Chapitre 2 - Une relation amicale
Je pousse la porte d'entrée et me précipite jusqu'au vestiaire des hommes. Comme à son habitude, Alain prend subitement un temps fou à me rejoindre.
— Salut, Jess !
Merde. J'avais complètement oublié la fille qui travaillait à l'accueil. Je tourne les talons et retourne sur mes pas, embarrassé, pour le coup.
— Ouais, salut, répétais-je avec une main derrière la nuque.
Je crois qu'elle m'a répondu, à moins que ça ne soit uniquement réservé qu'à Alain. Une façon bien subtile de me punir.
Je m'apprêtais à lever la tête pour la fixer avec un sourire quand une pression s'exerça sur mon épaule. C'était Alain qui me poussait vers le vestiaire des hommes avec un petit rire étouffé.
Alain était une véritable pile d'électrique. Toujours d'aplomb, grand passionné de sport et futur président de la république. Il se décrivait comme ça et c'était vrai. Rien ne pouvait lui enlever son sourire étincelant ni même sa bonne humeur. Si quelqu'un se mettait à l'insulter sans raison, il répondait soit avec une bonne blague pour détendre l'atmosphère ou soit par le dialogue. Il n'entrait jamais dans la violence. Et pourtant ce n'était pas le physique qui lui manquait pour s'affirmer.
Avec un an de retard, j'avais finalement décidé de le rejoindre à la salle. Une année et plus d'une montagne de muscles me séparait de lui. D'ailleurs il aimait souvent me le rappeler. Alain illustrait l'image d'un gorille ou d'un agent de sécurité surentraîné.
— Tapette !
— Qu'est-ce qui t'arrives, encore ?! m'exclamai-je, ôtant sa main sur mon épaule.
— Alors comme ça monsieur est tellement timide qu'il n'arrive pas à parler à Jess.
— N'importe quoi ! J'étais dans mes pensées, c'est tout...
— C'est vraiment cocasse de ta part, Driss. Les jolies filles sont un délice pour la vue, tu devrais en profiter pour leurs parler lorsque tu en as l'occasion. Un petit sourire de la part d'une bombe atomique mets toujours du baume au cœur, surtout après un compliment !
— Je laisse les compliments pour monsieur l'artiste bodybuilder qui se trouve en face de moi. Tout le monde sait que tu es un expert en la matière.
— T'es juste un froussard et tu te dédouane c'est tout.
— Je suis juste un mec sérieux qui sait pertinemment que quand toute personne normalement constituée va à la salle de sport, c'est uniquement pour faire du sport et pas pour reluquer toutes les filles qui charbonnent sur les machines.
— Ça remonte à quand la dernière fois que t'as dragué une fille, juste comme ça, pour faire passer le temps. Avec toutes les gazelles qu'il y a à la salle, je m'attends à au moins dix filles. Réponds correctement, je doute presque de ton orientation sexuelle, frangin.
— Disons que j'ai d'autres priorités que de gérer des filles, comme tu le dis si bien.
— Oh, lâche Alain dans un faux gémissement, j'oubliais que monsieur va à la salle pour séduire « madame ». Avec un corps comme ça, tu ne risques pas de l'impressionner.
Je sentais ma lèvre inférieure trembler à cause du spasme qui s'était contracté sur mon visage. Je sais bien qu'Alain rigole avec moi mais tout le monde sait que derrière chaque blague se cache une part de vérité.
— Ne t'inquiètes pas, mon fils, un jour tu auras mon niveau et tu pourras te vanter de soulever non seulement des poids mais aussi ta chère et tendre Inès.
— Je vais à la salle uniquement pour moi. Et pour ton information, Inès est juste une pote. Rien de plus.
Je voyais avec beaucoup trop de précision les dents écarlates d'Alain pour qu'il m'ait pris au sérieux.
— Encore heureux, disait-il toujours dans le même ton, si tu n'arrives même pas à porter tes corones pour dire bonjour à Jess, alors je n'imagine pas ce que ça donnerait pour conclure avec Inès.
— Inès n'est pas une fille superficielle, on s'entend super bien alors je ne vois pas de quoi tu parles.
— Et tu essayes me faire croire que tu ne veux qu'une simple relation amicale avec elle ? Mec, vous êtes voisin de chambre, je te signale. Vous êtes dans la même résidence universitaire, au même palier, et tu vas me dire que si Inès vient te voir, en sous-vêtements devant ta porte, tu ne vas rien faire ?!
— Ce genre d'incident n'arriverait pas, et puis je ne suis pas un animal. Je sais me contrôler.
Je me demande vraiment pourquoi je suis ami avec lui, par moment. De toute façon, il n'est pas dans ma tête ni dans mes pensées pour me dire ce que je veux ou ce que je ne veux pas.
— Tu es le premier garçon hétérosexuel qui refuserai de coucher avec une belle brune aux yeux bleus. Pauvre Inès... elle va être tellement déçue.
— De toute façon, ça n'arrivera jamais. Elle n'est pas du tout intéressée par moi et c'est réciproque.
— Comment tu peux savoir ça alors que tu n'as même pas fait l'effort de savoir si tu lui plaisais ?
— Je le sais. C'est tout.
Inès est une parisienne dans l'âme qui ne s'est pas adaptée à la culture martiniquaise. Disons que c'est une fille élégante qui aime les choses raffinées. Un véritable gourmet en ce qui concerne son choix de garçon.
— Tu ne sais une merde. T'es juste trop pessimiste pour passer à l'action.
J'ai secoué la tête comme à mon habitude pour abréger la conversation avant de passer la porte des vestiaires. On a entamé une bonne demi-heure sous les barres de tractions à travailler les deltoïdes postérieures et les trapèzes.
Alain m'a lancé une compétition stupide simplement parce qu'une fille avec un legging suffisamment convainquant pour mettre ses fesses en valeurs venait de faire sa série de squat juste devant nous.
La vue était certes agréable, mais je ne comprends toujours pas pourquoi il fallait autant se donner en spectacle. L'esprit de compétition pour une femme est sans doute des choses que je déteste le plus chez nous, les hommes. J'ai un moment d'hésitation concernant notre évolution par rapport aux singes quand j'assiste à ce genre de comédie. Est-ce qu'elle a au moins capté son attention ? Je ne parlerai pas de la mienne, ce n'était pas mon objectif.
Deux heures et des exercices se sont écoulés lorsque j'ai quitté la salle. Il devait tourner aux alentours de dix-huit heures, le coucher de soleil donnait un panoramique doré dans le ciel. Alain et moi, on a pris le prochain bus et on est rentré dans la résidence universitaire. On avait dû se séparer. Il habitait dans le bâtiment A, tandis que j'étais au B.
Je gratte une tache de peinture orange écaillée sur ma porte et tourne la clé dans la serrure. Je ne peux pas me jeter sur mon lit, j'empeste la sueur et je décide d'un pas trainant d'aller jusqu'à la douche.
Ma chambre ne fait que onze mètres carrés, c'est assez petit. Mais, pour se diriger d'un endroit à autre lorsque l'on est fatigué, je dois admettre que c'est plutôt pratique.
TOC, TOC, TOC !
Quelqu'un frappe à la porte et je viens tout juste d'enlever le t-shirt qui me collait à la peau.
TOC, TOC, TOC !
— Minute ! Une minute ! J'arrive tout de suite.
Je le regarde tremper sur le sol et pousse un soupir. J'avais quand même le droit d'ouvrir la porte de ma chambre torse nu, après tout. C'était tout de même chez moi.
Inès Flamarge apparait sur le seuil de la porte, elle m'adresse un signe de tête en souriant. Totalement habillé, contrairement à ce que pourrait penser Alain. Je l'avais vu dans son regard vitreux, ce sourire était forcé.
— Oh, je ne savais pas que tu étais occupé. Je peux passer tout à l'heure ? disait-elle en fixant mon torse nu.
— Je comptais juste prendre ma douche. J'étais à la salle de sport, comme d'habitude.
J'avais cette espèce de palpitation qui me lacérait la poitrine à chaque fois qu'Inès posait son regard sur moi. Je me sentais déshabillé. Combien de temps allait-elle fixer mon corps comme ça, bouche bée ? Est-ce que ça l'impressionne ou la répugne ? C'est peut-être dû à l'effet de surprise. Aucun fond de pensée ne semble s'échapper de sa bouche.
— Tu n'as pas oublié qu'on devait réviser ce soir ? Le contrôle c'est dans une semaine et tu n'as même pas tous les cours de droit constitutionnel, je te rappelle.
— Oh merde, ça m'a presque traversé l'esprit. Heureusement que tu es là... mon petit pense-bête.
J'avais essayé de lui taper gentiment sur le bras après ma petite vanne mais elle a reculé d'un pas.
Pour la première fois depuis que j'ai ouvert la porte, Inès plonge son regard dans le mien.
— Au fait... je... à propos de hier soir, je te prie de m'excuser... ça ne voulait absolument rien dire du tout.
— Driss...
— Tu sais comment je suis quand je bois un peu trop avec Alain et Fred... je raconte toujours n'importe quoi.
— T'inquiète, c'est pas grave.
— Putain, c'est trop gênant.
— Driss, je t'ai dit que ça va. Si c'était le cas tu crois vraiment que je serai venue te voir à une heure pareille ?
— Oh... super, alors.
— Allez, va te doucher. Je t'attends dans ma chambre.
Inès avait retrouvé son sourire et le poids que je portais en moi depuis hier soir venait de s'enlever. Je referme la porte et m'écroule sur le sol. Je crois que je n'ai jamais été aussi euphorique depuis que mon passage en deuxième année de droit.
Inès est la meilleure amie que j'ai dans cette université. Sans elle, je ne suis presque sûr que je ne serai jamais passé en L2 de Droit. Je suis quelqu'un d'assez défaitiste en ce qui concerne les études supérieures. Pendant un long moment j'arrêtais même d'aller en cours et je passais des semaines sur la PlayStation 4 à regarder mon année défiler sous mes yeux.
Et encore une fois, elle ne me lâchait pas. Inès a quand même eu la bonté de me donner l'intégralité des cours que j'avais loupé et m'a aidé à les apprendre. On est tous les deux passés dans la classe supérieur avec onze de moyenne pour moi et quatorze pour elle.
Je dirais que notre relation purement amicale a commencé ici même, à ce palier, l'an dernier. C'était notre première nuit dans la résidence universitaire et on n'arrivait pas à s'endormir.
L'idée de quitter ma famille pour venir habiter dans l'Université Hibiscus ne m'effrayait pas au point de ne pas pouvoir dormir la nuit. La cause de mon insomnie cette nuit-là venait de mes chers voisins du palier supérieur qui avaient trouvé la charmante idée de baptiser l'une des chambres avec une partie de jambe en l'air assourdissante. Les meubles se fracassaient contre les murs et les gémissements grondaient de plus en plus fort.
J'ai tourné la poignée de ma porte avant de me retrouver sur mon palier face à une jeune fille aussi agacée que moi. Je me rappellerai toujours de ses yeux bleus qui brillaient dans la lumière de l'ampoule grésillant au-dessus de notre tête. On s'est alors jeté un regard complice et on a commencé à discuter aux marches des escaliers. Je ne savais pas encore l'ampleur qu'allait prendre notre relation à cet instant précis.
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