8- Servi sur un plateau


    — Allez debout debout, petit paresseux.

    Egel se réveilla avec la voix de Mélanie dans les oreilles. Il n'eut pas le temps de se défaire des vapes du sommeil qu'elle ouvrit grand les volets, faisant entrer une luminosité soudaine dans la pièce. Il grogna.

    — Eh bien ! Est ce donc là une tradition royale que de traîner au lit ? L'avenir est pourtant à ceux qui se lèvent tôt.

    Il haussa un sourcil, de quoi parlait-elle ?

    — Bon, peu importe. Mais la reine te demande. Alors tu te lèves, tu avales ce pain, tu t'habilles et on y va.

    Elle s'arrêta un moment puis reprit:

    — Tu as conscience qu'il est passé midi ?

    Il avait dormi jusque midi ? Les conséquences de l'effraction de rêve, probablement.

    — Pourquoi j'y vais cette fois-ci ?

    — Alyn te le dira bien.

    Elle le prit par le bras, le sortit du lit, le dévêtit et lui enfila de nouveaux habits en un temps record. Ensuite elle lui fourra le morceau de pain dans la bouche et l'entraîna dans le couloir. Dire qu'elle le traînait un peu aurait été un euphémisme. Pendant sa course, un pan de sa cape s'était retourné et plaqué à la figure du prince. Puisqu'il ne voyait plus rien, il se laissait totalement guider par la gouvernante. Elle fit un arrêt brutal et il continua d'avancer un peu avant de s'arrêter lui aussi. Plutôt de se faire arrêter, car il cogna contre quelqu'un. Il se débarrassa du tissu qui lui bouchait la vue et découvrit la reine, dans toute sa splendeur et son maintien habituel.

    — Eh bien, dit-elle, cynique. Bon appétit.

    Il baissa la tête, cependant se força à ne pas s'excuser comme un simple serviteur qui serait totalement en tort. Après tout, il n'y pouvait rien lui, c'était Mélanie qui l'emmenait alors qu'il ne voyait pas et Alyn qui s'était retrouvée sur son chemin.

    — Tu peux nous laisser Mel. Quant à vous... Vous avez de la chance, je suis d'humeur clémente aujourd'hui. Mais ne vous avisez pas de recommencer !

    Elle se retourna en faisant valser son voile avec grâce et avança dans le couloir. Il resta un instant à hésiter entre la suivre ou retourner auprès de Mel... Sa réflexion fut coupée court quand la reine fit une pause et lui lança un regard incendiaire par dessus son épaule.

    — Suivez moi et tachez de ne bousculer personne.

    Il se mit en marche pour la rejoindre.

    Ils déambulèrent un moment dans les couloirs et globalement, ils descendaient. Enfin, ils arrivèrent devant deux portes en métal que des gardes ouvrirent pour eux. Au delà il y avait l'extérieur. Egel sourit, ne plus avoir quatre murs et un plafond au dessus de lui, sentir l'air extérieur contre sa peau et voir de la verdure faisait du bien.

    Il s'agissait du jardin qu'il apercevait depuis sa chambre. Le spectacle était complètement différent depuis ici bas. Il n'avait plus droit à une vue d'ensemble mais à des petits bouts de paysages qui se dévoilaient au détour des tournants.

    Sur son chemin, Egel vit de nombreuses rigoles, toutes liées entre elles, et il devina qu'il s'agissait du système d'irrigation du jardin. Ils passèrent sous une arche végétale avant d'arriver littéralement dans un petit salon extérieur. L'endroit était entouré de petits palmiers qui conféraient à la place un sentiment d'intimité. Au centre, une table basse entourée d'une multitude de coussins sur natte.

    La reine se coucha sur son coude gauche et invita Egel à en faire de même. Il s'installa tout en la regardant arranger ses robes. Quand elle releva la tête, leur regards se croisèrent et il crut distinguer dans le sien une étincelle de surprise. Du coin de l'œil, il vit aussi qu'elle avait commencé à tendre le bras vers lui avant de le laisser retomber, pantelant. Que lui prenait-il ? Un silence gêné s'installa.

    — Que me vaut cet honneur ? Votre prisonnier et ennemi assis aussi confortablement que votre personne, et aucun garde pour l'empêcher de faire de bêtises... Seriez vous insouciante ?

    — Déjà sachez que je n'ai pas besoin de soldats pour me protéger. Ensuite...

    Elle ferma les yeux un peu trop longtemps pour que ça ne soit qu'un simple clignement. Était ce un signe de mensonge ?

    — Je vous propose de justement changer ce statut d'ennemi... Nous pourrions être alliés, Egel de Mirùn.

    Elle fit une pause, s'assura qu'elle avait toute son attention, ce qui était le cas, puis elle reprit :

    — Mon royaume est prospère et mon peuple heureux. Je contrôle le vaste empire de tous les royaumes d'or. Il n'y a qu'une seule tâche au tableau. Et vous possédez ce qui pourrait m'aider à gommer cette imperfection.

    — Je ne vois pas de quoi vous parlez. Pas plus que les raisons pour lesquelles je vous aiderais.

    — Ça ne fait pas de problème. Je vous dirai tout en temps voulu. Mais si vous voulez que je vous explique il va falloir savoir où va votre loyauté.

    — À Mirùn.

    — Hum... Mes intérêts et ceux de Mirùn sont compatibles. Mais dites moi, Telmar n'était pas un bon roi n'est ce pas ?

    — Je ne vous permets pas !

    — Vous le savez tout autant que moi. Egel. Je vous propose de vous restituer votre trône, pour que vous fassiez un bon roi, vous.

    La proposition était alléchante, évidement. Mais il n'était pas dupe, il savait qu'il y avait anguille sous roche dans cette histoire.

    — Rien n'est gratuit dans la vie. Et je suspecte que ça soit encore plus vrai quand on fait affaire avec vous. Alors que demandez vous en échange ?

    — Votre aide pour retrouver ce que je cherche...

    Il haussa un sourcil, il y avait autre chose, il le voyait venir.

    — Et si vous acceptez vous serez roi mais rejoindrez notre empire.

    — Voilà donc l'arnaque ! Résumons, vous le voulez ? Vous attendez de moi que je trahisse mon père pour que vous obteniez contentement, et puis je suis couronné officiellement mais reste à jamais votre pantin. C'est très gentil mais non merci.

    Elle pinça des lèvres.

    — Je veux sauver le monde de sa perte, et pour cela unir les royaumes sous la même bannière est déjà un bon début.

    Il soupira.

    — Supposons que je vous croie. Me direz vous qu'elle est cette chose que mon père a ?

    — Pas tant que vous n'aurez pas fait votre choix.

    — Non. Vous me le direz d'abord parce que vous avez besoin de moi. Et c'est celui qui est indispensable à l'autre qui pose ses conditions, c'est ainsi.

    Quel cran ! Il s'impressionnait lui même. 

    — Dans ce cas je vous suis indispensable si vous tenez à la vie.

    Il se pencha en avant.

    — Vous ne me tuerez pas.

    En tout cas c'était ce qu'il espérait. Elle avait besoin de lui, alors elle ne pouvait pas mettre fin à ses jours aussi tôt, si ? Il espéra aussi qu'il avait l'air plus sûr de lui que ce qu'il ne l'était réellement.

    — Pas tout de suite en effet. Mais si je trouve un moyen d'avoir ce que je veux sans votre aide, vous ne ferez pas long-feu.

    — Vous n'en avez pas d'autres.

    Encore une fois il mentait, ou du moins, ne se basait que sur quelques suppositions. Cette petite manipulation de la reine l'excita. Il commençait à croire en lui et en ses chances de réussites. Pour une fois, il put dire que si Telmar avait été là il aurait été fier de son fils.

     — J'ai peut-être trouvé une autre solution... dit-elle les yeux dans le vague.

    Cependant elle se semblait encore y réfléchir, voir même ne pas y croire.

    Il se leva.

    — Bien. Dans ce cas vous m'excuserez mais je m'en vais rejoindre ma chambre, j'en ai assez entendu et vous ne me ferez pas changer d'avis.

    — Attendez !

    Elle s'était mise debout et l'empêcha d'aller plus loin, ce qui était heureux car il n'était pas certain de pouvoir retrouver son chemin...

    — Plaît-il ? demanda le prince avec un petit sourire.

    Elle soupira, se retourna et se mit à faire des tours. Il ne partit pas. Sa curiosité avait été éveillée et il voulait savoir. La raison pour laquelle ils étaient là, la chose que son père avait... Enfin, des réponses ! Elle marcha un moment, s'arrêtant de temps à autres, ouvrant la bouche, marmonnant parfois, tapant du pied et puis repartait.

    Enfin, elle cessa son manège, posa les mains sur ses hanches.

    — Très bien. J'accepte. Je reprends depuis le début, en n'omettant aucun détail. Quant à vous, vous feriez bien de vous asseoir. Mon Don est celui de la clairvoyance. Et depuis mon enfance, des visions d'horreur et de fin du monde s'offrent à moi. Des monstres... Inimaginables envahiront le Continent. Des temps sombres s'installeront sur le monde, jusqu'à ce qu'il finisse par disparaître.

    Egel frissonna, le ton qu'elle avait employé lui faisait croire qu'elle ne mentait pas.

    — Le passé reste inchangé dans les visions, bien que parfois nos interprétations puissent se révéler différentes de la vérité. Le présent est tel qu'il est. Mais le futur... Est une science instable. Il peut changer. Nous pouvons le changer. Dans notre cas, les Hommes ne pourront rien faire, nous parlons d'entités bien supérieures. Alors nous avons besoin de l'aide des dieux.

    — Je ne crois qu'en un seul et unique dieu, Lys aux deux visages.

    Elle serra les dents.

     — On m'avait dit cela, c'est vrai. Je... Mettons ce débat de côté pour le moment. Que ce soient les nôtres ou le votre, il nous faudra leur aide, vous me suivez ?

    Il hocha la tête, bien qu'il reste septique à cette idée.

    — Le problème... Quand avez vous vu Lys pour la dernière fois ?

    — Voir Lys ?

    — Oui, pas forcément votre personne, mais vos ancêtres : sa dernière évocation, à quand remonte-t-elle ?

    — Dans les livres saints, je dirais, donc quelques milliers d'années.

    — Le problème est le même que chez nous alors. Les dieux ne sont plus descendus sur le Continent depuis tout ce temps. Les prières ne les atteignent plus, la connaissance de nos ancêtres s'est perdue à travers les méandres du temps. Pourtant nous avons besoin d'eux. Impérativement. Alors s'ils ne nous entendent plus, ils va falloir les voir pour leur demander leur aide.

    — C'est impossible.

    — Non. Une chose, un objet le permet. Le trésor de Bargor.

    Ils se regardèrent un moment.

    — C'est impossible, répéta-t-il. Enfin ! Nous parlons bien de la même chose ! La légende qui raconte que quiconque trouvant ce trésor se verra offrir ce qu'il veut le plus au monde. Que ce soit matériel ou une connaissance.

    — Celui la même.

    — Mais il est perdu depuis... Plus longtemps que la dernière fois que nous avons vu Lys.

    — Je sais, je sais...

    Il écarquilla les yeux.

    — Oh non ! Ne me dîtes pas que mon père... !

    — Tout doux ! Laissez moi reprendre mon histoire. Je ne suis pas la seule à avoir prédit la catastrophe à venir. D'autres l'ont fait, et déjà bien avant moi. Cela fait plusieurs générations que nous réfléchissons à cet épineux problème, que nous rassemblons des témoignages, des indices, des cartes,... Dans le but de retrouver le trésor de Bargor. Et nous y sommes presque. Je connais une partie des secrets, Telmar l'autre. Ensembles, nous pouvons l'avoir !

    — Pour quelle raison ?

    — Parce que Alphonse et Sibylle travaillaient déjà à ce projet. Vous me suivez ?

    Il suivait... Alphonse et Sibylle... Ça remontait loin... Si loin qu'il n'y avait pas de royaumes. Seulement le Continent. C'était l'Age d'Or. Cependant, leurs enfants s'étaient disputés et avaient tout divisé. Le pouvoir, les terres, les peuples... Et le trésor alors.

    — Oui je vois ce que vous voulez dire. C'est... Woaw.

    Cela fit rire la reine et il se rembrunit un peu.

    — Comment expliquez vous que mon père ne m'en aie jamais parlé alors ?

    — De ce que j'ai pu voir et comprendre, Telmar est très indépendant et méfiant – autant qu'arrogant d'ailleurs. S'il a divulgué ses connaissances à ce sujet, il ne l'aura fait qu'aux personnes en qui il avait une totale confiance. Et puis il serait bien de ceux qui préfèrent mourir avec un secret plutôt que d'en faire profiter d'autres que lui...

    Egel grogna. Le sous-entendu quant à sa relation avec le roi était clair comme de l'eau de roche, et il n'appréciait guère. Surtout qu'il se disait que la reine devait avoir raison sur ce point...

    — Bien, dit-elle. Vous en savez autant que moi maintenant. J'ai été honnête. Et je vais encore l'être : vous en savez trop désormais pour que je vous laisse libre. Soit vous me faites allégeance pour sauver le monde, soit vous restez un borné petit prince de Mirùn et je vous fais exécuter. Alors, Egel, m'apporterez vous votre soutien ?

    Il déglutit.

    — Ce n'est pas comme si j'avais vraiment le choix...

    — On a toujours le choix. Seulement parfois la mort en fait partie.

    Il leva les yeux au ciel : c'était donc ce qu'il disait, il n'avait pas le choix.

    — Je me dois d'y réfléchir.

    — Comme vous voulez. Mais vous ne le regretteriez pas Egel.

    — Au fait. Puis-je quand même savoir quel genre de connaissance a Telmar quant au trésor ? Si j'acceptais, que devrais-je chercher ?

    — J'ai la clé du trésor. Il en connaît l'emplacement. Maintenant vous pouvez disposer.

    Il se leva, fit quelques pas et se retrouva encadré de deux gardes qui l'attendaient au détour d'un tournant. Ils regagnèrent sa chambre et l'y laissèrent seul, en prenant soin de fermer la porte à clé derrière lui.

    Il soupira.

***

    Quelques heures plus tard, ce fut le grincement de la porte qui le réveilla. Il avait du s'endormir à cause de sa nuit blanche de la veille. Il se releva en vitesse et s'assit sur le bord du lit. Cependant son apparence ne tromperait personne, ses joues qu'il devinait être rougies, ses petits yeux et ses vêtements froissés indiquaient clairement qu'il venait de dormir. Un soldat passa la tête par l'entrebâillement.

    — Toi suivre.

    Le prince se leva et s'exécuta. Il avait l'impression d'être un animal qu'on baladait selon les envies de son maître. Les gens ne pouvaient-ils pas venir à lui pour une fois ?

    Ils regagnèrent l'escalier qui descendait aux geôles et il commença à prendre peur. Pourquoi allait-il là bas ? La reine avait-elle réussi à trouver un autre moyen de faire parler Telmar ? Combien de temps avait-il dormi ? Cette fois-ci la descente lui parût rapide, trop rapide.

    Son souffle se bloqua dans la gorge quand on le ramena devant la cellule qu'il avait précédemment habitée. Les gardes ouvrirent la porte, lui fourrèrent une pierre de soleil dans les mains et le poussèrent à l'intérieur. La pierre n'était pas très chargée, il ne voyait pas à un mètre devant lui. Il retint un sanglot.

    — Tiens tiens...

    Telmar. Plus que son ton ironique si caractéristique, Egel avait reconnut sa voix. Bientôt, un visage apparut dans le halo de lumière. C'était bien le roi mais plus le même qu'avant. Il avait le visage hagard, les cheveux en bataille et les yeux fous.

    — Mon fils daigne enfin de me rendre visite. Il se porte bien on dirait... J'espère qu'il a trouvé ce que je cherchais...

    Il commença à parler en Feryerne, pour ne pas que leurs ennemis puissent comprendre.

    — Vous parlez du médaillon ?

    — De quoi d'autre, imbécile !

    Le prince serra les dents et rappela à lui le souvenir de son rêve avec Alyn. Le médaillon...

    — Je l'ai vu, elle l'avait autour du cou. Mais aujourd'hui quand je l'ai rencontrée, elle ne le portait plus. Je suppose qu'elle le cache quelque part. Mais j'ai quand même avancé !

    Le roi grogna.

    — Ce médaillon, il me... nous le faut ! Impérativement ! Tu n'imagines même pas tout ce que nous pourrions accomplir avec un tel trésor... Devenir rois du monde... Plus aucune limite !

    Il partit dans un rire glaçant.

    Egel tenta bien de lui demander comment il comptait s'y prendre, comment un simple médaillon pouvait leur permettre tout cela, s'il fallait autre chose mais Telmar éludait, il ne lui répondit jamais par la réponse qu'il attendait. Le prince se dit qu'au moins la reine avait été honnête avec lui sur ce point. Elle lui avait parlé du trésor de Bargor et de ses plans, qui même s'ils étaient faux avaient le mérite de ne pas être vagues. Le roi finit tout de même par expliquer son refus de répondre :

    — Alyn nous espionne peut-être depuis l'autre côté de la porte. Avec un interprète. Elle n'est pas bête la petite. Mon cher fils, tu as bien compris l'importance de ce bijou, n'est-ce pas ? Tu me le donneras bien ?

    Un soldat ouvrit la porte.

    — Le temps est fini. Egel ?

    Il hocha la tête et tourna le dos à son père pour sortir.

    — Amène le moi, fils !

    Dans les escaliers pour remonter, Egel se sentit lourd, comme s'il portait un sac de pierres sur son dos.

    Certes, il était relativement heureux que son père aille bien mais d'un côté... Il se sentait comme un pantin. Voilà c'était ça. Il venait de mettre les bons mots sur son sentiment. Alyn et Telmar, même combat. Ils voulaient devenir maîtres de monde et l'utiliser pour parvenir à leurs fins. Il n'était qu'un pion sur un plateau d'échec.

    La seule chose qu'il pourrait décider était de sa couleur... 


~~~NDA~~~

Oooh comme c'est triste ! :( J'ai l'impression qu'il s'en prend plein dans la poire lui, le pauvre ! Quoi comment ça c'est de ma faute ? Chuuut^^

Sinon ce chapitre et le suivant sont extrêmement dialogués, j'espère que ça ne vous dérange pas mais c'est nécessaire pour faire avancer l'histoire.

Une dernière chose, est-ce que la longueur du chapitre vous convient ou vous préféreriez que je le scinde en deux ?

Publié le 18/02/2018

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