Conseil 3 - les personnages complexes (partie 1)
🎵Fiche conseils # 3 : We don't need another hero 🎶
Ou comment construire des personnages complexes (première partie)
Avant de commencer à lire, prenez garde d’avoir le temps : cette fiche sur les personnages est dense, en plusieurs parties, et chaque partie est assez longue.
Tous ces conseils ne sont pas à suivre, ni dans l'ordre, ni du tout. Ça dépend de votre objectif, de votre intrigue, de votre personnalité et de vos envies. Pour une histoire assez courte, avec intrigue linéaire, que vous improvisez suivant l’inspiration, les deux tiers de ces conseils sont inutiles.
Je rappelle que je n'ai reçu aucune formation en écriture. Je n'en ai pas vraiment envie non plus. Connaître les règles de façon académique permet de les appliquer plus efficacement et peut permettre de s'en passer plus vite, de prendre son autonomie (ou de continuer à suivre les standards et les règles).
En ce qui me concerne, mon apprentissage concerne l'autre côté de la barrière : le décryptage de textes. C’est une barrière assez perméable, surtout grâce à mes lectures, variées et en quantité, et mon expérience pratique d’écriture. Tout ça m'a aidé à transgresser les règles d'une façon iconoclaste, qui pourrait plaire aux amateurs d’originalité. Et qui râpe parfois désagréablement certains égo et certains esprits étroits. Ce qui m'amuse assez. Mon côté ado chieur (et attardé). Mais si vous ne maîtrisez pas un sujet, évitez de jouer avec les règles et les normes. Appliquez-les.
Il vaut mieux apprendre à marcher, puis s'entrainer activement, avant de se lancer dans une course d’obstacles. Si votre objectif est d'un jour pouvoir finir avec dignité la course, bien entendu. Si vous avez envie de prendre le risque de vous viander en beauté sur les obstacles, libre à vous d’essayer de courir sans préparation.
1) Pourquoi un personnage complexe ?
Ceux qui me lisent régulièrement (et apprécient), ont pris l’habitude des personnages « oignons ». Ils savent donc que derrière une couche se cache d’autres couches.
Si vous lisez cette fiche, vous vous intéressez au sujet. Avant de mettre mes conseils en pratique, demandez-vous d’abord pourquoi vous voulez construire des personnages complexes pour vos histoires ?
Soyons clairs, un personnage plus complexe n’est pas forcément meilleur qu'un moins complexe. Ce n’est pas un gage de qualité supérieure. Un personnage complexe est différent, il faut donc adapter sa façon d'aborder l’écriture. Un personnage complexe, comme tout personnage, doit avoir une cohérence dans ses actions pendant votre histoire. Mais, contrairement aux stéréotypes, il requiert du travail avant et pendant la phase d’écriture.
Attention également de ne pas considérer un personnage incohérent, juste parce qu’il a un passé difficile, comme un personnage complexe. Un personnage incohérent se comportera d'une façon, puis d'une autre, suivant le bon vouloir de l’auteur(e) et de l’intrigue. Un personnage complexe se comporte d'une certaine façon dans l'histoire parce que son caractère inné a été influencé par son éducation puis le passé qu'il a vécu avant votre histoire. Sauf si votre histoire prend un enfant à sa naissance, ou si vous développez longuement (et parfois de façon ennuyeuse) tout son parcours au premier chapitre, le lectorat ne connaît pas le personnage au début de votre histoire. Un personnage complexe aura donc des comportements étonnants avant les chapitres qui montreront ou expliqueront ses circonstances. C’est beaucoup de travail.
Donc, pour quelle raison cherchez-vous à manipuler des personnages complexes dans une histoire pour laquelle vous avez déjà, comme tout auteur qui se respecte, pas mal de travail sur la forme : orthographe, grammaire, syntaxe, structure… ?
Je le répète : il n’est absolument pas nécessaire d'avoir des personnages complexes pour avoir une bonne histoire plaisante à lire.
Généralement, les personnages complexes donnent l’impression d’être plus « vrais » et leur histoire peut faire réfléchir. Vous n’êtes pas obligés d’écrire des textes qui font réfléchir.
En revanche, même sans être engagés, si vous avez envie qu’après la fin, le lectorat se pose des questions sur certains sujets graves ; si pendant la lecture, vous avez envie de susciter des théories sur le passé de vos personnages, je vous suggère de les construire.
2) Cliché, my love
Il est tout à fait possible d’écrire un bon roman avec des stéréotypes de personnages et de rebondissements. Des clichés bien présentés, utilisés de façon originale, constituent une histoire tout à fait correcte, voire un succès littéraire : les gens aiment se reconnaître dans certains stéréotypes et souhaitent vivre certaines situations clichées, un peu idéalisées.
De plus, après des dizaines de milliers d’années de production artistique, comprenez bien que ni vous ni aucun autre humain ne créerez quelque chose de totalement inédit. Les ingrédients seront toujours plus ou moins les mêmes. Le but est de les mélanger, soit dans un plat qui est sûr de faire l’unanimité, soit dans un autre que la majorité n'a pas encore goûté. D’accommoder votre contenu avec des épices exotiques ou classiques, en cherchant si possible la recette qui vous est personnelle. Avec pour but, peut-être, de vendre vos plats dans votre restaurant. Ou tout simplement de les offrir de façon bénévole à ceux qui les apprécient.
Enfin, cliché n’est pas forcément équivalent d’ordinaire ou commun. C’est simplement une situation fictive vue et revue, ou un type de personnage fantasmé, car ils plaisent. Ils font rêver.
Cette première partie de fiche regroupe les conseils préparatoires, mais dans la deuxième partie, si vous êtes toujours décidés à me suivre, je vous montrerai comment vous servir d'un stéréotype comme squelette pour votre personnage complexe.
3) Déterminez à quel niveau de complexité vous souhaitez vous arrêter
J'insiste sur un terme : cette fiche concerne la construction, non la création, d'un personnage complexe. Ce dernier doit être réfléchi, assemblé couche par couche par vous, pas sorti de votre chapeau comme une boule d’adjectifs contradictoires reliés avec des critères physiques qui vous font fantasmer. Sinon, votre pauvre personnage risque l’incohérence de caractère. Un personnage complexe ne peut pas être incohérent, sous peine de tomber dans le (mauvais) stéréotype. En revanche, au début de l'histoire, il sera forcément -forcément, sur un point ou un autre- incompréhensible.
Conseil primordial : armez-vous de patience face au lectorat, de confiance en vos capacités, de foi en votre bébé. En suivant mes conseils, votre personnage sera complexe, cohérent, et fera parler de lui. En bien comme en mal, surtout en mal. Vous allez vous en prendre plein la tronche. Certains lecteurs seront naïfs, voire de mauvaise foi. Au lieu de conseiller sur la cohérence interne de votre histoire et de vos personnages, certains autres lecteurs jugeront l’auteur en même temps que le personnage, à l’aune de leur expérience personnelle et restreinte.
Écoutez les retours, sans les prendre pour argent comptant, sans vous énerver non plus, ni déprimer. Surtout, ne vous justifiez pas. Triez au calme les ressentis du lectorat. N’utilisez que les commentaires négatifs qui s’appliquent à votre histoire.
Si en revanche, la majorité a compris et apprécie dès le début votre personnage le plus complexe : posez-vous des questions sur votre présentation et votre construction de ce personnage. Je crains que la présentation n'ait été faite d'une façon peut-être un peu trop académique et explicative. Ou que votre personnage n'est qu'un stéréotype avec des jolis habits.
J’ai déterminé quatre niveaux de complexité (cinq si on compte le niveau zéro) d'un personnage de fiction. C’est mon échelle personnelle, pas une parole d'Evangile. Vous avez le droit de débattre et de poser des questions. N’hésitez pas.
Évitez de pomper mon échelle s’il vous plaît. En plus d’être coupable de vile copie, vous risquez le ridicule en vous faisant passer pour le créateur de cette échelle. Il n'y a rien de glorieux. Elle a été déterminée au doigt mouillé, d’après mes personnages originaux (dans tous les sens du terme) et mon expérience personnelle. Elle me semble adaptée à cette fiche de conseils parce qu'il s’agit de mon livre de conseils. À vous de voir si ces conseils et cette échelle peuvent s’appliquer à votre processus de création.
Notez que, suivant l’âge ou l’expérience de vie de votre lectorat, les niveaux de mon échelle pourraient être perçus d’une façon un peu différente.
Pour la part qui est peu habituée aux lectures diverses (si vous lisez une seule catégorie, votre expérience est limitée) : mon niveau 1 est de l'ordre du personnage avec un background et mon niveau 2 correspond au personnage compliqué. Vous êtes prévenus.
Niveau 0 : le stéréotype pur, utilisé de façon académique. Bien fait, le résultat est assez populaire. Si l'auteur possède un style aguerri et un niveau suffisant de vocabulaire/grammaire/orthographe, la lecture est très plaisante, même pour moi. Je ne vous dirai rien de plus sur ce niveau : je ne sais pas le manier, surtout pas pour en faire quelque chose de vendable.
Niveau 1 : le stéréotype habillé d'une façon originale.
Exemples de personnages tirés de mes histoires : Pierre et Jade dans Lettre à ma sœur, Gilles Tournay et Kyle O'Malley dans La prunelle de vos yeux, les parents de Maewon Innsprucke, Gilles Lécapène dans Éclosion. (Décidément, ces Gilles… )
Et non, si un stéréotype porte un nom un peu exotique ou un petit détail physique moins commun, voire une imperfection, ça n’en fait pas un personnage original, encore moins complexe. Le stéréotype restera à son niveau zéro. Quand je dis « stéréotype habillé d’une façon originale », je parle d'habits métaphoriques : le comportement et le caractère qu'on attend d'un personnage suivant son rôle dans une histoire fictive dans une catégorie donnée (fantasy, romance, horreur, etc).
À mon niveau 1, le personnage a un caractère un peu décalé par rapport à son physique ou son rôle dans l'histoire. Il se laisse porter par l’histoire, et les rebondissements de l'intrigue, mais avec la petite construction que vous avez bien voulu lui accorder, il donnera l'impression d'exister autrement que pour cette histoire en question.
S'il s’agit de personnages secondaires, ils n'existeront quasiment que par rapport à l’histoire des protagonistes, mais donneront l'impression d'avoir leurs propres objectifs, détachés de celui des protagonistes.
S'il s’agit des personnages principaux, ils feront à peu près tout ou presque tout ce qu'on attend de leur rôle, mais d'une façon légèrement différente. Par exemple, le héros sera gentil avec une grande gueule, la mauvaise réputation du bad boy sera un bête malentendu, la jolie peste sera plus intelligente et douce que ce que son comportement pourrait faire croire, le méchant se comportera de façon cruelle en se justifiant suivant sa propre éthique foireuse, etc…
À propos du méchant : qu'il ait ou non des circonstances atténuantes ou explicatives de son caractère ne change rien à son niveau 1. Un passé torturé ne complexifie pas votre personnage de méchant. Je parle de méchant, non d'antagoniste. Un antagoniste est simplement le héros de l'autre camp. Tandis qu’un méchant d’une histoire n'est le héros de personne. Ironiquement, suivant les clichés utilisés, le passé torturé du méchant pourrait même le faire tomber au niveau zéro de non-complexité. En revanche, si, par exemple, vous présentez pendant une grosse partie de l'histoire le méchant de façon à le faire passer pour le héros (ou vice-versa) auprès du lectorat, ça correspond bien au niveau 1 de complexité.
Niveau 2 : le personnage qui a appris à se détacher du rôle attendu.
Exemples de personnages tirés de mes histoires : Isidore Dumont dans Éclosion, Lilibel Dumont dans La prunelle de vos yeux (décidément, ces Dumont… ), Domhilda Tordenvejr dans Conte de faits.
Je considère qu’à ce niveau, on peut parler de personnages complexes, qui se découvrent au fur et à mesure, et ont certains comportements inattendus par rapport à leur rôle. Pour certains lecteurs peu expérimentés, ces personnages sont parfois perçus comme incompréhensibles, tant qu'on n'a pas expliqué (et pas seulement montré) certaines données sur eux.
Niveau 3 : le personnage a son propre fonctionnement hors de l’intrigue.
Exemples de personnages tirés de mes histoires : Thomas Lécapène dans Éclosion, et surtout, vous vous en doutez, ma mouette : Maewon Innsprucke.
Ils sont fatigants. Vous décidez d’actions ou de paroles pour eux, parce que c’est mieux pour l'intrigue principale, mais à la dernière minute, pendant l’écriture de LA scène cruciale, ils décident que vous n'avez rien compris et vous envoient balader.
Je conseille de les laisser faire ce dont ils ont envie. L’explication la plus logique que j'ai trouvée : votre inconscient a bien intégré le background de votre personnage de niveau 3. Trop absorbé(e) par l’avancée de l’intrigue, vous n'avez pas prêté garde à une incohérence de caractère sur l’action ou la parole que vous aviez décidée pour votre personnage. Au moment de l'écriture, vous avez décelé ce problème à un niveau subconscient. Si le personnage se révolte, c’est que votre inconscient vous prévient d'une incohérence dans votre scène. Laissez agir le personnage comme il l'entend. Ça ne sert à rien de se battre contre soi-même et insister pour se mettre dans une situation difficile.
Niveau 4 : le personnage qui ne fera jamais l’unanimité.
Exemples de personnages tirés de mes histoires : Tomteniss dans Conte de faits, Ashley et Thephys dans La prunelle de vos yeux.
Sauf à les utiliser comme cobayes de laboratoire, pour faire des essais auprès du lectorat, ou par nécessité – parce que l’histoire est la seule que vous avez besoin de faire sortir de vos tripes, ne tentez pas ce niveau. Vous risquez beaucoup de moments de remise en question de votre légitimité à publier gratuitement une histoire complexe sur Internet. Ce qui, avouons-le, est très ironique quand on prend trois secondes de recul pour y réfléchir.
Si on fait des remarques désagréables sur le caractère (voire le prénom) de votre personnage de ce niveau, rigolez et ne répondez pas. En revanche, notez tous les avis négatifs pour réfléchir sur votre présentation du personnage. Vous pourrez éventuellement vous en servir, après le recul nécessaire, pour modifier l’introduction du personnage, soit pour le rendre plus accessible, soit pour au contraire en rajouter une couche (parce que vous aimez embêter le monde).
(Ces exemples sont fictifs, toute ressemblance avec des événements réels est fortuite.)
4) quel niveau de personnage pour quel rôle et pour quelle intrigue ?
Pour une histoire improvisée au fil de l’inspiration, avec l'unique but de divertir, le niveau 1 voire 0 (si vous savez bien le manier) suffit amplement.
Dans une histoire plus travaillée, essayez d'avoir au moins le niveau 1 pour tous vos personnages, y compris les secondaires. Il faut donner l’impression qu'ils ont une vie et un passé qui ne tournent pas exclusivement autour de votre personnage principal ou de l'intrigue de votre histoire. Même secondaires, vos personnages doivent convaincre.
Ainsi, vous augmentez vos chances de vous démarquer dans l’océan de romans gratuits. N’oubliez pas l’existence des centaines de milliers de classiques tombés dans le domaine public. Donnez au lecteur lambda l’impression qu'il a bien fait de choisir de lire votre texte plutôt que celui d'un auteur confirmé, publié avec succès depuis cent ans, et dont l'histoire est tout aussi gratuite à lire que la vôtre.
Si vous souhaitez construire un roman un peu plus psychologique, le niveau 2 est parfait. Le niveau 2 me semble idéal pour à peu près toutes les situations. Je vous conseille ce niveau pour un personnage principal : ils sont complexes en restant suffisamment proches des normes pour pouvoir devenir attachants. Ce sont eux qui porteront votre histoire.
Je déconseille le niveau 3 s'il s’agit de vos premiers essais. Ce niveau correspond le mieux pour un antagoniste très travaillé. À ce niveau, le personnage est moins accessible. Sauf à passer des chapitres entiers à étaler les explications sur sa psychologie (ce qui, personnellement, me barbe autant à écrire qu’à lire), vous aurez beaucoup de soucis pour faire aimer un protagoniste de niveau 3 à la majorité de votre lectorat. Ou alors, vous avez bien étalé la confiture avec son background d'emo kid incompris et votre lectorat aime les emo kids incompris. Ou alors, vous n'avez rien étalé du tout et votre lectorat est très ciblé. Et dans ce cas, bravo. Parvenir à cibler et attirer la partie du lectorat qui aimera tout ce que vous produisez est un accomplissement en soi.
Avec près de 2800 mots, nous arrivons à la fin de cette première partie de ma fiche sur la construction d'un personnage complexe.
La partie 2 portera sur l’organisation et la construction en elle-même.
La troisième et dernière partie de cette fiche donnera des conseils sur la présentation du personnage.
J’espère vous retrouver plus tard pour la suite de cette fiche.
Si elle vous a intéressé(e), si vous voulez des développements sur un point ou un autre de cette fiche, n'hésitez pas à commenter ! Merci pour votre lecture.
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