Chapitre 17 - La séparation des pouvoirs

  Ma tête bascule en avant pendant que je patauge dans mon esprit pour lui donner une réponse.

  D'un coup sec, il retire son poids de tout mon corps. Je sens un pincement au niveau de ma cage thoracique, mais vaux mieux ça que de finir mort asphyxié. Terence me regarde du coin de l'oeil et se redresse sur le canapé.

  Je l'accompagne, non avec un sentiment de camaraderie mais avec une colère amère qui s'est consumé dans mon impulsivité.

  — Je ne ressent rien pour Inès, ai-je fini par lui avouer d'une voix froide. Je ne sais pas ce que t'as vu, mais tu te goures complètement. Et voilà, tu sais tout ce que tu voulais !

  J'entends brusquement un souffle se couper. Terence se retient de rire.

  — J'ai rarement vu un type aussi impliqué pour aller chercher une simple « amie ». De toute les façon, je sais que tu mens.

  — Quel intérêt aurais-je à mentir ?

  — Effacer l'alibi qui prouverait que tu as apprécié le petit jeu entre Inès et toi. Tu me prends pour un idiot ?

  Je reste assis par terre sans dire un mot. Terence se tait à son tour, espérant sans doute une réaction de ma part.

  — Imaginons que tout ce que tu dis soit vrai, qu'est-ce que tu attends de moi ? Je dois savoir...

  Je ne m'attends pas à une telle réaction. Terence m'attrape par le poignet et me fait signe de m'asseoir. Je lui hoche la tête et le suit dans son invitation.

  — Jean-Jacques Rousseau disait qu'il était primordiale d'abolir la monarchie absolu de l'Ancien Régime à cause de ses failles. La souffrance qu'il faisait engendrer au peuple n'était pas légitime. Les hautes instances abusaient de leurs soif de pouvoir de génération en génération sur les plus démunis. Tout partait de la simple loi des premiers.

  — C'est de l'histoire du droit, ça.

  — L'histoire des idées politiques, pour être plus précis. On l'a vu au début du semestre, une mauvaise répartition des pouvoirs a toujours entraîné le chaos au sein de notre nation. On peut prendre l'exemple de Louis XVI et de sa femme qui ont été guillotinés par un peuple en colère, un peuple révolté de toute cette injustice.

  — Abrège, tu veux ? Je ne vois pas où tu veux en venir.

  — Que je ne peux pas garder mon pouvoir sur toute la meute. Il me faut quelqu'un qui me seconde, quelqu'un qui saura prendre les bonnes décisions quant aux trois filles qui sont à notre disposition.

  — Non, ne me dis pas que tu fais allusion à moi ?

  — À qui d'autre j'aurais pu demander ça ?

  — Terence, tu me mets dans une merde pas possible, là ! Démerde-toi seul !

  — Réfléchis bien à mon offre. Nous savons tout les deux que tu n'as nulle part où aller et que je dirige cette maison d'une main de fer. J'aurais pu te laisser crouler dans ta chambre, sans lit, sans eau, sans manger et te laisser mourir de faim. Mais j'ai décidé de te donner une chance, que ce soit avec Inès ou avec moi.

  — Et tu crois que ça m'a fait du bien, peut-être ?

  — Plus de bien que de mal ! Et ça ne pourra aller qu'en s'arrangeant. Driss, j'ai besoin d'avoir confiance en quelqu'un.

  — Tu as l'air de déjà donner toute ta confiance à Rosie, non ? Je ne vois pas ce que tu cherches de plus ?

  — La supériorité numérique, Driss, réfléchis un peu !

  — Je n'arrive pas à saisir, en quoi ça pourrais t'arranger ?

  — Nous sommes exactement cinq dans cette maison. Rosie, Nahla, Inès, toi et moi. Si on fait le compte total, on est forcément un chiffre impair. Qu'on le veuille ou non, il y a forcément une inégalité si des camps doivent se former au sein de la maison.

  — Oui, tous unis contre toi et ça tombe sous le sens ! Tu crois peut-être que je vais te laisser faire toutes tes cochonneries sans qu'il n'y ait aucune conséquence ? En fait, tu as peur, Terence.

  — Non, disait-il en jetant un regard lointain. C'est des autres qu'il faut avoir peur, pas de moi. Vous savez déjà ce que je serais capable de faire à chacun d'entre vous. En revanche, personne ne sait de quel bois vous êtes fait, tous les quatre.

  — Tu voudrais dire qu'on pourrait s'entretuer ?

  Il me hoche de la tête avec une certitude qui se lisait sur son visage.

  — Tu me prends vraiment pour un imbécile, je rêve...

  — Humpf, ricane Terence. Tu devrais faire un peu plus attention aux filles qui nous entoure, champion. Tu serais surpris.

  En y réfléchissant, Nahla s'était confronté à Rosie, tout à l'heure. En effet, Terence est intervenu et à finalement tranché pour Rosie. Même si je n'y crois pas, je veux tout de même en avoir le coeur net.

  — Tout à l'heure, j'ai vu que Nahla n'étais pas très bien. Tu l'as enfermé en bas parce qu'elle se serait disputée avec Rosie...

  — Tu vois que tu commences à réfléchir !

  — Alors c'était vrai ?

  — Qu'est-ce que tu croyais, l'ami ? C'est justement dans ce genre de situation qu'il faut trancher. Nahla a tenté de laver le cerveau de ma délicieuse Rosie. Elle ne s'est pas laissée faire et m'en a informé sans perdre de temps. J'ai réglé la situation. En d'autres termes, elle a choisi son camp.

  Je me refuse de l'entendre dire « ma délicieuse Rosie » comme si elle lui appartenait, mais tente de dissimuler ma frustration en soufflant un bon coup.

  — Si je deviens ton second, est-ce que tu pourras me promettre de ne plus faire de mal à Nahla ?

  Soudain un silence nous envahit. Je le regarde fixement dans les yeux pendant qu'il abaisse les siens, comme s'il cherchait une réponse ou qu'il ne s'attendait à ce que je réplique. Et oui, Terence, moi aussi j'avais choisi mon camp.

  Il revient à moi en éclatant de rire.

  — Wow, un associé de taille, que vois-je ! Marché conclu, dans ce cas.

  Il me serre la main comme s'il était un homme de parole. Je ne sais pas si notre alliance a de la valeur, mais je vais tout faire pour limiter la casse au sein de cette maison.

  Une fois l'arrangement clôturé avec Terence, ma voix descend d'une octave et je sens une pression me quitter. Les nerfs qui pinçaient mes omoplates se dressent. Je me mets enfin à souffler.

  — Terence, je voulais te demander...

  — Hum ?

  — Qu'est-ce que Rosie représente pour toi, exactement ?

  Je vois qu'il est embarrassé par la question. Il n'a vraisemblablement pas de réponse à m'accorder.

  — La Gouvernante de cette maison. Elle est très fidèle.

  — Peut-être parce que tu lui a laissé sa chance, contrairement aux autres. Je me trompe ?

  — C'est plutôt vrai. Il faut dire qu'elle m'a toujours excité quand on était sur le campus.

  Il me dit ça tout naturellement. On se croirait au confessionnal de l'enfer.

  — Nahla, tu l'as enlevée par vengeance, Rosie parce qu'elle te plaisait, mais pourquoi Inès ?

  J'ai une violente rage de dent au moment de prononcer son nom. Mon poing se ressert à nouveau et mes nerfs se repositionne, prêts à en découdre.

  — Elle a quelque chose de particulier dans le regard. Quelque chose qui me fait beaucoup penser à White-Kitty. En fait, elle a exactement ses yeux. Le même corps élancé, doux Jésus...

  Il vient pratiquement de faire un blasphème mais on lui sent une douceur sincère dans la voix. Je me fige presque de terreur en le voyant fabuler.

  — J'aurais tellement aimé me faire sucer par elle, m'avoue-t-il dans un élan d'espoir. Je suis sûr que tu as du en ressentir, des choses, lorsqu'elle t'as pompé. Ses beaux yeux bleus plongés dans les tiens, un délice !

  — En fait, elle ne m'a pas regardé. Inès avait plutôt le visage planté au sol. Et de toute les façons, elle pleurait.

  — C'est encore plus sexy. Je suis pratiquement sûr que c'est exactement la même sensation qu'on doit ressentir en se faisant sucer par White-Kitty.

  — Je n'en sais rien, je ne connais pas son visage au millimètre près, moi.

  — Quel dommage qu'elle n'ait pas ses lèvres pulpeuses ! Ça aurait pu être sa copie parfaite.

  Il a l'air vraiment agacé en me le disait, j'entends son pied taper le parquet dans un grincement long et sinistre.

  — Mais bon ! s'exclame-t-il en tapant des mains. Je vois bien à quel point Inès t'intéresse alors je comprends très bien que tu veuilles faire chasse-gardé et je respecte ça.

  Je ne réponds pas. J'en ai marre de devoir me justifier sur les sentiments que je porte à son égard.

  — En descendant dans l'Antre (ce nom de fait frissonner de honte tellement il est nul), j'ai remarqué que chacune d'entre elles avait une chambre. Pourquoi tu n'as pas marqué leurs noms sur les portes ?

  — Comment ça ? Tu voulais qu'elles aient une connexion internet et un câble satellite directement relié à leurs chambre, tant que t'y es ?

  — Non, je ne parle pas de ça. Mais pourquoi les avoir renommées « Membres » ?

  Il réfléchit quelques instant avant d'expirer un bon coup.

  — Tu dois reconnaître que c'est assez flippant.

  — Driss. 

  — Oui ?

  — Là, tu t'aventures sur un terrain miné.

  Je reste de marbre face à sa réponse. Mes sourcils froncés parlent à ma place.

  — Première règle : ce genre d'affaires ne te concernes en aucun cas, tu piges ?

  — J'aimerais bien, lui répondis-je avec un ton volontairement insolent.

  Il plante ses énormes coudes sur le sofa avant de se relever. Je vois ses seins rebondir en avant puis il me fait un dernier signe de tête avant de prendre les clés et fermer la porte derrière lui.

  Où peut-il aller ? Je n'en sais rien, mais il a l'air pressé et inquiet. Je le sens à sa démarche précipité. Le moteur, dehors, semble aussi effaré que lui et gronde d'un son bruyant avant de déboucher à l'autre coin de la rue. Comme un chat, je me tapisse derrière la fenêtre barricadée de planches pour observer. En suivant le bruit du regard, mes oreilles et mes yeux fusionnent pour l'entendre se déplacer.

***

  Je prends mon rôle de second extrêmement à coeur et je veux m'assurer d'être un meilleur chef que Terence, dans tous les sens du terme.

  Pour commencer, j'avais pioché toutes les choses qui me semblaient alléchantes – comme ce paquet de chips encore fermé qui trainait sur l'étagère ou encore une gamelle entière de bonbon digne des Haribo Party « à partager » que j'allais lui donner à elle seule. Je sens une présence me traquer du regard à l'encadrement de la porte pendant que je piochais un cône de glace dans le freezer du haut. Rosie m'apparait, adossée contre le seuil, un pied nu courbé sur l'autre.

  — Tu as faim ? Je peux te faire quelque chose, si tu veux.

  C'est reparti, une pulsation me poignarde en plein coeur rien qu'en entendant sa voix. Elle me caresse tous les sens. Mon excitation monte à la vue de ses formes dénudées. Seul un tablier faisait office de vêtement, il moule sa généreuse poitrine et en discerne ses tétons avec une précision époustouflante. Je ne veux même pas imaginer ce que ça donne, vu de derrière. Je me croyais dans un véritable film porno.

  — C'est pas pour moi, mais merci quand même.

  Malgré toutes les sensations d'amplitudes que je ressens en la voyant poser son attention sur moi, j'altère aussi un profond ressentiment. Depuis le diner de la dernière fois, je palpe cette frustration qui grandit en moi.

  — Est-ce que tu arrives à tenir le coup avec l'autre ?

  Ma phrase semble anodine mais sonne exactement avec les mêmes termes que Nahla. Demander à quel point Rosie arrivait à endurer les supplices de ce monstre. Je sais, avec ce que Terence m'avait dit, que Nahla n'inventait pas. Je suis encore plus prompt à la protéger et à prendre soin d'elle.

  Pour l'instant je me prépare au moment où Rosie serait piquée d'une crise de colère. C'est en fait la chose que je redoute le plus. Je veux qu'elle se jette sur moi, à chaude larmes, ses formes encastrées contre moi, sentant chaque millimètre de sa poitrine, pendant que je lui sers de psychologue particulier.

  Contre toute attente, mes inquiétudes volent en éclat puisqu'elle fait exactement tout ce à quoi je viens de penser. J'en fais même tomber la nourriture sur le sol – désolé, Nahla.

  — Driss, quand est-ce que tout ça va s'arrêter ? me murmure-t-elle dans ses sanglots.

  Mon coeur cogne contre ses seins et je peux sentir la pointe de ses tétons me caresser le torse. Ils sont durs mais je suis le seul à ressentir une profonde excitation dans un moment pareil. Je m'étonne moi-même. Est-ce que Terence avait raison, au bout du compte ?

  Je place une main sur sa hanche et une érection me traverse l'entrejambe en la voyant se laisser toucher naturellement. Sa confiance dort entre mes mains. J'ai un pouvoir, le soft power.

  — Il m'a fait second, lui avais-je confié pendant que ses yeux larmoyants se perdent dans les miens. Des choses vont changer, ici. Je te le promets.

  — C'est de ça que vous étiez en train de parler ?

  — On peut dire ça.

  — Rien ne changera de mon côté, j'en suis sûre !

  Ses magnifiques lèvres pulpeuses se tordent dans son filet de larme. Je n'ai qu'une envie à ce moment-là : lui ôter les mots de la bouche par un baiser langoureux. Mes lèvres me démangent et j'ai envie de dévorer les siennes.

  — Arrête de dire n'importe quoi ! Tu sais bien que je ne te laisserai pas souffrir comme ça. Surtout à partir de maintenant.

  Elle pose une main sur mon torse et commence à la glisser un peu plus bas, je sens mon sexe se raidir. Ses doigts qui caresse le niveau de mes abdominaux me donnent la sensation des électrodes que je mettais sur ma ceinture abdominale – bien qu'elle n'ait contribué à aucun résultat miracle. Rosie a vraiment le don de stimuler une excitation étrange chez les hommes. Je suis convaincu que c'était le cas de Morgan et que Terence comprendrait entièrement ce que je dis.

  — Il faut que j'aille m'occuper de Nahla. Je remonte très vite, ça ne sera pas long.

  — Tu préférerais pas t'occuper de moi avant ?

  Elle me le disait avec une voix mielleuse. Mon coeur explose tellement je suis choqué par sa démarche.

  — Ô mon Dieu ! Rosie...

  Je sens mes phalanges trembler. Je n'arrive plus à me maitriser et je pense qu'elle aime cette sensation de contrôle qu'elle exerce sur moi. Ses mains enlacent les miennes et je commence à me rapprocher un peu plus de son visage. Un voile d'ombre lui recouvre bientôt la face.

  Au moment de fermer les yeux, j'entends subitement des couverts strident tomber quelques mètres plus loin. Inès venait de faire irruption dans la cuisine, elle s'accompagnait d'un regard noir que j'ai du mal à comprendre.

  — Je croyais qu'on avait pas le droit de manger en dehors des heures indiquées par l'autre.

  Je pousse légèrement Rosie par réflexe, ne sachant plus quoi faire. Et me mets à sourire bêtement comme si je fais quelque chose de mal. Mais il faut dire que la réaction d'Inès me donnait matière à réfléchir. Pourquoi a-t-elle l'air si en colère que je me rapproche de Rosie ? On était loin d'être ensemble, après tout.

  — Tu comptes manger ça tout seul, me demande-t-elle lorsque je récupère la nourriture que j'avais laissé sur le sol dans ma passion.

  — C'est pour Nahla. Contrairement à nous, elle n'a rien mangé de la journée. Il faut que je m'assure qu'elle aille bien.

  — Lorsque je suis passé dans le couloir de l'Antre, elle avait l'air silencieuse. Je l'ai salué mais elle ne m'as pas répondu. Je pense qu'elle dort.

  — Je veux quand même m'en assurer.

  — Si Terence remarque qu'il y a des trucs en moins dans son frigo, tu ne penses pas qu'il risque de faire une syncope ?

  — Pas s'il sait que c'est moi qui les aient pris...

  Ma réponse veut tout dire. Inès me regarde bouche bée avant de me décliner un hochement de tête. Rosie redresse ses lunettes sur son visage et me regarde prendre le pas sur la trappe qui donne vers la porte arrière de la cuisine.

  — Je reviens vite.

  Les deux me répondent en choeur avec un sourire et je sens que ce n'est pas normal. Je venais de me mettre dans un embarras pas possible sans en connaître les raisons. Mais la priorité reste Nahla.

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