Chapitre 32 - La valeureuse morale
Il fallait se rendre compte d'une chose : on ne serait jamais tranquille.
Terence, moi et les autres, avons réussi à retrouver la côte en Martinique en moins de deux jours. Les pagaies faisaient travailler les muscles si bien que rentré depuis maintenant hier, je ressens encore la douleur se contracter dans mes biceps et triceps.
Le gouvernement nous croyait mort. C'est ce que dit le journal local lorsque nos visages ont été dévoilés par l'un des passagers. Heureusement, le type qui nous filmait n'avait pas moins d'une soixantaine d'années et la tremblote semblait prendre le pas sur ses émotions. Il fallait vraiment nous connaître pour distinguer la bande de fous qui s'était décidé à sauter du navire.
On est tous réunis dans le salon, Inès et Nahla reposent d'un calme olympien sur le côté gauche du sofa et Terence suit le journal depuis sa chaise. Il se mord la main et tente de prier en s'enlaçant les doigts. Sa jambe tapote contre le sol sans s'arrêter mais personne à part moi n'y prête attention. Seule la journaliste, qui parle à travers l'écran en nous jetant un regard solennel, porte tout l'intérêt du groupe.
— Il semblerait que les personnes identifiées sur cette vidéo soient les filles disparues de l'Université Hibiscus : Nahla Sampa et Inès Flamarge ! Qu'en pensez-vous, Alfred ?
— Ça me semble plus que plausible, l'antenne est débordée de messages venant de leurs proches qui disent les avoir parfaitement identifiés !
J'entends un râle s'étouffer dans la gorge de Terence. Ses yeux deviennent livides, il n'arrive pas à le croire.
— Pour une surprise, Natasha ! Jamais l'antenne ne s'est retrouvée autant submergée d'appel sans mauvais jeu de mots avec l'incident de la croisière, disait-il dans un sourire forcé. Déjà plus de dix milles réactions de la part de nos auditeurs ! Le hashtag #LesSequestreesDeHibiscus qui arrive en tendances n'est pas anodin, m'annonce le responsable marketing ! C'est incroyable !
— Cette affaire prend une ampleur nationale, à ce rythme ! Mais nos auditeurs sont en colère, ils cherchent avant-tout un coupable.
Alfred pose une main sur l'oreillette à son lobe droit puis se réprime de sauter sur son siège.
— D'après les messages en direct, les auditeurs nous disent qu'un certain Terence Octave serait possiblement impliqué dans l'enlèvement des trois jeunes filles !
— Pardi ! D'où vient cette accusation ?
— Si on observe bien la vidéo, les étudiants de sa promotion disent parfaitement le reconnaître de dos. Oui, on le voit sauter avec la petite Nahla ! Et il se trouve que cet individu était, comme par hasard, dans la même classe que les victimes !
— Quelle idée de partir en croisière avec ses victimes ?
— C'est exactement le concept de la psychologie inversée, Natasha. Personne d'assez rationnel ne pourrait emmener ses propres otages à bord d'une croisière et cela passe d'autant plus inaperçu aux yeux du grand public. Une idée de génie mais pas sans risque, bien heureusement !
J'ai l'air d'une statue humaine à vue d'oeil mais je bouillonne de l'intérieur. Quelque chose me dit que ce n'était peut-être pas fini, pour moi. Inès échange un sourire en coin avec Nahla. Elles ressentent la même chose.
Plus ils parlent, plus je sens que j'ai probablement une chance de m'en sortir. Natasha faisait un boulot extraordinaire dans ses investigations. Peut-être que Alfred soulèverait la question de mon innocence. Mon coeur ne cesse de brûler dans ma poitrine. J'ai mal, tendu en attendant la suite du direct, qui s'annonce grandiose en rebondissement.
Impuissant, Terence assiste à sa défaite. L'étau se resserre autour de lui, tandis qu'il scrute les filles d'un regard rongé par la peur. Les convulsions font trembler ses yeux, si bien qu'il prend une longue inspiration avant de se lever de la chaise.
L'adrénaline s'échange entre nous, si bien qu'il respire aussi rapidement que moi. Les poumons hachés par le journal, Terence s'avance d'un pas traînant et se penche sur la prise pour débrancher la télévision.
— Ça suffit ! Enlevez ces stupides petits sourires ou vous allez entendre de mes nouvelles !
Inès et Nahla, qui sont toujours accroupies sur le tapis, commencent à s'enfoncer dans le canapé avec une fausse peur qui se traduit par leur silence. Elles sont presque en train de singer un comportement apeuré. Les lèvres d'Inès se distordent trop pour que Terence y voit là une réelle obéissance avisée.
— Putain de merde ! Dites-moi que je rêve !
Il s'était isolé dans la cuisine, la porte fermé, pour détonner toute la rage qui menaçait d'exploser en lui. Cela n'empêche pas les filles d'entendre toute la scène. Et maintenant qu'il était éclipsé, j'avais l'entière conviction qu'elles n'avaient pas peur.
Inès serre Nahla dans ses bras avec un rire narquois. L'autre se contente de pleurer, les larmes cascadant ses joues avant de finir sur son épaule.
Elles font comme si je n'existe pas.
— Wow... comme quoi les miracles existent, pas vrai ?
Soudain, je reviens à la réalité. Un frisson me parcourt dans le dos au regard que Nahla me lance. Il est plein d'aversion.
— Je suis aussi heureux que vous.
— Pourquoi ? Tu vas te faire coffrer comme lui ! rétorque Inès sans prendre la peine de se retourner.
— Dis-moi ça en face, pour voir !
— Tu vois, c'est de ce genre de menace dont je n'hésiterai pas à parler lorsque les policiers me demanderont ce que tu faisais ici.
— Dis-leurs aussi comment et pourquoi je suis arrivé là, espèce de pétasse !
— Oui, Driss, tout le monde sait que tu as soi-disant fait tout ça pour me sauver et blablabla...
— Tous les sacrifices que j'ai fait jusqu'à présent ne comptent pas pour toi ? Inès, est-ce que tu aurais la mémoire courte ?
— Je ne sais pas, après m'avoir foutu des barres d'aciers dans la tête, peut-être que mon cerveau en a subit un choc...
— Arrête ce petit jeu, tu risques de te brûler les ailes. C'est moi qui te le dit !
— Qu'est-ce que tu vas faire ? Me tuer ? Tu aurais tort de faire ça. Réfléchis bien : il est clair que tu iras en taule après ce que tu m'as fais subir avec l'autre dégénéré. Mais si en plus de ça, tu oses en finir avec moi, c'est la perpétuité qui t'attends !
— N'essaye pas de tourner les choses à ton avantage ! Je suis une victime, moi aussi !
— Ah oui ? Une victime qui tabasse d'autres victimes ? Nahla sera là pour confirmer, monsieur le bras droit !
Je tourne un visage condamné par la sueur froide vers Nahla. Elle baisse la tête en la secouant lentement, je prends ça comme une allégeance à ma cause. Mais je ne peux empêcher le sang de monter à mes joues.
— Arrête ça.
— « L'acolyte » c'est bien comme ça qu'il t'appelle ? Qu'est-ce qu'il penserait de toi s'il savait que tu baisais sa poupée préférée ?
— Ferme-là !
Je passe devant Nahla avant de la pousser sur le sofa. Inès titube en arrière avec un cri strident.
— Tu fais moins la maligne, hein, petite pétasse !
Elle se recroqueville à mes pieds avant d'adopter la position latérale de sécurité.
— Tu penses que te mettre en boule évitera aux couteaux de pourfendre ton corps de lâche ?
En entendant les éclats de voix, Terence ouvre violemment la porte. Elle s'écrase contre le mur dans un grincement sinistre tandis que son ombre s'étire au-dessus d'Inès et moi.
— C'est quoi, ce bordel ?!
Inès perd la parole. Son courage d'il y a un instant vient de se consumer dans la voix qui porte Terence sur le salon, balayant toute émotion avoisinait ces murs.
— Nahla, tu viens au sous-sol avec moi !
Elle rampe jusqu'à la cuisine et descend la trappe, les yeux plissées. La brindille qui lui sert de bras se plaque contre son visage, prévoyant de se faire heurter par un coup hasardeux de la part du tortionnaire. Il la regarde en fronçant des sourcils.
Suivit d'un soupir, le lourdaud croise les bras et murmure :
— Ma parole, t'es vraiment devenue stupide. Espérons que ton truc nous sortes de ce pétrin.
Le truc ? De quoi est-ce qu'il parle ?
Je n'ai pas le temps de lui demander. Terence contourne le sofa et traverse le cadre de la porte qui donnait sur la cuisine.
Inès me regarde dans les yeux avant de prendre ses distances.
— Arrête de faire la victime ! Tu sais très bien que je ne te ferai aucun mal !
— On ne sait jamais. Tu pourrais peut-être recommencer.
— Qu'est-ce que je dois faire pour que tu comprennes ?
— Il n'y a rien à faire. N'essaye pas de sauver ta peau, c'est déjà trop tard. La police débarquera dans cette maison lorsqu'elle aura retrouvée suffisamment de piste pour savoir où crèche Terence et là, ça sera la fin des haricots !
Efface ce petit sourire narquois de ton visage. J'ai envie de te couper les lèvres avec un ciseau pour te donner une bonne leçon !
— Tout ça pour retrouver ton stupide petit-copain de merde.
— Il sera très déçu en apprenant ce que tu es devenu.
— Qu'est-ce que j'en ai à foutre de la considération de ce mange-merde ? Il n'est rien d'autre qu'une putain de raclure et tu crois peut-être que je vais le sucer comme si c'était la voix de la raison ? T'as voulu te faire sauter par ce genre de connard mais ne confond pas tout, Inès. Il n'est pas mieux que moi.
— Driss, tu t'entends parler ? Est-ce que tu es en train de comparer un coureur de jupon avec un psychopathe dans ton genre ? À ce que je sache, Morgan n'a jamais frappé personne et encore moins chaperonné un putain de criminel.
— Facile de se faire une idée quand la personne n'est pas là. Qu'est-ce qu'il aurait fait à ma place tu crois, hein ?
Sans que je m'y attende, elle approche son visage du mien et m'attrape par le cou.
Je frissonne en observant ses lèvres roses s'approcher des miennes Le sang me monte à l'entrejambe, je le sens se contracter sous les caresses que me susurre le bout de ses cheveux lorsqu'ils se frottent contre mon torse.
Soudain, ses lèvres condamnent presque mon lobbe. Elle souffle juste à côté de mon oreille, réveillant à la fois mon excitation et les nerfs qui contractaient mes abdos.
— Si Morgan était là, il aurait tué Terence sans hésitation pour me sauver. Voilà la différence entre toi et lui, Driss.
Je rigole doucement même si mon coeur n'y est pas. Je me déplace nerveusement, sentant mes yeux injectés de sang parcourir mon corps et s'arrêter un peu trop longtemps sur sa poitrine pour n'être rien d'autre que vulgaire.
Je secoue la tête, toute parole semble s'être annihilé sur ma langue.
— Inès.
Je veux lui attraper la main, ce qui la fait faire un bond en arrière.
— Eh beh, Driss, tu n'as qu'à te jeter sur moi à la place... me frapper, peut-être même me forcer à te faire une fellation, comme la première fois. Ça pourrait t'aider à te détendre, et pourquoi pas te faire oublier que tu n'es qu'un lâche.
Je recule d'un pas en m'appuyant contre le rebord du sofa.
Si quelqu'un me demandait comment je me sentais à l'heure actuelle, je ne serais pas sûr d'être en mesure de répondre. J'avais beau m'éloigner d'elle, il y avait toujours cette étreinte qui me prenait à la gorge. Sa langue adoptait l'hardiesse d'une épée et savait poignarder en plein coeur.
— Inès, je t'en supplie. C'était déjà assez difficile de te perdre.
L'épée tourne dans ma poitrine, me forçant à m'accroupir au sol. Tandis que le sang se matérialise en larmes. Mes sanglots prennent le dessus sur le silence, mais j'arrive à l'entendre souffler plus loin.
— Ce n'est pas grave. On ne peut pas être tous bon, dans la vie. C'est pour ça que justice doit se faire et qu'il est important de l'accepter.
— Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? Parce que je n'ai pas été suffisamment fort pour te sauver, je mérite de me moisir en taule ?
— Driss, tu mélanges tout. Ça ne sert à rien de discuter avec un homme troublé par ses émotions.
— DIS MOI ! DIS-LE MOI !
Mon poing s'écrase sur le sol à m'en rompre les phalanges. Je ne ressens plus la douleur, aucun paracétamol n'aurait encaissé comme l'adrénaline qui me parcourait.
« AAAAARRRGHHH ! PAR PITIÉ !!! »
Attendez une minute, ça ne venait pas de mon for intérieur.
Le sursaut me relève et Inès semble se désemparer de son artillerie psychologique. Ses yeux rougit se tournent vers moi, accompagnés d'une bouche béat, un air sombre que je ne lui avais encore jamais vu.
— C'était quoi ça ? frissonne-t-elle.
Mes pupilles dilatées s'agrandissent encore un peu plus en contournant le salon, l'objectif fixé à l'entrée de la cuisine.
— Ça venait de l'Antre.
Je ne reconnais plus ma propre voix, au point que j'entends un garçonnet apeuré prendre la parole de son timbre aigüe.
— Qu'est-ce que tu fabriques ? me demande Inès en voyant que je prenais le pas vers la cuisine.
— Je vais voir ! C'est ça être un homme, pas vrai ?
Il faut que je lui place ça avant de partir pour comprendre ce qu'il se passe.
Malgré la peur qui condamne mes jambes à trembler jusqu'à la fin de ma traversée, je me fraie un passage sous la trappe et ralentit la cadence pour éviter que la peur ne me trahisse avec les grincements d'escaliers.
— C'est toi qui avait dit ne plus en vouloir ! Pourquoi... pourquoi tu reviens sur ta décision, maintenant ?
— Tu ne comprends pas dans quelle merde on est, là ! Il me faut le petit tout de suite !
— Je ne suis même pas sûr qu'il ait été conçu, un jour. Tu te faisais simplement des films. ON se faisait des films...
— Il y a pas intérêt ! Parce que si c'est le cas, je peux t'assurer que personne ne sortira vivant de ce putain de film d'horreur, crois-moi !
— TERENCE, ARRÊTE ! QU'EST-CE QUE TU COMPTES FAIRE AVEC ÇA ?
— Nahla, il le faut ! Je ne veux pas finir dans un sac poubelle. Et à choisir, je préfère sauver ma vie.
J'entends quelque chose s'arracher brutalement. Un bruit pâteux s'en suit, accompagnés de hurlements qui ne ressemblent en rien au commun des mortels.
En vain, je tends l'oreille pour entendre un bruit de métal se frictionner derrière les sanglots de la jeune fille.
— Qu'est-ce qu'il est en train de fabriquer ?! m'écriais-je avant de détaler dans le couloir.
Dans ma hâte, je loupe la dernière marche et m'écorche la lèvre inférieure sur le rebord avant. Le goût du sang se dilue dans ma salive mais je n'ai pas le temps de constater mon égratignure. Pas en voyant que ce qui m'attend s'annonce d'autant plus déroutant.
— Driss ?
— Terence, t'as branlé quoi ?
— J'aurais voulu que ça se passe autrement, mais on est dans la merde.
— NAHLA !
Je cours dans sa direction mais elle ne me répond plus. Le sang recouvre mes semelles d'une teinte rougie. Pire encore, les murs s'en étaient imprégnés. Le seau de peinture prenait naissance dans une entaille profonde. Elle commence sur le torse avec une coupure bancale et partait vers la gauche jusqu'au nombril.
— Tu... tu as tuée Nahla ?
— Il me fallait un autre bébé. La Cubile ne tient plus en place.
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