Chapitre 9 - Le jeu de l'Oméga
Terence s'avance, je l'entends traîner des chaînes derrière lui. Le bout de métal crisse sur le sol.
— Driss, est-ce que cette Inès compte pour toi ?
C'est une question piège ou il le fait exprès ? Terence souffre d'un réel déséquilibre mental, les deux options sont possibles.
Je hoche de la tête en avalant difficilement ma salive. Inès tremble en face de moi. Elle sent – tout comme moi – qu'il y a quelque chose de pas nette qui se prépare.
— Et toi, Inès ? À quel point tu aimes Driss ?
Inès me regarde, la bouche entrouverte. Je vois des sortes de crasses noires entre ses dents.
— Je... je ne comprends pas ?
Elle marmonne mais j'arrive à comprendre.
— Il a quelle valeur pour toi ?
— Il... il... compte beaucoup ! lâche-t-elle dans un tremblement.
— Tu tournes autour du pot... Inès, tu sais très bien de quoi je parle. Ne m'oblige pas à te tirer les vers du nez.
— Je...
— Très bien... soupira Terence en lui coupant la parole. Est-ce un ami, un frère spirituel, une connaissance, un petit-ami ?
— Un ami.
Elle répond sans hésiter, par réflexe. Ça venait du cœur, et je ressens quelque chose me picoter à l'intérieur de la poitrine. Je ne comprends pas les raisons de cette douleur.
— Bien Inès... et est-ce que tu serais prête à tout pour protéger ton ami ?
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?! Inès, ne lui répond pas !
Mes mots sortent de ma tête. Je me rends compte plus tard que je me suis mis à hurler. La sueur perle sur mon front, je regarde Terence avec un désespoir absolu.
— Oh, rien de fâcheux, Inès. Je t'assure. Surtout si Driss compte autant.
Inès le regarde et lui hoche la tête. Je commence à m'en vouloir d'être ici, enfermé dans cette pièce sombre et poussiéreuse. À cause de moi, il risque de la faire souffrir davantage. Terence voulait forcément me punir d'avoir essayé de lui porter secours.
— Baisse son pantalon.
Inès sursaute, une palpitation me traverse.
— Euh...
— Fais-le, ne discute pas ! Je n'ai pas envie de perdre mon temps.
Inès se lève du tabouret, ses mains prennent appui sur mes cuisses pendant qu'elle se penche vers moi. Je peux voir ses cheveux masquer son visage, pourtant je sais qu'elle me déshabille aussi du regard.
Je pense que c'est ma première sensation agréable depuis le début de ce supplice. Ça ne devrait pas être le cas mais c'est ce que je ressens.
— Ensuite, détache-le.
Il sait que je suis trop faible pour m'enfuir. Inès était détruite de l'intérieur. Une alliance serait inutile. Je sens enfin une pression s'extraire de mes poignets. Mes bras se balancent brusquement en avant puis finissent pendu au ras du sol. Mes mains fourmillent jusqu'au bout des doigts.
— Réflexe !
Je fais volte-face quand un pistolet fonce droit sur moi. Le creux de ma main l'attrape par réflexe. Mais lorsque que je réalise enfin ce que j'ai entre les mains, mon poignet se met à trembler.
— Calme-toi, je te promets que si tout se passe bien tu n'auras même pas à t'en servir.
J'aurais pu lui sauter à la gorge à ce moment précis, lui coller une balle en pleine tête pour m'enfuir avec Inès et Nahla. Mais je ne savais même pas si le barillet contenait des munitions. Ça ne m'étonnerait pas que Terence ait voulu tester ma loyauté en me donnant cette arme.
— Bien, les règles sont simples. Je vais fermer la porte derrière moi. Vous aurez un laps de temps d'environ au moins quinze minutes...
Il s'arrête de parler et se cale au cadre de la porte, les bras croisés. Je mets le pistolet sur ma cuisse et jette un regard à Inès.
— Pour faire quoi ? demande Inès, dont les halètements faillent à la crise d'asthme.
— Lorsque je reviendrai dans la chambre... je veux voir une de deux substances en particulier.
Quoi ? De quelles substances il...
— Du sang ou du sperme.
Je crois que mon cœur se bloque. Mes oreilles se mettent à chauffer et je sens le vide se dérober sous mes pieds.
— Si vous verriez vos têtes, c'est extra ! s'esclaffe Terence qui commence à plaquer ses mains sur son ventre.
Violer une amitié pour sauver une vie. Voilà ce que voulait Terence. C'était un véritable sadique. Il sait que l'heure n'est certainement pas à l'excitation pour Inès et moi. Il est le seul à pouvoir ressentir ce genre de plaisir. Un individu sous pression, en proie à la peur ne peut pas penser au sexe, pas plus qu'à ses besoins primaires. Tout ce qui importe est de fuir.
— Mais t'es vraiment un putain de malade !!! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, espèce de détraqué ?! Tu viens me kidnapper chez moi pour me faire subir ce genre de choses ?! Sale petit connard de merde !
Terence change de visage et revêt l'air glacial qu'il avait sur l'autoroute. Je crois qu'Inès m'a surpris, sur ce coup-là. En réalisant que Terence nous demandait simplement d'avoir une relation sexuelle, madame est sortie de ses gonds. Une rage si impressionnante que je peux voir ses veines grossir sur sa jugulaire et ses tempes. Son teint autrefois pâle vire au rouge et ses postillons débondent sur le sol. Je crois les sentir pleuvoir sur mes chaussures.
Je conçois le fait que Terence soit un psychopathe. J'ai assisté au pire spectacle qu'il m'ait été donné dans ma vie, depuis hier soir. En comparaison à ce que j'ai vu dans le salon, cette chère Nahla à qui on avait amputé un bras pour une raison qui m'est encore inconnu, ce que Terence demandait signifiait le néant. C'était à peine ridicule.
Mon regard se braque sur Inès.
— Impressionnant, n'est-ce pas ? m'adresse Terence en levant le sourcil. Tu vois, ça ne fait qu'un jour qu'elle est ici. C'est pour ça qu'elle a plus de gueule que l'autre. Mais ne t'en fais pas, je t'assure que d'ici une semaine, la chienne sera dressée comme il le faut.
Je ne veux pas le dire, mais Terence avait lu dans mon regard lorsque celui-ci s'était brusquement plongé sur Inès.
— Ne... ne t'en fais pas, Inès.
Je lui attrape les mains et capte son attention.
— Je vais me débrouiller pour... enfin... t'as compris ce que je voulais dire.
— Ah oui, chose importante, Driss, achève Terence. Je veux absolument voir ta semence dans sa bouche.
Inès hurle comme un démon, ma chaise grince en arrière sur la surprise.
— Espèce de petit puceau de merde ! Tu es un de ces types chelou qui se branlent sur des vidéos de viols et de la pédopornographie du Dark web ! Attends que les flics débarquent chez toi ! Ils vont te foutre derrière les barreaux et j'espère que les détenus te passeront un savon, là-bas !
— Personne n'a appelé la police, Inès, lui répond calmement Terence. Tu ne fais que raconter des bêtises depuis tout à l'heure... d'ailleurs, c'est aussi le cas sur ma virginité.
Il pousse un rire étouffé.
— Sale violeur de merde !
— J'ai hâte de te dresser, Inès. Tu ne me paraissais pas aussi impulsive à l'université. Comme quoi, on ne connaît jamais réellement quelqu'un.
Pour ça, je ne te le fais pas dire, Terence.
— Vous avez dix minutes. Si je vois que vous n'êtes pas arrivé à me sortir du sperme ou du sang, je vous colle une balle à tous les deux.
Son pied traverse l'encadrement de la porte. Terence ferme aussitôt derrière-lui mais Inès continue de hurler.
— La Martinique est petite, Terence ! Crois-moi on va te retrouver et te tirer une putain de balle dans la tête !
J'ai l'impression que ses poumons partent avec sa colère tellement ses cris fendent les murs.
Je me penche vers elle et lui attrape le poignet, je peux sentir son pouls battre dans la paume de ma main.
— Ça va aller. Je ne veux pas te brusquer.
La lueur sur son visage passe au sanglot. Inès bondit sur moi et me lacère la taille. Je sens le pan de mon t-shirt humide, ses larmes chaudes collent le tissu contre ma peau. Elle avait rétracté les griffes.
— Driss, j'ai peur, je ne veux pas mourir...
— Je te promets qu'on ne va pas y passer.
— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Je ne lui ai jamais adressé la parole, à ce type. À l'université, je ne l'ai jamais harcelé ou quoi... Pourquoi ce salaud s'en prend à moi ?!
Justement, Inès. Tu ne lui as jamais adressé la parole. Toi et toutes les autres filles, tourniez des talons lorsqu'il était dans les parages. Et si certaines d'entre vous lui adressiez la parole, c'était uniquement pour se moquer de lui.
— On n'a pas le choix, si on veut s'en sortir vivant, pour l'instant, il faut qu'on joue.
Elle détourne les yeux. Inès m'affranchit de son emprise et fait deux pas en arrière. Mon estomac fait un bond et ma tête se met à tourner. L'atmosphère entre nous a encore changé. Je sens que j'ai mis un blanc en soulevant cette option. Mais je ne comprends toujours pas sa réaction au point de trouver cela horrible.
Comme dirait les hippies des années 70 « faites l'amour, pas la guerre ! ». Le sexe est l'une des choses les plus jouissives au monde, après se nourrir, je suppose. Pourquoi Inès en fait tout un drame ? Terence ne l'a pas encore « touché » si j'ai bien compris et il ne s'agit que d'un ébat sexuel entre nous. On se connaît, on peut se faire confiance.
À moins que mon corps soit un supplice pour elle. Mis-à-part mes timides poignées d'amour, ma brioche au bas du ventre et un physique banal – que les bodybuilders qualifierait de « corps de lâche » – je ne vois où est la difficulté. Pour le moment le jeu semble presque exaltant, autant pour nous que pour le tortionnaire.
— Ça va se corser avec le temps. Je pense qu'on a beaucoup de chance qu'il demande pas de nous amputer un membre ou un truc du genre...
— Beaucoup de chance ? Driss, je ne veux pas faire ça.
Je lui coche un clin d'œil en direction du pistolet coincé sous ma cuisse. Inès me renvoie un regard courroucé, comme si je l'avais trahi. Elle ne se rend pas compte qu'elle vient aussi de me faire ressentir exactement la même chose.
Il n'y a pas de complicité. Le dédain prend sa place. Inès et moi nous échangeons un regard empli d'adversité.
— Je sais que tu ne ressens pas ça pour moi... mais je...
Elle m'interrompt.
— Ça ne te dérange pas de le faire... de me violer ?
Les mots se glissent, avec étroit et bégaiement, en dehors de sa bouche. Elle me fixe comme si je lui rappelle une odeur immonde qui lui sort des narines. J'imagine qu'elle doit ressentir du mépris à mon égard. Quand nos yeux se croisent, j'y vois une drôle d'expression. Il fallait que je me défende.
— Ce n'est pas un viol ! m'exclamais-je, à deux doigts de me lever de la chaise. J'y suis contraint tout autant que toi.
— Sauf que ça ne te dérange pas de le faire... tu y prendrais même plaisir... alors oui, c'est un viol.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Elle fronce les sourcils et braque son attention vers mon entrejambe. Merde. Inès a remarqué la bosse gonfler dans mon caleçon. Je crois qu'une tâche humide venait de s'y répandre. C'est mon liquide pré-séminal.
— Tu es excité, hein ?
Je ne réponds pas. Ma température grimpe à cause de la honte et je me contente de fixer la planche collée au mur.
— Ne me mens pas, Driss !
Mon corps parle de lui-même, je ne peux pas contester.
— J'ai vu ça quand tu m'as montré le pistolet avec ton regard... Toi aussi, tu es un monstre !
— Je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Je te jure que je n'y suis pour rien.
Les coups de poings contre la porte coupe notre conversation. Terence hausse la voix.
— Il ne vous reste plus que dix minutes.
Je continue de regarder la planche de bois avec un léger sursaut. Cette planche est clouée face à une fenêtre qui donne de l'intérieur de la pièce. Inès et moi, nous étions désormais coupés du monde. Coupé de tout jugement. Coupé de toute réaction. Personne ne voyait, personne ne savait, personne d'autre que nous n'existait. Je venais de le comprendre.
Terence, je vois maintenant clair dans ton jeu.
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