Chapitre 30 - L'ange gardien sonne l'heure du Jugement Dernier

  Elle fait les quatre cent pas autour du stade. Je conjugue avec pour ramper dans le sens opposé.

  L'autre balourd, en revanche, ne parle pas. Pire encore, je crois qu'il est en train de me chercher.

  — Une fois que nous aurons tué Driss, il ne nous restera plus qu'à partir d'ici ! On y est presque !

  — Mais pourquoi on ne s'occupe pas de l'autre ? Ils vont forcément remonter jusqu'à toi.

  — Pas du tout, je vais m'assurer que les flics trouvent ce petit pistolet dans la cabine de Terence. Et puis, vu tout ce qu'il a fait, Nahla et Inès n'hésiteront pas à tout balancer.

  Je me mords la lèvre inférieure pour réprimer ma pensée. Comment en est-elle venue à une conclusion aussi stupide ? Le sang ne va pas régler tes problèmes, Rosie. Ce n'est pas moi qui nous ait tous enfermés dans cette sinistre maison pendant des mois.

  Dans ma réflexion, mes paupières tombent et je sens quelque chose me picoter les yeux. Les larmes coulent sans que je ne songe à les essuyer. J'avais trop mal, ma poitrine se lacère pendant que je fixe la dalle. Des petits cercles tombent dessus et s'élargissent à mesure que mon visage se déforme.

  Ma peine me trahit au moment le plus inapproprié. Un reniflement de trop suffit à Rosie pour me débusquer derrière le premier gradin, tout à gauche.

  L'adrénaline me secoue et mes yeux perdent ce voile flou de larmes. Les gouttes qui restaient collées à mes joues se consument dans le vent pendant ma hâte. En effet, je n'allais pas rester là à attendre qu'une balle bien placé m'emmène dans l'autre monde.

  J'attrape le banc en bois qui me domine un escalier plus haut et le jette dans mon dos sans prendre la peine de regarder derrière moi. J'avais visé juste, Rosie, perturbée par l'objet, dans ses pieds, tire une balle près des hublots. Des secondes précieuses qui me permettent de me fondre derrière la masse de bancs dissimulés dans la pénombre.

  — Va le chercher ! ordonne-t-elle à l'autre garçon.

  Le jeune capitaine regarde autour de lui, il essaye de voir où j'avais pu me dissimuler dans cette haie d'ombre.

  — Il y a quelque chose qui me dépasse. À quel moment tu t'es dit que c'était une bonne idée de participer à un plan aussi foireux ?

  — Les raclures dans ton genre, si je parviens à les descendre, crois-moi, ça fera grand bruit !

  — Comment ça ?

  — Tu es bien le type recherché en Martinique, si je ne me trompe pas... Éric Johnson, je me disais bien que ce nom faisait trop générique.

  Argh, c'est chaud dans ma poitrine. J'ai l'impression de me faire enfoncer un couteau et qu'on le tourne en plein coeur.

  — Rosie, tu as osé lui...

  — Qu'est-ce qu'il y a, Driss ? Je croyais que tu étais bel et bien le criminel qu'ils recherchent tous. Et lorsqu'ils apprendront ce que tu as fais avec Terence, les autorités regretteront de ne pas avoir augmentés les enchères sur ta tête.

  — Tu sais très bien que je suis innocent depuis le début ! Tout ce que j'ai fait jusqu'à présent c'était pour toutes vous retrouver !

  — Petite rectification : pour sauver Inès. Je ne crois pas avoir vu ta sale face quand on m'a enlevé. Pour Nahla aussi, la presse et le gens faisaient un boucan pas possible. Mais quand il s'agissait de moi.

  Je peux voir son doigt calé contre la détente, sa main faisant trembler l'arme qu'elle tenait d'un bras relâché.

  — Tu comptes pour moi, Rosie ! Si tu m'avais parlé d'un plan pour fuir, je l'aurais fait, alors s'il te plaît...

  BANG !

  J'entends quelque chose se briser et traverser le hublot à toute vitesse. Des éclats de verre se mettent à pleuvoir au-dessus de nos têtes et s'amortissent dans les cheveux emmêlés de Rosie.

  Sans surprise elle se coupe en essayant de les retirer et fixe la vitre percée avant de hurler à gorge déployée.

  — QUI A FAIT ÇA ?!

  Aux jugulaires qui étreignent son cou, Rosie parait plus déchainée que jamais. Le petit capitaine dont j'ignore encore le nom chancèle en arrière et tombe contre l'un des bancs du stade, pris de stupéfaction face à la voix de la jeune fille.

  Ce n'était pas l'une de ses balles qui avait traversé le hublot pour se confondre dans les nuages, mais bel et bien celle de quelqu'un qui venait d'en haut. Comme un ange gardien. Quelqu'un qui observait la scène depuis le début et s'était décidé à agir en conséquence.

  Le projectile, avec sa couleur cuivre, brillait par le faisceau de lumière entre tous les autres éclats de verre.

  — Va jeter un oeil dehors ! s'exclame Rosie. Je m'occupe de lui !

  Le petit capitaine répond d'un hochement de tête avant de se ruer jusqu'à la porte de sortie. Il adopte une démarche perturbé, manquant de se prendre la fenêtre de la porte en pleine tête.

  L'ange gardien qui me surveille depuis les hublots ne s'était pas manifesté en voyant l'autre sortir par derrière. Mais il me fallut peu de temps avant de raviser mes appréhension.

  — Putain de bordel !!!

  Un cliquetis digne d'un roulement de barillet suivi d'un nouvel impact de balle détonne cette fois-ci juste devant la porte. Peu de temps après le passage du petit capitaine, je peux voir un flash blanc surgir de nulle part depuis le cadre.

  Il m'est impossible de discerner où la balle était partie, mais en voyant Rosie s'écraser contre le sol avant de se torturer, impuissante. Je finis par comprendre.

  J'en profite pour bouger de tous les côtés.

  — Driss, est-ce que c'est toi, espèce d'enfoiré ?!

  Le ver de terre géant garde le cap sur moi et commence à tirer dans tous les sens en espérant me voir débusquer par la force du hasard. Elle n'a aucune autre alternative.

  En me rapprochant davantage de son côté, toujours filtré par le voile d'ombre chassé aux murs reculés du hall, je remarque dans une exclamation.

  La balle déboite le genou gauche de Rosie : la rotule sort complètement de son axe. On aurait dit une poupée désarticulée mais le sang qui forme bientôt un cercle rougeâtre sur le parquet, témoigne du contraire.

  — Je dois admettre que je suis vraiment déçu...

  Des pas s'en suivent et le corps d'un mastodonte apparait dans la pénombre, le visage plongé dans le noir.

  Il suffit d'entre sa voix pour comprendre qu'il s'agit là de Terence. Je le regarde depuis ma cachette et pousse un soupir de soulagement.

  — Dis-moi que tout ça est une putain de blague, tonne-t-il d'une voix tremblante.

  Il s'approche lentement de son corps et l'observe de ses lèvres tremblantes. La sueur se mélange à ses larmes sur sa tête brillante.

  — Tu cherchais à t'enfuir ? Je croyais qu'on commençait à bien s'entendre...

  — Sale chien ! Tu as contourné le hall par la droite avant de venir ici pour éviter Thomas ! Attends qu'il revienne.

  Thomas, c'était le nom du jeune capitaine.

  — Même s'il revient, il va simplement retrouver le cadavre d'une petite pétasse névrosée et manipulatrice qui m'a fait croire qu'elle était folle amoureuse de moi !

  — Depuis le début, tu sais très bien que tout ce qu'on est en train de vivre n'est pas normal, Terence. Tu es un détraqué. Même si je meurs aujourd'hui, tout le monde découvrira ton vrai visage.

  — Rassure-toi comme tu peux, mais tu serviras d'amuse-gueule aux poissons. Il y a mille et une façon de se débarrasser d'un cadavre dans un océan aussi vaste que celui-ci.

  Terence retrouve facilement ses esprits et commence à baisser sa garde. Il lâche son arme au sol et s'approche d'elle.

  Bien que sa jambe retournée l'empêche de fuir, Rosie prend appuie sur ses mains et tente de se redresser pour faire face au tortionnaire. Il se met à quatre pattes et commence à avancer jusqu'à elle.

  Il l'attrape par le cou pour l'immobiliser et approche son visage du sien. Un silence pèse pendant vingt secondes avant qu'il ne se décide à l'embrasser.

  Terence prend un inspiration et ferme les yeux, tandis que Rosie subit dans le silence, les larmes cascadants des pupilles grandes ouvertes rougis par les pleurs.

  — Est-ce que tu avais vraiment besoin de me faire souffrir comme ça ?

  Ses lèvres décollent des siennes, je peux voir la langue de Terence sortir de la feinte étroite qu'avait laissé Rosie entre les siennes uniquement pour respirer.

  — Tu ne te rends pas compte de tous les sacrifices que j'ai fait pour que l'on devienne un vrai couple. Je pensais qu'avec le temps, tu finirais par comprendre et que tout ceci ne seraient que des formalités.

  — Je ne suis pas amoureuse, Terence. Ce n'est pas possible et ça ne le seras jamais. Personne ne pourrait supporter ça.

  — Pourtant j'ai tout donné, j'ai tout fait. Le point de départ est loin d'être parfait, mais je m'efforce de tout faire pour que le reste soit appréciable.

  Il plonge sa tête dans sa poitrine, et je le vois saisir l'arme dans le dos de Rosie. Elle aimerait se débattre mais sa jambe blessée l'en empêche et pire encore, la condamne à subir le souffle de Terence sur ses seins.

  Le garçon sort sa langue et trace un filet de bave sur le décolleté qui laisse naître sa poitrine.

  — J'ai vécu un rêve avec toi. Je ne voulais pas que ça se finisse comme ça.

  — Tue-moi au lieu de jouer les victimes ! J'en ai marre de voir ta sale gueule.

  Bien qu'elle ne peut pas se débattre par la force de son corps, les paroles qui postillonnent au visage de Terence lui faisait office de bouclier mental.

  — Ton petit rêve débile de vivre une histoire d'amour n'existe pas ! N'importe qui te trouverait malade ! Sans toutes tes petites magouilles pour nous tenir en cage, tu n'aurais jamais pu toucher une femme de ta vie.

  Alors que je m'attends à le voir appuyer sur la détente, Terence enfouit son visage dans ses mains et se crispe de sanglots. Il commence à frapper le parquet en ordonnant à Rosie de se taire. Il hoquète comme un animal blessé en se recroquevillant sur le sol.

  — C'est vraiment, ce que tu veux ?

  Sa voix prend une teinte aiguë. Il lui attrape les épaules pour l'empêcher de défiler à sa question lorsque son regard serait obligé de lui faire face.

  La conviction avec laquelle Rosie parle me donne froid dans le dos.

  — C'est ma dernière volonté. Je n'ai plus rien à faire ici.

  — Dans ce cas...

  Je pose un pied au dehors du tapis d'ombre, ils ne m'entendent pas approcher tant la conversation prend de l'ampleur.

  D'un mouvement du bras, il pointe l'arme juste derrière elle. Rosie sent des frissons lui parcourir le corps au contact de l'acier froid du canon contre sa nuque. Elle s'en retrouve totalement engourdi et fixe Terence de ses grands yeux ronds.

  Il y a une dernière détonation suivi d'un horrible hurlement. Je vois le visage de Rosie blêmir de ses dernières traces de couleur. Ses yeux noirs s'écarquillent et l'impacte de la balle s'enfonce dans son cou, tandis qu'elle essaye vainement de se dégager de la douleur. Bientôt, ses genoux se dérobent – convulsant – et elle s'effondre sur le sol.

  Ses lunettes tombent au sol, en choeur avec son âme qui quitte son corps en direction d'un endroit encore inconnu des mortels.

  — J'ai fait ce que j'ai pu. Adieu.

  Et il se détourne. La tristesse qui émerge en lui distord son visage. J'en conclus qu'il valait mieux rester cacher. Mon pied se ravise dans l'ombre pendant qu'il tourne autour du cadavre sans s'arrêter.

  Je l'entends hurler, pousser des jurons... puis il commence à retrouver le calme en se mordant la main. Son propre sang lui faisait retrouver la raison, comme réveillé de sa folie.

  Il attrape Rosie par la taille avec une délicatesse déconcertante. Il ne donne pas l'impression de porter un cadavre inerte mais bel et bien une personne simplement endormi, si ce n'est un hommage solennel qu'il est en train d'honorer à sa mémoire. Le tout prenant fin au moment où il jette son corps par-dessus bord comme un vulgaire sac à patates. J'entends quelque chose s'engloutir dans les entrailles de l'océan.

  Il n'y avait qu'un corps – ou quelque chose d'autant plus massif – pour faire autant de boucan une fois plongé dans les abysses de la mer.

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