Chapitre 25 - La petite-amie idéale

  Je passe la trappe de la cuisine en sachant pertinemment que tout avait changé. Cela ne comprend pas uniquement le ressentiment atténué qui me colle à la peau lorsque je pense à Terence, mais aussi l'attitude de Nahla quand je franchis la porte de sa chambre.

  Je manque de tousser en prenant l'odeur des excréments de plein fouet. Ils embaument la pièce, des moucherons invisibles avec – seulement perceptibles par leurs bourdonnement à mes oreilles. Ça n'a pas l'air de la déranger. La voilà affalé contre le mur qui faisait face à l'entrée, elle attend la venue de quelqu'un.

  Son visage froissé va peut-être changer d'apparence. C'était en tout cas mon intention lorsque je commençais à agiter un paquet de chips au bout de son nez. C'est à peine si elle me rend mon sourire avec un visage renfrogné, convaincu de sa mauvaise humeur.

  Nahla part s'exiler à l'autre bout de la pièce pour ne pas me voir. Et la façon dont elle m'arrache le paquet des mains sans geste de reconnaissance me confirme que je ne suis pas en train d'halluciner.

  — Écoute, je suis désolé mais je ne pouvais pas intervenir. Je t'avais promis que Terence ne te ferait plus de mal et c'était vraiment pas cool de ma part. Avec mon statut de chef, je pensais pouvoir changer les choses. C'est plus compliqué qu'on ne le pense.

  — Arrête de faire ton super-héros, je ne t'ai rien dit !

  — Pourquoi tu me fais cette tête ? T'es pas comme ça, d'habitude.

  — Il y a pleins de choses qui m'agacent, Driss. Je sais pas ce que tu penses des coups d'altères dans le ventre ou de subir une grève de la faim, mais pour moi, ne sont pas des expériences très stimulantes pour la dopamine.

  Je n'ai plus à faire à une fille désespérée qui tente de se raccrocher à la moindre branche d'espoir pour s'extirper de l'enfer.

  — J'ai fini par arrêté de prier, comme tu le disais si bien « tu arrives encore à croire en lui après tout ce qu'on vient de vivre ? ». Je pense que si Dieu existe vraiment, il doit bien se foutre de ma gueule, de là où il est perché.

  — Je suis au courant pour le bébé.

  Soudain, son élan de sarcasme se disloque. Elle lâche le paquet de chips et commence à respirer bruyamment dans un silence morbide.

  — Qui t'as raconté ça ?

  — Terence m'a emmené avec lui rencontrer les types qui t'ont coupé le bras. Il ne m'a pas donné de détail sur ses parents, mais j'ai tout de suite compris.

  Elle se lève et je fais un pas en arrière. Le rouge lui monte au joue mais je ne sais pas si je dois la prendre dans mes bras ou esquiver une claque.

  — Driss, rend-moi un service.

  Je l'entends hoqueter, sa tête tombe contre mon torse. Bientôt, une tâche humide s'agrandit  sur mon t-shirt.

  — Tue-moi. Je n'en peux plus. C'est la seule chose que tu puisses faire pour te rendre une dernière fois utile !

  J'avoue être resté pendant un moment sans parler, avec la conviction que mon étreinte suffirait à calmer ses ressentiments. Mais elle attend une réponse.

  — Écoute, Nahla, je ferai tout mon possible pour te protéger. Toi et le...

  — Tais-toi ! Ne dis rien !

  — Il a peut-être réussi à te le faire enlever une première fois, mais je ne le laisserai pas faire, cette fois-ci ! Crois-moi, Nahla, je suis prêt à affronter Terence pour protéger ton deuxième enfant.

  — Ce n'est pas un enfant ! Juste une saloperie qui me pourrit la vie et donne une raison nécéssaire à Terence de se servir de moi comme punching-ball !

  — Ça fait combien de temps que tu penses être...

  — Une semaine. Je n'ai plus de règle et il l'a compris pendant qu'il vidait mon seau. Il va me tabasser jusqu'à ce qu'il s'en aille et c'est peut-être déjà le cas. Mais de toute les façons, ça n'a pas d'importance.

  — Je vais essayer d'avoir une dernière discussion avec lui. Tu ne vas pas mourir, Nahla, je t'en empêcherai. Que ce soit de ta main ou de la sienne.

  Je lui délègue une bouteille d'eau avant de prendre le seuil de la porte. Nahla me regarde d'un air confus et s'approche de moi.

  — Tenter de me sauver ne vas pas te racheter une conscience pour autant.

  — De quoi est-ce que tu parles ? m'étranglais-je

  — Inès. Tu lui fais la même chose que Terence me fait. Et si Dieu existe vraiment, je ne pense pas qu'il prenne en compte la stupide balance karmique que tu essayes tant bien que mal de maintenir à son juste milieu.

  Je ne sais pas quoi répondre. Elle avait peut-être tapé juste.

  — Inès et moi, c'est une histoire assez compliquée. Tu ne peux pas comprendre tout ce qu'elle m'a fait subir.

  — Je ne sais pas ce qui se passe entre vous, comme tu dis, mais je suis sûr qu'elle est désolée. En prenant un peu de recul, je me rend compte que les situations que je faisais vivre à Terence n'étaient pas évidente. Son attitude au campus me faisait rire, on se moquait tous de lui. Mais je n'avais aucune idée de toute la colère que j'avais engendré à l'intérieur de lui.

  — Nahla...

  — Je suis quelque part persuadée que s'il est devenu comme ça, c'est en partie par ma faute. J'assume ce que j'ai fais et c'est pourquoi je ne peux m'empêcher de me demander est-ce que Dieu ne m'aurait pas rendu les retombées adéquates de ma balance ?

  — Je n'ai rien avoir avec Terence.

  — J'espère que c'est le cas. Mais il faut énormément de courage et de sagesse pour réussir à cicatriser d'une blessure aussi grande que la sienne. Quoi qu'elle ait fait, je te demanderai d'être un peu plus indulgent. Je t'en prie.

  — Je vais essayer. Mais je ne te promets rien, à ce niveau... Au revoir.

***

  Je lui tourne le dos sans prendre en compte son geste de la main. La porte se ferme derrière moi et je remonte les escaliers avec la haine et la rancune qui se livre une véritable coopération sur mes épaules.

  La névrose de Terence me parait plus clair, de par ce qu'il subissait et ce que Nahla en avait récolté. Qui plus est, la situation n'allait pas s'arranger avec ce qui suivrait.

  — Driss, j'ai besoin de ton aide.

  — Pas pour des trucs chelous, j'espère ?

  — Non, pas cette fois. Il faut que tu m'accompagnes avec Rosie. J'ai quelque chose à faire.

  Alors il est sûr de son choix. On sent à ses murmures et sa voix basse qu'il ne veux pas qu'elle entende. Rosie se tient les jambes croisés, assise sur un chaise de la table à manger. Elle n'a pas l'air de s'enjailler, pour ne rien changer à Nahla.

  Je n'arrive pas à le croire, il va emmener Rosie pour la Cubile... du moins, je faisais fausse-route.

  — Je vais la présenter à mes parents, et il faut que tu me chaperonnes. Je suis un peu tendu et j'ai peur de faire un accident ?

  Le psychopathe le plus détraqué que cette ville n'ait jamais connu a peur d'un simple rendez-vous en famille dans lequel il présenterait sa copine. Autant dire qu'on ne peut pas faire plus paradoxale.

  — Y a pas de soucis. Je...

  Je regarde Rosie dans sa posture nonchalante. Elle n'a pas envie de les rencontrer en jouant la comédie. Les sourires forcés cachent toujours une part d'hypocrisie. Peut-être qu'elle s'imagine un jour rencontrer la mienne, et c'est réciproque.

  — Laisse-moi me préparer et on décolle, lui assurais-je en tapotant son épaule.

  — Super, Rosie va t'apporter une chemise et un pantalon quand tu sortiras de la douche. Tu as entendu, disait-il en regardant sa femme, le doigt pointé sur une table à repasser.

  Une vingtaine de minutes plus tard, c'est ce qu'elle fait. Dans une colère noire, mais un travail impeccable. J'ai la sensation de me retrouver à l'hôtel lorsque j'observe l'agencement des vêtements. Pliés aux centimètres près. Je suis convaincu qu'elle a prit le soin de repasser mes chaussettes avant de les poser le long d'une paire de mocassin.

  — C'est moi qu'il compte présenter à sa famille ou toi, ricanais-je pour détendre l'atmosphère. C'est vrai, j'ai l'impression de retourner à la soirée du bal de promo.

  — Pourquoi est-ce que tu ne le tue pas ?

  — Pardon ?

  Elle me lâche ça, sans passer par quatre chemins. En fermant à double-tour derrière son dos, Rosie s'avance jusqu'à moi et pose sa main contre mon torse. Une bosse se forme au niveau de ma serviette accrochée à ma taille. Elle savait y faire pour contrôler mes zones érogène.

  — Mais ouvre les yeux, Driss ! On dirait que vous êtes devenus les meilleurs amis du monde. Tu as oubliés tout ce qu'il nous a fait subir ?

  — Non, mais pour l'instant je ne vois pas d'autres alternatives. On fait avec ce qu'on a !

  — Il y en avait bien une, mais tu l'as brisée en mille morceau au lieu de lui demander d'appeler les secours. Tout ça à cause de tes problèmes à la con avec cette pétasse !

  Je tente de l'attraper par la taille – ça avait son effet, d'habitude – avant qu'elle ne me repousse avec une tape sur la main.

  — Ne me touche pas ! Si tu m'aimais réellement, tu ferais tout pour en finir avec lui !

  — On ne peut rien faire, Rosie. Crois-moi, il y a des choses qui le dépasse ! Qui nous dépasse !

  — Qu'est-ce que je dois comprendre ? Qu'on doit s'allier à sa cause ? Faire comme si on était une vraie famille, une belle bande de potes ?

  — À défaut de trouver un plan, il faut se serrer les coudes.

  — Il y a un plan : prendre le fusil que je t'avais donné et lui coller une balle dans la tête pendant qu'il est assoupi. Putain de merde, il a quand même enlevé les chaînes de ta porte, ne me dis pas que tu n'y as pas pensé ?!

  — Si, bien sûr, mais je ne peux pas prendre le risque. Il faut être sûr de ce qu'on fait.

  — J'étais sûre depuis le début. C'est toi qui préfère lui faire confiance plutôt qu'à moi. À ton avis, on aurait pu faire l'amour dans chaque pièce de la maison si je ne prenais pas le temps de désactiver toutes les caméras de la maison ? Avant qu'il ne te fasse chef, tu pourrais faire des aller-retours pour donner à manger à Nahla dans l'Antre sans représailles ?

  Je baisse la tête, lui accordant raison.

  — Depuis le début, je te couvre ! Toi, tu avais une seule chose à faire et tu as échoué ! Tu as exploser le portable et menti juste après, sans le moindre scrupule ! Driss... Je me demandes si tu n'as pas fini par te complaire, ici.

  — Moi, pas du tout. Au même titre que Terence va rendre visite à sa famille, la mienne me manque. J'aurais tellement aimé les retrouver... te les présenter... qu'on puisse enfin être nous-mêmes une fois dehors.

  J'essaye d'enlacer ses mains dans les miennes et elle ne semble pas se braquer. C'est plutôt bon signe.

  Dans son ronronnement, Rosie se frotte à moi et passe sa tête contre mon torse. Elle ferme les yeux et expire en m'observant.

  — J'espère que tu ne me mens pas.

  — Pourquoi je te mentirais ?

  — Je sais pas, entre Inès et toi, ce n'est pas clair. J'ai le droit de me poser des questions.

  — Inès est une idiote, et je te rappelle que je suis censé jouer la comédie pour ne pas éveiller les soupçons de Terence. On peut dire que j'ai eu la meilleure des maîtresses dans ce domaine.

  Je rapproche mon visage du sien. Bientôt, mon doigt soulève la mèche qui pend à son front pour la caler derrière son oreille. Ses lèvres pulpeuses touchent les miennes.

  BOUM BOUM BOUM !

  — Driss, Rosie t'a donné tes fringues ?!

  On hoquète en chœur avant de s'observer trembler – comme des miroirs.

  À défaut d'échanger nos salives, Rosie et moi échangeons la même émotions de panique avant que je ne racle ma gorge pour répondre.

  — Oui, oui !

  — Elle est où ? Je la cherche partout ! Il faut qu'elle soit prête dans dix minutes !

  — Je n'en sais rien, il me semble qu'elle est allé se doucher.

  — Bizarre, je n'ai pas entendu d'eau couler.

  — ... peut-être parce qu'elle se savonne... AAAHHH, ça me reviens ! Elle voulait faire un peu de rangement dans sa chambre et partir se doucher juste après. Tu devrais vérifier dans l'Antre.

  Un silence plane pendant quelques secondes. Terence avait-il mordu à l'hameçon ?

  — C'est pas le moment de faire du rangement... Super, merci ! J'vais regarder ça !

  On entend ses bruits de pas monter les escaliers et traverser le salon.

  — Vite, Rosie ! Sors de là !

  — Merci beaucoup, on remettra ça une autre fois, me sourit-elle de son air mielleux.

  — Moi aussi, je t'aime. Fonce !

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