Je n'étais pas apprêtée convenablement pour rencontrer le Roi, mais cela ne me fit ni chaud ni froid. Et puis, la situation était telle que personne ne piperait mot.

Plus j'approchais du bureau et plus je sentais mon corps se tendre à l'extrême.

L'énorme porte en bois aux moulures d'or, me parut bien plus imposante qu'auparavant dans la mesure où, derrière celle-ci, se trouvait le début de la première partie du jeu. Une fois passée cette porte, la corde de mon destin irait se resserrer autour de mon cou frêle. D'un signe de tête, le garde ouvrit la porte, et dans un grincement m'enferma avec le Roi.

Le Général de notre armée -et également père de Zaïan-, habituellement nonchalant dans sa posture, semblait avoir les muscles tendus à se rompre. Père, quant à lui, était assis dans son large fauteuil les bras croisés sur son bureau.

Cela ne présageait rien de bon.

— Représentante Hunter. Comme tu as dû le savoir, les résultats du Magnum Consilium sont tombés il y a quelques instants. Toutefois, avant d'entamer ce sujet, notre Général va te faire son bilan journalier en ma présence exceptionnellement. Général Leveneur, vous avez la parole.

— Votre Grâce, -s'exclama le Général dans une révérence (son geste fit tomber sa longue tresse rousse sur son uniforme noir) - les Créatures des Ténèbres font parler d'eux depuis la veille, mais rien d'alarmant. Des Vampires un peu trop ambitieux, des Métamorphes négligents et des Sorciers extravagants, cependant, ce n'est rien de réellement important ou dangereux. Les festivités du tournoi engendrent souvent ce genre de bavure délicate, mais non dangereuse pour notre identité. En outre, nos patrouilles se passent relativement bien, nous n'avons plus eu d'accrochages avec les Métamorphes renards depuis que vous nous avez trouvé une solution afin d'y remédier. Du côté des humains, rien à signaler non plus, ils ne se doutent de rien comme toujours, malgré... (le Général hésita quelques instants sur son choix de mot) quelques petits incidents avec les Vampires, comme je vous l'ai mentionné un peu plus tôt. Incidents que nous sommes en train de résoudre.

Je me retins de lever les yeux au ciel.

Les Vampires, comme toujours ce sont eux qui nous causes le plus de soucis.

— La paix règne... enfin pour le moment, termina-t-il.

— Bien, qu'il en reste ainsi. N'hésitez pas à approfondir vos rondes. Les prochaines semaines risquent d'être compliquées et épuisantes. La famille royale organisera un grand banquet à la fin du tournoi afin de remercier la contribution de chacun.

— Vous êtes si bonne, Votre Altesse, souligna-t-il en baissant la tête en gage de respect.

— Ce n'est rien comparé au travail que vous effectuez tous. Passons à un autre sujet, qu'avez-vous récolté sur le Chef de clan Sélian Black, demandai-je, soudain mal à l'aise à l'évocation du Démon.

Père ne montra aucun signe m'informant de ce à quoi je devais me préparer.

— Non, Votre Altesse, nous n'avons réussi à avoir aucune information. Même les Grands Conseillers du Magnum Consilium ne souhaitent répondre à nos demandes.

Quoi ?!

La colère me chauffa les joues. Je dus prendre sur moi afin de me calmer. Je devais garder mon masque impénétrable devant le Général et devant Père.

— Comment se fait-il qu'il ait pu accéder à ce statut sachant que seule la famille royale le peut ? (Je fis de mon mieux pour ne pas grincer des dents.) Et sauf erreur de ma part, l'ancien Chef de clan Henry Velnias n'a recensé aucun enfant. Peut-être a-t-il fait un coup d'État ?

Je marquai une pause en me mordillant la joue de façon discrète le temps de réfléchir à un plan.

Spéculer ne nous aidera pas à avancer, mais... et si on passait à l'offensive au lieu de rester passif ? Et si... ?

— Mon roi, repris-je après de longues minutes, je ne vois qu'une seule solution afin de faire avancer cette affaire et à grappiller ne serait-ce qu'une infime information. Général Leveneur, lançai-je en regardant celui-ci, merci pour votre compte-rendu, vous pouvez prendre congé. Les affaires qui s'ensuivent ne concerne plus mon statut de Représentante d'Orbis, mais celui d'Héritière.

Le Général acquiesça, avant de sortir à pas de loup.

— Que proposes-tu ? m'interrogea platement le Roi, mais je crus discerner une pointe de ce qui ressemblait à de l'agacement.

Il ne va guère apprécier ce que je m'apprête à lui proposer, mais nous n'avons malheureusement plus beaucoup de choix à notre disposition.

— Lors de la réception de ce soir pour les prochains combattants je tâcherai d'obtenir des informations de l'intéressé directement. Et si je n'obtiens rien, alors je mènerai une mission d'infiltration sur terrain, d'abord son club et ensuite dans ses domaines.

Il prit de longues minutes de réflexion et rien dans son expression ne me donna d'indices sur sa décision. J'avais le sentiment qu'il ferait tout pour que je ne puisse pas être en charge de cette mission. Il savait que j'étais émotionnellement impliquée dans cette histoire. Peut-être trop. Cette envie viscérale d'abattre ce Démon était plus forte que ma raison, plus forte encore que ma peur. C'était instinctif, incontrôlable. Comme si une force inexplicable me tirait vers le chemin de cet individu inconnu. Comme si nos destins étaient liés d'une façon ou d'une autre.

Et ça, Père le voyait très bien. Il voyait chacune de mes faiblesses, quelles qu'elles soient.

— C'est une bonne idée, je demanderai à un Chasseur de s'en occuper.

— Père... je veux dire, mon Roi, vous m'avez mal comprise, j'accomplirai cette mission, Moi.

— Oh non, j'ai très bien compris, rétorqua-t-il les yeux plissés, je ne souhaite aucunement que tu le fasses, voilà tout.

Je serrai les dents et un muscle de ma mâchoire tressauta, mais je ne montrai aucunement mon mécontentement.

— Puis-je m'enquérir de ce refus ?

Son regard se fit plus insistant. Il n'appréciait pas mon manque de respect, ni la façon dont je contestais son autorité en ne détournant pas le regard.

— Cela te mettrait en danger au vu de ton statut, reprit-il finalement. Te voir en compagnie de ce Chef de clans pourrait nous nuire ou faire penser à un complot.

— Je le sais, dis-je agacée, toutefois nous n'avons plus beaucoup d'options, nous n'arrivons à obtenir aucune information malgré notre réseau. Par conséquent, je suis la plus à même d'accomplir cette mission sans dommages. Si l'un des Chasseurs que vous envoyez se fait surprendre, le Chef de clans sera en droit de le tuer, et cela reviendrait au même. Nous n'allons pas envoyer nos guerriers à l'abattoir ! Or, au vu justement de mon statut, il ne pourra rien faire et je pourrais, dans le pire des cas, prétexter un intérêt pour sa personne. C'est le seul moyen que nous avons, repris-je après un certain temps, nous risquons certes gros, mais il ne nous reste ni du temps ni d'options.

Son pouvoir ondula sous la surface de sa peau, remuant et frémissant d'attente. Je le sentis me lécher la peau. Un frisson me secoua jusque dans mes os.

Mon instinct contradictoire me hurlait à la fois d'égorger ce prédateur et de baisser les yeux devant son bourreau au risque d'une punition.

Une veine palpita près de sa tempe et, Sharès en culotte courte, je crus bien qu'il allait faire fi de mon statut et m'égorger. Il n'acceptait pas qu'une personne le contredise ou ne lui voue pas carrément un culte, les lèvres sur ses bottes. Mais dans le cas présent, je refusais d'abandonner cette bataille de domination, de baisser les bras. Je l'avais trop souvent fait, or cette fois, c'était trop important et ne concernait pas que moi. Il savait que ce serait un pari risqué, toutefois, il devait le reconnaître, c'était une idée intéressante.

Les minutes s'égrenèrent et il ne bougea pas d'un pouce. Qu'importe sa réponse, je suivrai mon plan. Cet homme constituait une trop grande menace pour le laisser de côté.

— Je ne suis pas pour, Héritière. Je reste convaincu que cela est un trop grand risque. Néanmoins, comme tu l'as évoqué, c'est notre seule option. Pas de bavure qu'on ne puisse rattraper, et si cela entache trop notre réputation, tu t'écarteras et nous enverrons d'autres Chasseurs.

— Bien mon Roi.

Je faillis soupirer de soulagement tant je crus que ma mort était proche, mais l'excitation de la chasse qui parcourra mes veines à cet instant, échauffa mon sang et me maintint stoïque. Le plus dur restait encore à venir.

Père déverrouilla un tiroir du bureau ancestral à l'aide d'une vieille clef de cuivre et sortit un vieux livre de cuir très épais qu'il laissa ouvert en son centre. Il croisa de nouveau ses mains et braqua son regard dans le mien, comme s'il voulait sonder mon âme.

La salle se fit plus petite et l'atmosphère devint lourde et étouffante.

Sous le poids de son regard, je sentis à ce moment-là toute la grandeur de notre Roi à tous qui avait su évincer ses ennemis comme des mouches.

Je déglutis péniblement, le regard vissé dans celui du Roi.

— Le Grand Conseil a été plus rapide que nous le pensions, mais cela ne change pas nos plans. Ils ont annoncé les deux premiers combattants, mais n'ont pas encore dévoilé de date. Au moins, cela nous laisse du temps afin d'en apprendre plus sur ce Chef de clans.

Il marqua une légère pause, et l'attente et l'excitation me fit presque gigoter sur mon siège.

— Tu as été choisi pour le premier combat, mais cela faisait partie de l'une de nos probabilités.

— Nous nous y attendions, acquiesçai-je, ils pensent qu'ils peuvent m'éliminer dès le début du tournoi et discréditer les Chasseurs.

Une erreur qui risquerait de tout chambouler, dans la mesure où nous ne voulions dévoiler nos cartes qu'à la fin.

— Je pense qu'ils ont choisi ton adversaire, soit parce qu'ils y ont été poussés, soit par vengeance lors du dernier tournoi. Ou bien simplement, car cet enfant est pitoyable et qu'il pense qu'en te faisant perdre, tu serais ainsi la risée des Chasseurs de toute une génération qui s'étalerait sur celles qui suivront.

Sa phrase me laissa perplexe, autant qu'elle m'intrigua.

— Tu n'affronteras donc pas l'Héritier des Sorciers comme prévu dans nos plans de départ, mais Creighton Strige, l'Héritier des Vampires.

Par les culottes de Sharès.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top