Chapitre 5 - La chère Rosie
J'ai dormi à poings fermés, cette nuit-là. Sans l'effet de l'alcool assourdissant sur tout mon corps, je pense bien que je n'aurais pas trouver le sommeil. Je suis toujours tourmenté mais j'y vois plus clair, maintenant.
La fissure de mon écran s'étend comme une toile d'araignée sur mon portable. J'observe des traces rouges incrustées dans les brèches et je comprends en ouvrant ma main droite qu'il s'agit de mon sang. Les morceaux de verres ont réussi à me couper sans que je ne m'en rende compte.
Je ne sais pas quel jour on est, ni les cours que je dois suivre pour le reste de la semaine. Mon seul réflexe est d'aller voir une certaine personne que je ne porte pas dans mon cœur, mais qui pourrait s'avérer utile dans ce genre de situation.
***
— Le grand garçon a enfin fini de bouder seul dans son coin ? Hum ?
Morgan Baretta habitait dans le bâtiment C, au palier dominant le reste de l'immeuble. Je n'y allais que lorsque Alain m'invitait. Il était souvent chez Morgan quand il organisait des soirées alcool à gogo ou des chichas. Je n'adhère pas au concept d'injecter des substances étranges dans mes poumons, alors je ne viens que pour les occasions de boire.
Le nombre de filles à être passées dans la chambre serait difficile à énumérer. On pourrait résumer cette pièce à un véritable bordel. Et ce ne sont que des détails qu'Alain avait bien voulu me donner. Je n'aime pas fouiner dans la vie des gens, et encore moins de personne dont le chemin n'était clairement pas à suivre.
Il me regarde avec dédain pendant que la cigarette se consume entre ses lèvres. Une épaisse masse de fumée m'arrive dans le visage.
— Inès... s'est... faite enlever par un type bizarre ! dis-je en toussant à m'en arracher les poumons.
Il cale sa cigarette entre ses doigts. Les cendres tombent sur mes claquettes et je peux encore sentir leur chaleur. Morgan se penche en avant, les sourcils froncés. Il n'avait pas l'air aussi surpris que j'aurais pu l'imaginer.
— Ça ne va peut-être pas te paraitre normal, ce que je vais te dire. Mais ce genre de truc glauque arrive souvent dans la résidence universitaire.
— J'habite ici depuis un an et je ne savais pas que les filles se faisaient enlever à tours de bras comme hier soir !
— Les enlèvements... soupira Morgan en expirant un nuage de fumée. Je dois admettre que c'est inédit cette année. En temps normal on parle plus de viol ou de guet-apens. Mais bien sûr, tu n'en savais rien. Les lopettes dans ton genre n'ont jamais ce genre de soucis.
Je contenance ma colère. Je devais passer outre ses remarques à la con. Tu as choisi de mener une vie de débauche dans la drogue et l'alcool, ça te réussit auprès des filles. Mais ne crois pas que tu es le meilleur exemple que cette université ait porté, Morgan, parce que c'est loin d'être le cas. Les plus cools finissent toujours par couler.
— Et il y a deux semaines, c'était la même rengaine...
Il s'arrête de parler et me demande de lui tenir sa cigarette pendant qu'il déverrouille son portable. Une fille avec des lunettes rondes et des lèvres pulpeuses apparait sur son fond d'écran. Je ne veux pas être grossier, mais c'est la première fois que je vois une fille avec des formes aussi harmonieuses. Son visage m'est familier.
Rosie Marcade, vingt ans, étudiante en deuxième année de droit, pas de note extraordinaire mais suffisante pour avoir la moyenne – un peu comme moi – faisait également partie de la meute de Nahla.
J'avais presque oublié qu'elle avait disparue depuis maintenant deux semaines, contre deux mois pour Nahla. Je crois que c'était – malheureusement – à cause du manque cruel de popularité entre elle et la première disparue.
Rosie présente la typique jolie fille mais sans plus. Si on était dans un film, ça serait une sorte de personnage secondaire ou au moins une figurante. Une vraie étudiante sans histoire. Typiquement le genre de victime qui devrait avoir encore plus d'ampleur que Nahla. Mais l'Université Hibiscus avait un sens des priorités à revoir.
Pour faire simple, Rosie est l'un des nombreux sbires de Nahla. Parce qu'à ce stade on ne peut pas porter autant de gens dans son cœur. C'est impossible, même pour une personne aussi emphatique – mdr – et admirée que Nahla.
— Elle est partie de chez moi il y a environ trois semaines et n'a plus jamais donné de nouvelles. Au début, je pensais que c'était parce qu'on venait de rompre mais ça commençait à devenir louche. Trois putains de semaines, Driss. Le président de l'université voulait à tout prix calmer les tensions après l'affaire Nahla, alors il a menti sur la durée de la disparition de Rosie.
Toute la colère que j'avais pour lui a commencé à se dissiper. Je voyais un peu plus clair. Lui aussi était tourmenté. Et qu'est-ce qu'elle faisait dans ta chambre ? Un énième vide-couille ou une fille qui comptait pour toi, Morgan ? Tu as dis avoir rompu avec, mais qu'est-ce qu'elle fiche sur ton fond d'écran ? Un hommage solennel, peut-être.
— Je suis l'un des seuls, ici, à connaître la vérité concernant Rosie. Tout le monde à l'air de bien s'en foutre.
Et il presse son portable avec suffisamment de rage pour que je me mette à imaginer son écran se fendre dans sa main.
Alors cette fille compte pour toi, Morgan. Tu as donc un cœur ?
— Pourquoi tu n'es pas allé voir la police ?
— La police ? Avec le casier que j'ai ? il m'a pouffé au nez et coincé sa cigarette entre ses doigts. Ces enfoirés penseront forcément que j'ai à voir dans cette histoire... mais bonne nouvelle, la lopette...
Il tape sans prévenir sur mon torse.
— C'est que toi, Driss Truchet, tu peux toujours déclarer la disparition d'Inès sans te faire pister une fois le dos tourné. Et ça, c'est un putain d'avantage.
— Tu penses que je devrais le faire ?
— Bordel, Driss, prend les initiatives au moins une fois dans ta vie. C'est à cause de ce genre de mentalité que tu vas rester puceau à vie.
Je fais comme si je n'avais rien entendu.
— À plus tard, Morgan.
— Au fait, lopette...
Je m'arrête en bas de son escalier, le nez en l'air.
— Va prendre une douche. Tu pues l'alcool. Et gare à toi si tu dis aux autres que je connais Rosie, j'ai caillaissé des plus durs que toi pour moins que ça.
***
Une heure plus tard, je mets mon sac sur mon épaule, m'asperge d'un jet anti-transpirant et verrouille ma porte à clé.
J'entends une sorte de condensé de voix s'accentuer vers le rez-de-chaussée. Les sourcils froncés, j'arrive au pied de la porte principale qui donnait sur le parking du bâtiment B, je ne peux plus voir les marquages au sol tellement le monde y était bondé.
— Super, la presse est déjà là... soupirais-je.
Certains étudiants hurlaient sur tout le site tandis que d'autres filmaient la ligne de sang – désormais sèche – en s'inventant une future carrière de criminologue.
— Truc de ouf ! Truc de ouf ! hurla une voix derrière moi.
C'était Alain. Je ne l'avais jamais vu aussi haletant et paniqué à la fois. Il me passe un bras autour du coup pour reprendre appui sur moi.
— Et dire que ça s'est passé sous nos yeux. Comment on a fait pour ne rien voir et ne rien entendre ?
Je m'apprêtais à dire tout ce que je savais lorsque Fred, un autre pote à moi, avait bondi sur moi.
— Driss, les journalistes ont remonté la ligne de sang jusqu'à ton palier et il s'arrête dans la chambre d'Inès ! C'est elle qui a disparu, cette fois-ci !
Je le regarde. J'ai envie de lui dire tout ce que j'avais ressenti. Tout ce que j'avais fait cette nuit-là, mais mes lèvres tremblaient et je sentais ma gorge s'étreindre d'une pression inconnue. J'éclate en sanglots.
Alain et Fred comprennent de suite que j'en sais quelque chose. Ils avaient cette soif de questions dans le regard.
— Je crois que la journaliste cherche des témoins. Tu pourrais peut-être lui dire.
— Mais qui a appelé la presse locale ? Je croyais avoir été le seul à voir ce type transporter Inès dans une valise... Il y a un espèce de lâche qui a tout vu sans jamais intervenir avec moi ?
Les visages d'Alain et Fred se défigurèrent. Ils n'étaient décidemment pas prêts à encaisser tout ce que j'allais dire.
Je me dirige en direction de mon bâtiment qui s'est déjà retrouvé balisé entre-temps. Un agent de sécurité me laisse passer lorsque je lui explique brièvement que je suis le voisin de la disparue en question. Quand je me retourne vers l'extérieur, la masse me braque des regards. Ils sont tous en effervescences, je suis sûr qu'ils doivent se demander si je suis l'un des responsables.
Une chose est sûre : je n'avais jamais suscité autant d'engouement de toute ma vie jusqu'à aujourd'hui. Tout comme Rosie, j'étais généralement quelqu'un de l'ombre.
Je prends les escaliers quatre à quatre et je me rends jusqu'à mon palier. Une caméra m'attendait devant le seuil de sa porte.
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