Chapitre 12 - L'arme de l'amour
Rosie venait de rendre mon séjour en enfer plus agréable. Je n'arrive pas à chasser son corps de mon esprit, et je n'en ressens pas l'envie. Bien au contraire.
Toujours me tenant en seuil de la porte, je remarque un peu tard que les chaines et cadenas qui me condamnent autrefois avaient disparu. Je songe à un piège de Terence. On peut s'attendre au pire venant de lui.
L'odeur d'urine me poursuit malgré les cent pas que j'effectue en rond dans la pièce. Je commence à fatiguer et m'écroule sur la chaise. Le bout de mon sexe pendouille au bord du siège. Le bois des piètements continue de grincer à mes chevilles alors je décide de me lever avant de casser quelque chose.
J'ai envie de traverser ce couloir mais je suis nu. Rosie avait l'air détendue lorsqu'elle m'a assuré qu'il n'était pas dans les parages. J'aurai peut-être le champ libre pour m'enfuir...
— Zut !
Je ne peux pas partir sans mes vêtements et j'empeste l'urine.
Puis je réalise. S'il y avait un moyen, les trois filles se seraient enfuit depuis bien longtemps.
Je regarde le couloir depuis ma chambre. Je repense une dernière fois au corps de Rosie et ses dernières paroles.
Il faut que j'essaye.
Je traverse en hâte sans me retourner, le cœur cognant dans ma poitrine. J'entends mes pieds nus claquer bruyamment sur le sol, me demandant s'il l'avait entendu lui aussi.
— Rosie, m'a assuré qu'il n'était pas là. Aucune raison de s'inquiéter.
L'ombre m'assaillit lorsque j'arrive devant la porte. C'est à peine si je distingue la poignée. Je retiens une dernière fois ma respiration, le torse bombé et hésite.
— Putain, je ne peux pas continuer à vivre comme ça !
Ma main s'abaisse toute seule et la porte s'ouvre. Des escaliers à limon centrale me surpasse devant moi. Les marches rouges et la poutre noire montre un design assez gothique qui me fait froid dans le dos.
— Il a du goût, ce Terence...
Je les monte quatre à quatre dans un effort manifeste. Arrivé à la moitié du parcours, je sens mon mollet se tordre. C'était ma jambe blessée. Elle vient de céder sa place à une crampe.
— Putain !
Je me mords la main pour éviter de hurler et signaler ma présence.
— Bordel, va falloir sauter.
J'ai envie de tout lâcher et retourner au sous-sol. Je me défigure en voyant le reste des marches mais en repensant à tout ce que j'ai vécu, l'abandon ne peut pas faire partie de mes options.
Je me mets à quatre pattes et commence à m'allonger sur les marches. Je rampe jusqu'en haut, par la seule force de mes bras.
Une fois face à la porte, je tourne l'autre poignée. Le canapé que j'ai vu la première fois me surgit en pleine face. Il est plus clair, maintenant que le soleil traverse les fenêtres de la maison.
— Oh putain... oh putain...
Je réalise que la porte de sortie se trouve à quelques mètres de moi. Il faudra être discret. Tout me semble calme pour le moment. Le poste télé est en veille, la table basse n'occupe aucun verre encore frais, ni aucune assiette. Personne n'occupe le salon. Je tourne la tête sur ma droite et constate une sorte de nain de jardin collé au mur sans que je ne me demande pourquoi ce choix de décoration.
— Ce type est suffisamment farfelue pour coller un nain de jardin sur le mur de son salon...
— Et toi, tu es assez stupide pour croire que tu avais une chance de t'enfuir comme ça !
Sur le coup je n'arrive pas à identifier la voix en question qui me serpente le dos. Je reste figé comme une statue.
— Le nain que tu vois juste ici est en fait une caméra de surveillance. Si tu regardes bien au niveau de ses iris, tu verras qu'il y a deux petites lumières rouges qui pivotent d'un bout à l'autre de la salle.
Rosie apparaît devant moi, un panier de linge plaqué sur sa hanche.
— Tu crois qu'on n'a pas déjà essayé de s'enfuir ? Méfie-toi de cette maison, elle est barricadée jusqu'à la moindre persienne.
— Oh, non, Rosie ! Pitié, ne me dis pas ça...
Je m'écroulé, désemparé de savoir qu'il n'y avait aucune issue mais je suis soulagé de l'entendre de sa bouche plutôt que de celle de l'autre. En jetant un deuxième coup d'œil, je me rends compte des barreaux en métal accrochés à chaque fenêtre qui m'entoure. Bien évidemment, Terence. Comment ai-je pu te sous-estimer à ce point ?
— Tu veux prendre une douche ? me demande-t-elle.
— Ça ne serait pas de refus.
Elle pioche une serviette dans le panier à linge et me l'envoie dans le visage.
— Au fond à droite, et tu prends la deuxième porte du couloir.
— M-merci...
Rosie passe devant moi et m'effleure le sexe avec sa main.
— N'hésite pas à utiliser le gel douche. J'adore les fruits rouges...
Mon corps n'arrive pas à refuser une érection et elle l'avait remarqué, toute sourire.
— Rejoins-moi dans le sous-sol, lorsque tu auras fini. J'ai une petite surprise pour toi.
***
Je me place sous le pommeau et ferme la paroi en verre sur moi-même. Je glisse la commande d'eau froide au maximum avant de lâcher un soupir lorsque les premiers jets me pleuvent dans les cheveux. Je respire régulièrement et profondément. La tête vers le bas, je vois le fluide jaunâtre se décolorer avec l'eau avant de se faire aspirer par le receveur.
L'eau me traverse le corps et j'arrive à m'imaginer ailleurs lorsque je ferme les yeux. Dans une chambre parfaitement impeccable. Rosie et moi étions en train de regarder l'une des dernières séries à l'eau de rose du moment jusqu'à l'acte final où les deux protagonistes s'embrassaient dans un tendre et langoureux baiser. Elle est assise sur moi, totalement allongée, et penche sa tête en arrière, attendant probablement son tour.
Ou encore, le jour de notre mariage. Après avoir échappé aux griffes de Terence. Je vois Alain et Fred m'applaudir. Ma mère, qui approuverait sa beauté et sa douceur, m'accorderait moult bénédiction. Mon père, convaincu de mon homosexualité à cause de ma vie amoureuse d'adolescent inexistante, se ravirait à l'idée de savoir qu'il allait un jour être grand-père.
Lorsque mes enfants – ou plutôt nos enfants – me demanderont comment j'ai rencontré leur mère. Et que je leurs répondrai avec fierté que je l'ai sauvé des griffes d'un psychopathe. Que notre lien s'est tissé dans les épreuves des plus compliquées qu'ont aient jamais eu à affronter.
Je ne voyais qu'elle et moi. À toute époque. De notre rapprochement dans la chambre unique, jusqu'à notre lit de mort simultané, tous deux, assis sur la terrasse de notre maison dans les chaises balançoires que les vieux aimaient acheter pour leurs derniers jours. Elle ferait du tricot, je lirais le journal avec, moi aussi, une paire de lunettes ajustée à ma vue défaillante.
L'odeur d'urine s'est dissipée dans les conduits, je l'ai remplacé par la senteur aux fruits rouges du gel douche posé sur ma droite.
J'enroule la serviette autour de moi et descends jusqu'au sous-sol. Je sens l'adrénaline me taper aux oreilles à mesure que mes pieds touchent les marches des escaliers.
Rosie. Son visage. Ses yeux lorsqu'elle m'a pris en flagrant délit. Ses hanches. Ses fesses. Ses mains douces aux ongles parfaitement limés. Ses lèvres. Ses pieds nus qui baladaient dans la maison de part et d'autre avec une élégance qui ne m'avait été jamais donné de voir... Ça me choque de l'admettre, mais de toute ma vie, c'est finalement la seule fille qui ne m'a jamais autant dévoré du regard et accepté avec complaisance l'idée que j'étais attiré par elle.
À travers mes paupières à demi-fermées je planais dans mes pensées quand soudain je distingue une silhouette se rapprocher du seuil de la porte au fond du couloir. Je pense à Rosie, mais un bruit de cliquetis étrange se manifeste sous un raclement de gorge.
Je pense à Terence, mon stress atteint une telle intensité que je suis pris de nausées. Terrifié à l'idée de ce que je vais découvrir, j'écarquille mes paupières tremblantes.
Une table apparait au centre de ma cellule, à son milieu, un lampe digne des postes de commissariat éclaire le cadre dans une atmosphère malsaine. Ses grésillements me provoque une gène aux oreilles tandis qu'une partie du corps en verre qui la forme semble immaculée d'une tâche brune et desséché.
Rosie est penché, les mains appuyées contre cette même table, se mordant la lèvre inférieure.
— Rosie ? dis-je d'un timbre de voix incrédule. Mais qu'est-ce que c'est que tout ça ?
Je sais très bien ce qui traîne sur la table, juste au contre-bas de sa poitrine.
— On ne sait jamais, dit-elle d'un timbre de voix à peine audible.
Elle se racle la gorge encore quatre fois avant de reprendre, comme si l'idée qu'elle tient à me proposer lui parait déplacée.
— Si Terence t'obliges à faire quelque chose de déroutant, tu pourras toujours le prendre par surprise et faire la différence avec un coup de feu...
— Comment ça « avec un coup de feu » ? Tu veux dire que l'arme n'est pas chargé au max ? la regardais-je avec des yeux de désespoir.
— Je ne pouvais pas remplir le chargeur, balbutie Rosie d'un air incertain. Terence allait se douter qu'il lui manquait un chargeur. C'est déjà un miracle qu'il m'ait laissé une arme.
— Mais elle était vide, non ?
— Oui. Je pense qu'il me l'a donné pour voir si j'osais la retourner contre lui et il s'est assuré qu'elle n'était pas chargé.
— Et comment tu as su qu'elle n'était pas chargé ?
— À son poids, admet Rosie écrasant un pied contre l'autre, pressant son gros orteil contre les autres. Je... mon oncle travaillait dans l'armurerie d'un centre pénitencier après sa carrière de militaire, alors ça me connait...
— Et ça, il ne le sait pas ?
Rosie secoue de la tête en fermant les yeux, se mordant les lèvres plus intensément.
— Parfait ça ! En tout cas merci pour tout.
— N'hésite pas à prendre les décisions qui s'impose si tu vois la moindre opportunité.
Son timbre de voix change de quelques octaves. Il sonne plus franc et glacial. Je ne sens plus les tremblements dans sa voix mais une amertume mélangée à un sentiment de vengeance. Un sentiment qui fermentait entre les quatre coins de cette maison maudite.
— Où sont les autres filles, maintenant ?
— Toujours dans leurs cachots... elles sont punies, en quelque sorte.
— Pourquoi ça ?
— Je n'en sais rien, mais il est très rare que Terence les laissent sortir.
Elles doivent être problématiques. En voyant Inès se débattre comme une tigresse, hier, je comprends mieux pourquoi Terence ne préfère pas les laisser en liberté dans la maison. Ça doit être épuisant de gérer des tempéraments déterminés, même pour un geôlier comme lui.
— Je sais que ce n'est pas très romantique de dire une chose comme ça, mais des trois, je pense que tu es la plus adorable... c'est peut-être pour ça qu'il te laisse te déplacer dans la maison comme bon te semble.
— Merci, dit-elle avant de se lécher la lèvre tout en évitant mon regard (je comprenais ma bourde). Je dirais qu'il me fait un peu plus confiance que les deux autres filles...
— Tu n'as jamais tenté de t'enfuir ?
Rosie prend le pas jusqu'à la porte et s'appuie contre l'encadrement, le regard plongé sur l'obscurité du couloir lugubre.
— On est sans issue. À quoi bon essayer de sortir d'une maison balisé et trafiqué jusqu'à sa base ? Terence est très loin d'être bête, et j'ai eu l'occasion de le comprendre lorsque j'observais les différentes tentatives de fuite que Nahla testait.
Je la dévisage avec un air perplexe. Ma respiration se hache toute seule – on est loin des papillons que je ressentais autrefois dans le ventre – avec une légère pression au niveau de l'estomac, comme si je vais lâcher une énorme commission. Mais ça n'a rien à voir. Le stress se tenait en tant que chef-lieu de mon corps à l'instar de Rosie qui s'investit dans son rôle de « maitresse de maison » au sein du domaine lorsque le monstre n'y était pas.
— Il a toujours un coup d'avance, ça en devient presque un jeu pour lui, de nous voir tenter de nouvelles choses. C'est comme s'il assistait à un spectacle ou un vulgaire jeu de simulation.
Je sais que le stress m'envahit et exerce une pression intérieur insupportable. Mais je ne peux me résoudre à laisser Rosie se morfondre dans ses pensées.
Je pose une main sur la tienne – toujours agrippée au rebord de la porte – et l'enlace contre la mienne.
— Merci pour tout, Rosie... Je crois que ma vie ici serait un véritable enfer, sans toi.
— Ne t'en fais pas, m'assure-t-elle pendant que je lui colle un bisou sur le front. Fais-moi juste une promesse...
Elle n'est pas réceptive à mes caresses, mes bisous, ni même mes mains sur ses fesses élégamment fermes. C'est comme si je ne faisais rien ou que je tâtonnais un cadavre.
— Il faut que tu sois discret. Sous aucun prétexte Terence ne doit savoir que je t'ai donné cette arme !
— Compte sur moi, dis-je avec un élan de sincérité. Tu n'avais même pas besoin de me le demander, crois-moi ?
— Vraiment ?
Cette lueur écarlate que je lis dans ses yeux me donne un regain de papillon dans le ventre. Jamais une fille ne m'avait regardé avec une intensité pareille. Rosie m'avait confié plus qu'un simple pistolet, c'était sa vie que j'avais entre les mains – notre vie. Et il est hors de question que je détruise ça en dépit d'une simple maladresse.
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