Chapitre 8 - L'acolyte

  Pire que la mort. Elle est réduite au simple état d'esclave. D'animal en cage, domestiqué par la terreur et la force. Il n'y avait pas pire sensation que de voir sa dignité humaine bafouée au simple état d'objet. Nahla reste affalée sur le canapé pendant dix bonnes minutes sans bouger un cil, comme si elle est morte – et peut-être qu'elle n'attend que ça.

  J'entends l'ardillon passer dans le trou de sa ceinture, Terence se relève et remonte son pantalon, lui-même épuisé après l'acte.

  Quelque chose de doux me chatouille la joue. Je tente de lever le menton puis constate que je suis couché à plat ventre sur une espèce de moquette en broussaille depuis le début. Il y a une odeur de frais qui se mélange à pleins d'autres que je ne pourrais pas décrire. Mais ce n'est pas agréable.

  Nahla est comme paralysée sur le fauteuil. Tout son corps continue de s'agiter de tremblement, sa seule et unique main agrippe convulsivement l'accoudoir du bord gauche. En bas du bord droit, je ne bouge pas. Mon pied heurte un objet dur, sphérique et froid. C'est un casque de motard dont une couche de peinture noire teinte la visière. Je peux sentir l'odeur. La peinture est fraiche.

  — Ça ne sert à rien de bouger, murmure Terence à Nahla, ta punition est loin d'être terminée.

  Punition ? Il lui parle comme si c'était une enfant ? Et Nahla reste là sans rien faire. Je n'arrive pas à y croire.

  La femelle Alpha qui martyrisait le mâle Oméga se retrouve maintenant à sa merci et n'a d'autre choix que de se plier à ses moindres désirs... Si je n'étais pas en danger, j'aurais trouvé la situation amusante.

  — Je... je vais rentrer dans ma chambre, mais s'il te plait, je t'en supplie... pas le casque.

  — Tu connais les règles. Je ne veux pas que tu hurles.

  — Je ne le ferai pas, j'ai compris la leçon.

  Terence se rapproche d'elle et commence à masser son moignon. Je ne peux observer la scène plus longtemps mais je crois bien avoir entendu un smack.

  — Est-ce que je suis ta préférée ?

  Préférée ? Ça veut dire qu'il y a d'autres filles, ici ? Inès. Rosie. Elles sont cachées quelque part dans la maison ?

  Je n'ai pas le temps de réfléchir à un stratagème pour découvrir où – et si – elles étaient cachées, Terence étreint Nahla par le cou. Il attrape le casque qui traîne à mes pieds et l'enfonce avec force sur sa tête. Je ne vois plus que les yeux de la jeune fille, qui derrière une lueur écarlate, commence à éclater en sanglot et demander pitié. J'entends les pieds nues de Nahla glisser sur le sol, traînés de force, puis un fracas qui s'éloigne loin de moi. Le bruit s'enfonce dans le sol, il plonge dans les abysses.

  Une porte se ferme, un cadenas se verrouille et j'entends des chaines se frictionner à nouveau.

  Les pas de Terence se rapproche de moi et je commence à comprendre qu'il ne m'a pas oublié.

  Le son s'arrête derrière ma nuque. Une présence respire juste dans mon dos, mon corps m'envoie des frissons et je commence à réaliser qu'il va me faire quelque chose.

  — Attends !

  CRAC.

  Mes forces se mettent à m'abandonner. Tout devient plus sombre. Je ne vois rien.

***

  Il y a encore des pièces dont j'ignore l'existence. Lorsque je suis entré de force dans cette maison en apparence similaire à toutes celles du quartier pavillonnaire, le salon était plongé dans le noir, ainsi que toutes les portes qui le cerclait. Inès et Rosie se trouvent forcément dans l'une d'entre elles, et moi aussi désormais.

  Je me rends compte au filet de bave qui coule à mon menton que je me suis endormi. Et je comprends qu'il fait jour grâce au rayon de lumière qui transperce une planche de bois. Des clous transpercent ses quatre côtés et s'enfoncent dans le mur, je le vois à la fissure qui s'étend derrière la planche.

  Soudain, un grincement se réveille derrière moi. Au début, je pense aux pieds de la chaise sur laquelle je suis attaché. Puis j'entends un verrou et un claquement. Il y a une porte derrière moi et quelqu'un marche très lentement.

  Terence arrive face à moi, un tabouret à sa main droite, un cappuccino dans l'autre. Il me regarde en poussant un soupir et place son tabouret face à moi.

  — Ça va mieux, ta jambe ?

  Il me parle avec une transparence déconcertante. Sa voix en est presque apaisante. Je me penche en avant avec la précaution de ne pas tomber. Mon cou sortant presque de mon corps. Je remarque un bandage sur ma jambe blessé. Effectivement je ne sentais plus les brulures.

  — Oui...

  Je faux de le remercier et me reprends fronçant mes sourcils.

  Terence boit une gorgée de son cappuccino et me dévisage avec stupéfaction.

  — Tu en veux ?

  — Arrête de jouer la comédie ! Pourquoi tu m'as soigné ?

  — Ta jambe allait s'infecter. Il fallait bien faire quelque chose.

  — Non, je veux dire... pourquoi tu ne m'as pas achevé ? Pourquoi tu ne me tue pas ? Tu prends plaisir à me torturer, c'est ça ?

  — Pourquoi je voudrais te tuer ? Tu ne m'as jamais rien fait, toi.

  Mon sourcil se lève. Je ne comprends toujours pas où il veut en venir.

  — Attends... tu m'as suivi jusqu'à l'autoroute... tu as... m'as percuté. À cause de toi, Fred est mort et Alain y est probablement passé, lui-aussi.

  — Je ne voulais pas en arriver là. Il fallait juste que tu t'arrêtes.

  — Mais pourquoi ne pas m'avoir klaxonné ?

  — Je savais très bien que tu allais te douter de quelque chose. Tout ce que je voulais, c'était vous enfermer tous les trois dans la maison.

  — Tu es malade, Terence ! Bordel, comment tu as fait pour en arriver là ?!

  — Je t'ai entendu dans le journal local. Tu comptais retrouver Inès... ça m'a fait peur. J'ai tellement paniqué qu'il fallait que je vous arrête. Je n'ai pas cessé de vous pister toute la journée. À la base, je comptais vous enlever bien plus tôt, mais lorsque je t'ai vu aller au commissariat, j'ai... j'ai perdu tous mes moyens. Alors je suis retourné me cacher...

  — TERENCE, POURQUOI ?!

  Il a un sursaut. Je bascule en avant sur le coup de la colère. En prenant appuis sur ma jambe valide, je retrouve mon équilibre.

  — Tu allais me retrouver, Driss... faire le rapprochement avec Inès et... Et ça aurait été la fin pour moi.

  Ses mots restent coincés dans sa gorge. Terence avait perdu son assurance. Je reconnais à nouveau le loup Oméga que je côtoyais à l'université.

  — Je n'aurais pas pu penser qu'un type comme toi ferait une chose pareille !

  — Quoi ? A-alors tu ne savais que c'était moi ?

  — Pas encore.

  — Mais l'autre soir, tu m'as suivi jusqu'au parking... Ô Seigneur ! Je pensais que tu avais reconnu ma voiture. Quand ton portable a brisé ma lunette arrière, j'ai cru que j'étais démasqué.

  Par son incompétence, Terence Octave était entré de lui-même dans la gueule du loup. Il avait cédé à la panique et, comme avec son fanatisme pour White-Kitty, cédait le bâton pour se faire battre. À la simple différence que j'étais enfermé ici et qu'il avait finalement les cartes en main. Je comprends que je suis en possession d'un véritable cadeau empoisonné.

  — Qu'est-ce que tu attends de moi, Terence ? Tu comptes me laisser ici jusqu'à quand ? Une semaine ? Un mois ? Peut-être des années entières... jusqu'à ce qu'on découvre ce que tu as fait.

  — T'emprisonner ? Pas du tout, admet-il dans un élan de sourire.

  Il marque une pause durant laquelle la pièce entière se ronge dans un silence inquiétant. Terence regarde le sol pendant une minute, les yeux écarquillés, sans battre un cil. Alors il comptait me tuer ?

  — Je veux tout simplement que tu sois mon acolyte.

  Je n'arrive plus à entendre la suite. Il y a un bourdonnement qui m'alourdi les oreilles et quelque chose cogne ma tête sans s'arrêter, je crois qu'elle va exploser.

  — P-pardon ? Je ne comprends pas très bien là...

  Il a cru que j'étais fou à ce point ?! Terence, ma parole, c'est un sacré ravagé de la tête. Et c'est quoi la suite ? Je suis payé pour couvrir tout ce qu'il fait dans cette maison ? Wow, quel job de malade, je signe direct ! C'est clair qu'avec ça j'aurai des congés payés en enfer une fois qu'il faudra mettre la clé sous la porte. Une fois qu'il faudra mettre mon corps sous la terre. Après que l'on m'ait grillé avec lui sur une foutue chaise électrique.

  — C'est bien Inès que tu veux ?

  Sa proposition arrive à captiver mon attention. J'arrête de respirer et me penche en avant.

  — Crois-moi, Driss... c'est ton jour de chance, mon ami. Tu ne pouvais pas mieux tomber que sur moi. Tu ne vas pas le regretter.

  — Terence, qu'est-ce que tu fais, là ?!

  Le tabouret grince sur le sol. Terence marche en direction de la porte. Je sens mon cœur s'emballer. Les pores de ma peau s'ouvrent à nouveau alors que cette maudite sueur froide me caresse le dos.

  — Reviens !

  La porte claque. Cependant, il manquait ce bruit de chaines : Terence n'en avait pas fini avec moi. Il allait revenir d'ici quelques minutes. Je ne sais pas pourquoi il est parti. Mais je pense avoir ma petite idée. Il n'est pas aisé d'anticiper les agissements d'un individu quand sa folie n'a pas de limite.

  La porte s'ouvre. Des pas plus légers que ceux de Terence progressent derrière moi. J'entends un petit son qui s'écrie dans mon dos. Des pieds nus apparaissent à ma gauche et s'arrête face à moi. Les ongles, incrustés de saletés, se présentent noirs et mal coupés tandis que les chevilles ont encore des marques qui témoignent que cette personne était enchaîné depuis un certain temps.

  — Driss ?

  Je lève la tête et je la reconnais. Une blessure à sa tempe. Vêtue d'une simple toile de draps gris – autrefois blanche – et d'un regard dont les iris bleus avaient perdu toute leur clarté. Inès se fige face à moi, le visage crispé. Elle a envie de pleurer et je veux plonger dans ses bras, mais je suis ligoté. Je veux lui dire quelque chose, mais n'arrive plus à réfléchir.

  — Cette sensation de revoir la fille que tu aimes tant, c'est bon, n'est-ce pas ?

  Il marque un temps avant de reprendre la parole.

  — On va jouer à un petit jeu, vous et moi.

  Je draine une bouffée d'air plus importante en entendant Terence dans mon dos. Pris par la surprise, je ne remarque pas sa présence au coin de la porte, les bras croisés, en train de lancer un sourire aussi goguenard qu'inquiétant.

  — Tu es prêt à fêter les retrouvailles, cher acolyte ?

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