7- Réunion du Conseil
Le premier réflexe d'Alyn en se réveillant fut de saisir le carnet et la plume qui ne quittaient jamais sa table de chevet. À la lueur de la pierre de soleil qu'elle avait sortie d'un tiroir, elle remplit une dizaine de pages de son écriture ronde. Elle écrivait aussi vite que la contrainte de la plume et de l'encrier le lui permettait. Il ne fallait pas qu'elle oublie. C'était crucial.
Une fois cela fait, elle sortit de son lit, ouvrit les volets et se vêtit d'une tenue simple. Elle posa en vitesse un voile couleur nacre sur sa tête et sortit. Quand elle ouvrit la porte, une servante allait entrer et sursauta en se retrouvant nez à nez avec la reine.
— Votre Altesse, votre petit...
— Plus tard. Pose le sur la commode, je le mangerai quand je reviendrai.
— Mais...
Cependant Alyn était déjà loin dans le couloir.
De son pas « aux trop grandes foulées » comme diraient ses tuteurs, elle gagna la salle du Conseil. Elle franchit le rideau avec un empressement qui fit tinter les perles entre elles.
Elle laissa son regard errer sur la salle. C'était un bric-à-brac sans pareil. Tout était encombré, d'objets scientifiques, astrologiques, de parchemins, de fioles, de manuscrit, de feuilles volantes, de coupes et d'autres choses encore, innombrables. Le plus impressionnant était les tours que cela formait, en équilibre précaire, voir même défiant les lois de la nature. Si on avait dit à un étranger que toutes les décisions importantes du royaume se prenaient au milieu de ce capharnaüm, les Amhuriens auraient perdu toute crédibilité, pour sûr.
Les membres du Conseil avaient cessé de vaquer à leurs occupations et la regardaient. Enfin, elle sourit. Alors ils se remirent tous à parler et le chahut ambiant reprit.
Elle s'approcha de la table autour de laquelle ils étaient tous réunis. Comme toujours, c'était le seul endroit dégagé et propre, car il servait à mettre le plateau d'échec.
— Qui mène la danse pour le moment ?
La réponse fut sans équivoque.
— Hamel !
— Oui mais ma reine, dit Eliol, ce n'est qu'une question de temps avant que je gagne. En fait je lui laisse croire qu'il a une chance pour ne pas qu'il soit effrayé par mon génie et qu'il cesse de jouer tout de suite, vous voyez.
— Ah c'est donc ça ! Je suis impatiente de voir, jeune Eliol...
Elle jeta un coup au plateau. Hamel le dominait complètement, c'était un fait.
— Mais dis moi, je louche ou il ne te reste pas beaucoup de nobles pièces ? Surprends nous, parce que là je miserais plutôt sur Hamel...
Le vieil homme lui adressa un sourire complice, ils savaient tous les deux que c'était lui qui allait gagner.
Eliol secoua la tête avec désapprobation.
— Oui mais chut, vous m'obligez à révéler qu'il s'agissait de ma stratégie, c'était un sacrifice vous voyez ? Et vous verrez qu'il en valait la peine.
Ils rirent et avant d'annoncer la raison de sa venue, Alyn assista à la fin de la partie.
— Échec et mat.
Ils éclatèrent tous de rire devant la mine déconfite du jeune conseiller qui venait de perdre, sans trop de surprise. Il se leva et décréta que c'était un coup de chance, mais qu'il battrait le maître pas plus tard que le lendemain. Ils rirent de plus belle et Eliol se joignit à eux, il baratinait : il avait encore beaucoup à apprendre et il le savait. Sa manière de jouer avait certes été innovante et osée et contre un amateur il aurait facilement gagné mais Hamel de son côté connaissait assez de combinaisons pour pouvoir se sortir de tous les mauvais pas.
Ils se serrèrent la main.
— Bien joué, petit.
Ils commentèrent la partie et ses grands moments jusqu'à ce qu'Hamel les rappellent à l'ordre.
— Eh bien majesté, que nous vaut l'honneur de votre présence ?
Elle soupira et déposa son carnet de rêves sur le plateau de jeu. Fylen fut le plus rapide à s'en emparer et il l'ouvrit pour le lire. Ensuite, le carnet passa de mains en mains.
Eliol fronça les sourcils.
— Vous êtes certaine qu'il s'agit d'une vision ?
— Pardi, bien-sûr que je suis certaine ! Si je viens ici c'est pas pour que vous remettiez mes paroles en cause mais pour que vous élucidiez ce mystère.
— Oui mais...
— Oui, soupira-t-elle. Toutes les caractéristiques oui. L'abondance de détails, la logique sans faille et surtout l'intuition que c'est ça, oui pour tout.
— Bien bien, ne nous énervons pas, dit Hamel. Passé, présent ou futur selon vous ?
— Passé je dirais...
— Et c'est quoi là ? demanda Eliol. Encore votre intuition ?
— J'ai une très bonne intuition vous le savez tous ! Mais il n'y a pas que ça. J'ai l'impression qu'un des personnages était mon père... Plus jeune. Les autres me sont aussi familiers.
Hamel posa une main réconfortante sur l'épaule de la reine. De son côté, Eliol se mordit la lèvre, sûrement regrettait-il d'avoir plaisanté avec ce sujet. La mort d'Igor n'avait été facile pour personne et elle était encore toute fraîche dans les esprits.
— Mais ma reine vous êtes certaine ? Dans vos notes c'est écrit qu'il y avait un brun charismatique alors que votre père était blond comme l'or de sa couronne.
— Et c'est aussi écrit qu'il y a plusieurs personnes, réfléchis un peu Eliol...
Hamel soupira...
— Majesté, quand vous pondrez nous une vision claire ? Et sans plusieurs interprétation possible ?
— Quand j'aurai le contrôle sur mon Don...
Un ange passa puis Eliol reprit la parole.
— Bon ! Je pense qu'on aura besoin des talents d'Hélia.
— On a dit mon nom ?
Hamel grogna, lui et la femme de quartier ne s'entendaient absolument pas. Alyn sourit en les voyant tous les deux, elle était certaine qu'il s'agissait d'un jeu entre eux mais qu'en réalité ils seraient incapables de se séparer.
— Je suis certaine qu'Hélia acceptera de travailler avec joie si tous les membres du conseil reconnaissent son talent indispensable à l'équipe.
Hamel leva les yeux au ciel et marmonna une phrase qui contenait les mots « Alyn » et « zizanie ». De son côté Hélia battit des mains.
— Allez y, j'attends vos louanges !
Tous les prononcèrent sauf le vieil homme. Quand vint son tour et qu'on le regarda avec insistance, il soupira et dit :
— Votre Don Hélia. Votre Don peut se trouver être utile.
Ce n'était pas grand-chose cependant elle dut se contenter de cela, c'était un effort considérable de la part du grognon.
Alyn prit le plateau d'échec et le déposa dans les bras d'Eliol, qui ne sut qu'en faire, elle trouva quelques feuilles pas encore barbouillées ainsi qu'un crayon à papier et posa le tout sur la table. Ensuite elle tira deux chaises, une pour elle et une pour Hélia. Elles s'assirent proches l'une de l'autre, pour que la femme puisse poser ses mains autour du crâne de la reine.
Celle-ci ferma les yeux. Elle n'avait pas envie de voir les autres l'observer de leurs regards écarquillés. Et puis ça l'aidait pour se concentrer aussi. Elle invoqua à sa mémoire sa vision du matin. Heureusement qu'elle l'avait écrite dès le réveil, car elles prenaient la même forme que les rêve, elles s'effilochaient donc, on les oubliait.
Elles restèrent ainsi un moment, le seul bruit dans la salle étant celui du crayon qui griffonnait sur le papier. Les autres pouvaient voir les dessins mais ils se gardaient bien de faire leur commentaire, ils ne voulaient pas prendre le risque de briser la concentration des deux femmes.
Enfin, Hélia eut fini et elle ouvrit les yeux pour découvrir ses dessins en même temps qu'Alyn. En effet, son Don lui permettait de dessiner des souvenirs mais elle n'avait aucune conscience du temps passé à cela ni de ses gestes.
Il y avait trois planches. Une qui représentait une vue d'ensemble d'une sale de bal. Seulement, il ne s'agissait pas une fête traditionnelle d'Amhura, les gens étaient plus vêtus, l'ambiance dégagée plus calme et elle prenait place en salle. Le seconde dessin représentait un couple des royaumes d'or qui parlaient. Et sur le dernier, la même femme et un homme blanc montaient à cheval. Ils avaient l'air assez heureux d'être là.
— Majesté... dit Hamel.
Il prit une inspiration.
— La femme. C'est votre douce mère. Amalya.
Alyn se rapprocha encore un peu du dessin. Elle caressa le papier comme si elle pouvait toucher sa mère à travers celui-ci. Amalya était morte quand elle avait trois ans, elle n'avait d'elle que de vagues souvenirs d'événements et de gestes d'affection mais elle n'aurait pu mettre un visage sur cet amour qu'elle ressentait. On lui avait souvent dit qu'elles se ressemblaient. Ce n'était que des mots. Enfin elle comprenait...
Elles partageaient les mêmes yeux d'une couleur qui n'avait pas de nom, entre le vert et le brun. Profonds. Les cheveux aussi, bruns foncés, presque noirs qui sans être ondulés avaient quelques mouvements. Sans compter leur peau ambrée à toutes les deux mais qu'elles avaient en commun avec tous les peuples du désert.
Eliol toussota.
— Ce n'est pas que j'aurais honte d'avoir les larmes aux yeux en votre présence, mais je suggère de passer à la suite.
Il leva les yeux, pour voir si son annonce ne se faisait pas rejeter, puis il reprit :
— Nous avons donc Igor et Amalya, jeunes.
— Et vivants... murmura Alyn, sans qu'on l'entende.
— Il nous manque donc le dernier acteur de cette vision.
— Il m'est familier, dit Hamel.
Les autres hochèrent la tête. Eliol tapa dans ses mains.
— Récapitulons. Si je fais le lien entre l'écrit et les dessins, Amalya tombe amoureuse de cet homme inconnu mais pas inconnu en même temps. Ou bien cet homme pas inconnu mais inconnu ! Ça marche aussi dans ce sens !
Ils rirent et cela détendit l'ambiance.
— C'est cela, dit la reine. Hamel ? Vous étiez le tuteur personnel d'Amalya. Ne s'est-elle jamais confiée à vous quant à cette... amourette ?
Hélia éclata de rire.
— Vous pensez bien que non ! Déjà qu'elle était obligée de passer beaucoup de son temps avec ce papy sénile, grognon, gâteux, revêche, rustre et j'en passe... Elle n'allait pas en plus revenir à lui quand ce n'était pas nécessaire, elle était pas folle la reine !
— N'importe quoi, elle revenait toujours à moi, elle en voulait toujours plus.
— C'était apprendre qu'elle aimait, nous le savons tous, et pas votre présence.
— J'étais son tuteur favori !
— Normal, le seul !
— Suffit ! Tonna la reine. Cessez vos gamineries immédiatement. Bons dieux mais quel âge avez vous ? Hamel ! Le plus ancien des membres, mais pas une once de sagesse.
— À vrai dire...
— Je vous préviens, si vous osez dire que c'est elle qui a commencé, je vous expulse tous les deux du conseil !
— Vous oseriez ? demanda Eliol avec malice.
— Non ils sont trop utiles... Par contre toi...
— Bon bon, la reine a raison, dit Hélia Cessons de nous disputer. Hamel je suis désolée de vous avoir coupé alors que vous vous apprêtiez à nous dire ce qu'Amalya vous a confié sur cet homme...
— Vieille pie !
— Puisque c'est ainsi je m'en vais ! dit Alyn. Quand je reviendrai j'attendrai de vous d'avoir une attitude exemplaire et d'avoir résolu cette vison !
Et sans un mot de plus elle se leva, bouscula Eliol au passage – il ne s'était pas écarté assez vite – et elle sortit en faisant tinter une nouvelle fois les perles. Alors qu'elle avançait dans le couloir elle entendit des éclats de rire résonner dans son dos. Elle secoua la tête. Ils ne l'avaient pas prise au sérieux. Ils avaient sûrement fini par comprendre, avec le temps, qu'elle les aimait trop pour les punir sérieusement et que partir en trombe était une excuse pour les quitter. D'ailleurs c'était bien simple, si elle n'en avait pas, elle était prête à se cloîtrer dans cette sale pour toujours. Elle soupira et regagna sa chambre.
Quelques instants plus tard, Mel toqua et entra sans attendre la réponse.
— Dis donc ! Il va falloir que tu apprennes à être plus polies avec mes filles, sinon plus aucune ne voudra travailler pour toi.
Alyn fronça les sourcils.
— C'est à elles à s'accommoder à moi, pas l'inverse. Quand des gens voudront toujours être sous mon service, elles en revanche ne trouveront pas toujours de travail.
— Tss mais qu'est ce qu'on n'entend pas comme sottise je vous jure... Un sourire ne coûte rien... Mais il rapporte beaucoup ! N'oublie jamais ça.
— Je suis la reine désormais !
— Et ton père était roi ! Pourtant ça ne l'a jamais empêché d'être gentil et de traiter correctement ses gens.
— Ses ennemis le prenaient pour un incapable.
— Ne blasphème pas sa mémoire ainsi ! Son peuple le trouvait juste.
— Ça ne l'a pas empêché de mourir...
— Oooh, allez viens.
Elle s'approcha et tenta de la prendre dans ses bras.
— J'ai passé l'âge des câlins et des bisous magique, Mel.
— Il n'y a pas d'âge pour un peu de réconfort, retiens cela aussi. Mais soit. Comme tu veux. Mange au moins ton petit déjeuner. Il est sur la commode.
— Je le ferai.
La gouvernante passa une main dans les cheveux d'Alyn puis s'en alla. La reine se recoiffa et s'approcha de la fenêtre.
Peu de temps plus tard, elle se rendit compte qu'elle avait le médaillon dans les mains. Elle soupira. Si elle pouvait le prendre sans même s'en rendre compte, peu importait que l'automatisme y soit pour quelque chose ou non, la sécurité devait être augmentée...
Surtout maintenant. Maintenant que les deux autres étaient au château.
Elle serra le médaillon un peu plus. Ensuite, elle défit son étreinte et observa le bijou. Il était fait d'arabesques d'or et d'une pierre verte enchâssée dedans. Ses reflets étaient hypnotisant, elle pouvait passer des heures à la contempler. Et à chaque fois elle découvrait de nouveaux détails, comme si la pierre changeait quand elle n'y regardait pas... Et elle n'aurait pas eu trop de mal à croire à cela. Après tout c'était un médaillon magique.
Un médaillon qui permettait d'accéder au trésor de Bargor, pour peu qu'on en connût l'emplacement. Une nouvelle fois elle contracta ses muscles. Ils devaient savoir. Mais pourquoi ces abrutis refusaient-ils de le lui dire ? Ils étaient sous son pouvoir, sans aucun espoir d'évasion. Alors qu'attendaient-ils pour coopérer ? Leur captivité n'en serait que plus simple ! Elle grogna.
Telmar se jouait d'elle. Cependant, on verrait s'il ferait toujours autant le malin une fois passé par la torture... Quant à l'autre, Egel, il prétendait ne pas savoir. Un bon moyen de ne rien révéler ne serait-ce que par erreur... Cependant il avait l'air faible. Avec lui elle tenterait autre chose que la torture... Et elle estimait qu'elle avait beaucoup de chance de réussites.
~~~NDA~~~
Hé hé... On verra qui d'Egel ou d'Alyn sera le plus rusé pour tromper l'autre... Faites vos paris ! L'affrontement dans le chapitre suivant !
Publié le 15/02/2018
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