Chapitre 13


Le temps est maussade. Je suis en train d'exagérer peut-être, mais j'ai l'intime conviction que l'air à Toronto est moins respirable que celui de Montréal. Je prends néanmoins une grande bouffée d'air avant de rentrer dans le grand immeuble.

J'ai essayé le plus possible de ne pas imaginer comment sont les bureaux du cabinet GRD, Inc. Je ne veux être ni déçu ni surpassé. Alors, c'est mieux de garder l'esprit ouvert.

Mes mains deviennent de plus en plus moites à mesure que l'ascenseur dans lequel je me trouve se remplisse. Tous ces gens chics, bien costumés et bien parfumés, vont-ils au même endroit que moi? Ont-ils remarqué que je ne suis pas aussi chic qu'eux? Me jugent-ils en ce moment même?

Ces questions me font non seulement suer à grosses gouttes, mais elles me font aussi douter de moi-même. Depuis quand je ne me contente pas de ce que j'ai? Depuis quand je m'occupe de ce que les gens vont penser de ma situation économique?

« Exactement, je pense, tu t'en fous. »

L'ascenseur commence à se vider de la même manière qu'il s'était rempli quelques instants plus tôt. Rapidement, je me sens soulagée de me retrouver seul là-dedans. J'attends avec impatience le 19e et dernier étage, là où se trouve mon nouveau travail.

Une fois rendue, je sors d'un pas lent en lisant doucement ce qui est écrit en gros sur la porte : GRD, Inc. Voilà, un nouveau chapitre de ma vie va commencer et je ne peux plus faire marche arrière.

Je tourne le poignet de la grande porte en acajou et je pénètre d'un pas incertain dans le cabinet. À première vue, la place est presque déserte. Il y a un gros bureau en plein milieu d'une grande pièce entourée d"une baie vitrée. Ensuite, il y a 6 portes le long d'un couloir. Je me dirige vers ses portes en cherchant le nom de la personne qui m'a engagée.

Davis : un écriteau est écrit sur la troisième porte. Presque timidement, je toque à la porte en priant qu'il soit là.

Après quelques secondes d'attente -secondes pendant lesquelles personne ne me répond- je commence petit à petit à être furieuse. C'est pourtant lui qui m'a dit de me présenter ici à 9h30!

« Comment ose-t-il... »

- Pardon, Davis dit en m'ouvrant la porte, je cherchais un dossier. Rentrez, il m'invite en se tassant.

Je rentre dans son bureau. La taille est beaucoup plus imposante que ce qu'aurait laissé croire la porte. Son bureau est rempli d'un nombre considérable de dossier. Pas assez pour déclarer que c'est un champ de bataille. Sur son bureau, un cadre de photo vide fait face à tout invité. Une horloge placardée au mur fait un bruit quelques peu insoutenable, pour finir une bibliothèque longe le ¾ de la pièce. Un bureau assez banal pour un homme aussi charmant!

- Je m'excuse pour le désordre, il commence doucement tout en continuant à chercher ledit dossier, j'avais oublié à quel point mon bureau n'était pas arrangé avant d'aller en vacances.

Je souris. Si seulement il avait vu l'état de mon salon avant que j'aie pris une disposition contre moi-même, à savoir de ne plus rapporter les dossiers du travail à la maison.

De dos à moi, il gesticule beaucoup. Ses mains farfouillent plusieurs dossiers à la fois. Je ne l'ai jamais vu comme cela –non pas comme si je l'ai vu dans plein de situation-. Il porte une chemise blanche simple, retroussée négligemment jusqu'à la hauteur du coude. Ses cheveux, toujours décoiffé habituellement, est soigneusement coiffé vers l'arrière.

Il se retourne vers moi, une main rentrée dans sa poche. Il n'y a pas de doute, ce look lui confère un côté plus professionnel, plus sérieux, plus mature...plus sexy aussi. Il fait ses 33 ans aujourd'hui.

- Ça va être notre premier dossier, il dit simplement en me tendant le dossier.

Surprise, je le lui prends des mains.

- On commence maintenant? Je demande incrédule. Il ne faut pas que tu m'apprennes des choses sur ce cabinet avant que nous commencions?

- Des choses comme quoi?

- Je ne sais pas! Des choses comme ils sont où les autres associés pour commencer.

- Ils sont à l'hôpital en ce moment...rien de grave, il s'empresse d'ajouter. Ils veulent juste s'assurer que le bébé va bien, il m'informe.

Mon cœur rate un battement... Alice King est enceinte...elle va avoir un bébé...

« Focus Lisa! »

- D'accord.

- Sinon, nous sommes un cabinet qui défend monsieur et madame tout le monde contre des multinationales. On prend tous les cas. Nous essayons le plus possible de ne jamais aller en cour. Sur les 132 cas qu'on a eu à traité jusqu'à maintenant, on a été en cour que six fois.

- Comment les gens normaux peuvent payer vos honoraires? Et pourquoi n'avez-vous pas été en cour plus que cela?

- Ce n'est pas nos clients qui paient nos honoraires. Ce sont les grands patrons des entreprises qui nous paient quand un de leurs employés ou un citoyen nous engage contre eux. Pour ne pas aller en cours, maître Roy, nous procédons de la même façon que vous aviez procédé lors de votre procès contre le lait pur. Nous frappons où ça devrait faire mal.

- Justement...pourquoi avoir défendu une multinationale?

Davis ouvre la bouche pour me répondre, mais sa porte de bureau s'ouvre violemment, laissant pénétrer un homme d'une soixantaine d'années ou plus dans le grand espace.

- Toi, tu n'es qu'un fils ingrat! Le vieux monsieur crie à Davis.

Je reconnais le vieil homme. C'est le PDG du multinational lait pur. Davis...c'est son fils?

- Tu étais censé régler la putain de problème, mais au lieu de cela, t'as laissé une pute commis d'office nous soutirer de l'argent! En plus, après, tu ne réponds aucun de mes nombreux appels et tu disparais pendant près d'un mois!

Davis jette un bref coup d'œil vers moi une fois que le vieux monsieur que je pense être son père ait fini de crier. Ce dernier suit le regard de son fils et tombe sur moi lui aussi. Je vois ses yeux fulminés de colère.

Il n'y a aucun doute, c'est moi la pute!

- Qu'est-ce que la pute fait là? le vieux grincheux demande à Davis.

Davis toujours calme, ouvre la bouche pour répondre, mais je le devance.

- Puis-je vous dire, cher monsieur, que l'utilisation du mot pute pour nommer une femme qui fait bien son travail, relève d'un jugement sexiste...en tout cas, la plupart du temps. Je pense que vous vous êtes un cas à part. je pense que vous utilisez cet adjectif plutôt vulgaire, parce que vous n'avez pas bien d'autres mots dans votre vocabulaire. Alors, laissez-moi vous apportez mon aide sur ce point. La prochaine fois que vous voudriez me nommer de n'importe quelle façon autre que mon nom, qui est Lisa Roy soit-dite en passant, vous pouvez utiliser ces noms : Lisa, l'avocate, maître, jeune femme, madame –si vous y tenez-, mais n'avisez-vous plus jamais de me traiter de pute.

Je peux carrément voir la fumée sortir des entrailles de l'ancêtre. Je me fous pas mal des noms que les gens me donnent dans la vie, mais me faire traiter de pute parce que j'excelle dans mon métier est le gravier qui ne peut pas rentrer dans la bouteille à moitié pleine.

- Elle travaille désormais ici, Davis lâche tout simplement.

C'est la goutte de trop pour le père de Davis. Ce dernier frappe rageusement sa main sur le bureau en marbre.

- Tu es la honte de cette famille, l'ancêtre finit par lâcher. Tu en entendras parler! Il conclut avant de quitter le bureau en claquant violemment la porte..

Quelques minutes de silence après le départ du monsieur, Davis rentre sa main dans sa poche et se retourne pour chercher je ne sais quoi.

- Excuse-moi? Je lâche la voix légèrement dure.

Le trentagénaire se retourne pour me faire face, un sourcil soulevé.

- Pouvez-vous si cela ne vous dérange pas trop m'expliquer tout ceci? Je le questionne en pointant la porte close derrière moi.

- Je ne pense pas qu'il y a quelque chose à expliquer, il dit calmement en me regardant droit dans les yeux. Il ne s'agit qu'un client mécontent.

- Ce client est votre père! je lâche comme si c'est un nouveau fait, même si s'en est un pour moi.

- Oui, et? Il demande ne sachant pas trop c'est quoi le rapport.

- Vous défendiez la compagnie de votre père et vous m'avez quand même laissé gagner?

- Parce que vous pensez que je vous ai laissé gagner? Il me demande incrédule.

- Je ne sais pas... M'avez-vous laissé gagner? Je le demande sérieusement.

- Vous ne serez pas ici aujourd'hui, il lâche simplement avant de se retourner vers une pile de dossier.

Je reste figé à le regarder pendant un instant. Tout cela ne fait aucun sens. J'ai fait mes recherches sur cette compagnie et son PDG. Nulle part, il était mentionné qu'il avait trois fils. Tous les médias ne parlent que de Marion Englisch et de Barry Englisch. Jamais, il n'a été question d'un certain Davis...Englisch.

À moins que c'est lui le troisième fils?

- Tu es le troisième fils, je lâche stupéfaite.

- Pourquoi ne pas commencer à traiter ce dossier? Il me propose un sourire en coin aux lèvres.

Oh mon Dieu, c'est bien lui le troisième fils.

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