CHAPITRE 10 - Génétique
Être vulnérable, c'est accepter d'ouvrir une porte, même quand le vent souffle fort. Ce n'est pas un aveu de faiblesse, c'est un acte de courage. Pourtant, il faut apprendre à pousser cette porte, à laisser entrer, mais pas tout emporter. La force réside dans ce fragile équilibre : savoir qu'on peut tomber, mais choisir de se relever, encore et encore.
J-24
Jeon Jungkook
Génétique
La vie navigue toujours entre ses deux extrémités : le nord et le sud, l'ombre et la lumière, le chaud et le froid, l'amour et la haine. Il y a un équilibre à toutes choses, une nécessité qui permet l'harmonie. Il s'agit de constantes, d'immuabilités, une façon de ne pas être perdu. Quand on sait ce qui nous attend, les désillusions sont moindres et l'avenir devient plus facile à appréhender.
Pourtant, j'ai compris assez jeune qu'il n'existe que des inconnues. Ces immuabilités ne sont là que pour nous rassurer, mais elles n'ont pas de véritable sens parce qu'elles ne sont pas réelles.
C'est comme regarder un Disney en vivant dans l'utopie de ces mondes parfaits.
Ou comme lire un roman à l'eau de rose en se persuadant que ce type de personnages se cachent quelque part, qu'ils ne sont pas simplement le fruit de notre imagination.
La vie en elle-même est une illusion, par nos interprétations, les options que nous prenons, les chemins que nous empruntons, ou la vérité que nous façonnons à notre guise.
Alors que mes canines faisaient tout juste leur apparition, j'ai saisi le sens de ces contradictions. J'étais un enfant, tout juste adolescent, pas même capable de m'exprimer correctement ou de me défendre de mes poings ou de mes mots. Néanmoins, beaucoup d'informations nous traversent à cette période, et même si on n'en comprend pas toujours la signification, on perçoit les traits du visage qui se déforment sous l'émotion, la colère dans les cris ou encore l'hostilité dans le regard.
C'est universel : parmi toutes les cultures et les espèces, un jeune reconnaît ces éléments. Il n'ignore pas que les coups font mal et que les critiques acerbes font encore plus mal. Il ressent les insultes sans en connaître leur définition, et le rejet même s'il ne sait pas ce que c'est qu'être aimé.
Quand je suis rentré à la maison ce soir-là, sachant que j'avais commis une bêtise, que je m'étais permis de pénétrer dans une salle remplie de convives importants et que j'avais interrompu une réunion de mon père, j'ai su que la soirée allait être longue. Elle promettait de me hanter, de me poursuivre. Celle-ci, ainsi que de nombreuses autres.
Je me suis fait discret lorsque je suis sorti des cours. J'ai veillé à ce que personne ne me suive, transformant chaque inspiration en un secret, une interdiction, plutôt qu'en un malheur bruyant. Horriblement bruyant.
Mon odeur l'était aussi, mais je ne l'ai compris que plus tard.
Mon père m'attendait en haut des escaliers de notre immense demeure, les bras croisés et le regard dur. Il m'avait senti avant que je ne le voie, il savait que j'étais là. J'ai mis du temps à comprendre ces regards-là. Ils sont inexpressifs, neutres, ne permettent pas de saisir les pensées de la personne qui les arbore. Mais celui-là avait quelque chose d'impressionnant, de puissant. Je le sentais, je savais que j'étais foutu.
Ma chambre se trouvait à l'étage, la seule se trouvant là-haut, ma chère tour d'ivoire, et je n'avais pas d'autre choix que de grimper ces marches pour l'atteindre, m'y enfermer pour toujours.
La patience n'a jamais été son fort, alors j'imagine que sa fureur a dû augmenter seconde après seconde, minute après minute, et étouffe probablement son rationalisme à l'heure qu'il est.
— Monte, claque sa voix qui résonne fortement entre ces murs.
Je m'accroche aux sangles de mon sac à dos, ne voulant plus les lâcher. Je ne sais pas si elles me rassurent, me donnent quelque chose à quoi me rattraper, ou bien si elles pèsent sur mes maigres épaules.
Le premier pas est le plus difficile, celui qui me coûte un courage monstre. Le deuxième, je me hurle intérieurement que trembler ne changera rien à la situation, que je la subirai quoi qu'il arrive.
Je lève le pied, presque au niveau de la troisième marche quand il reprend :
— Pas comme ça, montre-moi à quel point tu regrettes.
Pas ça...
Mon géniteur ne m'a encore jamais frappé, non, il n'aime pas se salir les mains. Lui, ce qu'il préfère, c'est l'humiliation, avoir le pouvoir de me dominer. Il veut que je courbe l'échine, que je lui expose l'étendu de mon amour et de mon respect pour lui, que je n'ai plus pour moi-même.
L'amour se donne, se confisque, se gagne, se mérite. Il est rare qu'il s'offre sans contrepartie. C'est donnant-donnant, pas de demi-mesure, pas de sens unique.
J'ai compris très tôt que l'amour ne pouvait être reçu que si l'on cédait quelque chose en échange, qu'on sacrifiait une part de soi, la meilleure probablement.
Sachant ce qu'il attend de moi et ne voulant pas le décevoir davantage, je mets un genou à terre, puis un second. Et ainsi, je monte les marches à quatre pattes, les pupilles perdues dans les siennes, priant pour qu'il lise toute la gratitude qu'il recherche dans mon regard. Pourtant, derrière cette couche superficielle se cache mon dragon, ma rancœur, une envie de vomir ma soumission.
Une fois ma tâche dégradante accomplie, il me cognera pour la première fois. Un seul coup, une simple lèvre fendue, un choc unique. Pourtant, des millions de sentiments lui succèderont, des milliers de questions, des centaines d'inquiétudes, des dizaines d'incompréhensions. Mais une émotion dominera les autres : la peur, l'insécurité.
Cela a pris forme en mon sein à cette époque et j'ai commencé à me demander ce qui n'allait pas chez moi, si je n'étais pas une déception si grande que mon père était allé jusqu'à se salir les mains pour moi.
L'impact de son poing n'est pas ce qui m'a le plus marqué ce jour-là parce qu'il était bref, incisif : il n'a pas duré longtemps. Même l'ecchymose qui a suivi n'a pas eu le temps de s'installer vraiment. Ce que je retiens, ce sont ses mots :
« Tu sais, il est difficile d'aimer un enfant comme toi ».
« Si ta mère n'avait pas été trop jeune lorsqu'elle est tombée enceinte, les choses auraient peut-être été différentes ».
« À l'âge que tu as, tes canines devraient être saillantes et tes ailes en train de pousser, mais non, tu es juste inutile. Parfois, je doute que tu sois mon fils ».
Toutes les lames du monde n'égaleront jamais la pointe acérée de ces mots-là.
Ça aussi, je l'ai compris très tôt.
En me réveillant, toujours piégé dans cette grotte qui est devenue ma maison depuis un nombre de jours que je n'arrive plus à compter, je me sens vide. Un nouveau cauchemar est venu me cueillir, et je remarque qu'ils sont de plus en plus réguliers depuis que je suis ici.
Les illusions me font revenir en arrière, elles déterrent des souvenirs que je pensais avoir dépassés, qui me semblaient lointains. Je m'aperçois que ce n'est pas forcément le cas, qu'ils attendaient le meilleur moment pour émerger, pour me rappeler qu'ils sont toujours là pour me tourmenter.
Petit à petit, je me rends compte que ce n'est pas le Trompeur qui me persécute : j'y parviens très bien tout seul. Il me suffit de fermer les yeux et de repenser à certains instants de ma vie. Il ne met en lumière que les évidences que je n'ai jamais voulu voir.
Je ne lui trouve pas d'excuses, je le déteste pour ce qu'il me fait vivre, pour le plaisir qui l'habite quand il me prend en martyr. Mais je comprends aussi que ces chimères sont intenses parce qu'elles représentent mes plus grandes craintes. Et ça n'a rien à voir avec le Trompeur, seulement avec moi et moi-même.
La faim me tiraille moins les entrailles, même si elle est omniprésente, toujours dans mon esprit. J'ai l'impression que je ne serai plus jamais rassasié, ça me semble impossible à ce stade. Si j'arrive à sortir d'ici, j'ai peur de l'état dans lequel je me trouverai.
Affamé, agressif, à fleur de peau.
Il n'est pas impossible que je craque, entre ces murs ou entre ceux de ma demeure... Il vaudrait presque mieux que ça soit maintenant, en étant enfermé, n'étant un danger pour personne.
Je soupire, les pensées sens dessus dessous.
Je me relève et prends le temps d'observer la pièce, comme si je la découvrais pour la première fois. Un matelas de fortune d'un blanc immaculé, perdu dans un espace sombre dont les lumières ressemblent aux flammes de l'enfer. Ce feu qui se consume en permanence, qui ne s'essouffle jamais, maintenu par une magie dont j'ignore les secrets. Il plonge la grotte dans une ambiance incertaine, à la fois sinistre et réchauffée. Tout dépend de l'angle d'approche que nous prenons : nous pouvons voir en lui un éclat chaleureux ou bien, il peut nous oppresser.
Un seau propre est déposé un peu plus loin, dans un coin. Il réapparaît chaque jour en étant nettoyé, et il en va de même pour le tonneau dans lequel je prends des bains. C'est lugubre ici, mais l'hygiène est irréprochable malgré la poussière ambiante. J'ai également une brosse à dents qui repose sur un petit socle en bois, en compagnie d'un dentifrice et d'un savon.
Dans cette pièce, j'ai le temps de réfléchir et de veiller à mon apparence. Finalement, je n'ai pas beaucoup plus de présence que dans mon quotidien, néanmoins, la solitude commence malgré tout à me peser. J'en viens à me demander si je la désirais vraiment ou si je la subissais déjà. La notion de liberté prend une autre tournure dans ce lieu, sa définition m'apparaît plus complexe qu'avant.
Je pense que nous ne sommes vraiment libres que lorsque notre esprit l'est. Quand c'est le cas, même des murs ou des sorts ne peuvent nous empêcher de nous échapper, de nous évader, ne serait-ce que spirituellement. Parfois, nous sommes en plein milieu de la nature, sans chaîne et sans contrainte, mais la liberté n'est pas au bout du chemin.
Je dirais qu'elle se cherche, qu'elle se construit, qu'elle s'acquiert avec le temps, de la patience et beaucoup de remise en question.
C'est la leçon que je retiendrai de cette expérience.
Mes yeux se posent sur le tonneau à nouveau rempli d'eau, mais ce qui m'étonne, c'est la fumée qui s'enfuit de ce liquide. Jusque-là, je n'avais eu droit qu'aux douches froides, alors qu'aujourd'hui cela semble différent.
Je me mets debout et quitte mes vêtements sans plus y réfléchir. Eux aussi, ils changent tous les jours et sont remplacés par une tenue identique qui m'attend à côté du bain. Plus tard, ceux qui sont sales vont disparaître également.
C'est toujours pareil, selon le même cycle. Un cycle infini où chaque instant se ressemble.
Mon pied entre dans l'eau, suivi du second. La chaleur pénètre ma peau et détend instantanément mes muscles. Je m'enfonce entièrement, ne laissant que ma tête à la surface. Je la fais basculer en arrière et profite du moment pour ressentir toutes les fibres de mon être. Les points de contact avec le bois, le liquide qui grignote gentiment mon épiderme, ma cage thoracique qui s'amuse à effectuer des va-et-vient souples et réguliers, mes épaules qui se relâchent, les battements de mon cœur qui tapent tranquillement la mesure, mes yeux qui se ferment pour l'obscurité. Je permets même à mes écailles parsemant mon corps de s'ouvrir pour me donner l'illusion de cette liberté que je recherche tant, mais que je ne parviens pas à trouver véritablement. L'eau qui s'infiltre à travers elle provoque un puissant sentiment de lâcher-prise et, bien qu'il soit éphémère, j'accepte enfin d'en avoir un aperçu.
Mes sens plus aiguisés, je ressens la présence du Trompeur avant de l'entendre.
Son souffle est calme, pourtant il apporte une nouvelle dynamique à l'endroit. Il arrive à remplir l'espace sans même se montrer. Son aura le trahit, le rend visible à ceux qui sont attentifs, à ceux qui savent tendre l'oreille.
Mais pour la première fois, ça ne me gêne pas.
Je reste là à me prélasser, m'imaginant dans un tout autre lieu, plus agréable, moins renfermé et mille fois plus relaxant. Que le Trompeur soit à mes côtés ou non, mon esprit s'égare, passe entre les mailles de son filet pour déployer ses ailes ailleurs.
Mes pensées me font rire, je trouve cela profondément ironique.
— Tu sembles mieux prendre la situation.
Sa voix résonne au loin, comme si elle était là sans vraiment l'être. Elle aussi égarée, apparaissant dans mes songes comme un bruit de fond, une mélodie qui ne fait que s'ajouter à l'ambiance initiale.
— Je ne la prends pas mieux, je m'en accommode.
Mon ton est rauque, tout aussi hors de portée que le reste, presque ensommeillé dans les profondeurs de l'océan.
— Il était temps ! Je ne pensais pas que ce jour viendrait, pour être honnête, ricane-t-il. Tu es constamment dans le contrôle de tes émotions, je crois que dégoupiller un peu t'a fait du bien, pas vrai ?
Me laisser emporter par ma colère a eu un effet bénéfique sur moi, je dois l'admettre. Je me sens à présent vide, même si je ne suis pas sans savoir que de la lave coule encore à l'intérieur du volcan de ma vie. Je n'ai créé qu'une faille dans la croûte terrestre, une échappée, une façon de libérer ce liquide brûlant sans exploser, sans que les dégâts soient irréparables.
— Quelle est ta relation avec ton père ? demandé-je, envoyant une bouteille à la mer.
J'inspire, absorbe cet air que je trouvais autrefois toxique parce qu'il était troublé par cet être. Aujourd'hui, j'essaie d'adopter un angle différent, de me faire à l'idée de ma condition et de commencer à rêver d'autre chose. Je suis coincé ici, je n'ai pas vraiment le choix de composer avec lui, alors peut-être qu'apprendre à le connaître me permettra de rendre les choses un peu plus agréables.
— Pourquoi cette question ?
Je le sens étonné, il ne s'attendait pas à ce que je l'interroge à ce sujet.
Plus le temps passe, plus je parviens à le surprendre, en grande partie parce que j'ai cessé de réfléchir avant de parler. Dès qu'une pensée me vient, je l'exprime, et c'est la meilleure façon de l'empêcher d'avoir toujours un coup d'avance sur moi.
— Pourquoi pas ? rétorqué-je simplement, les paupières toujours abaissées, perdu dans mon monde. Au fil des jours, tu en sais davantage sur ce que je suis, peut-être plus que moi-même, alors pourquoi je n'aurais pas le droit de savoir ?
— Je ne suis pas le personnage principal de cette histoire, Jungkook-a, seules tes faiblesses sont intéressantes.
Est-ce qu'il dit cela parce qu'il ne se trouve pas assez captivant pour figurer en tête d'affiche ou bien, cela est seulement une manière de parler ?
— Donc tu considères ta relation avec ton père comme l'une de tes faiblesses ?
Il rit tandis que j'entends ses pas frôler le sol, non loin.
— Je pense que je déteins un peu sur toi.
Peut-être.
— Tu ne réponds pas à ma question.
— J'aurais droit d'en poser une en retour ? me questionne-t-il, avare d'obtenir des éléments qu'il pourrait se servir contre moi.
— Tout dépendra de l'honnêteté de ta réponse.
— Bien.
Soudain, les lumières s'éteignent et le noir s'installe.
Je le sais sans avoir à ouvrir les yeux, mais il est probablement en ce moment même de mon côté des barreaux. Son visage ne peut m'être révélé, je l'ai compris, j'en reste néanmoins déçu de ne pouvoir lui faire face.
— Je dirais qu'elle est complexe, révèle-t-il alors que sa voix m'apparaît presque comme un murmure.
Il aime les scènes théâtrales, de celles qui maintiennent un certain suspense, qui sont visuellement attrayantes. Je ne sais pas ce que cela peut dire de sa personnalité, mais il est exubérant, peut-être même excentrique.
Ou fou.
— Mais encore ?
— Que veux-tu savoir exactement ?
— Si tu l'appelles quand ça ne va pas pour toi, s'il se soucie de toi, s'il te réconforte, si tu le rends fier... dis-je, la voix traînante. Des choses comme ça.
Le silence emplie la grotte, il se fait presque bruyant. Je n'entends plus que les battements de mon cœur qui cognent contre ma poitrine et assurent ma survie avec tranquillité.
Depuis que je suis ici, j'ai beaucoup réfléchi au lien que j'entretiens avec mon paternel. Il est fragile, remplaçable, j'en ai conscience. J'ai passé ma vie à essayer de prouver ma valeur, à tenter d'être quelqu'un de passable à ses yeux, mais courir après une utopie est fatiguant, épuisant, usant.
Je ne m'embarrasse pas à dissimuler mes pensées, il n'a qu'à lire dans mon esprit. Je sais qu'il s'est probablement immiscé dans mes songes, qu'il a vu comment mon père me traitait et comment j'agissais en retour.
Il était humiliant et j'étais une honte, un déshonneur.
— Alors la réponse est non.
Il se racle la gorge et j'ignore si c'est à cause de la gêne ou bien pour s'éclaircir la voix.
— J'étais un enfant différent des autres, peut-être plus difficile à élever, ajoute-t-il alors que je sens son aura se rapprocher.
Je suis conscient de son corps en mouvement, comme si j'avais appris à mémoriser le rythme de ses pas, l'énergie qu'il transmet selon la distance qu'il instaure, le son de sa respiration quand elle est non loin.
— Pourquoi ?
— N'est-ce pas évident ?
— Je ne sais pas si ça vient de ton caractère effronté et piquant ou bien de ta fonction, tenté-je en soupirant.
— De mon caractère, assurément ! lance-t-il pour blaguer, répondant à ma désinvolture.
— C'est vrai que tu as dû lui donner du fil à retordre. Tu devais être du genre à taper du pied pour obtenir ce que tu voulais et à user de tes pouvoirs sur tes propres parents. Oh non, je sais, tu étais sûrement celui qui rendait fous ses camarades de classe !
Je ris de mes bêtises, mais je suis le seul à m'esclaffer. Je pensais pourtant que ce serait typiquement le genre d'humour qui le ferait se bidonner.
— C'est drôle, parce que j'étais tout le contraire.
À nouveau, il bouge et ses pas l'amènent jusqu'au tonneau où la pointe de ses chaussures bute doucement contre le bois.
Je m'aperçois que ma nudité ne me donne pas l'impression d'être exposé ou vulnérable. J'ai déjà été mis à nu par cet homme, d'une manière bien plus intime et intrusive, alors je ne crains pas son regard.
— Discipliné, obéissant, passif... soumis, chuchote-t-il dans l'obscurité.
Je fronce les sourcils d'incompréhension.
Comment peut-il être tout ce qu'il décrit ?
Non, comment a-t-il pu être tout ce qu'il décrit ?
Lui qui est indomptable, confiant, charismatique... Je n'arrive pas à l'imaginer autrement.
Est-ce qu'il se moque de moi ?
— Mais c'est dans les relations les plus toxiques qu'on en retire les plus grandes leçons, qu'en penses-tu ?
Je mords dans ma lèvre inférieure, plongé dans une méditation intérieure profonde.
— Peut-être, en tout cas elles nous changent, déterminé-je.
— Je dirais même qu'elles nous façonnent.
Mon esprit tourne à plein régime et cela vient perturber mes traits qui se froncent.
J'en viens à une conclusion : cet homme est comme tous les autres. Modelé par la vie, sculpté par ses relations, transformé par ses blessures. Le temps passe et je sens que je l'humanise, qu'il apparaît à mes yeux seulement comme un être appartenant à une autre espèce que la mienne.
Aussi incompris que les autres.
Aussi malaimé que les autres.
Aussi faible que les autres.
S'il a pu être ainsi un jour, alors il peut le redevenir.
Sous mes mains ou celles d'un autre.
— En vieillissant, j'ai compris que lorsque l'on donne le pouvoir à l'autre de nous modeler, alors on perd bien plus que notre dignité, reprends-je. On abandonne également notre identité et notre liberté.
— Tu me sembles bien sage aujourd'hui.
— Je me rends simplement compte que nous ne sommes pas si différents, susurré-je en faisant craquer mon cou.
Je suis contrarié par mes propres paroles.
En arrivant ici, jamais je n'aurais pensé tenir un tel discours, et je ne sais pas si je dois en vouloir à l'enfermement, la faim, la solitude ou la démence.
Tout à coup, sa présence se fait écrasante ; elle enrobe chacune de mes inspirations, se plante dans mon cœur et empoisonne mes écailles qui frissonnent sous l'eau devenue tiède.
Je perçois son souffle qui s'abat contre mes lèvres alors qu'il a la tête penchée sur moi. Je ne vois que le noir, ne peux distinguer ses traits, mais je ressens son aura vibrer dans ma poitrine. Mes poils se dressent alors même qu'ils sont humides, tentés de se défendre ou de le toucher. J'ai ouvert les yeux sans m'en rendre compte, sans pouvoir résister à son appel, à son visage si près du mien.
— Qu'est-ce que ça fait de savoir que son ennemi nous ressemble ?
La chaleur qui se dégage de sa bouche caresse mes joues et c'est agréable. Durant une seconde, je prends le temps d'apprécier cet instant. Je sais à qui appartient cette chaleur, mais cela ne me la fait pas détester pour autant.
— Tu n'es pas mon ennemi, le contredis-je.
— Si je ne suis pas ton ennemi, dit-il, le ton brûlant, sombre. Que suis-je ?
Un petit rictus déforme mes pommettes, heureux qu'il me pose la question.
Sans hésiter, je sors le bras de l'eau, les griffes saillantes, et attrape sa nuque pour avancer sa tête dans ma direction. Quand je sens son nez frôler le mien, je peux presque l'entendre entrouvrir les lèvres de surprise, hoqueter sous mon impulsion.
— Mon adversaire, chuchoté-je comme si je lui avouais un secret interdit, défendu.
Il peut m'échapper à tout instant, se volatiliser comme il l'a toujours fait, donc même si mes griffes s'insèrent doucement dans la peau tendre de son cou, je sais que je ne le tiens pas vraiment.
Là encore, il m'accorde seulement l'impression de le maintenir entre mes doigts, d'avoir un semblant de contrôle sur lui, sur la situation.
Pour me donner raison, une effluve de fraise des bois parvient jusqu'à mes narines. Comme si j'en étais déjà dépendant, mes paupières se ferment d'elles-mêmes et je me laisse dériver en inspirant profondément ce parfum apaisant. Mes muscles se relâchent immédiatement, interprétant cette fragrance comme un signal, celui de baisser mes défenses, de céder à ce calme, à cette tranquillité dont j'ai besoin.
Alors mes griffes se retirent, ne laissent plus que mes doigts qui accrochent ses cheveux. Comme pour montrer ma lutte intérieure, pour ne pas m'avouer vaincu, je tire ardemment sur quelques mèches.
Je me venge de l'effet qu'il a sur moi, de ses fichues hormones qui me dérèglent de l'intérieur.
Il a trouvé une arme bien plus puissante que les mots ou le sang, contre laquelle résister risque de me coûter quelques plumes.
Plus tard, quand je suis à nouveau seul, un petit sourire gagne mes traits.
Je suis heureux parce que j'ai obtenu une information importante il y a quelques minutes, sans même qu'il ne me pose une question en retour.
Selon ce que les miens savons sur les Trompeurs, il s'agissait d'êtres entièrement créés par la magie, n'existant pas sans elle. Cependant, en parlant de sa relation avec son père, je comprends maintenant que la génétique joue aussi un rôle dans la transmission de cette espèce.
Le Trompeur n'est donc pas totalement une illusion, il est fait de chair et de veines, et un cœur doit battre dans sa poitrine. En effet, nous ne sommes pas si différents, sauf que lui a embrassé le monstre qui était en lui tandis que le mien ne verra plus jamais la lumière du jour.
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NOTE DE L'AUTEURE :
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Encore une fois, il est rempli de tension, vous ne trouvez pas ?
On en apprend davantage sur la relation qu'entretient Jungkook avec son père. On comprend que JK a beaucoup souffert de cette dernière, qu'il a dû courber l'échine pour survivre... Comment a-t-elle évolué avec le temps, à votre avis ?
Taehyung se montre curieux et on peut se demander ce qu'il cherche réellement...
Jungkook, avec cette question qui pourrait paraître anodine, en a appris davantage sur les Trompeurs. Si Taehyung a un père, un géniteur, alors il n'a pas été créé par la magie. Son existence est liée à la naissance, une grossesse. Si Tae en découvre davantage sur Jungkook, l'inverse est aussi possible.
Cette information, qu'en pensez-vous ? Que croyez-vous que Taehyung soit réellement ?
Que de mystères, pas vrai ?
Ce système de huit-clos, où l'histoire se concentre uniquement sur les personnages principaux, qu'en pensez-vous ? Qu'êtes-vous curieux de découvrir par la suite ?
Kissouilles, mes Dumiz !
Era xx
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