9- Haute trahison !
Des menteurs ! Ils étaient tous des menteurs ! Ses conseillers, ces hommes en qui elle avait toujours fait aveuglément confiance, ils la trahissaient ! Elle serra les points mais ne dit mot. Ils voulaient la voir s'énerver ? Eh bien ils verraient... Mais pas tout de suite. D'abord elle préparerait un plan. Sa vengeance serait exquise. Elle ne les tuerait pas, mais s'occuperait personnellement de leur cas, un par un. Ils allaient payer pour ce crime.
Ils la regardaient tous de leurs grands yeux, comme s'ils étaient désolés ou n'importe quoi. De la comédie ! Ils étaient très fiers de leur petit coup monté... Elle hocha la tête, même si bouger la moindre articulation en leur faveur lui coûtait. Ils ne devaient pas savoir. La surprise ne serait que plus grande quand elle mettrait son plan en œuvre. Et ça serait plus marrant...
Elle se força à sourire, puis fit demi-tour. Elle sortit de la salle sans arracher le rideau, ce qui était presque un exploit étant donné son degré de colère. Des menteurs ! Elle regagna sa chambre en contrôlant son pas, et seulement quand elle se fut enfermée elle laissa éclater sa colère. Elle attrapa un oreiller et cria dedans à en perdre la voix. On ne l'entendrait pas depuis l'extérieur mais elle hurla toute sa haine. Trahison !
Quand elle n'eut plus la force, ou plutôt plus le besoin d'extérioriser sa rage, elle se releva et laissa tomber le coussin. D'un pas vacillant, elle gagna sa coiffeuse. Elle ferma les yeux avant d'arriver, et s'appuya sur le meuble. Enfin elle leva les paupières sur son reflet dans le miroir.
Sa mère... Maintenant qu'elle savait, elle la voyait clairement en elle. Elles auraient facilement passer pour des sœurs même. Par contre son père, c'était une autre histoire. Il y avait bien quelques similitudes mais ce n'était pas marquant. Était-ce parce qu'il n'y avait rien à voir ? Inventait-elle tout ? Souvent, on ne voyait pas ce qu'on ne s'attendait pas à voir et inversement parfois on voyait ce qu'on voulait voir. Dans ce cas avait-elle voulu voir toute sa vie ces similarités ? Elle serra les bords de sa coiffeuse.
Puis, dans un cri de rage, elle empoigna un vase et l'envoya cogner contre le miroir. Elle le regarda exploser en une centaines de petit morceaux, dévaler le meuble telle une cascade scintillante. Pendant un moment tout fut mieux et elle se sentit apaisée. Seulement elle se rendit ensuite compte que c'était pire ainsi. Les éclats avaient volés dans tous les coins et où qu'elle posât son regard c'était toujours son reflet, son visage qu'elle voyait. Des menteurs ! Son visage qui lui rappelait le crime de ses pairs...
Elle ouvrit la porte qui menait à son balcon et s'accouda à la balustrade, là au moins elle ne se voyait plus. Elle songea à balancer les membres du conseils depuis cette hauteur, puis de les voir chuter, toujours plus bas et toujours plus vite, jusqu'à ce qu'ils arrivent finalement au sol, les membres disloqués et le sang absorbé par le sol de sable... La vision était réjouissante mais elle ne ferait pas cela pour autant. Non, c'était une mort trop rapide pour une haute-trahison. Ils méritaient pire. Elle voulait pouvoir se délecter de leur souffrance, les voir la supplier et l'implorer de la pardonner. Et bien-sûr elle ne flancherait pas. Elle leur rappellerait leurs méfaits et continuerait de plus belle.
Ils aimaient tant les échecs... Peut-être pourraient-ils jouer contre leur vie ? Hamel était le meilleur joueur du palais mais elle pourrait le faire jouer contre ses camarades. Perdre serait mourir et gagner condamner... Un fin sourire étira ses lèvres. C'était une bonne idée.
- Quel carnage !
Alyn se retourna pour voir qui osait l'importuner alors qu'elle préparait sa vengeance. C'était Mel. Pas très étonnant, peu se seraient permis d'entrer sans prévenir et encore moins de faire un tel commentaire sur les lubies qui passaient à la tête de la reine.
- Les Conseillers m'ont dit qu'ils t'avaient laissé dans une drôle d'émotion...
Trahison !
- Tu parles à ces traîtres à la couronne ? Dans ce cas je ne vois pas ce que tu fais ici.
La gouvernante éclata d'un rire vexant.
- Allons donc, tu me diras au moins ce qu'ils ont pu faire pour mettre notre reine dans un état pareil. Je sais que tu es impulsive mais de là à faire tout ce remue-ménage, il faut y aller !
- Parce que tu ne sais pas peut-être ?
- Non, ils ne m'ont pas dit.
Elle sortit du placard un balais fait de tiges sèches et commença à rassembler les éclats.
Alyn lui en était reconnaissante. C'était plus facile de se confier ainsi que si elle l'avait regardée dans les yeux en attendant une réponse. Alors elle commença son histoire, parla de sa vision, qu'elle avait apportée au Conseil, où ils avaient identifié Amalya et Igor.
- Puis tout à l'heure, quand j'ai discuté avec Egel, j'ai vu le lien entre lui et le dernier acteur de ma vision. Je ne dirais pas qu'ils étaient les mêmes, mais il y avait quelque chose en lui qui m'a fait tilter... Il ne pouvait être déjà présent au moment ou ça se déroulait, ou bien alors il a un Don hors du commun. Enfin... Il s'agissait donc de Telmar.
Mel s'était arrêtée de balayer et si elle tournait toujours le dos à la reine, elle l'écoutait tout de même avec une attention toute particulière.
- Oh je vois. Et j'imagine qu'ils en ont tiré la conclusion hâtive que tu étais sa fille je me trompe ?
- Non, c'est bien ça...
- Mais quoi qu'ils disent, tu en penses quoi toi, qui est ton père ?
- Igor...
- Comment ça « Igor... » ? Oh non ma fille, ça ne se passera pas comme ça !
Elle s'était levée et retournée.
- Qui est l'homme qui t'a élevée, réconfortée, éduquée, nourrie, chérie, câlinée, protégée et j'en passe les meilleures ? Qui ? Je te laisse une dernière chance, qui est ton père ?
Alyn sourit.
- Igor !
- Bien voilà qui est mieux.
- C'est juste qu'à l'idée d'être la fille de... Telmar bon sang !
- Je peux comprendre cela. Cependant tu risques de ne jamais réellement savoir si j'ai bien compris. Fais-toi à cette idée. Et tire en parti, comme tu l'aurais fait pour n'importe quel autre événement. Bon j'ai d'autres choses à faire, prends ton médaillon, ça te calme non ?
Elle se dirigea vers la porte et s'interrompit juste avant de la franchir.
- Aussi Alyn ? Je préfère que tu imagines les pires tortures pour ce roi étranger plutôt que pour nos chers conseillers.
La reine fit de gros yeux comme si jamais une telle idée ne lui avait traversé la tête et puis quand la gouvernante fut partie elle laissa échapper un éclat de rire. C'était un rire quelque peu hystérique, qui laissa vite sa place à des larmes. Tout semblait plus simple quand Mel était à ses côtés...
Elle suivit son conseil et dessertit une brique du mur pour faire apparaître un petit coffre. Petit certes, mais incassable. Il avait été travaillé par les meilleurs artisans de la région et ne s'ouvrait qu'avec la clé, qu'on tournait vers la droite plutôt que dans l'autre sens. Enfin, elle en sortit le médaillon et remit le reste à place.
Elle s'assit et soupira.
Les conseillers n'y étaient pour rien après tout. Ils n'avaient fait que... leur devoir. Elle essayait de s'en convaincre en même temps qu'elle murmurait ces paroles. Tant que personne d'autre n'en était informé, elle ne pouvait pas les accuser de trahison. Et ils étaient bons, son père avait confiance en eux.
Alyn sourit faiblement. Mel avait raison, le médaillon avait l'étrange pouvoir de calmer la tornade qu'étaient ses sentiments, il agissait comme un catalyseur d'émotions. Elle le regardait et se sentait forte à nouveau. Il fallait être forte pour être digne d'arborer ce présent des dieux. Et elle entrait dans un principe de spirale vicieuse, sauf que là c'était bon pour elle : Plus elle y avait recours et plus elle y croyait. Plus elle y croyait plus elle y avait recours et mieux cela fonctionnait.
Désormais en paix, elle analysa à nouveau le problème. Il devait y avoir une solution ! Ou alors c'était qu'il n'y avait pas de problème. Forte de ce constat, elle persévéra dans sa réflexion.
Ses visions, du moins celles du passé et du présent, s'étaient toujours révélées être justes. Peut-être l'avaient-ils cependant mal interprétée ? Mais elle ne voyait pas beaucoup d'autres possibilités qui aient du sens. Igor les aurait-il rejoints dans les couloirs ? Et il ne se serait finalement rien passé de mal cette nuit là ? Mais dans ce cas pourquoi les dieux lui auraient-ils montré cela ? Ça ne faisait pas de sens.
Le Don de clairvoyance avait toujours un but bien précis. Soit l'aider elle soit aider le continent. Alyn sentit qu'elle venait de mettre le doigt sur un élément important dans l'enquête...
Enfin, la solution lui vint quand elle baissa une nouvelle fois les yeux sur le médaillon. Cette vision n'avait pas pour but de semer le doute dans son esprit mais dans celui de Telmar ! Mel avait raison, encore une fois : elle allait pouvoir mettre à profit sa découverte pour progresser dans son entreprise de trouver le Trésor de Bargor.
Elle était si fébrile qu'elle aurait presque couru jusqu'aux geôles pour mettre en place son petit chantage. Cependant on lui reprochait toujours son impatience et sa précipitation. Aux jeux, cela lui portait parfois préjudice. Là, elle ne ferait pas cette erreur. Elle irait mais seulement une fois son discours prêt, sa tenue arrangée et ses émotions parfaitement contrôlées.
***
- Telmar.
- Tiens donc, Alyn. Je suis étonné de vous voir vous être déplacée jusqu'à moi en personne. Que me vaut cet honneur ?
- Vous allez me dire où se trouve le passage secret menant au Trésor.
Il partit dans un éclat de rire si fort qu'il se tapa la cuisse à plusieurs reprise. Il en finit même par tousser et chercher son souffle.
- Pour...
Et il recommença à rire.
- Pourquoi ? parvint-il enfin à articuler.
- Vous perdez la tête, ça fait pitié, Telmar, grimaça-t-elle.
- Ma petite... Au cas où vous ne l'auriez toujours pas compris, je préfère emporter mon secret dans la tombe plutôt que vous le révéler et vous en faire profiter.
Il avait recouvré tout son sérieux désormais, et pas une trace de son sourire ne persistait.
- Je vais vous dire pourquoi : Parce que vous ne refuseriez rien à quelqu'un de votre famille.
- Vous allez torturer Egel c'est ça ? Eh bien allez-y, je ne vous retiens pas.
- Le pire c'est que je suis persuadée que vous n'êtes même pas en train de fanfaronner... Mais non. Je ne veux pas parler de lui.
- De quoi alors ? De vous ! Cela fait des générations que nous ne formons plus la même famille ! Si vous pensez m'émouvoir ainsi vous vous trompez.
- Je ne faisais pas non plus référence à cela. Quoique... Nous pourrions dire que cet ancien lien a été renoué.
Le roi se redressa. Quelque chose dans le ton de la reine avait du éveiller ses soupçons.
Elle prit une grande inspiration puis reprit :
- Et vous m'avez donné ce pouvoir.
Un silence pesant envahit la cellule.
- Je suis votre fille, Telmar.
- Impossible !
Il s'était relevé en faisant cliqueter ses chaînes. Alyn de son côté, ne répondit rien, il fallait laisser le temps aux souvenirs de revenir. Et puis de toute manière, elle était hors de sa portée. Elle vit qu'il se rappelait les moment passés avec sa mère. Cela lui donna un haut-le-cœur mais il devait faire trop sombre pour que Telmar puisse lire son expression.
- Vous vouliez qu'Amalya soit votre. Et vous avez bien réussi, trop peut-être. Elle est tombée enceinte de vous. Quand elle s'en est rendu-compte, il était déjà trop tard. Il a fallu la marier, et avec un homme qui acceptait d'élever l'enfant d'un imposteur.
Sans vraiment le voir, elle devina qu'il avait pâli. Elle s'autorisa un petit sourire en coin. C'était le moment le plus risqué de la conversation, celui où elle n'était sûre de rien et avait seulement fait de son mieux pour faire le lien entre sa vision et les faits officiels, et elle avait réussi ! Il la croyait.
- Pourquoi n'aurait-elle pas fait de moi le père de mon enfant ?
- N'avez vous donc pas la moindre idée ? Une fois que vous avez obtenu d'elle ce que vous vouliez vous l'avez laissée tomber.
Il haussa les épaules avec dédain.
- Vous collectionnez les femmes comme vous enfilez une chemise, Telmar !
- Eh bien... Ne doit-on pas changer de chemise régulièrement si on désire rester propre ?
Comment osait-il ? Ces propos étaient tout simplement infâmes...
Elle dit, sans déserrer la mâchoire :
- Vous voyez très bien ce que je veux dire.
Alyn prit une nouvelle inspiration, même si elle ne devait pas y croire, ce qu'elle s'apprêtait à dire était pénible.
- Père...
Cela les calma tous les deux et la tension retomba.
- Approche-toi, dit-il.
Elle ne releva pas le soudain passage au tutoiement et fit quelques pas en avant. Elle leva même la pierre de soleil qu'elle avait en main pour qu'il puisse mieux observer son visage. Il semblait que ce « père » ait été plus parlant que n'importe quel long discours.
Ils se contemplèrent pendant quelques secondes puis le roi coupa le contact en baissant la tête.
- Vous n'essayez même pas de le démentir ?
- À quoi bon ?
Elle se leva et quitta la cellule d'un port altier, elle montrerait à Telmar qu'il n'était pas le père de n'importe qui.
Une fois assez loin, elle s'adossa contre le mur. Son intuition lui disait que tout cela avait été trop facile, mais des pensées plus intéressantes firent taire cette petite voix. Enfin, ils étaient arrivés à un accord ! Ils allaient pouvoir trouver le Trésor de Bargor !
~~~NDA~~~
Hé hé... Maintenant que Telmar est plus disposé à coopérer, les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer !
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