Chapitre 16 - Les pouvoirs du Ça
Lorsque le verrou de la porte se tourne, je jure avoir vu Rosie se mettre à genoux dans la cuisine. Inès a les sens en alerte, elle s'immobilise devant la télévision pour faire comme si sa présence ne la décontenancerait pas. Tandis que moi, le bon dernier, observe naturellement en direction du bruit.
J'entends des chaines s'émailler sur le sol et une silhouette se dessiner derrière la porte en vitre. Terence apparait dans le salon, son visage froid laisse quelque chose de sombre déteindre dans la pièce. Quelque chose avait changé.
Je peux entendre Rosie prier au loin. Je ne comprends pas de suite jusqu'à ce qu'elle arrive en face de lui et attrape sa veste en lui demandant d'une voix douce mais tremblante : « Comment s'est passée ta journée ? »
Ah. Il garde cette habitude de décharger toutes ses ondes négatives sur elle ? C'est l'impression que j'ai.
Terence la regarde dans les yeux. Un silence pèse entre les deux pièces. Je fixe Inès pendant qu'elle baisse le son de la télé pour suivre ce qui se trame du côté de la cuisine.
Il se contente de lui caresser le menton et de lui esquisser un grand sourire.
— Tout s'est bien passé, chérie.
L'entendre appeler « chérie » m'énerve au plus haut point, mais je ne peux m'empêcher d'être soulagé en sachant qu'il ne lui ferait aucun mal.
— Ça te dis qu'on aille en bas, pour prendre un peu de bon temps, toi et moi ?
Il a eu la fausse politesse de lui demander, c'était au moins ça. Rosie me jette brusquement un regard qui me foudroie sur place. La lueur de ses yeux ressemble à un appel de détresse. Puis elle tourne sa tête en direction de Terence, un nerf contracté en sourire se forme sur son visage.
Il l'attrape par les hanches puis s'enferme à nouveau dans l'Antre. La musique de White-Kitty redémarre, les acoustics sonnent d'autant plus effrayante. Ça recommence.
Inès, à côté de moi, commence à fondre en larmes. Quant à moi, je sens bien que je n'ai plus la force de réagir, alors je m'allonge sur le sofa et lui prend la télécommande des mains pour changer de chaîne.
Je cherche désespérément un film de comédie romantique, histoire de me remonter le morale, comme à mon habitude lorsque je n'allais pas bien. Mais en dépit de tout, un documentaire sur le règne animal me trouve un bon compromis. Je regarde un groupe de trois gazelles se faire manger par un lion affamé, les corps réduits en bouillie et un tas de chairs à canons. Le sommeil m'emporte, j'ai fini par m'assoupir...
***
— Alors, bien dormi ?
Lorsque je me réveille, ce n'est plus le corps élancé d'Inès qui me réveille mais la masse ratatiné de Terence. Le documentaire avait laissé place à une série pour enfant sur ce qui semblerait être un groupe de fées dans un Pays Imaginaire à la recherche d'une créature légendaire.
— En tout cas, je crois que je vais pas tarder à te suivre. C'est qu'elle m'a bien épuisée, l'autre ! s'exclame-t-il avec un large sourire. Rosie, c'est une sacrée tigresse !
— Qu'est-ce que tu me veux encore ? Où est passé Inès ?
— Rien en particulier, me répond le fou du coin de l'oeil.
Il n'arrête pas de sourire en me fixant, comme s'il se retient de me dire quelque chose.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— Je vois que vous vous êtes de nouveau rapprochés. C'est une bonne chose.
— On est amis, à la base. Malgré tous tes délires d'obsédés sexuels, on a réussi à surmonter ça...
— Elle n'est pas fâchée avec toi, je comprends ?
Je secoue ma tête. Sans que je m'y attende, il me tend une bière fraîche. Une Desperados Red, l'une des meilleures qu'on faisait sur l'île. Je ne peux refuser un peu de fraîcheur. Au moment d'ouvrir la cannette et descendre une gorgée, le goût fruité de la boisson me rappelle tous les moments passés avec Alain, Fred et Morgan – même si je l'apprécie moins que les autres. Tous ces moments où on parlait des filles, de projets, qu'on s'amusait. Où on était encore innocent, aucunement préparé à ce qui allait arriver dans nos vies.
— Tu sais, lorsque tu es arrivé ici, je t'avais dit que tu pourrais tartiner les deux autres mais j'ai changé d'avis par rapport à Rosie. Elle a vraiment quelque chose de spécial et je ne peux pas la partager. Désolé.
— Je ne sais pas pourquoi tu me racontes tout ça. Comme si j'allais forcer Nahla et Inès à coucher avec moi contre leurs volontés.
— Ah ah, Driss ! Mon pote, on est pareils toi et moi...
Je décoche un ricanement nerveux. Il n'est pas spontanément joyeux et s'accompagne de frissons de terreur.
— Tu as vraiment cru que j'étais comme toi ?
— Détrompes-toi, l'ami. Tu te mens à toi même, c'est très mauvais.
— Qu'est-ce que tu sous-entends, par-là ? Que je suis un putain de violeur ?
— Je dis juste que tu es, tout comme moi, un type qui n'a jamais eu de chance.
— La chance de violer ? Non, effectivement.
— Cette façon qu'elles ont de nous regarder, comme si on avait la peste. Je le sentais bien quand je t'observais au loin. Elle aussi, te dévisageait comme ça.
— Inès est mon amie, alors ça ne risque pas.
— C'est peut-être ton amie, comme tu dis si bien. D'accord, tu n'es peut-être pas un violeur ou que sais-je encore... mais tu ne peux pas nier le plaisir que tu as ressenti, l'autre jour.
Ma tête tourne dans tous les sens. Je suis pris d'une crise de panique sans même en comprendre la cause. La seule chose que je trouve à faire pour me calmer était de presser ma main sur ma poitrine et finir la cannette de Desperados au fond de ma gorge.
— Quel jour ?! De quoi est-ce que tu parles ?
— Regarde-toi, c'est trop mignon ! Je parle du jour où Inès t'as sucé, pardi !
— Je ne voulais pas que ça arrive, et elle le sait très bien.
— Normalement, lorsqu'un garçon est tendu ou soumis à une forte pression de stress, il n'arrive pas à entrer en érection. On était puceau, toi et moi, avant de venir ici, mais est-ce que tu as déjà entendu parler des mecs qui n'arrivent pas à bander pour leurs premières fois ?
Je hoche de la tête en prenant de longue respiration. Je m'apprête à chercher l'arme que Rosie m'avait donné discrètement dans ma chambre. Qu'est-ce que ce malade est en train de me sortir ?
— Une fois soumis au stress, ce genre d'épisode est très fréquent et il faut énormément de temps pour trouver un équilibre quand le rapport n'est pas tout simplement annulé. Je t'avais laissé un laps de temps d'environ dix minutes. En dix minutes, certains mecs on déjà abandonné. Mais toi, oh toi, mon champion, tu as bandé comme un piquet une fois que j'ai fermé la porte !
Il se met à me rire au nez tout en me tapotant l'épaule. Je reste bouche bée, dans un flou imperceptible. Qu'est-ce qui était en train de se passer ?
— La seule chose qui te gênait, c'était ma présence. Mis à part moi, tu rentrais déjà très bien dans ton personnage.
— Comment tu as su pour...
— Inès n'arrêtait pas d'aboyer comme une chienne enragée ! On l'entendait depuis l'autre bout du couloir. J'ai tout de suite compris. Ah, sacré Driss...
— Je ne sais pas pourquoi c'est arrivé aussi vite, mais je ne voulais pas lui faire de mal.
— Peut-être que c'est vrai, en tout cas tu ne peux pas nier le fait que tu étais excité par la situation.
— Putain de merde ! Mais non... je ne suis pas comme toi, ferme-là !
Je ne sais plus ce que je raconte. Je sens simplement une pression me monter à la gorge et qu'il faut que je la dégage par tous les moyens.
— Toi et moi, on est pareils, mon pote ! Pourquoi se leurrer ?
Je n'en peux plus d'être comparé à un porc de la première espèce. D'abord le coup des infos qui me traquent jusqu'aux os en pensant que je suis le meurtrier et voilà que ce gros lard insinue que je suis un violeur, comme lui !
C'en est trop pour moi. Je me lève du sofa et tente de lui placer une droite. Chose complètement inutile. Terence a des réflexes de malade et je venais de boire de l'alcool. Je comprends comment il a réussi à tenir en laisse les trois filles, maintenant. C'est qu'il s'habituait aux coups en traître.
Il se sert de mon poing pour me ramener jusqu'à lui, et avec sa patte d'ours, une clé de bras qui me cloue au sol. Et pour être sur que je n'arrive pas à me débattre, il finit par s'asseoir sur moi. Je n'ai jamais autant hurlé de toute ma vie.
— Prends le temps de te calmer, mon gars. Tu viens de comprendre que tu valais pas mieux que moi, t'as besoin de décompresser. C'est normal.
— Argh ! Lâche-moi !
— En fait, non. Je vais te dire une chose, Driss...
Je sens sa pression me broyer la cage thoracique, mon corps s'enfonce un peu plus dans le sol. Terence relâche davantage ses muscles. Il ne manque plus qu'il se mette à péter brusquement sur mon visage. Son trou de balle sent la fosse septique.
— Je t'ai donné tout ce dont tu as rêvé en secret, tout ce dont tu as salivé comme moi. Arrête de le nier, tu as eu de la chance en croisant ma route !
— Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ?! En quoi c'est une chance de me séquestrer dans une maison, isolé de tous mes amis et de ma famille ?! Comment je pourrais me montrer reconnaissant ?!
— Parce que grâce à moi, tu as pu faire des choses qui t'auraient été tout simplement impossible dans le monde extérieur ! Voilà pourquoi ! Et c'est loin d'être terminé...
Pour la première fois, sa voix grimpe d'un cran. Je me tais, surpris par sa colère – et c'est qu'il respire bruyamment sur moi, mes vertèbres le sentent tendu.
— Tu crois que je ne voyais pas la souffrance que tu endurais ? On avait le même regard, ce putain de désespoir qui pouvait se lire sur notre face quand une jolie fille passait devant nous. Elle sentait bon, ses fesses rebondissaient dans un jean intentionnellement trop skinny pour qu'on apprécie leurs formes. Qu'on les observent se dandiner sans pouvoir ne serait-ce que poser un regard intéressé. Sans pouvoir admirer.
— Terence...
— Non ! Tu sais ce qu'on ressent, à ce moment-là. La vie fait des privilégiés, Driss. Elle est injuste. Et c'est pour cette raison qu'elle nous lance des regards noirs, plein de haine lorsque c'était nous qui portions un regard trop intéressé à ses formes généreuses, à son visage, à son sourire. Mais quand il s'agit du petit connard sportif qui baise en abondance sans se soucier des sentiments des filles qu'il touche, là c'est parfaitement normal ! Lui peut tout se permettre. Et tu sais pourquoi ?
— ... par pitié, lâche-moi !
— Uniquement parce qu'il est beau et musclé ! Nous voilà revenu en plein règne animal. Un règne où seul le plus fort des loups aura droit au troupeau de femelles hardies par sa puissante masculinité, une masculinité écrasante qui réduiraient les autres mâles à la masturbation et la servitude.
Je hurle toutes les larmes de mon corps, ça ne faisait rien. Terence part trop loin dans sa diatribe.
— Je t'ai beaucoup admiré, au début de l'année. Vraiment ! Je me rappelle de toi, l'an dernier, lorsque nous étions en première année de droit. Tu étais toujours discret et tu essayais de te procurer le moins d'ennuis que possible. Mais ce qui faisait le plus de mal, c'était de te voir baver sur l'autre sans avoir de geste en retour. Quand je voyais ton regard assoiffé sur elle, je comprenais que nous étions les mêmes. Je me suis pris d'empathie pour toi ! J'avais vraiment envie que tu réussisse avec elle, du fond de mon coeur !
— Elle ? C'est qui, elle ?
— Si seulement tu avais réussi à sortir avec elle, tu m'aurais prouvé que tout était possible. Qu'un bêta pouvait tout de même s'attirer les faveurs des femelles sans pour autant posséder les caractéristiques de l'alpha.
Attends, est-ce qu'il vient d'utiliser les mêmes termes que moi ? Ça ne peut pas être possible. Alors, il l'aurait vu, lui aussi... cette loi sinistre à laquelle on était obligé de se soustraire ?
— Tu étais tellement désespéré que tu t'es mis au sport pour essayer de lui plaire, pas vrai ?
— Quoi ? Mais, Terence... comment tu as...
Je n'arrive plus à respirer, l'air se compresse dans une promiscuité inquiétante à l'intérieur de mes poumons.
— Lorsque tu m'as parlé, l'autre jour, sur le parking avant le cours de Droit Constitutionnel, j'ai vu ton plat de riz-dindes. Un classique dans l'alimentation quand on veut prendre des protéines sans consommer trop de calories. Le goût est vraiment sec, je n'ai tenu qu'une semaine comme ça et j'ai abandonné. Que ce soit dans les exercices ou dans l'alimentation, je savais que j'allais pas y arriver.
— Avec un peu de discipline, on peut tous y arriver. Je te le promets.
— Ça n'a plus aucune importance ! Maintenant que j'ai les trois membres en ma possession, je n'ai plus besoin de faire des efforts insurmontables pour les sois-disants Miss Parfaites ! À croire que leurs corps les exemptent de toute responsabilité et leur permet d'exiger des hommes impossibles à avoir !
— De qui tu parlais, tout à l'heure quand tu évoquais une fille. Je ne comprends pas...
— Inès, bien sûr ! Tu es amoureux d'elle. Ça saute aux yeux !
Mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Déjà que je n'arrive pas à respirer, mon accélération cardiaque ne facilite pas la tâche.
Et maintenant, qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire ?
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