Chapitre 27 - Des vacances en croisière

  « Kontan wè zot »

  C'était la dernière pancarte martiniquaise que je verrai. Terence avait de la suite dans les idées pour nous aliéner. Ces paroles provenaient de la bouche de Rosie, pendant qu'elle préparait son sac en direction du port de Fort-de-France.

  — Pourquoi tu m'as laissé en plan, l'autre jour ?

  — Je te rappelle que je suis recherché dans toute la Martinique, tu voulais que je fasse quoi avec tous ces gens ? Il fallait que je reste discret. Et encore, son père a bien failli me reconnaître.

  — Inès vient aussi ?

  — Malheureusement, je n'ai pas envie de lui parler mais le faudra bien si je ne veux pas éveiller les soupçons de Terence.

  — Pourtant il te suffirait de faire une seule chose pour ne plus avoir à supporter ces deux boulets. Juste une seule.

  — Arrête de me mettre la pression, tu veux ? Je ne sais même pas si on a le droit de voyager comme ça sans passeport.

  — À tout les coups, ces vacances se feront dans une croisière clandestine.

  — Terence est un maniaque des détails. Il a du changer nos noms et faire de faux-passeports.

  Des bruits de pas s'approchent de nous. Nous sommes plus seuls sur le port.

  — Vous êtes prêt à embarquer pour Eden Costa ? demande Terence en nous attrapant dans ses bras. J'ai hâte de partir, ça va nous faire du bien.

  La croisière Eden Costa est réputée pour son style très premium. Lorsque j'ai appris qu'on y allait, je n'en croyais pas mes oreilles. Je ne pouvais m'empêcher de sourire en repensant à la publicité qui donnait une vision en plongée de l'artillerie naviguant sur les mers.

  Trois cent-trente-trois mètres de longueur, quarante-et-un mètre de largeur et un bonheur de naviguer sur un paradis de l'océan Atlantique qui n'avait pas de limite.

  Mais Inès, qui surgit juste dans mon dos avec un regard noir, m'ôte toute satisfaction. Elle porte une valise noir de deux fois sa taille alors qu'on sait pertinemment qu'il n'y a rien à transporter. Nahla traque son ombre, le visage enfouit dans le pull qui sert à dissimuler son moignon.

  — Votre attention à tous, s'il vous plaît ! surgit une voix depuis le mastodonte des mers.

  Un brouhaha émerge autour de nous, je viens de réaliser le monde qu'il y avait. Des familles ou tout simplement des groupes d'amis de tous âges et de toutes classes sociales sont présentes.

  Une troupe de valeureux voyageurs en quête de sérénité et de bonheur attendent les instructions du capitaine Mars. Un homme, dont les cheveux poivres et sel se marient avec une peau bronzée que le soleil avait rongé tout au long de sa carrière, rendant impeccable pour ses cinquante ans.

  — Tout en haut de la hiérarchisation des problèmes, il y a la bombe atomique tandis que son opposée ne représente absolument rien ! Nous avons tous un seuil de tolérance qui établit la frontière entre ce qui mérite anxiété ou non. Le but de cette croisière est de profiter un maximum en oubliant tous vos problèmes afin d'agrandir ce seuil. Vous laissez tous vos ennuis sur la côte et donner une chance à votre esprit de profiter de cette merveilleuse semaine d'excursion.

  Ils répondent tous par un « oui » empli d'enthousiasme. Le capitaine était réputé pour sa philosophie intrinsèque sur l'instant présent, je me rend compte qu'il n'avait pas volé ce titre. Terence, plus loin, le regarde fixement avec une once d'espoir dans le regard, elle lui dévore l'âme, cette envie de renouveler ses pensées et changer de vie pendant ne serait-ce qu'une seule semaine.

  Est-ce la raison de ces vacances surprises ?

  Un autre homme, de trente-ans le cadet du capitaine avec cependant le même faciès, apparaît à sa droite. Il a le torse bombé et ses muscles menacent d'exploser les boutons de sa chemise tandis que ses épaulettes ornent des trapèzes bien dessinés.

  — Chiche que c'est le fils du capitaine ! rigole un jeune derrière moi. C'est toujours grâce à papa-maman que ce genre de type accèdent à des gros poste comme celui-ci à un si petit âge.

  — Arrête, Jonas ! s'exclame l'amie qui l'accompagne. Il ne doit pas être bien plus vieux que nous, et lui au moins, il a la carrure qu'il faut pour me sauver de la noyade si je tombe par dessus bord. On ne peut pas dire la même chose de toi avec tes bras de ficelles, là.

  Elle l'avait peut-être dit sous le ton de l'humour mais le joug des rires que lui infligent ses camarades le déstabilise complètement.

  — Mais vas-y ! Suce-lui le chibre, tant que t'y es !

  — Avec plaisir, s'il me le demande. T'as intérêt à ne pas te trouver dans la soute, à ce moment-là, petit pervers.

  C'est typiquement le genre de discussion que j'aurais pu avoir avec Inès si on était encore amis. Au premier abord, on y voit de simples amis qui se charrient, mais la partie cachée de l'iceberg est bien plus sournoise et sombre que ça. Avec un oeil expérimenté dans le domaine, j'arrive à ressentir la frustration de ce fameux Jonas en entendant la fille, qu'il espérait soulever pendant l'excursion, baver pour le fils du capitaine.

  Le port d'embarquement s'ouvre et on forme tous une file dans laquelle nos bagages sont agencés et répertoriés par l'hôtesse à l'aide de badges comprenant nos identités et numéro de téléphone portable.

  — Monsieur Éric Johnson ? me fait-elle d'une voix mielleuse.

  — C'est moi !

  Elle me demande d'émarger ma colonne et passe au suivant.

  Je me colle au dos de Rosie, elle même derrière Terence, et passe une main sur sa hanche, la glissant jusqu'au niveau des fesses.

  — Rah, lâche-moi, un peu !

  — Qu'est-ce qui t'arrives ?

  — Je suis pas d'humeur, là !

  J'entends un ricanement dans mon dos et je reconnais le soufflement goguenard d'Inès. En regardant par-dessus mon épaule, je l'observe se délecter de la veste que je me suis pris et lui lance un regard noir à son tour.

  — Attends voir ! Si on est dans la même cabine, je t'assure que tu ne garderas pas ce sourire très longtemps !

  — Qu'est-ce que tu vas faire dans un endroit pareil ? Me battre ? Me foutre encore un casque sur la tête ? Abandonne l'idée, il y a bien trop de monde pour que je reste là sans rien faire !

  — S'il vous plaît, arrêtez ! s'écrie Nahla avec la voix brisée qu'elle tentait de répandre à nos attentions.

  Elle avait pleuré toute la nuit dernière en tentant de nouvelles choses macabres pour s'ôter le bébé du ventre. Et bien sûr, elle avait attendu que je sois complètement assoupi pour le faire. M'enfin, c'était préférable au suicide.

  Je lui hoche de la tête avec fermeté avant de me retourner vers le postérieur de Rosie. Inès a de la chance que Nahla soit présente. Je ne sais pas ce que j'aurais été capable de faire, sinon. La rage m'envahit rien qu'à voir sa face ici. Ses magnifiques yeux bleus empalés sur une brochette à marshmallow m'auraient convaincu des beaux rêves.

  On rentre après trois heures d'attentes qui ressemblaient à des jours. Le soleil surplombant la file nous donne un mal de tête insupportable. J'ai la sensation qu'un couteau s'était planté dans mon oeil droit et jouait dans le fond de mon cerveau.

  Une fois passé le port, je respire l'air de l'Eden Costa et reconnaît une forte odeur de fruit rouge se dégager de l'entrée. Je passe directement dans le bar à piscine et attrape un morito. J'expire un soulagement lorsque la menthe me monte à la tête et chasse mes maux.

  Je reste assis pendant un moment face au comptoir. Le barman ne discute pas avec moi mais ça ne me dérange pas. Cela faisait un moment que j'avais besoin de me retrouver seul avec moi-même et vu l'engouement dans lequel tout le monde s'était lancé pour trouver les meilleures cabines, j'allais avoir un peu de temps pour moi pendant encore un moment.

  C'est ce que je croyais avant de voir Nahla déambuler. Elle fait le tour de la piscine sans me quitter des yeux. Son pull de laine lui donne l'allure d'une enfant timorée qui cherche ses parents et je n'ai pas envie de me faire passer pour un cas social, ici.

  — Terence dit qu'on doit rester tous ensemble.

  — C'est pas vrai... soupirais-je. On a pas le droit de souffler un peu ? Je croyais que c'était le but de cette croisière !

  — On sait bien que seul Terence peut se permettre de le faire. Je suis sûre qu'on restera toute la semaine dans la cabine à mourir de faim.

  Je n'avais pensé qu'à ma petite personne, mais c'est également l'opportunité pour Nahla de goûter à tout type de plat à volonté. Les crustacés hors de prix sont ce qui se préparent de mieux pendant une croisière.

  — Vu qu'il me considère comme le second chef, je devrais peut-être trouver un moyen de sortir de la cabine, qui sait ?

  — C'est vrai, ça. Je n'y avais pas pensé.

  — Fais pas cette tête là, Nahla. Je t'apporterais de quoi manger, et pas de la merde, crois-moi.

  Son visage prend quelques éclats de lumière et elle réprime un sourire de joie par un bref signe de la tête.

  — M-merci.

  — Ne me remercie pas, Nahla, c'est normal.

  — J'espère juste que ce truc est parti, sinon...

  — Eh, qu'est-ce que le capitaine a dit ? T'occupes plus de ça. Malgré ce que Terence essaye de te faire croire, on est en vacances !

  — Tu as raison ! Après, si je veux avoir une chance de revenir ici, il ne faut pas que je traîne trop tard !

  Avant que je ne puisse rétorquer, elle prend ses jambes à son cou et se dirige vers sa cabine, un étage au-dessous.

***

  Sans surprise, je partage ma cabine avec Inès. Le moindre faux pas de sa part lui sera fatal avec moi... du moins c'est ce que je pensais avant que Nahla ne vienne avec nous. Je vais devoir faire abstraction d'un punching-ball sur pattes.

  Quant à Terence et Rosie, ils se sont réservés une suite luxueuse à bord de la croisière qui devait faire trois fois la taille du cagibi dans lequel je vais devoir subir une promiscuité avec ces deux filles.

  — Génial, le favoritisme, marmonnais-je en prenant les mesures du petit cercle qui me servait de fenêtre avec vu sur l'océan. Il y a même pas trois lits dans cette piaule !

  En choisissant notre cabine, Terence avait établi des heures de pointes pour toute éventuelle sortie. Il s'agit plus d'un moyen de contrôler nos faits et gestes. Je sais que Nahla ne dérogerait pas à la règle et qu'Inès ne tenterait pas la folie des grandeurs en ma présence. Mais pour ce qui est de Rosie, l'histoire prend un tournant opposé.

  J'ouvre la porte de la cabine vers seize heures. Le soleil se couche sur la mer et offre une texture dorée à son reflet panoramique. J'aperçois les voisins prendre des photos qu'ils pourraient bientôt mettre en arrière-plan sur leurs ordinateurs de travails, se rappelant qu'ils peuvent vivre des moments comme celui-ci pendant au moins une semaine sur douze mois d'esclavage.

  — Rosie, qu'est-ce que tu fais ici ?

  Elle apparaît devant moi. Le cocktail tropical à sa main, dans un joli verre ornés de petits parasols, me donne envie de sortir et profiter jusqu'à la fin du séjour.

  — Je sors du SPA. Terence ne démord pas facilement mais avec une petite pipe, il devient très malléable.

  Mon visage se déforme et elle comprend de suite le dérapage qu'elle vient d'emprunter.

  — Oh, le goût du cocktail dilue très bien le sperme. Je ne sens quasiment plus rien, maintenant.

  — Très drôle. Tu as l'air en pleine forme contrairement à tout à l'heure.

  — Ça faisait longtemps que je m'étais pas sentie aussi détendue. Je ne pensais pas que Terence m'aurait laissé filer aussi facilement. Pour moi, on allait encore resté coincé dans une chambre comme à la maison.

  — Parle pour toi, on est à deux doigts de mourir d'ennuie, tous les trois.

  Elle se penche pour observer Inès et Nahla, loin derrière moi, enfouis dans la pénombre de la cabine.

  — Tu sais, si les filles ne partageaient pas la même chambre que toi, on aurait pu faire quelques jeux de rôles...

  — Quoi ?

  — Tu n'as pas envie de savoir ce que je porte sous mon peignoir ?

  — Laisse-moi deviner...

  — Absolument rien.

  Elle se glisse à mon oreille. Sa langue tournait sur mon lobe avant que l'écho de sa voix me parcours de frissons le long du corps.

  — J'ai enfin une chance de m'échapper d'ici, Driss. Et je la saisirai, avec ou sans toi. C'est moi qui commande, cette fois-ci.

  Le véritable capitaine de cette croisière se trouve en face de moi, même si je ne sais pas quelle destination elle devrait emprunter pour arriver à bon port. 

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