Chapitre 19 - L'appel du désespoir
Tout aurait pu bien se passer. J'aurais pu avoir cette chance de m'en fuir d'ici, mais j'avais laissé mes pulsions prendre le dessus et voilà que je venais de réduire mes chances de sortie à néant. Ma rage, cependant, gagne de l'ampleur à mesure que je remonte les escaliers de l'Antre, quatre à quatre.
J'arrive dans la cuisine lorsque je me remémore le début de la journée. Rosie m'observe du coin de l'oeil, assise sur une chaise. Son désespoir parle à sa place mais je n'en ai rien à faire. Terence, quant à lui, continue d'acclamer mon nom depuis le salon. Il regarde son émission habituelle sur les armes de chasses peu de temps avant le départ des Formules 1 sur la chaine de sport.
Pour comprendre comment j'en étais arrivé là, à tout perdre en un claquement de doigt, il fallait remonter au début de la journée. Là où les coqs chantaient de leurs plus belles voix et où le soleil découvrait le panorama de son halo divin, au contrebas de la mer qui lui servait de mirage.
J'aperçois cet éclat matinale à travers le trou qui s'était formé sur l'une des planches balisée à ma fenêtre. Terence me faisait confiance, mais pas au point de laisser les fenêtres de ma chambre à la vue du voisinage. Ça serait à la fois dangereux pour lui et moi. Finalement, c'était comme un commun accord des plus malsain qui soit.
« Vingt-huit degrés Celsius, la journée s'annonce radieuse, aujourd'hui ! N'hésitez pas à faire sortir vos sèches-linges au lever du soleil, mesdames ! »
C'est que le présentateur avait un sacré sens de l'humour – bien que sa remarque pouvait sembler sexiste à notre époque – et il avait le don de me donner le sourire. Il avait peut-être raison. Le soleil d'aujourd'hui annonçait une bonne journée, qui sait ?
Personne au salon pour m'accueillir mis à part Rosie. Ça commençait déjà sur de bonnes bases. Elle me sourit et me sert un petit déjeuner digne des noces de porcelaines, même si j'étais encore loin d'être son mari. Après, il ne fallait pas s'empêcher de rêver. Peut-être que l'autre gêneur allait un jour se faire arrêter par les services de polices et qu'on clamerait mon innocence. À partir de ce moment-là, Rosie et moi...
— Ça sonne ? dis-je alors que je m'apprêtais à avaler un morceau d'oeuf brouillé.
Rosie me lançait un regard étonné et je la rejoignais sur ce point. Il y avait comme un instrumental de xylophone qui s'enjaillait dans la pièce du fond : celle qui donnait sur la chambre du tortionnaire.
Elle me faisait un léger signe de tête pour me dire de rester assis et qu'elle s'occupait de la situation. Je l'observais se diriger à grand pas jusque dans la chambre. J'adorais la voir se pavaner – bien qu'elle ne le faisait pas exprès – ses hanches se balançant de droite à gauche, laissant s'accorder un postérieur aussi gros que bombé dans un mini-short un peu trop serré. Bon sang, ce qu'elle était sexy dans toutes les situations, cette Rosie. Et voir ses pieds nus coller au sol lui donnait une allure un peu plus sauvageonne, j'adorais ça.
Pendant que j'étais littéralement en train de baver sur elle, je la vois revenir presque en courant. Sa bouche était grande ouverte comme si elle ne pouvait s'empêcher de me dire quelque chose depuis l'autre bout de la pièce.
— Terence a laissé son portable !
Elle me disait ça avec une grande exclamation, comme si elle s'attendait à ce que je fasse quelque chose.
J'avalais une gorgé de jus d'orange avant de la regarder fixement. Je mâchais plus lentement pour ne pas avoir à parler mais je sens qu'elle me forcais quand même la main avec son regard insistant.
— À quoi tu penses, là ? Si ça se trouve, il l'a laissé volontairement ici et à activé le microphone.
— Non ! s'exclame t-elle. Je me suis réveillée tôt, ce matin, et figure-toi qu'il avait l'air en panique. Il n'avait même pas prit le temps de me dire bonjour ou de faire quoique ce soit d'autre avec moi. Il a tourné dans la maison pour chercher ses clés qui étaient rangés dans la jatte, comme d'habitude. Et il est parti très vite sans toucher à son petit déjeuner.
Je lâchais brusquement la fourchette et lève légèrement les mains. C'était pour ça que les oeufs me semblaient un peu froid.
— Pour toi, Terence a oublié son portable par inadvertance ?
— J'en suis quasiment sûre ! Il ne le laisse jamais traîner ! C'est bien trop important !
Rosie observa l'appareil entre ses mains et le tournait dans toutes les positions avec une lenteur déconcertante. Elle donnait l'impression de découvrir l'existence des smartphones.
— Qu'est-ce que tu fabriques ?
— J'essaye de me souvenir du mot de passe. Il l'avait composé une fois, devant moi ! ZUT !
Elle devenait toute rouge et redresse ses lunettes sur son nez pour retrouver le calme. J'admirais sa prise de décision bien qu'elle me semblait – ma foi – assez stupide.
— Dix... onze... quarante-deux... Dix... onze... quarante-deux !
Elle répétait cette bribe entre ses lèvres un peu comme une incantation et se hâta de le composer sur le portable de Terence. Je la regardais fixement en la laissant faire. Ses pouces tremblaient à chaque vibration et ses ongles menaçaient de crisser sur l'écran.
Un bruit de disloque retenti, je la regarde tomber sur la chaise à côté de moi et balancer le portable sur la table.
— Merci, mon Dieu... soupira t-elle.
Je trouvais la situation presque trop belle pour être vraie. Mon regard se porte sur l'éclat de lumière qui s'échappait de la planche de bois encastré à la fenêtre du salon. Il y avait peut-être une chance.
— Tu penses à la même chose que moi ? me demande Rosie.
— Bien sûr ! Il faut tout de suite...
Soudain, mon coeur se rétracta dans ma poitrine. Je sens l'air me couper vif dans la trachée. J'avais failli oublier ce qui m'attendais dehors.
— Ne t'en fais pas, j'expliquerai tout dans les moindres détails. Ils ne vont pas t'enfermer en taule, Driss !
— Tu lis dans mes pensées, m'exclamais-je.
— C'est vrai qu'à ta place j'y réfléchirais à deux fois avant d'appeler la police ou qui que ce soit d'autre, mais une chance comme celle-ci, on en auras pas d'autres !
— Je... je n'en sais rien, Rosie. Ils étaient tellement déchaînées, à la télé. Tu as bien vu la même chose que moi, non ? J'aurai à peine le temps de sortir ma tête d'ici qu'ils me l'auront déjà coupé. Le dialogue ne sert à rien avec une meute déchaînée par la vengeance. Ils veulent juste un responsable, un hôte qui encaissera toute la souffrance qui les auront travaillé au corps durant ces dernières semaines. Ils se fichent de savoir si je suis innocent ou non.
— Non, Driss... par pitié !
Ses jolies petons tapèrent violemment le sol, je ressens son impatience. Elle m'attrapait par le poignet et se courbait presque face à moi.
— Le coupable, ils l'auront ! Je te le garanti !
— Je n'en sais trop rien. Mais dis-toi que si tu fais appel à la police, je suis foutu.
— Qu'est-ce qu'on fait, alors ?! On reste là, à louper une occasion pareille ?!
Sa voix qui commençait à trembler me plonge dans une profonde culpabilité, mais il fallait que je pense à moi.
Je bascule la tête contre le dossier de la chaise et abandonne le petit déjeuner qui ne m'était pas destiné.
— Il faut que je me fasse entendre par quelqu'un de l'extérieur, on banni déjà la police. Il me faut quelqu'un qui pourrait aisément me faire confiance...
Rosie leva ses lunettes à hauteur de son front et sèche ses larmes. Elle me regardait avec ses yeux de merlans frits. Même dans des moments aussi dramatique, elle arrivait à garder un visage parfait. Ses joues complètement rouges me donnait d'autant plus envie de l'embrasser et de la câliner. Concentre-toi, idiot !
— Il y aurait peut-être quelqu'un... Il arriverait à convaincre les autres de mon innocence. Et ça pourrait remettre les cartes en jeu.
Rosie hocha de la tête sans même savoir de qui je parlais. Tout ce qu'elle voulait entendre était qu'on allait sortir d'ici sain et sauf.
J'attrapai le portable et m'enfonçai dans la cuisine. Rosie me dévisagea avec un élan d'espoir et je lui fit signe d'attendre au salon.
La réponse me semblait malheureusement évidente à mesure que je cherchais la solution. Je dis « malheureusement » parce que c'est bien la dernière personne à qui je confierais mon destin si j'en avais le choix. Et pourtant, il fallait bien que je mette de l'eau dans mon vin.
Terence ne l'avait pas dans son répertoire – assez logique, jusque-là – mais son numéro me revenait en tête avec une évidence certaine. J'entendis mon coeur cogner dans ma poitrine, les palpitations me prirent aux tripes pendant que les bruits de touches composaient dans un silence assourdissant.
Je collai le combiné contre mon oreille et fixai les carreaux de la pièce d'un regard fuyant.
— Allô ? Qui est à l'appareil ?!
Ça y est, Driss. Inspire, expire. Tout va bien se passer.
— Salut, Morgan ! Tu... tu vas bien ?
Je me sentais presque coupable de l'appeler, comme si j'avais commis un crime. Peut-être parce que j'avais réduit sa voiture en pièce. Et ici, encore, ce n'était pas de ma faute.
— L'attardé ? Putain de merde !
Même dans une situation aussi cocasse que celle-ci, il arrivait quand même à me charrier. Sacré Morgan. Je sentais à sa voix qu'il n'avait aucun ressentiment à mon égard, il affichait plus une exclamation joyeuse, comme un soulagement.
— Morgan, j'te jure, c'est vraiment la merde par ici !
Une sensation de blocage m'étreignit la gorge, je sentis mon oesophage se resserrer et les carreaux qui s'alignaient parfaitement dans ma vision commencèrent à gagner un voile de flou et se distordre derrière un rideau de larmes.
Je n'avais pas prévu d'éclater en sanglot avec Morgan. C'était bien la première fois que ça m'arrivait depuis qu'on m'avait condamné ici.
— Écoute, je sais que ça va paraître dingue... mais je t'assure que je n'ai rien à voir dans tout ça ! Tout ce qui a été dit sur mon compte, aux infos, c'était du pipo !
Je sanglotais en essayant de reprendre une respiration stable tandis que Morgan restait au bout du fil, en silence.
— T'as pas besoin de te justifier, je savais très bien que t'aurais jamais fait un truc pareil de ton pleins gré. Genre, t'es pas assez fou pour prendre la fuite sur une autoroute de sept kilomètres.
— M-merci...
— Les gens sont des idiots. Même si tu l'aurais voulu, c'est juste impossible de faire un trajet aussi long en si peu de temps, à pieds qui plus est et sur une autoroute. Mais ne t'en fais pas, je suis habitué.
— Alors, tu sais que je suis innocent ?
— Bien sûr. Je t'avais raconté toutes les conneries que j'avais pu faire par la passé. Ça m'a poursuivi toute ma vie, même lorsque je me retrouvais innocent dans pas mal de situations. Le monde adore coller des étiquettes, et je suis mieux placé que quiconque pour te comprendre.
— Je m'en rappel, c'était justement pour ça que tu voulais que j'y aille. Pour sauver Inès.
— C'est ça et je dois dire que tu m'as vraiment épaté, sur ce coup-là ! Ça c'est plutôt mal fini, vu l'ampleur que ça a prit. Mais t'as osé te sortir les doigts du cul et je n'aurais jamais cru que tu le ferais.
Je savais bien que l'objectif principal était de lui donner ma position exacte et tous les détails de ce qui s'était réellement passée, ici. Mais lorsque je me remémorais la dispute d'hier entre Rosie et Inès, une petite parole résonna dans ma tête. Une parole qui n'aurait pas mérité meilleure éclaircissement qu'avec Morgan.
— Rosie est avec moi.
Il eut un silence qui planait dans le combiné.
— Comment ça ? Est-ce qu'elle va bien ?
Sa voix ampli d'assurance à son habitude venait de chanceler d'un cran. Morgan semblait confus.
— Il y a quelque chose que je n'arrive pas à comprendre, lui dis-je en omettant sa question.
Il m'écoutait sans parler.
— Lorsque tu m'as dit de faire le nécessaire par rapport à Inès, est-ce que tu me le disais simplement pour moi ou pour autre chose ?
— Comment ça ? Je ne comprends rien. Est-ce qu'elle est dans les parages ?
— Inès ? On y vient justement, ça tombe bien...
Je plaçai l'écran du portable contre le potager et me glissai devant la porte comme un contorsionniste avant de la fermer à clé. Sans mettre le portable sur haut-parleur, je l'entendais hurler de toute ses forces.
— Elle est vivante ?! Putain, Driss ! C'est pas le moment de faire le con, là ! Où est-ce que vous êtes ?!
— Je te dirais tout ça en temps et en heure. Réponds d'abord à ma question.
Il n'avait pas le choix, je m'imposais à lui sans aucune condition de marchandage. Je ne la retenais pas en otage – le pauvre s'il savait seulement – mais dans sa tête, je savais que ça en venait au même. Pourtant, je n'étais plus animé par la peur des représailles. Un autre sentiment avait permuté sans que je ne m'en rende compte.
— Est-ce qu'il y a quelque chose entre toi et Inès ?
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