Chapitre 13 - Une mauvaise nouvelle
Une palpitation m'ôte brusquement de mon rêve. J'étais en compagnie de ma mère dans un chic restaurant quatre étoiles. On attendait mes amis qui avaient fait tout le trajet depuis chez eux – et ils venaient de loin, dans mon rêve. Tous venus célébrer la fin de ma licence de droit. Et le plus étonnant, dans ce rêve, fut la présence d'Inès à mes côtés.
C'est à ce moment précis que j'ai compris que j'étais bel et bien en train de rêver. Pendant que ma mère portait un toast sur mes voeux de réussite, Inès en profitait pour me glisser une main sous la ceinture, à l'abri des regards au contrebas d'une table.
Je la voyais faire mais ne ressentais aucune sensation, c'était comme si elle ne me caressait pas avec sa main. Je ne sentais que le fruit de mon excitation : une pulsation cardiaque qui me ramène à la réalité.
Il n'y a aucun rapport entre les petites attentions d'Inès – bien qu'elles soient fictives – et les martèlement à ma porte qui ont les mêmes effets sur moi. Ils sont, en réalité, les seules effets qui me permettent de me réveiller.
Je regarde, les yeux à demi-ouvert. J'ai déjà renoncé à mon matelas douillet, la face écrasé de mon visage ressort avec une pâleur effroyable. Le sang a toujours du mal à circuler dans la partie gauche de mon visage – celle qui s'est endormi sur un sol de ciment.
La porte s'ouvre lentement, je regarde par l'infime trou de lumière qui traverse la chambre noire. Un éclat m'indique qu'il fait jour mais que le temps est froid. À travers cette atmosphère glaciale, c'est Terence qui apparaît trempé de la tête aux pieds. Il est emmitouflé d'un imperméable dont le voile d'ombre masquait son visage. Seuls deux orifices rouges se distinguaient des ténèbres. Il a ce don de me déstabiliser rien qu'avec son regard.
Et bien qu'il respire bruyamment, le geôlier semble essoufflé. Ainsi il s'est précipité dans la maison et le premier réflexe qu'il a eu était de venir voir si je ne m'étais pas échappé ? Étonnant, je pensais qu'il n'y avait aucune faille dans son écosystème. Il en a même gardé son imperméable qui parsème son sillage de gouttelettes.
— Alors, champion, bien dormi ?
C'est la seule chose qu'il trouve à me dire. D'ailleurs je suis pratiquement sûr qu'il se moque de moi. Oui, merci Terence ! C'est super « cool » de dormir dans une pièce qui n'a aucun éclairage, me livrant à mes cauchemars et pensées les plus sordides pendant que ma colonne vertébrale encaisse le sol durant toute une nuit. Franchement, c'est le top ! On ne peut pas rêver mieux !
Le pire c'est que je commence réellement à m'habituer à ce mode de vie. Depuis la confidence que Rosie m'a faite, je me suis assuré de dissimuler l'arme dans la pile de vêtements propres qu'elle avait posé au coin de ma cellule. Je sais qu'il n'irait pas la chercher jusqu'ici, parce qu'à première vu lui-même penserait qu'il n'y a absolument rien à cacher dans une pièce vide. Il sous-estime ma jugeote, et ça lui coûtera très cher, un de ces quatre...
— Une petite sieste, disons que ça change les idées, répondis-je d'un air sarcastique. Et toi, pourquoi tu es venu ici en courant ? Tu as peur que je m'enfuis ?
— Je vois que tu as fais la connaissance de Rosie, dit-il en regardant les vêtements entassés derrière mon dos.
Mon coeur manque brusquement un battement. Mais je pousse un soupir intérieur lorsque qu'il se concentre à nouveau sur moi.
— Le reconnaissance, tu veux dire... Tu oublies qu'on est tous dans la même classe.
— Était, corrige le jeune homme avec un sourire élargi. Tu as conscience que vous ne sortirez jamais d'ici ?
— Je ne comprends toujours pas ce que tu me veux, à la fin...
— J'ai pourtant été clair, Driss. Si tu t'étais mêlé de tes affaires, rien de tout ça ne serait arrivé. À l'heure actuelle, tu serais avec ta famille et tes amis, à profiter du week-end devant un bon repas ou dehors à parler de tout et de rien avec tes imbéciles de potes.
Je sens de la haine dans ses propos. Ça me percute au visage au point que je chancèle en arrière.
— Et toi même ? Que penseraient tes parents s'ils savaient tout ce qui se trame chez toi ?
— Je n'interdis pas la parole, chez moi. Mais s'il y a bien une chose qui t'es déconseillé, c'est de me parler d'eux...
Il sort un révolver – sensiblement similaire à celui que Rosie m'avait donné – et le pointe en direction de mon front.
— Eh bah, vas-y ! m'exclamais-je en sachant très bien qu'il n'allait jamais le faire. On sait tout les deux que si tu devais me tuer, tu l'aurais déjà fait depuis longtemps. Tu ne prendrais pas ce risque avec tous les dégâts que tu as déjà causé sur l'autoroute.
Je viens de toucher juste. Les yeux injectés de sang du boeuf en face de moi prennent une tournure bien plus hilarante. Similaires à des balles de tennis, elles s'arrondissent presque innocemment face à moi.
Terence abaisse son arme et passe une main derrière sa nuque.
— Monte au rez-de-chaussé. On va pas tarder à passer à table.
Sa voix roque s'estompe pour laisser place à ses bruits de pas. Il marche avec une telle nonchalance que j'en ai presque de la peine pour lui. Terence s'initie dans le domaine d'un psychopathe, mais certainement pas en tant que tueur en série. Tuer ne faisait pas parti de ses plans, il n'a pas encore l'audace de le faire. Et je m'en suis rendu compte hier, lorsqu'Inès lui parlait n'importe comment.
J'hésite encore sur la question, car s'il n'est pas capable d'ôter la vie volontairement, il peut cependant torturer. Je repense au bras de Nahla et imagine qu'elle a du payer le prix de son insolence dans des circonstances qui me sont inconnues.
Et pour Fred, ce n'était pas intentionnel, mais il devait forcément s'y attendre, cet abruti. Il avait réussi à percuter ma voiture sans se faire toucher, mais il n'a pas pensé à l'impact qu'il pouvait provoquer avec mes amis et moi.
Tout prend sens lorsque je monte les marches des escaliers et que j'arrive au salon. Il commence d'abord par faire les quatre cents pas dans la maison. Mon coeur fait un bond lorsque j'aperçois Rosie dans la pénombre de la cuisine – elle attend qu'il parte dans le sens inverse pour me décocher un clin d'oeil que je lui rend sans réfléchir.
Terence semble torturé par ses démons, et je ne me fais pas d'idée. La première action qu'il effectue, après sa longue méditation qui s'exprimait par sa bougeotte affolante, est de s'asseoir sur le canapé.
— Rosie, télécommande !
Je ne suis qu'un spectateur dans cette pièce de théâtre qui tente d'imiter une vie de famille traditionnelle. Je la vois se précipiter à grands pas dans le salon pour prendre une télécommande posée au chevet du canapé. Sérieusement, Terence ? T'as juste à tendre la main pour l'attraper. Tu es si fainéant que ça ? À moins que tu ne veuilles abuser de ton pouvoir. Juste après, Rosie baisse la tête lorsqu'elle passe à côté de moi – elle me traverse presque – sans faire un bruit. Seuls les tintements d'ustensiles m'indiquent qu'elle est bien retourné en cuisine mijoter ses plats.
— Rosie, quand tu as fini, n'oublies pas de mettre le petit cadeau que je t'ai pris, hier.
— D'accord, répond la jeune femme d'une voix terne.
— D'accord qui ?
— D'accord, mon sucre, se corrige la jeune fille avec une voix mielleuse.
Je fronce les sourcils, abasourdi par la scène. Ils imitent à perfection un couple en ménage depuis une vingtaine d'années, avec un homme attentionné qui sort du travail et comble sa dulcinée de cadeau quand de l'autre côté, cette même épouse s'assure que le repas est toujours délicieux et que la maison se tienne propre.
Terence repose son attention sur la télé. Il se penche tout en grattant les poils sa barbe peletonnée, formant pleins de petits trous sur son visage avec des boules de poils qui lui collait partout sur la mâchoire et les joues.
Il se prend d'une vilaine rage de dent – comme s'il essaye de sourire par défaut – lorsqu'il met la chaîne du journal local.
Je ne l'ai jamais vu aussi concentré de toute ma vie, plus que lorsque qu'il m'avait kidnappé sur cette fameuse autoroute.
Tu n'es pas un tueur, Terence, ce qui s'est passé sur cette autoroute, tu ne l'avais pas calculé. Tout ne cesse de se confirmer dans ma tête lorsque je vois la diffusion de celle-ci en direct d'un hélicoptère. Lorsqu'il fait un gros plan sur la voiture de Morgan, complètement retournée, je ne peux m'empêcher de racler ma gorge.
Le plus déchirant reste le témoignage des familles de Fred et Alain qui pleurent à en mourir depuis le poste de télévision.
« Je n'arrive pas à croire qu'il soit mort comme ça ! s'exclame sa mère dont les sanglots masquaient quelques bribes de ses mots. J'ai toujours été claire avec lui sur les accidents de la route... »
Je lâche un profond soupir et commence à imaginer les journalistes braquer l'objectif sur mes parents. Je crois que je ne supporterai pas plus longtemps cette interview. Voir ma mère et mon père pleurer, se tordre de douleur, à essayer de me trouver sans pouvoir leur donner ma position exacte, leur dire que j'étais là, sous le joug d'un psychopathe.
« ... je veux qu'on retrouve ce lâche et qu'on le fasse payer le lâche qui les a entraînés dans ce précipice. Je veux le retrouver derrière les barreaux, ce monstre doit payer ! »
Soudain, ma respiration se coupe et je bondis de ma chaise en entendant la mère de Fred s'exprimer. Comment ça « ce lâche » ?
Terence et moi nous échangeons un regard au même moment. La tension est à son comble. À qui faisait-elle réellement allusion ?
— Êtes-vous d'accord pour dire que le conducteur de la voiture a commit un délit de fuite ?
— C'est ce que mon avocat ne cesse de confirmer ! s'exclame la dame dans sa voix tremblante.
Je reste face au poste télé, bouche bée. Une sensation de froid m'envahit de tout le corps et Terence me répond avec un sourire goguenard.
Alors, ils me cherchent, aussi ? Mais pas pour les raisons que j'imaginais.
— Driss Truchet, c'est bien son prénom ? demande la journaliste dont je reconnais la voix, celle qui était venu m'interviewer après la disparition d'Inès.
La loi française stipule que l'on est innocent jusqu'à preuve du contraire, mais j'ai la nette sensation que le procès donne déjà son dernier verdict à travers cette édition spéciale du journal local. Terence, aux premières loges de ce jugement, assiste avec jubilation aux membres du jury. Je le vois prendre son portable et réagir au hashtag #AffaireTruchet en confirmant les jubilations de la dame avec une sincère condoléance et une dévotion à retrouver le coupable.
— Regardez ces gens qui vous soutiennent aux quatre coins de la Martinique, vous n'êtes pas seule, madame Harris, tente de l'assurer la journaliste.
Les messages de soutient – ou plutôt de menace pour moi – commencent à défiler en boucle au bas de l'écran. L'éthique de la chaîne les forcent à censurer les propos déplacés de certains commentaires, mais il me suffit d'une lettre pour comprendre l'ensemble du message qui m'étais destiné.
La réaction de madame Harris doit être la chose qui me fend le plus le coeur. Comment pouvait-elle penser que je serais capable de prendre la fuite après avoir « accidentellement » tué son fils ? Tenter d'appeler les secours, c'était le premier réflexe que j'avais eu – en vain – avant même que Terence ne me kidnappe. Quant à lui, le voir tout sourire se détacher de toute responsabilité par je ne sais quel deus ex machina du destin me rend fou de rage. Je ressens la pulsion de descendre les marches de l'escalier et prendre le pistolet que m'avait confié Rosie.
Madame Harris a la bonne cinquantaine. C'est une femme sans histoire qui partait régulièrement en voyage d'affaire et qui laissait son fils seul dans un appartement de cent douze mètres carrés une fois qu'il avait atteint sa majorité. Un appartement situé non loin du campus dans lequel Alain faisait des va-et-viens avec sa chambre universitaire pour passer le peu de temps qu'il gardait pour elle. Je ne la connais que depuis l'an dernier mais je sais à quel point cette femme à le coeur sur la main. Lorsque je passais rendre visite à Alain chez sa mère, il était impossible que je reparte les mains vides. Alain avait un nombre pharamineux de connaissances mais une poignée d'amis, une poignée parmi laquelle je comptais et en qui sa mère plaçait une confiance inébranlable.
La voir se retourner contre moi, sans se poser de question, me fait l'effet d'un électrochoc. Toute la confiance qu'elle avait construite à mon sujet vient de s'envoler en éclat – l'âme de son fils avec.
Je continue d'écouter la journaliste présenter le direct mais mes yeux sont déconnectés de la réalité. Un voile flou me fait face alors qu'un sifflement résonne à mes tympans. Je pense être à deux doigts de faire un AVC, je n'arrive pas à y croire.
— La question qu'on se pose tous est de savoir où ce dégonflé a-t-il bien pu aller ?! s'écria l'un des passants qui venait de garer sa voiture non loin de la zone balisé, sur l'air même de l'autoroute.
Je sens bien que la question n'est pas anodine. Les gens qui cerclent la zone ont commencés à murmurer bruyamment, si bien qu'on aurait dit un essaim d'abeilles. Je ferme les yeux et les plissent avec rage. Je prie pour que l'un d'entre eux comprenne ce qui m'est arrivé.
— D'après certaines informations de dernière minutes, le suspect n'aurait pas encore le permis de conduire ! s'exclame la journaliste en pressant son oreillette avec fermeté.
— Le fumier ! hurle l'un des hommes révoltés de la foule.
— C'est pour ça qu'il a prit la fuite, c'était quitte ou double, pour lui ! Il faut retrouver ce danger public ! vociféra un autre.
— La Martinique est petite, on va forcément finir par retrouver ce minable... continue l'un des gendarmes sur les lieux.
Je sors de mes pensées en le voyant apparaître à l'écran. C'est l'un des hommes que j'avais interrogé concernant la disparition de Nahla, peu de temps avant d'avoir fouillé les derniers magasins où elle avait mit les pieds. Fred et Alain m'accompagnaient, ce soir-là.
— Ne vous en faites pas, madame, nos agents sont sur le coup.
La journaliste reprend l'attention du caméraman et clôture le direct.
— En espérant que cette nouvelle affaire ne traîne pas en longueur, nous souhaitons bonne chance à tous les policiers et bon courage pour la suite des évènements qui promettent d'être époustouflants ! C'était Natasha David, à l'antenne !
La télé s'éteignit sur un zip final, me laissant à la réflexion, les mains jointes, le dos voûté sur ma chaise, à me demander ce qui pourrait encore m'arriver de pire.
Je vivais un enfer, ici et maintenant, c'est pire encore, personne ne m'attend, dehors. Ils veulent tous ma peau.
Je suis l'homme à abattre, bien avant Terence. C'était désormais moi contre le reste du monde.
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