CHAPITRE 9 - Colère



Les yeux ne mentent jamais. Ils racontent les histoires que nous taisons, les batailles que nous livrons en silence. Un éclat de lumière peut cacher des nuits d'orage, une étincelle peut révéler un espoir naissant. On regarde sans vraiment voir, mais si on s'attarde, on découvre un univers entier dans un simple échange de regards. Là où les mots échouent, les yeux se confient.



J-35

Jeon Jungkook

Colère



Ce couloir paraît sans fin.

D'ailleurs, je ne sais même pas comment j'ai atterri là en premier lieu et s'il existe un moyen de sortir d'ici. Les parois sont étroites, humides et infinies. L'obscurité assombrit l'air qui devient saturé, me donnant l'impression que le monde a rétréci, trop petit pour me contenir.

Au loin, j'aperçois une lumière perçante, elle m'appelle et je me demande s'il s'agit de la mort elle-même qui est en train de me cueillir. Sent-elle le vent tourner, a-t-elle besoin de moi auprès d'elle ? Mais surtout, que me réserve-t-elle ?

Je me doute qu'elle ne me tend pas ses bras avec sympathie, elle m'attend probablement avec un sourire carnacier et une horrible envie de me punir pour tous mes nombreux péchés.

Et d'une certaine façon, je suis prêt à expier mes fautes. Parce que, parfois, ma vie me semble être la véritable torture de l'histoire. Les abysses peuvent-ils être plus noirs, plus sombres que la vie elle-même ?

J'atteins finalement la sortie, mais elle ne me conduit qu'à une nouvelle prison simplement un peu plus grande. Un immense dôme de métal se dresse devant moi, au centre d'une arène remplie de spectateurs hurlants. Les cris de la foule résonnent dans ma tête, me rappelant pourquoi j'évite toujours les conflits puérils et inutiles. Je ne prête attention qu'à ceux dont je suis presque sûr de remporter, ainsi que ceux qui en valent la peine.

Mon espèce a le sang plus chaud qu'il ne l'est en réalité, et les bagarres débutent principalement à cause d'une chose stupide. Et les conséquences peuvent être bien plus dangereuses qu'on ne peut l'imaginer.

Je hais ces acclamations, cette fureur collective qui nourrit ma propre rage, me tirant vers un état second dont je peine à revenir, comme si j'étais le seul à pouvoir me mettre en colère, ne supportant pas celle des autres.

J'ai vu des hommes respectables se transformer, laisser libre cours à leur animal totem, et déchaîner leur courroux sur des innocents, sur les plus faibles.

Et nous pouvons être... sauvages.

Déchirer la chair n'a jamais posé un problème pour mon espèce, sauf quand il s'agit de celle d'une personne importante. C'est là que l'égo doit être utilisé à bon escient, que les stratégies deviennent importantes.

Une pensée me vient soudainement à l'esprit :

« Il faut savoir choisir ses combats, Jungkook-a ».

Je ne sais pas d'où ces paroles proviennent, mais celui qui les a prononcées était sûrement plus sage que moi.

Ces gens s'affolent à ma vue. Certains se lèvent pour hurler, d'autres jettent des objets et de la nourriture dans ma direction. J'ai à peine le temps de me protéger derrière mon bras que je sens déjà quelques liquides parsemer mon corps, trempant mes vêtements. Je porte un simple jogging noir et un t-shirt de la même couleur, quelque chose que j'enfile lors de mes mauvais jours ou quand je pars à la chasse.

C'est confortable et bien loin des traditions.

Ce que je préfère.

— Veuillez faire un tonnerre d'applaudissements pour Jeon Jungkook, enfant du dragon et général de notre armée !

Quelqu'un braille dans un micro et je tourne sur moi-même pour essayer de trouver cette personne, mais je ne suis aveuglé que par la foule en délire et la lumière du soleil qui est accablante aujourd'hui.

Depuis quand suis-je général de l'armée ?

Ma peau brûle déjà sous l'intensité de cet astre puissant et une fine pellicule de sueur se dépose sur mon épiderme.

— Veuillez maintenant accueillir comme il se doit notre meilleur élément jusqu'à ce jour, notre cher Victory* : V.

Cette fois-ci, les spectateurs transforment leurs cris véhéments en une mélodie bien plus supportrice et encourageante.

Qui que ce soit, ce V est apprécié.

Les exclamations s'intensifient encore et je sais alors que l'individu est là, qu'il vient de faire son entrée derrière moi. Je prends le temps d'inspirer, de réguler mon pouls qui s'est soudainement affolé.

Quand je fais face à cet autre homme, je remarque d'abord sa silhouette imposante, laissant deviner un corps mince, mais musclé. Semblant être mon opposé, il porte les mêmes vêtements que moi, mais au lieu d'être noirs, ils sont d'une blancheur irréelle, comme un point lumineux.

Nous nous jaugeons un instant. J'analyse ses épaules carrées, sculptées et travaillées pour le combat, et sa posture droite et fière me donne l'impression qu'il ne reculera devant rien. L'énergie qu'il dégage est écrasante malgré les nombreux mètres qui nous séparent ; elle prend place dans la cage, m'enveloppe et hypnotise la foule qui se calme instantanément.

Mon dragon frappe brutalement contre ma poitrine, comme s'il souhaitait s'en échapper et confronter l'homme devant moi. Et je ne sais pas quel type de bataille il mènerait contre lui : une mise à mort ou bien autre chose ?

— Avant que le duel ne commence, serrez-vous la main comme la tradition le veut.

Le microphone grésille à nouveau et me donne mal à la tête. J'ai des difficultés à comprendre ses mots, mais il semble évident qu'il souhaite que nous nous affrontions pour une raison que j'ignore.

V avance jusqu'à moi, traversant presque l'entièreté de l'espace, dévalant les mètres sans crainte ni appréhension. Sa démarche est féline et un tantinet provocatrice. Quand il arrive à ma hauteur, je tombe sur son regard et j'ai réellement l'impression de chuter.

Ses pupilles sont noires, tellement sombres qu'il serait facile de s'y perdre à l'intérieur. Pourtant, je peux lire de nombreux sentiments : l'arrogance, la détermination, le pouvoir. Son visage est en totale opposition avec ce mélange intense : il est doux, presque enfantin. Et quand je prends un peu de distance, je réalise que l'ensemble est finalement plutôt innocent. Il a de grands yeux, un nez fin, des joues pleines et une bouche que j'imaginerais facilement faire la moue.

— J'espère que ce combat sera stimulant pour nous deux, dit-il en me tendant la main.

Son ton est rugueux alors qu'il hausse un sourcil, tel un appel silencieux, une promesse suggérant un défi.

Je quitte ses prunelles qu'après avoir remarqué les grains de beauté qui peuplent l'un de ses yeux. Je ne m'attarde pas plus sur eux, je cherche à éviter leur envoûtement. Je tends ma main sans plus de cérémonie, ne me posant des questions qu'une fois sa paume contre la mienne.

Sa peau est chaude et de légers picotements viennent mordiller mes doigts, me laissant dans l'incompréhension. Je plonge à nouveau mon regard dans le sien et une pensée absurde effleure mon esprit : cet homme me ressemble étrangement, on dirait qu'il a emprunté mes traits. On dirait une version améliorée de ce que je suis : plus confiante, plus intimidante, mais surtout plus résolue, tenace.

— Ne me déçois pas, finit-il par lancer, arrachant sa main à la mienne pour se retourner et reprendre la place qu'il a abandonnée plus tôt pour me rejoindre.

Je suis confus par ses mots et légèrement troublé, si je dois être honnête.

— Maintenant que les présentations ont été faites, je vous rappelle les règles ! reprend l'animateur, me ramenant à la réalité alors que son rire s'élève. Vous le savez, il n'y en a pas ! Celui qui meurt a perdu, c'est aussi simple que ça.

Quoi ?

Je tourne la tête vers le public, complètement stupéfait. Avant de me demander comment on peut encore organiser ce genre de spectacle à notre époque, je suis convaincu de ne pas pouvoir faire ça avec lui. Et cette pensée aussi me surprend.

Durant ma vie, j'ai eu beaucoup d'entraînements physiques et j'ai appris de nombreuses techniques de combat. J'ai aussi étudié le bluff, l'intimidation, les stratégies ou encore les points faibles de l'anatomie de centaines d'espèces. Je ne suis pas effrayé par un affrontement, de n'importe quelle sorte, mais je trouve cette organisation tellement barbare.

S'entretuer pour le plaisir ?

À quel genre de pulsion il faut céder pour ça ?

La sauvagerie ?

La bestialité ?

La colère ?

La folie ?

C'est ridicule.

Comme beaucoup d'autres choses.

— C'est quand vous voulez, mes chers amis, finit le présentateur à travers son mégaphone.

J'observe doucement la posture de V changer pour devenir défensive, mais pas moins agressive pour autant. Il fait craquer son cou sur le côté, repliant également légèrement ses genoux afin de lui donner plus de stabilité.

Ce n'est pas totalement un combat clandestin, il semble qu'il a aussi été initié à quelques techniques de combat.

Je peux le voir à la maîtrise de son souffle, à la position de ses jambes ou encore à son observation minutieuse du moindre de mes mouvements.

Il est réfléchi et calculateur, il ne sera donc ni impulsif, ni imprécis. S'il ne sera pas aléatoire dans ses coups, cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne peut pas se montrer imprévisible.

Encore une fois, nous nous évaluons, ne nous précipitons pas, cherchant peut-être les faiblesses de l'autre. Ma poitrine se gonfle de ce désir de répondre à cette provocation dans son regard, à ce besoin de sang qui m'appelle, qui tape la mesure dans ma cage thoracique. Même mes poumons se sont remplis d'excitation, mais j'ai la tête ailleurs.

Je ne me battrai pas à mort.

Mon dragon me clame avec ardeur que ça ne pourrait être qu'un jeu, un amusement enfantin où la violence ne serait pas de mise. Une simple envie de se dégourdir les jambes, de planter quelque peu ses griffes dans la chair de quelqu'un, et peut-être bien de mordre un peu. Mon animal totem est friand de ces loisirs sanguinaires sans grandes conséquences, et il me hurle que mon adversaire est de taille, qu'il est en mesure d'encaisser les coups.

Mais je n'ai pas envie de jouer, ni de le laisser me contrôler.

Nous ne sommes pas souvent d'accord, voire jamais, et ce qui l'attire ou l'amuse n'est infiniment pas ce qui me plaît ou me divertit.

Tout à coup, en un clignement d'œil, l'homme fond sur moi. Je n'ai pas le temps de réagir qu'il arrive brutalement, levant son avant-bras pour le placer sur ma gorge alors qu'il me fait percuter la grille de la cage.

Mon dos s'abat violemment contre le métal et chacune de ses lignes rentre dans ma peau. L'impact est rude, j'émets un gémissement quand la douleur devient lancinante.

Il appuie davantage son bras sur mon cou et ma respiration se bloque quelques secondes. Mes yeux s'accrochent aux siens qui brillent d'une lueur féroce tandis que ses traits ne sont plus doux, mais bien sévères, le rendant implacable. Deux canines dépassent de ses lèvres, furieuses, avides, prêtes à s'enfoncer dans mon épiderme. J'observe son visage déformé par la colère, affreux, monstrueux, et j'ai l'horrible impression de me voir dans un miroir.

Un vampire...

Mais quelle sorte de vampire ?

La sensation est épouvantable, elle me met dans un état d'agitation que j'ai rarement égalé : à la fois inquiet, surpris et impressionné.

— Alors, c'est ça le chef des armées ? lâche-t-il en enfonçant davantage son coude dans le creux de mon épaule.

— Je ne suis pas le chef des armées, craché-je tant bien que mal en arrivant à le repousser légèrement.

— Définitivement, parce que je n'aimerais pas être protégé par un être aussi faible.

La rage monte si rapidement dans mon corps que je ne la vois même pas prendre possession de ma réflexion. L'une de mes mains attrape son col et en un geste, je le fais s'envoler un peu plus loin. Il s'écrase contre le sol avec lourdeur, mais il se relève aussitôt, un sourire immense sur le visage.

— Je vois que le petit animal a de l'égo, ce n'est pas surprenant venant d'un fils à papa.

Son regard n'est plus le seul à être provoquant, sa bouche également l'est, et elle est plus vicieuse que je ne l'aurais pensé.

Je sais ce qu'il essaie de faire, il veut me pousser à bout, rendre le spectacle intéressant, divertir l'assemblée, mais je ne rentrerai pas dans son jeu. J'ai plus de maîtrise qu'il ne l'imagine.

— Tu sais, c'est généralement l'argument de ceux qui n'ont pas de père et qui sont jaloux de ceux des autres.

Si ses lèvres peuvent proférer des paroles empoisonnées, je peux me montrer tout aussi acerbe que lui.

Désormais plus alerte, je le vois s'avancer vers moi, la hargne tendant chacun de ses muscles un peu plus à chaque seconde. Mais cette fois, je suis prêt à recevoir la haine qu'il me projette alors que ses griffes cherchent à atteindre mon visage. Je m'écarte de son attaque, le contourne, et attrape sa nuque pour le plaquer contre la grille.

Sa joue heurte violemment les barreaux de notre prison, et je ne doute pas de la souffrance qui doit suivre le choc.

— C'est tout ? persiste V, ce stupide sourire toujours présent, malgré le sang qui s'échappe de son nez.

— Mais putain, c'est quoi ton problème ?

— Mon problème ?

Il rit.

L'enfoiré ose rire dans un moment pareil.

Soudain, je sens plusieurs aiguilles s'enfoncer profondément dans la chair de mon flanc. Submergé par la douleur, je relâche ma prise sur sa nuque, et il en profite pour se retourner, retirant ses griffes de mes côtes.

Le souffle court, le regard flou, je le vois s'essuyer le nez et la bouche d'un revers de main, celle tachée de mon propre sang.

— Mon problème est que nous sommes dirigés par un trouillard qui n'a jamais été capable de déployer ses ailes.

Ma salive se bloque dans ma gorge, gardant avec elle les mots remplis d'acide qui me viennent à l'esprit.

Un Gitpaieos ne montre pas souvent ses ailes, trop fragiles et sensibles pour être révélées à n'importe qui. Si elles restent puissantes, détenant un pouvoir qui dépend du vampire qui les arbore, elles n'interviennent qu'en cas de grande mise en danger afin de se protéger ou de combattre. Ou bien dans des situations bien plus intimes, qui témoignent de la confiance et de la complicité que l'on peut éprouver envers un partenaire.

Peut-être que ses paroles ont un double sens, celui qui insinue que je ne sais pas qui je suis ou que je n'arrive pas à m'affirmer.

Une main sur ma blessure déjà en train de cicatriser, je constate le sang qui s'en écoule et cette vue agite à nouveau mon dragon qui ne demande qu'à riposter. Il n'a jamais été du genre à se laisser faire, à subir, même s'il l'a déjà fait à de nombreuses reprises. Sa fierté le gouverne la plupart du temps et je me retrouve alors à devoir le réfréner, à essayer de temporiser ses sentiments qui sont aussi, que je le veuille ou non, les miens.

— Parce que tu crois que c'est suffisant pour prouver la grandeur de quelqu'un ? rétorqué-je, une fureur sourde commençant à transparaître dans ma voix.

— Et tu t'estimes être grand ? rit-il, l'ironie dégoulinant de son ton.

Il reprend une posture droite, les épaules en arrière, le buste bombé et l'aura brûlante qui me transperce la rétine.

— Je te l'ai dit, je ne suis pas chef des armées et ne prétends pas être grand non plus.

— Alors quoi, tu es personne ?

Mes doigts se resserrent en des poings et je sens mes propres griffes picorer mes paumes, cherchant par tous les moyens à se planter dans une peau qui ne serait pas la mienne.

— Pourtant tout le monde chuchote sur ton chemin en ville, et tu veux savoir ce qu'ils disent ?

Il fait un pas vers moi, s'assurant que je suive des yeux chacun de ses mouvements, à l'affût du moindre geste de sa part.

— Ferme-là, ragé-je sans pouvoir contenir mon ton.

Je sais très bien ce qu'ils racontent à mon sujet, je n'ai pas besoin qu'une nouvelle bouche l'affirme.

Un second sourire fleurit sur son visage alors qu'il est heureux de m'amener sur le chemin de la folie.

— L'enfant du général, ce « petit monstre qui n'a pas d'ailes », raille-t-il, puis il pose un doigt sur son menton, dans ses pensées. Ou peut-être qu'il est trop effrayé et trop faible pour savoir comment s'en servir. Tu sais, c'est comme avec les filles, quand t'en as vraiment envie, mais que ça ne vient pas. Si j'ai un conseil à te donner, ne sois pas trop dur envers toi-même, même s'il s'agit du problème... de ne pas être dur. Oh, mais attends, dit-il soudainement, coupant le flot de ses paroles. C'est peut-être pour ça que tu n'as jamais vraiment eu de petites copines !

Je comprends que j'ai dépassé le stade de la colère quand mon corps se relâche et que ma respiration se fait plus calme, vibrante d'un feu qui ne pourra être éteint. Il est bien trop vif, bien trop puissant. Mon dragon grimpe dans ma poitrine, enlace mon cœur et s'échoue dans mes pupilles. Je sais alors qu'elles sont en train de clignoter, de révéler leur dorure, cette couleur si caractéristique de ce que je suis. Ou censé être.

Ne pas avoir d'ailes pour une espèce comme la mienne est un déshonneur. Nous sommes alors traités comme une malédiction. Cela indique à quel point nous sommes faibles, inutiles, voués à un destin tragique, n'apportant que des malheurs autour de nous, maudits par notre propre animal totem.

Il faut que je sorte d'ici.

Si je ne le fais pas, je ne réponds plus de rien. Je risque de faire un carnage et je n'ai pas envie de voir ça, ni d'en assumer les conséquences. La fuite n'est pas mon issue préférée, je la déteste, mais elle est souhaitable quand je sens cette brûlure consumer chaque paroi de mon être. Comme c'est le cas en ce moment.

Je me retourne, la rage au ventre, et fonce sur les barreaux de ma prison pour abattre mon poing contre le métal avec fureur. Je ne ressens plus la douleur à ce stade, elle n'est tout simplement pas ma priorité. Elle n'est qu'une mélodie de fond sur le tambour de l'orchestre.

Je continue de me déchaîner contre la grille, les barreaux en viennent même à plier et je jure de faire en sorte qu'ils s'écartent suffisamment pour que je puisse échapper à cette situation.

Alors que j'ai les mains prêtes à faire céder le matériau déjà bien endommagé, je sens qu'on me tire par la nuque. La seconde d'après, je suis celui qui s'envole jusqu'au centre du dôme, mon dos s'écrasant avec brutalité contre le sol.

Une plainte quitte ma bouche, la souffrance prenant possession de mon corps, hurlant sa peine dans chacun de mes membres. J'allais me relever, mes coudes déjà à terre, mais mon adversaire ne voit pas les choses ainsi.

V revient sur moi et monte à califourchon sur mon bassin, puis attrape mes poignets au vol. Ses griffes se plantent dans la chair sensible de mes avants bras tandis qu'il les détend pour les placer au-dessus de ma tête.

— Tu comptais réellement t'échapper ? susurre-t-il contre mes lèvres alors qu'il s'est drôlement rapproché.

Je suffoque à cause de cette proximité qui me met tout autant mal-à-l'aise qu'elle ébranle mon dragon qui ne peut s'empêcher d'étouffer, lui aussi. Ma poitrine le contient, mais il ressent le besoin de révéler sa véritable nature, la mienne, la nôtre, notre apparence une fois unis.

J'ai besoin qu'il s'éloigne, je veux le rejeter, qu'il me laisse respirer, mais son poids se fait soudainement encore plus lourd, d'autant plus appuyé. Il se laisse aller contre moi.

Mes canines ont rarement été aussi longues, souhaitant exprimer leur colère en s'immisçant dans la peau de cet homme. Il est si près que sans réfléchir, j'avance la tête, prêt à le mordre, peu importe l'endroit que ce sera.

De justesse, il recule alors que mes dents allaient se refermer sur son visage.

— C'est que le petit monstre pourrait mordre, raille-t-il, la voix profonde vibrant à travers nos zones de contact.

Je dois avoir l'air d'un fou. La sauvagerie m'enveloppe, elle a pris place dans mon cœur et voile mon esprit. Je sais que mes yeux doivent continuer de clignoter, ne sachant plus très bien quelle couleur adopter : le noir abyssal qui m'habite intérieurement ou bien ce doré, symbole de ma famille et de cette face cachée que je m'évertue à enterrer avant qu'elle ne détruise tout sur son passage.

— Tu sais, poursuit-il en se rapprochant à nouveau, ne craignant pas mon atrocité. S'il t'a abandonné, s'il est parti sans se retourner, c'est parce qu'il n'a pas dû supporter ta lâcheté et ta médiocrité. Tu sais, Nara-ya...

Un silence de plomb assombrit mes pensées, la foule, le présentateur, la vie. Même le vent cesse de souffler, je ne vois plus rien, si ce n'est cet être abominable qui vient de raviver une vieille blessure, comme s'il avait appuyé sur un bouton capable de tout faire exploser.

Le jeu est terminé, je veux le tuer.

Mes pupilles ont arrêté de scintiller pour conserver la couleur miel de mon dragon, me faisant pleinement capituler. La force de cette créature mystique se propage avec rapidité dans mes veines, des écailles prenant forme ici et là, et alors, je n'agis plus de mon propre chef.

Subitement, nos rôles s'inversent et je me retrouve au-dessus de lui. Je me sers de mon corps pour faire pression sur le sien. Ma main agrippe son cou avec rage tandis que j'enfonce sa tête dans le sol qui émet un craquement, signe de sa faiblesse.

— Je n'ai pas besoin d'ailes pour broyer ta gorge.

Ma tempête intérieure est en proie à la transformation pour de multiples tornades qui ravageraient l'ensemble de mon environnement, à commencer par ce V.

Un rictus étire ses lèvres que je me mets à fixer une seconde, et je constate que cela m'énerve d'autant plus. Lorsque je reviens à ses pupilles, j'ai l'impression de ne plus voir le même visage, comme s'il y avait une confusion, qu'ils étaient deux à se mélanger. L'un me ressemble alors que l'autre a des traits plus anguleux, durs et froids, voire calculateurs.

— Cela n'enlève rien à ta lâcheté, persiste-t-il, cherchant volontairement à me pousser à bout.

Mes doigts se resserrent.

Je le vois écarter les lèvres, voulant aspirer le maximum d'air possible pour ne pas succomber à mon emprise. Il ne se débat pourtant pas, il me laisse faire, comme s'il souhaitait que je mette fin à ses jours.

Les pulsations de mon cœur sont effrénées, erratiques, au point que je ne sais même plus comment respirer. Cette soif de sang est en train de me rendre dingue, j'ai beaucoup de mal à lutter contre elle.

Mais, contre toute attente, alors que mon poing s'élève, ce n'est pas contre son visage qu'il s'écrase. Le sol absorbe difficilement mon coup et ma main passe à travers lui, s'enfonçant sur plusieurs centimètres.

La colère tournant encore et encore dans ma tête, faisant bouillir mes veines, les rendant horriblement douloureuses, je continue de frapper la terre. Mes assauts ne s'arrêtent plus de pleuvoir, à m'en écorcher la main qui baigne dans une mare de sang qui gicle autour de nous.

Mon dragon ne souhaite pas tuer cet homme, il n'y a que moi et ma fierté.

Et je ne comprends pas pourquoi.

— Jungkook-a, m'appelle V, mais je ne l'entends pas, n'étant plus vraiment moi-même.

Complètement envoûté par ma fureur, je ne suis plus capable de faire machine arrière.

— Jungkook-a, reprend la voix, plus suave, telle une sirène cherchant à me capturer dans ses filets.

Tout à coup, une douce senteur de fraise des bois réussit à parvenir jusqu'à mes narines et je me stoppe immédiatement. Ce parfum n'est pas mon préféré, il ne l'a jamais été, mais il me rappelle quelque chose d'aussi agréable que pénible. Je ne sais pas si j'aime ou non cette chose, mais ça a le mérite d'attirer mon attention.

Je ferme les yeux, cachant leur dorure pour l'obscurité, et une certaine forme de sérénité s'installe en moi. Je me mets à respirer à nouveau et, inspiration après inspiration, les battements frénétiques de mon cœur s'apaisent pour un rythme plus régulier.

Je souffle, arrachant mes doigts à sa gorge pour poser ma paume à côté de sa tête. Toujours sous l'influence des instincts de mon dragon, je prends une grande bouffée d'air. J'emplis mes poumons de cette effluve qui semble me ramener vers mon état normal, qui adoucit mon organe vital.

Je baisse la tête, pressant mon front contre sa poitrine et, pour la première fois, j'ai le sentiment de pouvoir le contrôler.

Il semble que mon dragon puisse finalement être maîtrisé.


________

NOTE DE L'AUTEURE :

Il s'agit d'un chapitre que j'aime beaucoup ! Et vous ?

On découvre toute la complexité du personnage de Jungkook qui est constitué (formaté) pour être fort, mais qui, finalement, est si brisé de l'intérieur. Il craint horriblement de laisser sa fureur s'échapper, ne sachant pas la contrôler. Il a peur d'être maîtrisé par elle et cela l'empêche de vivre.

Maintenant que Taehyung a mis le doigt sur cette faille, comment va-t-il l'exploiter ?

Taehyung commence à cerner Jungkook, il arrive donc à piquer là où ça fait mal...

Que pensez-vous de l'espèce des Gitpaieos, des vampires à plumes ? Trouvez-vous cela original ? Ce sont des vampires qui possèdent habituellement des ailes, mais JK est un peu différent...

Qu'avez-vous pensé de cette scène de combat ? J'ai beaucoup de mal à en écrire, ce n'est pas franchement ma tasse de thé, mais j'ai fait de mon mieux pour que ça soit intense et réaliste malgré le contexte fantastique.

Qu'imaginez-vous pour la suite ? Comment JK va-t-il réagir une fois éveillé ?

Kissouilles, mes Dumiz !

Era xx

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