Chapitre 10

Quelques minutes après avoir expliqué aux parents du jeune ce qui va se passer, ils quittent le tribunal.

- Félicitations maître, je finis par dire à Davis en le regardant droit dans les yeux Cela me tue de vous le dire, mais vous avez fait du bon boulot.

- Votre franchise m'étonnera toujours. J'espère que vous considérez vraiment à faire partir de notre cabinet maintenant.

- Je l'ai toujours considéré, je lâche avant de l'abandonner au beau milieu du tribunal.

*************************************

Debout, les mains croisées sur ma poitrine, j'observe le vieux grincheux connu aussi sous le statut de patron. Il est assis sur sa chaise, les lunettes aux yeux, à feuilleter un dossier qui a mon nom écrit en gros dessus. Ma posture me procure une sensation de grandeur, de puissance face à lui. Oui, assis sur sa petite chaise, la tête baissée et le crâne chauve, il fait carrément pitié.

Il racle sa gorge avant de lever la tête vers moi.

- Vous savez? Vous n'arrêtez pas de m'impressionner.

- Ah bon? je demande sarcastiquement.

- Oui, il répond sans visiblement remarquer mon sarcasme. Malheureusement Lisa...

- Maître Roy, je le justifie.

Il ouvre grand les yeux avant de rire à gorge déployer.

- Comme je disais tantôt, « maître Roy » vous ne cessez pas de m'impressionner, mais ce n'est pas dans le bon sens. Voyez-vous, votre égocentrisme démesuré vous conduit dans des situations de carrière peu souhaitable. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais vous êtes avocate commis d'office. Votre carrière peut finir avant même qu'elle ait commencé. Alors, pensez-vous que vous êtes en mesure de pouvoir emmener le service de police de cette ville, qui je dois le préciser aurait pu vous engager dans le futur, devant une putain de tribunal?

Mon regard reste stoïque. Il pense me faire peur avec son petit discours?

- Oui, je pense être en mesure de le faire. D'ailleurs, je l'ai fait!

Le vieillard me sourit après avoir secoué sa tête.

- Je ne sais pas si vous êtes brave ou juste stupide ma petite. Quoi qu'il en soit...

- Je suis virée? Je demande en souriant. Ce n'est pas la peine. J'ai remis ma démission avant de venir dans votre bureau.

- Votre carrière est foutue.

- Vous pensez? Moi je pense le contraire. Faire débourser une grosse somme d'argent au service de police de la ville et la faire présenter des excuses publiques à mon client seront les premiers pas vers ma grande carrière. Carrière que vous n'avez jamais eue et que vous n'aurez jamais. Ah! Ça fait tellement longtemps que cette phrase me brulait la langue pour sortir, je conclu les trente-deux dents hors de ma bouche.

- Dehors! Le vieillard hurle. Disparaît de ces bureaux et ne revenez plus jamais.

- Vos désirs sont des ordres monsieur, je lui fais savoir sarcastiquement avant d'aller dans la pièce qui me servait de bureau pour récupérer mes affaires.

Une fois dans un taxi, je demande au chauffeur de me conduire à l'adresse de ma mère. C'est un réflexe. Depuis que quelque chose se passe dans ma vie soit je vais voir ma mère, soit je vais dans un bar me saouler et ensuite raconter ma vie à un inconnu. En effet, la première option est moins pathétique que la seconde.

Une fois devant la porte de ma mère, je sonne trois fois d'un coup, la faisant savoir ainsi que c'est moi. Je ne l'ai pas informé de ma venue, alors j'ignore si elle est là ou si elle est sortie avec Lana et Ben. À mon plus grand bonheur, ma petite sœur m'ouvre la porte et saute dans mes bras.

Oui, ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu.

- Dis donc toi, tu as grandi! J'affirme en prenant sa tête entre mes deux mains pour la forcer à me regarder.

Elle secoue sa tête de droite à gauche.

- Ce sont mes souliers qui me donnent de la hauteur.

- Non, je suis sûre que tu as grandi. Bientôt, tu vas être plus grande que moi.

Elle sourit et me serre encore plus fort.

- Elle est où maman?

- Dans le jardin avec papa.

Je reste crispé pendant un moment. Je ne m'habituerai jamais à l'entendre nommer Ben de cette façon. Oui, c'est un homme super gentil. Oui, il a élevé Lana comme sa propre fille. Oui, Lana n'a connu que lui. Mais, mon père, notre père était quelqu'un de bien lui aussi. Même si Lana ne l'a jamais rencontré, il reste son père. Ben n'est pas le sien.

Néanmoins, je ne peux pas dire à un enfant de huit ans d'arrêter de considérer le seul homme qu'elle a connu comme un père. C'est à ma mère de la parler de notre père quand elle sera plus vieille. D'ici là, je vais devoir supporter que ma petite sœur renie son vrai père.

Finalement, je finis par la suivre dans le jardin. Je dépose ma grosse boite sur l'une des marches avant de me diriger vers ma mère et mon beau-père qui sont en train de dessiner dans un coin éloigné de la cour arrière.

En me voyant arriver, ma mère dépose son pinceau et avance vers moi. Ben fait de même. Ma génitrice me prend dans ses bras une fois à ma hauteur et laisse à Ben l'occasion de me prendre dans ses bras aussi.

- Je ne t'ai pas vu deux fois dans un même mois depuis tes 20 ans. Que me vaut cet honneur? Ma mère me demande.

- Arrête de la taquiner Laurane. Tu es la bienvenue Lili.

- Merci Ben.

- Bon, je vais voir si Lana n'est pas en train de surfer sur internet. Nous voulons limiter le plus possible son accès dessus.

- Je comprends, je dis compréhensive.

Ben enlève ses gants et disparaît par la porte de derrière.

- Tu veux dessiner? Ma mère me propose en reprenant son activité.

- Pourquoi pas, je lâche avant de prendre les matériaux que ma mère me tend. Je vais accepter son offre maman, je lâche quelques minutes après le début de notre activité.

- Je savais que tu allais le faire. Tu es intelligente. Tu sais ce qui est bien pour toi.

- Franchement, je ne sais pas. Maintenant, c'est trop tard étant donné que j'ai démissionné et que l'on m'a viré en même temps de la boite. Mais, sincèrement, je ne sais pas si c'est la meilleure décision que j'ai prise.

- L'avenir nous dira.

- Ouais, seulement l'avenir pourra nous le dire.

Un long silence s'installe entre nous. Un silence pendant lequel j'ai pensé à quoi pourrais ressembler ma vie à Toronto. Aurai-je une situation financière meilleure que celle que j'ai dès le début de mon arrivée? Ou bien, serai-je obligée de serrer mon budget pour pouvoir vivre? Encore une fois, seul l'avenir pourra éventuellement répondre à ces questions.

Je prends mon cellulaire de la poche de ma veste. Je compose son numéro. Après quatre interminable sonnerie, il décroche.

- Je veux signer mon contrat d'embauche, je lâche.

Pendant quelques secondes, il ne répond rien. J'entends seulement sa respiration légère dans l'appareil.

- Ce soir, 19h. je passerai te prendre.

***

- Vous êtes vraiment magnifique, Davis me complimente.

Je dépose doucement la bouteille de bière que je buvais avant de sourire. Ce soir, je ne me suis pas habillée comme une professionnelle. J'ai pris la liberté de m'habiller confortablement à savoir un jean, un T-shirt et des baskets.

- Merci. Est-ce que c'est comme cela que vous aviez embauché l'autre associée dont vous m'avez parlé?

Il rit avant de prendre une gorgée de son vin.

- Non. Enfin j'aurais pu flirter avec Alice, mais Matias m'aurait tranché la tête.

- Alice King et Matias Romney. Je me demandais si c'était un couple.

- Vous avez fait des recherches approfondies sur nous à ce que je vois.

- Quel genre de personne serais-je si je ne l'avais pas fait? Je le demande. Vous avez beau être charmant, vous auriez pu être un marchand d'être humain!

Il éclate de rire encore une fois.

- Vous êtes une femme pleine de ressource. Belle, charmante, drôle et intelligente.

- La prochaine fois, mettez l'adjectif intelligent avant tous les autres. Ça me fera plus...

Ma réplique est coupée par la serveuse qui nous serre nos deux plats. Cette fois-ci, c'est moi qui ai choisi la place de notre rendez-vous d'affaire. Je n'ai pas laissé à David le luxe de m'emmener dans un restaurant où je serais fauchée après avoir mangé quelque chose d'aussi ordinaire que n'importe quel autre restaurant. À la place, je l'ai emmené dans ce petit bistrot simple, mais chaleureux, au coin de la rue Saint-André.

- Comment vous avez dit que ce plat s'appelle déjà? Davis me questionne.

- Poutine.

- Poutine.

Je ne peux m'empêcher de sourire face à sa prononciation.

- Je l'ai mal dit?

- Pas du tout, je mens.

Je le regarde goûter à la poutine avec intensité. Étant né dans l'univers de la poutine, je ne sais pas ce qu'elle fait à une personne qui en goûte pour la première fois. C'est pour cela que je suis impatiente de savoir son impression.

- Alors? Je m'empresse de le demander.

- Ça goûte bon!

À quoi m'attendais-je? Qu'il exclame haut et fort combien la poutine goûte bon? Ou qu'il me dise qu'il n'a jamais rien goûter d'aussi bon dans la vie? Non, je m'attendais à un peu plus d'enthousiasme en tout cas.

Je me contente de sourire et de goûter à ma poutine.

- Divorcé, hein? Je finis par lâcher après un long moment de silence.

Il essuie sa bouche d'un geste gracieux qui n'est pas digne de l'endroit simple où l'on est.

- Oui, je suis divorcé.

- Ça m'intrigue, je lâche honnêtement.

- Ah bon! Pourquoi? Il me demande en se penchant vers moi et en joignant ses deux mains ensemble.

- Premièrement, je ne vous vois pas comme quelqu'un qui accorde de l'importance au mariage. Deuxièmement, vous n'avez pas l'air de quelqu'un qui a des relations sérieuses.

- Pourtant j'accorde une importance capitale au mariage. Et, quand j'aime quelqu'un, je fais en sorte qu'une relation sérieuse soit possible entre nous.

- Pourquoi avoir divorcé d'abord?

Il appuie son dos sur le dossier de la chaise et croise ses pieds.

- Parce que nous avions tous les deux changés. Nous n'avions plus les mêmes attentes de la vie. Et vous, Lisa Roy, pourquoi vous séparez de ce Ryan?

Je plisse les yeux face à l'incompréhension. Comment est-il au courant pour Ryan?

- Vous en aviez longuement parlé quand je vous ai ramassé ivre-morte dans ce bar. Davis m'éclaire.

- C'est pour à peu près les mêmes raisons que vous, je finis par lâcher avant de prendre une longue gorgée de bière.

- Mais vous semblez avoir du regret!

- Vous n'en avez pas vous? Des fois, vous ne regrettez pas de vous êtes séparées de votre ex-femme?

- Jamais.

- Vous en êtes sûr?

- J'en suis certain. C'était une décision réfléchie et consentie.

Je ne réponds rien. Je me contente de manger ma poutine sans plus aucun appétit. Je ne devrais plus avoir aucun sentiment pour Ryan. Surtout en voyant comment il est devenu une personne ignoble et raciste. Mais voilà, je ne peux pas m'empêcher de me dire que si j'étais restée avec lui peut-être que c'est moi qui porterait son enfant.

Je suis juste pathétique!

- Vous êtes différente de mon ex-femme, Davis lâche à mon plus grand étonnement.

Son commentaire me fait sortir de ma bulle.

- Pourquoi nous comparez-vous? Je le demande abasourdie.

- Parce que vous me faites penser à elle d'une façon.

- Ah bon? Et de quelle façon?

- Vous êtes toutes les deux intrigantes.

- Je vous intrigue?

- Beaucoup. Je n'ai jamais rencontré une femme aussi honnête et forte que vous l'êtes. Pourtant, vous avez des moments de faiblesses qui sont assez déroutants.

- On en a tous des faiblesses, j'affirme en le regardant droit dans les yeux.

- Je suppose, il réplique en soutenant mon regard.

- Et en quoi sommes-nous différentes? Je le demande pour changer de sujet.

- Carrie n'a pas votre fort tempérament. Elle est plutôt du genre à être silencieuse et à acquiescer. Elle a une foi incomparable en l'humanité. Pour Carrie, l'homme est profondément bon.

Je digère peu à peu sa description de son ex-femme.

- Vous parlez comme quelqu'un qui a du regret maître Davis.

Il sourit.

- Pas du tout. Je vous décris de manière objective les qualités et peut-être même les défauts de mon ex-femme.

- C'est ce genre de femme que vous aimez? Je le demande malgré moi.

- Pas nécessairement. Je vous aime bien et pourtant, vous êtes diamétralement opposée de Carrie.

- Je ne pense pas que vous m'aimez...bien, comme vous le pensez. Il s'agit plutôt d'une attirance physique maître Davis. Vous ne me connaissez pas assez pour aimer la personne que je suis.

Il esquisse un sourire en coin. Il prend une gorgée de bière et me regarde droit dans les yeux.

- Pourquoi pensez-vous que je suis un bon avocat? Il me demande soudainement.

- Je n'ai jamais dit que vous en étiez un.

- Mais vous le pensez.

Je reste bouche-bée.

- Je suis un bon avocat parce que j'ai une habileté à lire à travers les gens. Je sais d'avance quand un client est coupable ou innocent.

- Vous vous prenez pour Sherlock?

- Pas du tout. Sherlock fonctionne par instinct, pas moi.

J'éclate de rire.

- Expliquez-vous.

- L'humain dit tout avec son verbal et son non verbal. Je me concentre sur ses éléments.

- Que vous ont dit mon verbal et mon non verbal depuis notre rencontre?

- Votre honnêteté vous vient d'une personne. Cette personne est aussi honnête que vous l'êtes et vous a appris à être à l'aise avec cela, Il commence avec assurance. Vous avez un problème avec l'alcool. Vous n'êtes pas alcoolique mais vous noyez tous vos problèmes dans l'alcool. Encore une fois, il y a une personne très proche de vous qui a aussi un problème avec l'alcool, mais cette personne est alcoolique. C'est pour cela que vous avez honte chaque fois que vous vous saoulez. Vous n'êtes pas riche et vous ne l'avez jamais été. Vous êtes malgré tout fière de ce que vous êtes et...

- Stop. C'est bon... je devrais probablement signer les documents d'embauche. Vous ne pensez pas? Après tout, nous sommes ici pour cela.

- Et vous aimez rester un énigme... il conclut.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top